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laure adler

  • Dans le flux

    laure adler,la voyageuse de nuit,essai,littérature française,vieillesse,âge,âgisme,citations,culture« On dit qu’on « avance » en âge. Nous préférons nous faire porter par le continuum de la vie en croyant toujours être soi dans le flux de ce temps dont nous pensons qu’il ne nous modifie pas intrinsèquement. Il faudrait être abruti pourtant pour ne pas savoir que l’illimité de nos existences – auquel on ne songeait jamais quand on avait vingt ans – on en a fait son deuil depuis longtemps sans pour autant se dire qu’on va mourir demain ou après-demain. On garde sa vitalité intacte. On est vivant. Au grand dam de certains on est encore vivants. La vieillesse, ce n’est pas de l’avoir été c’est de l’être encore, c’est du devenir. Intensément. »

    Laure Adler, La voyageuse de nuit

  • Voyageuse de nuit

    Vieux, vieille, vieillesse commencent par les lettres de « vie » ; l’étymologie renvoie à l’âge (« vetulus », qui a pris de l’âge). Le beau titre choisi par Laure Adler, La voyageuse de nuit, pour parler du sentiment, de l’expérience, de la vision de l’âge, s’est imposé à elle en lisant dans le dernier texte de Chateaubriand : « La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus que le ciel. » (Vie de Rancé

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    Photo © Germaine Acogny – Ecole des sables

    De nombreuses citations accompagnent sa réflexion dans ce livre qui se voulait d’abord une collecte de mots d’écrivaines et d’écrivains, d’artistes, sur le sujet, ainsi que des résultats d’enquêtes culturelles. A soixante-dix ans, Laure Adler observe : « En fait, j’ai tous les âges à l’intérieur de moi et, sur mon visage, celui que les autres me donnent. Ce n’est pas moi qui décide. »

    Le texte avance par fragments. Par exemple, elle évoque la « fureur joyeuse » de vieillir qu’exprimait Dominique Rolin à quatre-vingt-huit ans, dans un livre d’entretiens, Plaisirs. « Il faut une bonne santé, une force de caractère, un goût inébranlable du bonheur », commente Laure Adler. L’âge lui paraît davantage un sentiment qu’une réalité ; il peut différer d’un jour à l’autre, selon la manière dont on se sent ou dont les autres vous regardent.

    Elle admire toutes celles qui vieillissent magnifiquement. La danseuse Germaine Acogny, à qui sa grand-mère a appris que vieillir est « une distinction ». Annie Ernaux à qui elle rend visite : quatre-vingts ans, en jean, les cheveux longs, pas maquillée : « elle ressemble à une adolescente, tant la fougue, la sincérité, le désir d’être au plus juste de sa pensée l’animent quand on parle de ce sujet sur lequel elle a écrit des textes bouleversants. » Ce qui lui importe, c’est « le sentiment d’exister » auquel l’âge ne change rien.

    J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque, sinon j’y aurais coché de nombreux  passages auxquels revenir un jour ou l’autre, si stimulants quand ils décrivent la vieillesse « ni comme un destin tragique ni comme un ensommeillement généralisé, mais comme un art de vivre ». Vieillir, c’est perdre des proches, des amis, oui. Vieillir, c’est s’émerveiller du vivant.

    Bien sûr, Laure Adler n’édulcore rien du « haro sur les vieux » dans notre société, de leur mise à l’écart ou de leur stigmatisation. Elle montre l’inégalité de considération entre hommes vieux et femmes âgées, aborde tous les aspects de l’âge : perceptions, sensations, sexualité. Elle se tourne vers ceux qui réussissent à en faire un « chemin de sagesse », se nourrit des capacités et de l’enthousiasme de vieux artistes à créer, à progresser, comme Hokusai ou Soulages.

    Elle lit, observe, écoute. Elle témoigne de son expérience personnelle (physique et mentale) et familiale. Elle s’indigne contre « l’âgisme », s’attriste que la vieillesse « soit de plus en plus vécue comme un poids, un danger, une disgrâce ». Or, comme Louise Bourgeois le disait des gens âgés, les vieux sont « intéressants comme des arbres qui ont survécu aux tempêtes ». Laure Adler n’hésite pas à dire les lacunes voire les torts de notre société qui trop souvent n’envisage que les aspects problématiques de la vieillesse. Vieillir n’est pas une maladie et ne doit pas conduire à une ségrégation.

    Son approche, « intellectuelle » au départ, s’est muée, au cours de l’écriture de La voyageuse de nuit, en une prise de conscience de la nécessité d’un « combat » : un combat contre soi-même et un combat de société, pour respecter et faire respecter dans la vieillesse ce qu’elle appelle « la continuité de soi ». Aussi je termine avec ces mots de Charles Juliet : « Il faut parfois toute une existence pour parcourir le chemin qui mène de la peur et l’angoisse au consentement à soi-même. A l’adhésion à la vie. »