« Nous avions beau savoir que nous n’échapperions pas au supplice, nous n’en restions pas moins aussi longtemps que possible dans l’eau du bain qui refroidissait. Cela ne servait pourtant qu’à retarder le martyre. La seule pensée des collants de laine, la perspective de glisser notre peau encore humide du bain dans une matière aussi rugueuse qu’un sac en jute poussiéreux, suffisait pour déclencher une envie de se gratter et un frisson de dégoût. A ce jour, j’ignore encore pourquoi le malaise que l’on ressentait en portant ces collants se dissipait au bout de quelques heures, si bien qu’on les remettait le lendemain, dimanche, sans grogner et même sans y penser, comme si cela allait de soi. Soit on s’y habituait (je refuse de le croire), soit la laine devenait plus souple et plus douce au contact de la peau. L’abandon de ces horribles collants ne vint pas d’une meilleure prise en compte du bien-être des enfants, mais de l’évolution du goût, qui finit par ne plus trouver aucun avantage à ces coutumes étranges. »
Alain Claude Sulzer, La jeunesse est un pays étranger
En couverture, une peinture de Michael Carson.
Commentaires
Ton passage m'a fait sourire Tania, merci !
Qu'est-ce qu'elles grattaient ces chaussettes de laine tricotées par notre grand-mère, et pas seulement le premier jour, tous les jours !! Belle fin de semaine !
Et pourtant j'avais un oncle qui ne voulait mettre que des chaussettes de laine tricotées par son épouse !
Bon week-end, Claudie.
Voilà la peau qui me gratte rien qu'à lire cet extrait si bien décrit!
Bon dimanche la belle.
N'est-ce pas ? Bon dimanche, Colo.
Toile de jute, laine: brrrrrrr ,la gratouille assurée! On y est, on ressent avec cette écriture si précise, si sensible. Un auteur inconnu pour moi.
J'ai fait sa connaissance il y a peu, rien de tel pour ça qu'un récit autobiographique.
Je me souviens des chaussettes de laine que ma mère chargeait une vieille dame de nous tricoter. Inusables, avec des points serrés, des élastiques aux mollets, en gris ou en beige. La dame avait laissé son adresse au cas où on aurait eu une urgence chaussettes, mais elle l'avait fait oralement, avec le puissant accent local; Aussi ma mère lui a-t-elle écrit "Rue des grands trams" alors que la dame habitait... rue des grandes rames. :D C'est arrivé!!!! On a été sauvés et eu de nouvelles chaussettes grattantes...
Ha ha, jolie méprise du temps où le facteur avait le temps de bien faire son métier !
Je n'ai été élevèe que par des femmes , mère, tante, grand-mère , la guerre était passée par là ... Aucune n'a jamais mis les pieds dans une piscine . A l'école , il m'a fallu un maillot de bain pour aller apprendre à nager . Par souci d'économie , ma tante m'a tricoté un maillot de bain noir ... l'horreur , il grattait affreusement et une fois dans l'eau il se détendait et pendouillait sur mon corps , les bretelles tombaient !
mes camarades de classe s'ébattaient joyeusement dans leur jolis maillots en matière synthétique .
Ces heures de piscine furent longtemps mon cauchemar , car mes protestations furent inutiles . Je n'appris à nager que plus tard , vêtue d'un maillot ad hoc . Qui dira l'impuissance de l'enfance ?
Bonjour, Béatrice, merci pour ce souvenir désagréable mais bien vivant. Cela rejoint parfaitement les impressions d'Alain Claude Sulzer.
N'est-ce pas que l'habitude est une deuxième nature !?
Elle peut le devenir, en effet. Bonne après-midi, Bizak.
J'ai quand même la nostalgie des chaussettes tricotées par ma mère, à tel point que j'ai appris l'an dernier à en faire....
Bonne journée.
Je suis sûre que ces chaussettes seront à la hauteur de tes souvenirs, Marie. Bonne journée.