« A bien des égards, pourtant, la marche en ville présente plus de points communs avec la chasse et la cueillette primitives que la promenade en pleine nature. Pour la plupart d’entre nous, en effet, les espaces dits naturels sont des lieux à traverser en marchant, mais nous n’y faisons pas grand-chose d’autre qu’en repaître nos sens et nous n’y prélevons rien (le Sierra Club avait ce commandement : « Tu ne prendras que des photographies, tu ne laisseras que des empreintes »).
Il en va tout autrement en ville. Comme le chasseur-cueilleur s’arrête devant un chêne dont les glands arriveront à maturité d’ici quelques mois ou inspecte une oseraie prometteuse, le piéton citadin note que cette épicerie reste ouverte tard, qu’il peut faire ressemeler ses chaussures dans cette boutique, que cette petite rue transversale mène à la poste. Par ailleurs, le marcheur des champs (ou le randonneur, le montagnard) a généralement une vue d’ensemble – sur le panorama, la beauté du paysage –, alors que le marcheur des villes est à l’affût des détails, des occasions, et autant pour le premier les changements de perspective sont progressifs, autant ils sont abrupts pour le second. »
Rebecca Solnit, L’art de marcher