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    delerm,la vie en relief,littérature française,écriture,impressions,souvenirs,culture« Les gestes du corps ne comptent pas. On est tout entier dans le regard, surtout quand on écoute, et l’on voit les autres sourire de nous voir parler, sourire d’une façon nouvelle, très calme, enveloppante. Joue sans doute aussi le minuscule décalage du son par rapport à l’image, comme un rappel en continu de ce côté magique de la connexion. Mais elle n’est pas seule à être frêle et menacée. On se tait. On écoute. On sourit sûrement comme eux nous sourient. Le cadre est à la fois un confort et un vertige. Et l’on flotte si près. La fin est très étrange, aussi. On incline juste l’écran, mais c’est bien davantage. On referme la boîte du théâtre miniature où sans presque rien dire on s’est tout dit. »

    Philippe Delerm, La vie en relief

  • De tout son temps

    En bandeau de couverture : « Je ne suis pas de mon temps. Je suis de tout mon temps. » En quatrième : « Je suis à la fois enfant, adolescent, homme d’âge mûr, et vieux. » Ces mots de Philippe Delerm entourent La vie en relief (2021), une lecture entamée avant de tomber malade et qui s’est avérée bien appropriée pour y avancer doucement, dès que cela fut possible.

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    Ferdinand Schirren (1872-1944), La fenêtre

    Des séquences d’une page ou deux, rarement plus. Des « instantanés littéraires ». Delerm s’en est fait une spécialité voire une spécificité. « Vivre par les toutes petites choses. Des sensations infimes, des phrases du quotidien, des gestes, des bruits, des odeurs, des atmosphères. Ecrire sur tout cela. Car écrire et vivre, c’est la vie en relief, une opération qui s’est imposée lentement. Transformer en sujet ce qui n’en est pas un, la perspective est délicieuse. Elle donne le sentiment que l’existence est inépuisable, qu’il y aura toujours un angle différent à trouver, à chaque fois l’impression de respirer plus large, en ayant tiré de la vie même ce qu’elle contenait mais [qui ?] demeurait enfoui. »

    Au premier tiers de La vie en relief, l’écrivain revient sur cette disposition qui lui a valu son grand succès de librairie, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. A plus de quarante ans, il s’était mis au défi de rendre ce « presque rien » qu’est de « mouiller ses espadrilles » : « Une lourdeur désolante, aux antipodes de l’invincible sensation de liberté donnée par les mêmes chaussures, sèches, effleurant le sol tôt le matin, idéalisant le bien-être et la liberté de l’été. » – « Les toutes petites choses sont moins infimes qu’infinies. »

    Depuis lors, il a pris de la bouteille, et cela nous vaut de beaux arrêts ou ralentis sur image, impression, souvenir… Quand il écrit sur ce qu’il a toujours aimé voir, un « dedans entre deux dehors » – par exemple un appartement éclairé aperçu de la rue ou d’une cour et, à travers les fenêtres, un jardin de l’autre côté  –, et sur son bonheur d’habiter un tel lieu, une maison entre deux jardins, l’un de devant, l’autre, plus secret, à l’arrière, on aime qu’il convoque « la même respiration mentale dans certaines toiles de Vilhelm Hammershoi, peintes dans son appartement de Copenhague. »

    Une petite table de fer bleue, une phrase dite ou entendue – « elle a dû être très belle » –, une phrase lue, le regard brillant de son fils « au seul mot de cirque », Delerm distille son bonheur sans hésiter à puiser dans ses souvenirs personnels. « Le passé n’est pas un monde perdu. Le vivre dans le présent n’est pas de la nostalgie. Ce qui est passé est possédé, définitivement. Je dis « ma vie est belle » parce que j’ai la chance de sentir le passé dans le présent. Il y est, il n’attend rien que de se déployer. » Contre une certaine tendance contemporaine à se débarrasser de tout, il déclare : « Je veux m’embarrasser de tout. »

    Cela passe le plus souvent par des choses très concrètes, comme un café, ou l’offre d’un second café, ou la coutume généreuse des « cafés suspendus » dans certaines villes. Ou cette « badine » conservée par sa mère, une petite branche cueillie sur un arbuste, en Drôme provençale où elle avait dû le laisser quelques mois pour soigner ses bronches, lui, « un enfant tombeau » – « Toute la tristesse qu’elle eut à me quitter ce jour-là. »

    Si ce que Delerm dit, avec pudeur, avec amour, de ses parents dans leurs dernières années, touchera quiconque a pu accompagner les siens ou un des siens sur ce chemin difficile, j’ai été très émue pour ma part de retrouver sous sa plume la dernière chanson que j’ai partagée par Skype avec maman, alors déjà au-delà des mots, mais peut-être encore portée par les voix : La tendresse. Il y aura bientôt deux ans. Un magnifique commentaire en trois pages de cet enregistrement « dédié à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont été touchées par le coronavirus ».

    « Le malheur, c’est de perdre quelqu’un. Le bonheur, c’est d’avoir quelqu’un à perdre. » Merci, Philippe Delerm.

  • Tutoiements

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    « Constatons simplement que bien des tutoiements ne correspondent à aucune proximité réelle, relèvent souvent d’une camaraderie superficielle, sans estime supplémentaire. Il y a toutefois des familiarités qui vont aussi vers la tendresse. Mais elle n’existe pas, cette phrase délicieuse qui refléterait l’apogée de la délicatesse : – On pourrait peut-être continuer à se vouvoyer ? »

    Philippe Delerm, On peut peut-être se tutoyer ?

  • De petites phrases

    Elles en disent plus qu’il n’y paraît, ces petites phrases dont Philippe Delerm raconte « la perfidie ordinaire » dans Et vous avez eu beau temps ? qu’on m’a gentiment offert. Il y a ce qu’on dit, et aussi le ton qu’on emploie, le non-dit, comme Nathalie Sarraute l’a superbement montré dans sa pièce Pour un oui ou pour un non. Parmi les quelque septante phrases récoltées par Delerm, certaines sont plus courantes que d’autres, certaines lui sont plus personnelles. Cela forme un joli recueil assez amusant.

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    Owen Dalziel (1861-1942), Dimanche en bord de mer, 1885

    Dans la phrase éponyme, le premier texte, l’auteur s’arrête d’abord sur le « Et » : « Quelle traîtrise virtuelle dans ce mot si court, apparemment si discret, si conciliant. » Son commentaire d’une ou deux pages offre souvent l’occasion d’admirer une entrée en matière, un aphorisme ou une chute qu’on s’empresse de noter, un sourire en coin : « Pour l’orateur, les gens de qualité sont ceux qui l’écoutent. » (N’oubliez pas…) « Chaque homme est une île. C’est le code dans les villes. » (Là, il sait qu’on parle de lui, lui étant le chien, « exception majeure à cette règle de l’évitement. »)

    Ce recueil, je m’empresse de l’écrire, permet de rire avec l’auteur de ceux dont il décode la formule ou le discours, et aussi de soi. « Je me suis permis de… », est-ce une phrase « de commerçant », comme l’écrit Delerm, de la délicatesse, de l’obséquiosité ? Chaque lecteur se sentira plus ou moins concerné en fonction de sa propre expérience, comme observateur ou comme usager. Que celui qui n’a jamais péché…

    Certains textes sont délicieusement poétiques. Ainsi « Il faudrait les noter », où Delerm s’interroge sur ce désir que nous exprimons de garder la trace d’un mot d’enfant dans un carnet, un cahier, où on pourrait le relire un jour, plus tard. « A quoi bon s’armer d’un filet, et chasser les lépidoptères ? Epinglés, mis sous verre, les mots d’enfants perdraient en quelques jours le velours de leur peau, leurs couleurs micacées, leur mouvement, et cette gratuité légère d’un rire saisi dans l’espace. »

    On peut s’amuser à observer l’attitude de la duchesse de Kent à Wimbledon quand elle passe entre les ramasseurs de balles, le langage des marchands de vin – « L’œnologue distingué est un illusionniste » –, à reconnaître le « Vous étiez avant moi » quand on fait la queue chez un commerçant, l’agacement produit par un interlocuteur qui vous sort « En même temps, je peux comprendre » ou « J’dis ça, j’dis rien ».

    Delerm explore ce qui se cache dans certaines expressions apparemment amicales. Dans un petit mot très utilisé pour conclure sur un semblant de compréhension, comme « va », dans « Abruti, va ! » Dans le « Chez nous, c’est trois » qui ponctue « la bise incertaine, un des protocoles les plus incongrus de nos échanges de civilités ». Dans la repartie pour mettre fin à l’insistance de quelqu’un qui vous vante une exposition qui ne vous intéresse pas vraiment : « Ça finit quand ? »

    Et vous avez eu beau temps ? n’est pas seulement une fine observation des rouages de la conversation et de la comédie humaine, des ridicules et des hypocrisies. Philippe Delerm y exprime aussi ce regard sensible qui avait plu dans La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules et encore dans La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives, faisant de l’auteur, comme l’indique la quatrième de couverture « l’unique représentant » d’un genre qu’on pourrait appeler l’« instantané littéraire ». Fallait-il pour autant agiter ce bandeau rouge à son nom sur la couverture pour le vendre ? 

    « Je préfère Gand à Bruges » ne fait pas dans la dentelle, c’est bien vu. Différences de milieu social, usages de ville ou de campagne, rituels familiaux (« Passez un texto en arrivant »), parole de chanson, réplique dans un film, les entrées varient tout au long du recueil. Philippe Delerm se garde de trop insister, ne donne pas de leçon de morale, mais il incite à se méfier de ces tours ordinaires de la conversation qui nous jouent parfois de drôles de tours.

  • Beauté pure

    Delerm Autumn.jpg« C’est au fond du miroir que naît la beauté pure, ma douce Lizzie. Les maîtres flamands le savaient. Ces sorcières au verre bombé qu’on voit au fond des tableaux de Jean Van Eyck, multipliant dans le vertige de l’abyme la richesse des meubles et des étoffes, sont à la fois comme un symbole et un chemin. La Beauté pure sera toujours de Bruges, ou de Venise ; il y faut la magie de l’eau et des reflets, dans un espace de silence. Il faut oser se regarder. » (Dante Gabriel Rossetti à Elizabeth Siddal)

    Philippe Delerm, Autumn

    Dante Gabriel Rossetti, La Donna della fiama (La dame à la flamme), détail, Manchester City Arts Galleries