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fermine

  • Il y a

    « Il y a deux sortes de gens.

     

    Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent.

     

    Et il y a ceux qui ne font jamais rien d’autre que se tenir en équilibre sur l’arête de la vie.

     

    Il y a les acteurs.

    Et il y a les funambules. »

     

    Maxence Fermine, Neige

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    Georges Lemoine, La lettre et l’image

     

     

  • Un livre en main

    Alors que les liseuses électroniques prolongent la vie de ce mot plein de douceur, « liseuse », qui désignait jusqu’ici un petit coupe-papier ou un vêtement pour lire au lit, une lampe réglable, une table d’appoint à tablettes où poser des livres, le plaisir de tenir un vrai livre entre les mains n’est pas près de perdre ses aficionados/das. 

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    Quand j’ai découvert ce joli cadeau « de circonstance » reçu récemment, Neige de Maxence Fermine, le texte accompagné d’« encres et dessins de Georges Lemoine » (Arléa, 2002),  j’ai hésité un moment : avais-je déjà lu ce conte de blancheur  « qui me disait quelque chose » ? Oui, j’en ai parlé ici. Mais il me semble que le livre emprunté il y a deux ans se présentait dans un autre format ou sous une autre couverture – mystère des oubliettes de la mémoire.

     

    Tous les amoureux des livres ont déjà vécu cela dans une librairie ou en bibliothèque : un livre reparu sous un autre titre (cela arrive) ou dans une autre édition ou en format de poche provoque un léger trouble,  mélange de reconnaissance et d’étrangeté, comme si un livre lu laissait son empreinte sous nos doigts, l’objet livre en lui-même et pas seulement le texte.

     

    Quand je cherche un titre dans ma bibliothèque, je n’ai pas seulement ce titre et l’auteur en tête, mais une couleur, un format, une épaisseur, une texture : le petit format rouge bordeaux sous lequel Nicolas Pouzine présente Iasnaïa Poliana, le dos vert effrité des Chantefleurs et Chantefables de Robert Desnos, l’élégance noir et or du Livre de l’amateur de thé (Sabine Yi, Jacques Jumeau-Lafond, Michel Walsh) ou le grand dos de toile bleue des Herbiers de Proust et de Colette (Editions du Chêne), pour ne citer que quelques exemples. Gare au trou de mémoire ou à l’erreur, qui empêche de trouver ce qu’on a pourtant sous les yeux – ça vous arrive aussi ?

     

    Sinon, pour revenir au récit de Maxence Fermine, aurais-je oublié les illustrations de Georges Lemoine ? Bractée de tilleul aux fruits suspendus, bol à thé décoré d’une branche fleurie, montagnes d’encre entre lesquelles une funambule marche sur un fil tendu, surplomb où se pose une maison montagnarde… Une délicatesse que je retrouve dans quelques-uns des ouvrages qu’il a illustrés, dont les dessins me trottent encore en tête : Vendredi ou la vie sauvage (Tournier), Comment Wang-Fô fut sauvé (Yourcenar), Lullaby (Le Clezio)… Tiens, j’aimerais feuilleter un jour Couleurs, lumières, reflets de Rolande Causse, album « indisponible » au titre prometteur.

     

    L’écriture, la mort, l’amour. Voilà ce qui se cache sous la neige de Neige. Un appel à regarder l’invisible au-delà du visible. Le jeune poète Yuko l’apprendra chez le vieux maître Soseki devenu, « pour l’amour d’une femme, poète, musicien, calligraphe, danseur. Et peintre. » Son initiation à la beauté passe par la marche : « Chaque jour de neige, il prit l’habitude de sortir très tôt de la maison et de marcher en direction de la montagne. » C’est à pied que Yuko se rend dans le sud du pays et traverse les « Alpes japonaises » pour rencontrer Soseki. Avec lui, il fera un jour le chemin en sens inverse pour lui montrer l’incroyable trouvaille dont il avait marqué la place d’une croix, pour la retrouver.

     

    Un livre qu’on relit déçoit parfois, le souvenir qu’on en gardait l’a déformé, le texte n’est plus à la hauteur – ou nous mesurons combien nous avons changé – « on ne découvre jamais deux fois le même livre dans les mêmes pages » (Hubert Nyssen). Parfois c’est l’inverse, une reprise nous trouve dans de meilleures dispositions et nous voyons, sur notre chemin de lecture, de jolies choses sur lesquelles l’œil avait glissé trop vite, distrait.

  • Sur un fil de soie

    Conte, fable, rêve poétique, récit d’initiation, j’hésite à nommer « roman » Neige, un récit de moins de cent pages publié en 1999 par Maxence Fermine, à l’âge de dix-neuf ans. « Rien que du blanc à songer » (Arthur Rimbaud), a-t-il mis en épigraphe à cette histoire en trois temps du jeune Yoko Akita qui a deux passions : le haïku et la neige. Mots simples, phrases courtes, fréquents retours à la ligne, le style invite à respirer, à rêver. Pour lecteurs de 7 à 77 ans. 

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    Hokusai, Garçon contemplant le Mont Fuji

     

    « Vent hivernal
    Un prêtre shintô
    Chemine dans la forêt »
    (Issa)
    C’est le premier des haïkus qui scandent la première partie. Dans l’île d’Hokkaido, en avril 1884, le père de Yoko, un prêtre shintoïste, fronce les sourcils quand son fils, le jour de ses dix-sept ans lui annonce qu’il veut devenir poète. « La poésie n’est pas un métier. C’est un passe-temps. Un poème, c’est une eau qui s’écoule. Comme cette rivière. » « C’est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps. »

     

    Durant l’été, le jeune poète compose soixante-dix-sept haïkus, « tous plus beaux les uns que les autres ». En décembre, son père l’emmène au pied des Alpes japonaises, « au centre de Honshu » et lui montre les neiges éternelles. Il lui fait gravir une montagne pour en revenir avec un choix clair : devenir un guerrier ou un prêtre. Quand Yoko redescend après sept jours « aux portes du ciel », interrogé sur la voie qu’il s’est trouvée, il répond : « Mieux que cela, père. J’ai trouvé la neige. »

     

    Dès la nouvelle année, Yoko embrasse la carrière de poète, « pour célébrer la beauté de la neige ». Chaque jour de neige, il sort très tôt et rentre pour la cérémonie du thé. Il promet à son père d’écrire seulement soixante-dix-sept haïkus par hiver, le reste de l’année, il oubliera la neige. Un jour de printemps, un poète renommé à la cour Meiji se rend chez le père d’Akita, celui-ci lui montre les parchemins qui recouvrent les murs de l’atelier de son fils, en son absence. Emerveillé, le visiteur exprime néanmoins un regret, l’absence de couleurs, et interroge : « Pourquoi la neige ? » A son retour, Yoko se fâche en apprenant que son père a montré ses « esquisses ». Il n’ira voir l’empereur que lorsqu’il aura écrit dix mille syllabes – sept ans de travail à fabriquer « une passerelle vers la lumière blanche des anges ».

     

    A son deuxième hiver de poésie, une jeune femme dont il a aperçu le sein blanc comme neige quand elle puisait de l’eau à la fontaine, le dépucelle et lui révèle le goût de sa peau. Le printemps ramène le poète de cour, avec une femme « d’une beauté éblouissante, férue de poésie », qui subjugue Yoko. Interrogé par le Maître sur ses autres talents, le jeune homme prétend n’avoir besoin de rien d’autre pour accomplir son art. « Erreur. La poésie est avant tout la peinture, la chorégraphie, la musique et la calligraphie de l’âme » rétorque le vieil homme. A cause de la jeune fille, si belle, Yoko l’écoute et suit son conseil : se rendre au sud du Japon chez Soseki, un vieillard admirable qui écrit de merveilleux poèmes, des pièces de musique, mais qui est avant tout un peintre.

     

    Yoko Akita quitte son village le lendemain. En traversant les montagnes, il se perd dans une tempête de neige. Il survit au froid, à la faim, à la fatigue, à cause d’une image incroyable, inoubliable : sous un surplomb rocheux où il s’est réfugié, une femme morte, jeune, nue, blonde, dort sous un mètre de glace. Il marque l’endroit d’une croix avant de reprendre son chemin. Après bien des jours et des nuits, il arrive chez Soseki. Surprise : le « maître de la couleur » a les yeux fermés, il est aveugle. Apprendre à être « voyant », écouter l’histoire, racontée par un vieux serviteur, de l’amour de Soseki pour une jeune funambule européenne surnommée Neige, ce sera le sujet de la deuxième partie. La troisième, l’apprentissage de l’écriture sur un fil blanc – « avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie », « devenir un funambule du verbe ».