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Voyageuse de nuit

Vieux, vieille, vieillesse commencent par les lettres de « vie » ; l’étymologie renvoie à l’âge (« vetulus », qui a pris de l’âge). Le beau titre choisi par Laure Adler, La voyageuse de nuit, pour parler du sentiment, de l’expérience, de la vision de l’âge, s’est imposé à elle en lisant dans le dernier texte de Chateaubriand : « La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus que le ciel. » (Vie de Rancé

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Photo © Germaine Acogny – Ecole des sables

De nombreuses citations accompagnent sa réflexion dans ce livre qui se voulait d’abord une collecte de mots d’écrivaines et d’écrivains, d’artistes, sur le sujet, ainsi que des résultats d’enquêtes culturelles. A soixante-dix ans, Laure Adler observe : « En fait, j’ai tous les âges à l’intérieur de moi et, sur mon visage, celui que les autres me donnent. Ce n’est pas moi qui décide. »

Le texte avance par fragments. Par exemple, elle évoque la « fureur joyeuse » de vieillir qu’exprimait Dominique Rolin à quatre-vingt-huit ans, dans un livre d’entretiens, Plaisirs. « Il faut une bonne santé, une force de caractère, un goût inébranlable du bonheur », commente Laure Adler. L’âge lui paraît davantage un sentiment qu’une réalité ; il peut différer d’un jour à l’autre, selon la manière dont on se sent ou dont les autres vous regardent.

Elle admire toutes celles qui vieillissent magnifiquement. La danseuse Germaine Acogny, à qui sa grand-mère a appris que vieillir est « une distinction ». Annie Ernaux à qui elle rend visite : quatre-vingts ans, en jean, les cheveux longs, pas maquillée : « elle ressemble à une adolescente, tant la fougue, la sincérité, le désir d’être au plus juste de sa pensée l’animent quand on parle de ce sujet sur lequel elle a écrit des textes bouleversants. » Ce qui lui importe, c’est « le sentiment d’exister » auquel l’âge ne change rien.

J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque, sinon j’y aurais coché de nombreux  passages auxquels revenir un jour ou l’autre, si stimulants quand ils décrivent la vieillesse « ni comme un destin tragique ni comme un ensommeillement généralisé, mais comme un art de vivre ». Vieillir, c’est perdre des proches, des amis, oui. Vieillir, c’est s’émerveiller du vivant.

Bien sûr, Laure Adler n’édulcore rien du « haro sur les vieux » dans notre société, de leur mise à l’écart ou de leur stigmatisation. Elle montre l’inégalité de considération entre hommes vieux et femmes âgées, aborde tous les aspects de l’âge : perceptions, sensations, sexualité. Elle se tourne vers ceux qui réussissent à en faire un « chemin de sagesse », se nourrit des capacités et de l’enthousiasme de vieux artistes à créer, à progresser, comme Hokusai ou Soulages.

Elle lit, observe, écoute. Elle témoigne de son expérience personnelle (physique et mentale) et familiale. Elle s’indigne contre « l’âgisme », s’attriste que la vieillesse « soit de plus en plus vécue comme un poids, un danger, une disgrâce ». Or, comme Louise Bourgeois le disait des gens âgés, les vieux sont « intéressants comme des arbres qui ont survécu aux tempêtes ». Laure Adler n’hésite pas à dire les lacunes voire les torts de notre société qui trop souvent n’envisage que les aspects problématiques de la vieillesse. Vieillir n’est pas une maladie et ne doit pas conduire à une ségrégation.

Son approche, « intellectuelle » au départ, s’est muée, au cours de l’écriture de La voyageuse de nuit, en une prise de conscience de la nécessité d’un « combat » : un combat contre soi-même et un combat de société, pour respecter et faire respecter dans la vieillesse ce qu’elle appelle « la continuité de soi ». Aussi je termine avec ces mots de Charles Juliet : « Il faut parfois toute une existence pour parcourir le chemin qui mène de la peur et l’angoisse au consentement à soi-même. A l’adhésion à la vie. »

Commentaires

  • Merci pour cet excellent conseil de lecture, le plus souvent c'est dans le regard des autres que l'on comprends soudain que l'on est passé de l'autre côté. Même un écrivain comme Éric-Emmanuel Schmitt parle avec mépris d'une femme de 70 ans qui "traînait dans les églises son arthrose et ses cors aux pieds" ! En ce moment je lis Sur les ossements des morts d' Olga Tokarczuk et tout au début il y a une phrase qui m'a fait rire « Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où l'ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. » et aussi « Quand on arrive à un certain âge, il faut accepter le fait que les gens se montrent constamment irrités par vous. Dans le passé, j'ignorais l'existence et la signification de certains gestes, comme acquiescer rapidement, fuir du regard, répéter « oui, oui » machinalement, telle une horloge. Ou bien encore vérifier sa montre ou se frotter le nez. Maintenant, je comprends bien ce petit manège qui, au fond, exprime une phrase toute simple : « Fiche-moi la paix, la vieille.

  • Ne vous en faites pas Azalee.Si les gens grossiers, tels cet ecrivain cite se promene tranquillement avec sa tete de crapaud pourquoi pas les vieilles ou vieux n'auraient pas le meme droit.

  • Merci, Azalaïs, pour ces phrases d'Olga Tokarcszuk tirées d'un livre que je m'étais promis de lire - son tour viendra. Vos remarques sur le regard de l'autre rejoignent ce qu'écrit Laure Adler ("Ce n'est pas moi qui décide.")

  • Merci, merci pour ce bel article; ce livre est sur ma (trop longue) liste, je le lirai, c'est sûr!!
    Tu vois, ce sont les mots à la fin qui me questionnent: adhésion à la vie.
    J'ai été une "bouffeuse de vie "comme disait ma maman; et, de plus en plus, à la suite de coups TRES durs et de mes lectures, je me détache; le pouvoir, l'argent, la considération...Peu importe. Il me reste les livres, les amies qui, elles aussi, tout doucement partent, les proches qui eux aussi, comprennent qu'un jour ils devront faire leur deuil....La feuille se détache un jour de l'arbre; l'acceptation est nécessaire.

  • Serait-ce le chemin de la sagesse ? ;-) Plutôt que de se détacher, je dirais "prendre de la distance". Bon week-end, Anne.

  • NB je viens de lire le commentaire (intéressant d'Azalais, je vais AUSSI suivre son conseil de lecture.

  • " Vieillir, c’est s’émerveiller du vivant." , quelle phrase magnifique ! Il y a les mots, les désirs, et les réalités qui font que vieillir n'est pas toujours simple. Ma maman souffre en ce moment d'hallucinations", elle est terrifiée et nous sommes en face d'elle bien démunis. Son médecin voudrait qu'elle prenne un anxiolytique ( elle est déjà sous deux médicaments), nous, nous essayons de l'entourer et de la distraire, mais elle n'a plus d'envie, pas facile tout cela.
    Bises ensoleillées, à bientôt Tania. brigitte

  • C'est un choc, une épreuve douloureuse d'assister à cela - et d'apprendre jour après jour la manière la plus douce d'y réagir. Bon courage, Brigitte.

  • Je lis ton billet au moment où je viens d'écouter une émission sur France Inter sur l'invisibilité des femmes à partir de la cinquantaine. Ce n'est pas une émission très profonde, mais tout de même, des choses intéressantes sont dites. La semaine dernière, j'avais une très vieille dame à côté de moi, chez le coiffeur. Elle se déplaçait lentement avec une canne, mais était capable de rentrer chez elle toute seule, elle vit dans son appartement seule. Coquette, soignée, c'était un plaisir de la voir pleinement dans la vie. La coiffeuse m'a chuchoté à l'oreille "elle a 101 ans". C'est fou ce que c'était réconfortant. https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-lundi-07-mars-2022

  • Formidable et réconfortant, même si c'est exceptionnel ! Merci pour le lien.

  • Quelle belle introduction à cet article. Il me faudra lire ce livre. Il est certain que l'âge est un chemin. En te lisant, à propos d'Hokusai ou de Soulage, je pense à Zao Wu Ki. Une exposition à Aix en Provence permettait de voir ses dernières aquarelles, des jardins fleuris d'une grande délicatesse, on y percevait toute la sérénité, la joie devant la beauté.

  • J'aurais beaucoup aimé y aller, je ne connais pas ces jardins-là de Zao Wou-ki. Je ferai des recherches plus tard. Ce sont mes premières touches à l'ordinateur, je répondrai peu à peu aux commentaires, il me faut encore retrouver plus de vigueur.

  • Merci pour vos commentaires des derniers billets. J'ai la tête trop fatiguée pour vous répondre, hélas en mode covid depuis le week-end. Prenez bien soin de vous. A bientôt, j'espère.

  • Tania, tous mes vœux de complet rétablissement.

    Il serait grand temps que je lise Charles Juliet ! Quant à la vieillesse, elle est le fardeau qui s'ajoute aux longs jours inutiles.

  • Merci, Nicole. Je sors doucement de longs jours inutiles, c'est déjà cela - la maladie nous vieillit, aller mieux nous rajeunit un peu, non ?

  • Bon courage Tania et bon rétablissement. J'espère que tu n'as pas trop de symptômes et surtout qu'ils ne s'éterniseront pas.

  • Chère Aifelle, j'ai été fort abattue (quatre jours au lit), mais à chaque jour un petit progrès maintenant, sur fond de fatigue persistante. Bon dimanche à toi !

  • Merci, Marilyne.

  • coincidence je viens de finir le livre d'Antoine Compagnon la vie derrière soi et le sujet est manifestement très proche de celui de Laure Adler même si le traitement est résolument différent

  • Je viens d'en chercher le sujet. Un titre que je note pour plus tard, merci.

  • Prends bien soin de toi, Tania, prends le temps qu'il faut !
    Merci beaucoup pour cette critique et aussi à nos amis qui ont commenté : un réel enrichissement.
    Gros bisous et bonne nuit reposante à toi.

  • Cela m'a fait grand plaisir de lire ces commentaires sur mon téléphone et de voir la réflexion se prolonger, merci à toi & à toutes !

  • En te lisant je me disais aussi que je n'ai jamais lu "La vieillesse" de Simone de Beauvoir que jiamgine très différent de Celui de Laure Adler !
    En ce 8 mars, parlons encore plus des femmes.
    Remets-toi tranquillement, une beso

  • J'ai vérifié dans la pile des Beauvoir et je ne l'ai pas lu non plus - un sujet qui ne m'intéressait sans doute pas alors ? Un baiser pour toi, amie.

  • Le texte m 'a fait penser le film Japonais "Le Ballade de Narayama". A une epoque ancien ou les ressources alimentaires sont limite, les vieux devraient etre transporte par leurs enfants au Mont de Narayama selon la coutume Puisqu'ils ne sont plus productifs dans la societe.
    La societe soi disant contemporaine n'est pas tres loin de cela.Le progres humaine est malheureusement marche a pas de fourmis.Tandis que la delire cours comme un geant.
    On a deja vu la traitement vaut pour les seniors a cause de la pandemie.

  • Quel sujet terrible et symbolique, Muzo ! La manière dont les résidents des maisons de repos et de soins ont été isolés par précaution reste pour moi l'un des aspects les plus douloureux et inhumains de cette pandémie.

  • Prends bien soin de toi Tania, le repos fait partie du traitement.
    Merci pour ta présentation, ce livre parait très intéressant, il me tente. Nous ne sommes pas égaux devant la vieillesse. J'ai été époustouflée par la jeunesse, la clarté, la vivacité de Mona Ozouf et de Michelle Perrot son amie. Si nous pouvions toutes vieillir ainsi !
    Je t'embrasse affectueusement.

  • PS: Mona Ozouf et Michelle Perrot ....qui étaient à La Grande Librairie !

  • C'était une grande joie de suivre cette émission, Claudie, et je me suis dit une fois de plus que vivre jusque dans les 90 ans avec cette clarté d'esprit-là était vraiment une grâce. Merci de l'avoir évoquée ici & bon dimanche.

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