Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

De petites phrases

Elles en disent plus qu’il n’y paraît, ces petites phrases dont Philippe Delerm raconte « la perfidie ordinaire » dans Et vous avez eu beau temps ? qu’on m’a gentiment offert. Il y a ce qu’on dit, et aussi le ton qu’on emploie, le non-dit, comme Nathalie Sarraute l’a superbement montré dans sa pièce Pour un oui ou pour un non. Parmi les quelque septante phrases récoltées par Delerm, certaines sont plus courantes que d’autres, certaines lui sont plus personnelles. Cela forme un joli recueil assez amusant.

delerm,philippe,et vous avez eu beau temps?,la perfidie ordinaire des petites phrases,littérature française,culture,conversation
Owen Dalziel (1861-1942), Dimanche en bord de mer, 1885

Dans la phrase éponyme, le premier texte, l’auteur s’arrête d’abord sur le « Et » : « Quelle traîtrise virtuelle dans ce mot si court, apparemment si discret, si conciliant. » Son commentaire d’une ou deux pages offre souvent l’occasion d’admirer une entrée en matière, un aphorisme ou une chute qu’on s’empresse de noter, un sourire en coin : « Pour l’orateur, les gens de qualité sont ceux qui l’écoutent. » (N’oubliez pas…) « Chaque homme est une île. C’est le code dans les villes. » (Là, il sait qu’on parle de lui, lui étant le chien, « exception majeure à cette règle de l’évitement. »)

Ce recueil, je m’empresse de l’écrire, permet de rire avec l’auteur de ceux dont il décode la formule ou le discours, et aussi de soi. « Je me suis permis de… », est-ce une phrase « de commerçant », comme l’écrit Delerm, de la délicatesse, de l’obséquiosité ? Chaque lecteur se sentira plus ou moins concerné en fonction de sa propre expérience, comme observateur ou comme usager. Que celui qui n’a jamais péché…

Certains textes sont délicieusement poétiques. Ainsi « Il faudrait les noter », où Delerm s’interroge sur ce désir que nous exprimons de garder la trace d’un mot d’enfant dans un carnet, un cahier, où on pourrait le relire un jour, plus tard. « A quoi bon s’armer d’un filet, et chasser les lépidoptères ? Epinglés, mis sous verre, les mots d’enfants perdraient en quelques jours le velours de leur peau, leurs couleurs micacées, leur mouvement, et cette gratuité légère d’un rire saisi dans l’espace. »

On peut s’amuser à observer l’attitude de la duchesse de Kent à Wimbledon quand elle passe entre les ramasseurs de balles, le langage des marchands de vin – « L’œnologue distingué est un illusionniste » –, à reconnaître le « Vous étiez avant moi » quand on fait la queue chez un commerçant, l’agacement produit par un interlocuteur qui vous sort « En même temps, je peux comprendre » ou « J’dis ça, j’dis rien ».

Delerm explore ce qui se cache dans certaines expressions apparemment amicales. Dans un petit mot très utilisé pour conclure sur un semblant de compréhension, comme « va », dans « Abruti, va ! » Dans le « Chez nous, c’est trois » qui ponctue « la bise incertaine, un des protocoles les plus incongrus de nos échanges de civilités ». Dans la repartie pour mettre fin à l’insistance de quelqu’un qui vous vante une exposition qui ne vous intéresse pas vraiment : « Ça finit quand ? »

Et vous avez eu beau temps ? n’est pas seulement une fine observation des rouages de la conversation et de la comédie humaine, des ridicules et des hypocrisies. Philippe Delerm y exprime aussi ce regard sensible qui avait plu dans La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules et encore dans La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives, faisant de l’auteur, comme l’indique la quatrième de couverture « l’unique représentant » d’un genre qu’on pourrait appeler l’« instantané littéraire ». Fallait-il pour autant agiter ce bandeau rouge à son nom sur la couverture pour le vendre ? 

« Je préfère Gand à Bruges » ne fait pas dans la dentelle, c’est bien vu. Différences de milieu social, usages de ville ou de campagne, rituels familiaux (« Passez un texto en arrivant »), parole de chanson, réplique dans un film, les entrées varient tout au long du recueil. Philippe Delerm se garde de trop insister, ne donne pas de leçon de morale, mais il incite à se méfier de ces tours ordinaires de la conversation qui nous jouent parfois de drôles de tours.

Commentaires

  • Je suis souvent accablée par ces phrases toutes faites qui nous servent parfois (souvent) de conversations ! ah, le "chez nous c'est trois" qui me fait rentrer la tête dans les épaules, d'autant plus que je déteste ces "bises" devenues obligations...
    Mais il faut savoir aussi les prendre pour ce qu'elles sont également : une manière de montrer une sympathie, sans s'engager plus et c'est déjà çà !

  • Dans l'hésitation du geste ou d'une rencontre, laissons-nous les mots en "pilotage automatique" ? Comme tu l'écris, cela met de l'huile dans les rouages sociaux - autre chose sont les petites perfidies débusquées par Delerm. Bon lundi de Pâques, Annie.

  • je me souviens avec bonheur de la première gorgée de bière, ensuite je l'ai moins lu mais ton billet donne envie naturellement

  • Je n'ai jamais lu cet auteur; il m'attire et pourtant, à chaque fois que j'ai un de ses livres en mains, que je le feuillette et lis par dedans, j'ai l'impression que je n'y trouverai pas mon compte.

  • Je laisse ce recueil à ma portée pour relire l'un ou l'autre texte, à savourer plutôt séparément.

  • Le texte court est souvent plus éphémère, l'empreinte moins forte. Je te recommande "La gorgée de bière" pour commencer.
    Sinon, Delerm a écrit de beaux romans inspirés par les peintres, comme "Sundborn ou les jours de lumière" (voir l'index).

  • J'ai rencontré l'auteur à propos de ce livre-là et j'ai passé un excellent moment. Je le trouve pratiquement meilleur à l'oral ; je me suis demandée s'il n'en avait pas trop dit, j'avais l'impression à l'issue de la rencontre d'avoir lu le livre. Je veux découvrir depuis longtemps Sundborn, mais je pense jamais à l'emprunter à la bibliothèque. Le mieux est de l'acheter pour l'avoir sous la main.

  • J'ai lu quelques uns de ses livres, et avec ce dernier (emprunté à la bibli sans discontinuer!) j'aimerais renouer avec lui. Quitte à devoir m'interroger sur ce que je dis!

  • @ Aifelle : Il est passé à La Grande Librairie aussi. Son style à l'écrit est un régal de justesse tout en restant simple. Ah, Sundborn et Skagen...

    @ Keisha : Je t'en souhaite déjà bonne lecture, Keisha.

  • J'aime beaucoup le propos. Quand j'étais en quatrième, notre professeur de français nous avait proposé un sujet libre. J'avais choisi d'épingler des phrases de ce type et j'avais eu une très bonne note, ma prof surprise de ce choix. Je lirai donc ce livre avec d'autant plus de plaisir que voue en vantez bien les mérites. Merci Tania

  • Merci, Zoë. Je ne doute pas de vos observations judicieuses qui avaient réjoui votre prof !

  • je suis fan! j'aime sa façon de décrypter les petites phrases toutes faites, j'aime la justesse des mots, bref j'aime ce qu'il écrit et j'ai hâte de lire celui-là :-)

  • ET oui, mais si l'on commence par se méfier des mots, la conversation risque de ne pas être très spontanée et de tourner court. Nous sommes tous capables, je pense, de prononcer ces paroles toutes faites.

  • ET oui, mais si l'on commence par se méfier des mots, la conversation risque de ne pas être très spontanée et de tourner court. Nous sommes tous capables, je pense, de prononcer ces paroles toutes faites.

  • Nous avons tous nos travers dans l'expression orale ou écrite et il est toujours plus facile de les débusquer chez l'autre. L'auteur a du se régaler, décortiquer ces phrases toutes faites est peut-être le seul travail à faire pour s'en débarrasser et être ainsi plus authentiques ? Une belle lecture à venir, j'en suis certaine, merci Tania. Bisous. brigitte

  • @ Adrienne : Bon amusement, régale-toi.

    @ Claudialucia : Dans certains cas, les expressions toutes faites viennent à notre secours. Certaines sont tout de même à éviter.

    @ Pâques : Alors ce livre est pour toi - bonne lecture, Marcelle.

    @ Plumes d'Anges : Tu as raison, et à l'oral nous n'avons pas la possibilité de nous relire. A toi aussi, bonne lecture, bises.

  • Mais je crois n'avoir jamais rien lu de Philippe Delerm... A part la première gorgée de bière, peut-être....
    Ce livre dont tu parles doit effectivement être très plaisant. Je regarderai s'il est disponible à la Médiathèque.
    Merci. Bonne fin d'après-midi.

  • Fais-moi signe si tu ne l'y trouves pas, je te le ferai parvenir. Bonne après-midi, Marie.

  • Depuis la première gorgée de bière et quelques autres, j'ai perdu de vue Delerm; je vois que son esprit observateur des petits riens significatifs reste intact.
    Je tiens pourtant et d'abord en réserve ce Sarraute (pour un oui ou ...) que vous signalez en début de billet.
    En revenant sur votre réponse à un ancien commentaire, je remarque que j'avais loupé vos dix ans de blog : continuez surtout et bravo !

  • Merci, Christw. Je garde un souvenir fort de ce dialogue auquel j'avais assisté au Botanique dans les années 80. Sarraute est la spécialiste des interstices de la parole, il est vrai. Bon week-end !

  • Un livre que j'ai noté pour le lire un de ces jours après son passage à La Grande Librairie. J'ai déjà pas mal de livres de cet auteur dont un au moins écrit à quatre mains avec sa femme.
    Le langage que nous employons est quelque chose de redoutable. Que de malentendus possibles et de "mal dits"!

Écrire un commentaire

Optionnel