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homosexualité - Page 2

  • Hockney par Cusset

    Si vous ne savez pas grand-chose de David Hockney et que vous comptez visiter l’exposition actuelle à Bozar – très courue, il vaut mieux réserver –, je vous recommande Vie de David Hockney par Catherine Cusset (Folio acheté après ma visite) : « Ce livre est un roman. Tous les faits sont vrais. J’ai inventé les sentiments, les pensées, les dialogues » écrit-elle au début de son avant-propos.

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    © David Hockney, Mr. and Mrs. Clark and Percy, 1970-71. Acrylic on canvas, 213.4 x 304.8 cm
    (Tate : Presented by the Friends of the Tate Gallery 1971)

    Après une première incursion à Bozar où la cohue était telle que j’en suis sortie à peine entrée, j’y suis retournée un autre jour sur le temps de midi, comme on me l’avait conseillé quand j’ai demandé un échange. En première partie, « Œuvres de la collection de la Tate, 1954-2017 » : passé les débuts, les fameuses piscines et les nus masculins, c’est la salle des doubles portraits qui m’a le plus retenue, et aussi ce vase et son ombre, avant de plonger dans la luxuriance californienne et dans l’exploration de la vision multifocale à l’aide de clichés numériques.

    Après In the Studio (immense photo panoramique de son atelier de Los Angeles, 2017) vient la seconde partie de l’exposition, les grandes réalisations sur Ipad : L’arrivée du printemps en Normandie (2020) avec des arbres et paysages dont il suit la transformation de l’apparition des bourgeons jusqu’à la floraison, des coins de jardins, de la pluie tombant dans une mare, des fleurs printanières – une immersion spectaculaire, colorée et joyeuse. (Exposition aussi à Paris.)

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    David Hockney, My parents, 1977, huile sur toile, 72 x 72", © David Hockney Collection Tate, U.K.

    Vie de David Hockney, une sorte de portrait du peintre, rend hommage à un artiste dont la liberté fascine Catherine Cusset : liberté dans la vie comme dans la création. Né en 1937 dans une famille modeste, d’un père pacifiste qui « n’avait pas d’argent mais ne manquait pas de ressources » et d’une mère généreusement nourricière pour ses enfants, dès qu’il a pu tenir un crayon en main, David a dessiné et déjà à l’école, ses dessins plaisaient et étaient exposés.

    Le principal de son collège recommanda de l’envoyer, dès ses quatorze ans, dans une école d’art, mais il fallait une autorisation de la ville, qui refusa. Deux années d’enseignement général à endurer, ce qui mettait le garçon en rage, une rage atténuée grâce aux cours gratuits donnés le soir par un voisin. Autre fait marquant de son adolescence, la main qui prend la sienne dans une salle de cinéma, une révélation du plaisir homosexuel dont il n’osera parler à ses parents.

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    © David Hockney, Man in Shower in Beverly Hills, 1964, Tate Britain

    Enfin admis aux Beaux-Arts de Bradford, David Hockney peut « se livrer à sa passion du matin au soir ». Il y rencontre un jeune professeur stimulant qui pousse ses étudiants à aller à Londres et les invite chez lui. Deux ans plus tard, son élève propose deux tableaux pour l’exposition annuelle des artistes du Yorkshire – acceptés, à sa grande surprise. Un visiteur achètera même le portrait de son père !  

    Entre Bradford et Londres, Hockney découvre que « le figuratif appartenait au passé, qu’il était antimoderne », ce qui l’inquiète un certain temps, puis il comprend grâce à Ron, un ami américain, qu’il doit peindre ce qui compte pour lui – « Tu es nécessairement contemporain. Tu l’es, puisque tu vis dans ton époque » – et aussi, en faisant connaissance avec Adrian qui partage le coin d’atelier de Ron, le premier homme « ouvertement gay » qu’il rencontre, à vingt-deux ans, comment lui-même voudrait vivre.

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    David Hockney, Lithographic Water Made of Lines, Crayon and Two Blue Washes without Green Wash, 1980,
    © David Hockney / Tyler Graphics Ltd.

    Quelques ventes et un chèque inattendu pour une gravure primée lui permettent de s’envoler pour New York où l’accueille pour l’été un autre Américain, Mark, son premier amant. Pour rire, ils se métamorphosent en « blonds peroxydés » : « La vie, comme la peinture, était une scène sur laquelle on jouait. »  La façon totalement libre dont ses amis vivent là-bas, partagent la douche ou le lit sans culpabilité, lui donne le goût de vivre en Amérique : « Un grand blond dans un costume blanc qui ne cachait pas sa sexualité déviante », voilà qui attirerait davantage l’attention des critiques.

    Au Collège royal de Londres, Hockney n’a plus peur d’être lui-même et peint ce qu’il veut. Ses gravures lui rapportent assez pour aller à Los Angeles en janvier 1964. Le mode de vie californien devient le sien. Il y dessine Peter, l’étudiant dont il est tombé amoureux, près de la piscine, il devient « le peintre de la Californie ». David Hockney se fait si bien remarquer qu’à 32 ans, il a droit à une première rétrospective à Londres, à la Whitechapel Gallery. Il devient un peintre connu, interviewé, photographié, il voyage.

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    David Hockney, Peinture sur le Motif pour le Nouvel Age Post-Photographique, 2007,
    Oil on 50 canvases, 457.5 x 121.9 cm overall ((Tout un mur à l'entrée de l'exposition)
    Tate: Presented by the artist 2008 © David Hockney. Photo: Prudence Cuming Associates 

    Catherine Cusset raconte son parcours d’artiste (peintre, photographe, dessinateur, créateur de décors et de costumes pour l’opéra) et ses recherches, sa vie et ses amours, ses allées et venues entre l’Angleterre et l’Amérique. Grand maître des couleurs et, selon Rinus Van de Velde, le dernier artiste mythique après Picasso, plus rien ne l’arrêtera sur le chemin de l’art et de la célébrité. Hockney dit avoir « l’intention de vivre une vie intense jusqu'au dernier jour ».

  • Supplice

    sulzer,la jeunesse est un pays étranger,récit,autobiographie,littérature allemande,enfance,jeunesse,homosexualité,écriture,culture« Nous avions beau savoir que nous n’échapperions pas au supplice, nous n’en restions pas moins aussi longtemps que possible dans l’eau du bain qui refroidissait. Cela ne servait pourtant qu’à retarder le martyre. La seule pensée des collants de laine, la perspective de glisser notre peau encore humide du bain dans une matière aussi rugueuse qu’un sac en jute poussiéreux, suffisait pour déclencher une envie de se gratter et un frisson de dégoût. A ce jour, j’ignore encore pourquoi le malaise que l’on ressentait en portant ces collants se dissipait au bout de quelques heures, si bien qu’on les remettait le lendemain, dimanche, sans grogner et même sans y penser, comme si cela allait de soi. Soit on s’y habituait (je refuse de le croire), soit la laine devenait plus souple et plus douce au contact de la peau. L’abandon de ces horribles collants ne vint pas d’une meilleure prise en compte du bien-être des enfants, mais de l’évolution du goût, qui finit par ne plus trouver aucun avantage à ces coutumes étranges. »

    Alain Claude Sulzer, La jeunesse est un pays étranger

    En couverture, une peinture de Michael Carson.

  • Un pays étranger

    Parfois, il suffit d’une couverture et d’un titre pour qu’un livre vienne à nous, comme avec La jeunesse est un pays étranger d’Alain Claude Sulzer (2017, traduit de l’allemand par Johannes Honigmann). En épigraphe, la citation qui a inspiré le titre, de L. P. Hartley : « The past is a foreign country. » Né en 1953, cet écrivain suisse dont je n’avais encore rien lu a reçu le prix Médicis étranger 2008 pour son premier roman traduit en français, Un garçon parfait.

    Sulzer couverture originale.jpgVoici, dix ans plus tard, La jeunesse est un pays étranger. Ni un roman, ni un récit autobiographique, comme il le précise dans la dernière des chroniques qui le constituent, mais l’auteur en est bien le personnage principal : « Il se compose de lacunes et de souvenirs, de non-dits et de dits, et aussi, je le précise, de choses passées sous silence. » Une citation à rapprocher de ce qu’il déclarait dans un entretien au Temps : « Je déteste ce que font certains auteurs américains, qui expliquent absolument tout ce qu’ils savent d’un personnage. »

    A travers des chapitres de quelques pages (j’ai imaginé dès le début qu’il pourrait s’agir de textes publiés dans la presse et certains l’ont été, en effet), Alain Claude Sulzer explore son passé – sa jeunesse – en dirigeant le projecteur tantôt vers son milieu, tantôt vers lui-même. Cela ne se limite pas pour autant à un exercice de mémoire. Il écrit pour donner forme au souvenir : portrait, récit, expérience, chaque chapitre se lit comme une nouvelle.

    L’éducation reçue de ses parents a été plutôt favorable à l’émergence d’une personnalité libre. Sa mère, une infirmière partie travailler au Portugal où elle s’était même fiancée, avait épousé, une fois revenue en Suisse, un patient rencontré dans une clinique psychiatrique près de Berne. Elle était originaire de Suisse romande, lui de Suisse alémanique. Alain Claude Sulzer a grandi à la lisière de deux cultures, entre le français de sa mère qui s’est obstinée à ne pas apprendre l’allemand et la langue de son père, devenue la sienne.

    « La maison de mon père n’était pas la maison de ma mère. » Son architecture moderne lui avait valu d’être photographiée pour une revue, mais le toit plat leur a causé des problèmes « pendant des décennies ». Sa mère avait en horreur la moquette d’un « noir de jais » où le moindre grain de poussière se voyait, ainsi que le papier peint à motifs noirs sur fond blanc des murs. L’orange, couleur préférée de sa mère avec le rouge, finit par y triompher. (Cela m’a rappelé la manière dont Isabelle Carré parlait du grand appartement où elle a grandi.)

    La jeunesse est un pays étranger revisite le mode de vie des années 1960 et 1970 à Riehen, près de Bâle : ce qu’ils écoutaient à la radio, ce qu’ils mangeaient, les voitures, l’école, les vacances, les magazines pour enfants… Sulzer mentionne souvent les mots dont on se servait chez lui, en français ou en allemand. A cause d’un problème de dos, vu qu’il refuse le sport et la gymnastique, il est inscrit au cours de ballet, au milieu d’une ribambelle de filles, ce qui ne le gêne pas.

    Autant les bâtonnets de couleur utilisés pour apprendre le calcul (la méthode des réglettes Cuisenaire, un Belge) lui répugnent, autant l’apprentissage de l’écriture « liée » l’enchante, même si son écriture finit par devenir « insolite » – « Mon écriture tout à fait personnelle était la représentante solidaire de mon originalité. » Très tôt, écrire lui apparaît comme une façon d’être au monde ; il en fera son métier.

    La vision accidentelle, quand il a douze, treize ans, d’un homme prenant sa douche, lui confirme son orientation sexuelle. Un ami l’accompagne à Paris lors d’une fugue : ils se sentaient différents des autres, voulaient devenir écrivains. Un autre ami, faute de place, le persuade de prendre chez lui un piano à queue qu’on lui offre, ce qui le ravit (lui-même aurait aimé devenir pianiste). Michael, un homme beaucoup plus âgé, célibataire, lui donne une clé de son appartement, en 1971.

    Sulzer évoque bien sûr aussi ses attaches familiales. Un des derniers textes s’intitule « Mon moi est un puzzle ». Un soir où ses parents sont absents, il s’empare d’une bouteille de gin pour accompagner sa première création sur la machine à écrire Olivetti de son père, une nuit d’ivresse totale. Le manuscrit sera refusé par l’éditeur, mais ce n’est pas pour le décourager.

    J’ai aimé le ton d’Alain Claude Sulzer pour aborder cette terre étrangère qu’est devenue pour lui sa jeunesse (comme, peut-être, à toute personne de plus de soixante ans). Un mélange d’authenticité et de détachement. Entre les faits vérifiables et ceux que sa mémoire a transformés, un fil de plus en plus visible le conduit à l’homme qu’il est devenu, un écrivain. Comme dans un autoportrait où s’ajoute au portrait une manière de peindre, ses souvenirs de jeunesse prennent vie, ici, par sa manière de les raconter.

  • Carol dans le texte

    Adapté avec succès au cinéma, Carol est d’abord un roman de Patricia Highsmith publié en 1952 sous le titre The Price of Salt (Les eaux dérobées, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle de Lesseps). Dans son avant-propos de 1989, la romancière rappelle qu’en 1948, elle travaillait comme vendeuse dans un grand magasin de Manhattan pour la période des fêtes de fin d’année, au rayon des jouets, et que c’est là que surgit un matin « une femme blonde en manteau de fourrure ». Est-ce son vison ou la lumière qui semblait se dégager d’elle ? Inspirée par cette « apparition » troublante, elle écrit le soir même « toute l’histoire de Carol », environ huit pages.

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    http://www.autostraddle.com/see-the-fascinating-evolution-of-cover-art-from-12-legendary-queer-books-176085/

    L’inconnu du Nord-Express, son premier roman, est publié en 1949 et peu après vendu à Hitchcock ; on lui conseille d’en écrire un autre du même genre. Or elle a l’histoire de Carol en tête, achève de l’écrire deux ans plus tard et le propose sous pseudonyme, pour ne pas être « étiquetée comme auteur de romans lesbiens ». Son éditeur n’en veut pas, un autre le publie : il récolte « quelques critiques sérieuses et honorables », mais l’édition de poche, un an après, se vend à presque un million d’exemplaires. Des mois durant, elle reçoit sous le nom de Claire Morgan de nombreuses lettres. Dans la postface, Highsmith revient sur cette époque et les raisons de ce succès.

    Voici donc Therese (sic) Belivet, dix-neuf ans, à la cantine du grand magasin Frankenberg : elle relit la brochure pour le personnel tout en imaginant le décor d’une pièce de théâtre qui se déroulerait dans un grand magasin – elle ne fait qu’y passer, en attendant de décrocher un engagement comme décoratrice de théâtre. Son ami Richard voudrait qu’elle l’accompagne en France l’été suivant, mais elle a du mal à s’imaginer là-bas, et encore plus chez Frankenberg toute sa vie, comme cette vendeuse âgée, épuisée, qui lui a gentiment proposé son aide en cas de besoin.

    Richard, qu’elle fréquente depuis dix mois sans être amoureuse de lui – une liaison quasi officielle quoique indécise – vit encore chez ses parents, ce qui lui permet d’économiser, alors que Therese n’a encore qu’un tiers de la somme nécessaire pour acheter sa carte professionnelle de décorateur de théâtre. Un ami de Richard pourra peut-être l’aider à décrocher un vrai travail : Phil McElroy l’a recommandée au metteur en scène d’une comédie où il devrait jouer un rôle. Quand Phil et son frère Dannie rejoignent Richard chez elle, Dannie admire sa maquette pour Petrouchka, Phil ne lui prête guère d’attention.

    Au rayon des poupées, les vendeuses n’ont pas une minute à elles, chaque cliente sait parfaitement ce qu’elle cherche. C’est là qu’apparaît une femme « grande et blonde, longue silhouette gracieuse dans un ample manteau de fourrure, qu’elle tenait entrouvert, la main posée sur la hanche ». Captivée par ses yeux « gris, décolorés et pourtant lumineux comme le feu », Therese est quasi muette en servant « Mme H.F. Haird » comme elle l’écrira sur le bordereau de livraison – un cadeau pour sa fille.

    Séduite par les regards et la voix douce de cette cliente, la jeune femme lui envoie le jour même une carte de vœux « avec les compliments de la maison Frankenberg » signée 645-1, son numéro de vendeuse. Mme Aird téléphonera au magasin pour l’en remercier – et lui proposer de prendre un café ou un verre ensemble, « puisque c’est Noël ».

    Elles font donc connaissance. Carol interroge Therese sur sa vie, avec une note d’humour et de la curiosité dans ses yeux gris : « Vous êtes une drôle de fille. » Bientôt Therese n’a plus qu’une idée en tête, leur prochaine rencontre. Richard, qui a réservé deux cabines pour eux sur un transatlantique, sent tout de suite que quelque chose a changé chez son amie, peu enthousiaste. Therese sait qu’elle le déçoit et préfère la franchise : elle n’est pas amoureuse de lui et comprendrait très bien qu’ils cessent de se voir, mais lui est amoureux et ne veut pas renoncer à elle.

    Quand Carol l’emmène pour la première fois dans sa jolie maison à la campagne, où il n’y a personne d’autre que la bonne, sa petite fille n’est pas là. Therese lui confie tout de son passé, ses parents, Richard… L’arrivée inopinée de Harge, le mari de Carol, venu chercher quelque chose pour Rindy, leur fille, peut-être un prétexte, provoque une forte tension – une séparation ou un divorce, sans doute.

    Carol et Therese se voient de plus en plus souvent, celle-ci rencontre aussi Abby, la meilleure amie de Carol, un peu plus âgée, moins gracieuse, visiblement très complice, et un peu réticente à son égard. Quand elles ne sont pas ensemble, Carol devient l’obsession de Therese, qui a de plus en plus de mal à s’intéresser à Richard et à sa famille, chez qui elle a promis de passer pour Noël. Elle l’interroge sur l’homosexualité, mais lui n’a guère envie d’en discuter, le sujet le gêne et l’effraie même.

    Patricia Highsmith possède l’art de distiller dans ses récits suspens, mystère, détails significatifs, sans rien précipiter. Carol raconte l’histoire d’amour de deux femmes qui se découvrent l’une à l’autre, étape par étape. Therese vit son premier élan amoureux ; Carol, plus expérimentée, mène le jeu tout en se dévoilant moins. Quand son mari menace de lui retirer la garde de sa fille, le danger est grand et pour Carol et pour Therese qui n’imagine plus sa vie sans elle. Mais peut-on vivre un tel amour dans cette société qui ne veut pas en entendre parler ?

  • Don du verbe

    Lanoye couverture.jpg« Ma Pit Germaine possède le don du verbe, enrichi par la puissance d’une mémoire infaillible. Elle n’arrête pas de parler une seule seconde. Calme, imperturbable et dans les moindres détails, elle relate sa journée : qui elle a vu, à quelle autre personne ça lui a fait penser et ce qui est arrivé jadis à cette dernière, récit qu’elle tient d’une troisième qui était mariée à un quatrième, mais ces deux-là sont maintenant en bagarre à cause d’une cinquième personne, qui est justement le fils ou la fille d’une sixième, à qui, tiens, elle a parlé la semaine dernière quand elle était en route pour… Etcetera. Un flot irrépressible de récits, dont chacun a un centre bigarré et pittoresque, un début peu clair caché dans un récit précédent et une fin tout aussi indécise faisant déjà entièrement partie du récit suivant.
    Elle est l’inventrice de ce que j’appelle le racontage automatique. »

    Tom Lanoye, Les boîtes en carton