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chat - Page 4

  • Cache-cache

    Nina la chatte a ses cachettes. Dans le nouvel appartement, elles se sont multipliées. Dehors, dedans. Elle disparaît de la terrasse. Sur les toits voisins, pas un chat. Je la débusque sous le lierre qui déborde d’une jardinière, camouflage et ombre, endroit parfait dont elle occupe l’envers. Noire, elle se confond avec les ardoises du mur mitoyen : vous la cherchez des yeux, elle vous observe.

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    Tapis, écharpes, coton frais, coussin brodé, peignoir éponge, elle sait les secrets des étoffes. Y abrite ses silences de velours. Une chatte sans grelot se déplace incognito. Je me retourne, elle dort au bord du grand châle russe dont la laine est fine, les franges attirantes. Un instant plus tard, elle n’y est plus. Faites-lui une place libre sur le bureau, elle la dédaigne, mais s’installe volontiers sur le carton du calendrier, des papiers épars.

    L’absent, l’absente a toujours tort. A son retour, elle boude, sans trahir les heures immobiles à guetter le bruit de l’ascenseur et de la porte d’entrée. Le rituel accompli, elle vient s’enrouler autour des jambes, roucoule, appelle la caresse, retrouve son peps. Les dernières emplettes l’intéressent : la tête dans le sac, elle s’informe. Elle adore les papiers de soie, tous ceux qui crissent. A l’instant, fine mouche, la voilà qui se signale d’un cri flûté et se couche sous ma chaise, se sent-elle l’héroïne du jour ?

    Elle aussi s’éclipse à ses heures. Un chat sait se faire oublier. Au-dessus d’une armoire. Sous un bureau. Sur une chaise de la salle à manger. Sourd aux appels. La plupart des visites l’importunent, Nina s’esquive. Elle préfère les heures calmes, la musique, le piano surtout, ne riez pas. Elle se berce aux pages tournées au-dessus d’elle, au bruit léger qu’on fait en écrivant, en tapotant le clavier. Ouvrez un tiroir, à la recherche d’une carte, d’une fiche, d’une enveloppe : elle s’y couche aussitôt, dans un paradis de papier. Les penderies aussi sont lieux magiques aux recoins sombres, parfumés d’odeurs familières. Les griffes se jouent des portes coulissantes, sachez-le.

    Sur un appui de fenêtre, entre rideau et tenture, merveilleusement dissimulée, la chatte sommeille. Suit les allées et venues des pigeons sans qu’ils le sachent, surveille les toits, le ciel. A la nuit tombée, on adore jouer à cache-cache, surprendre et être surprise. Entamer une course poursuite, la queue en panache, pour éloigner – ou fêter ? – l’heure du coucher.

    Difficile à photographier, un chat noir. Sa fourrure a besoin de lumière pour vibrer sous l’objectif. C’est avant tout une silhouette. Une ombre chinoise. Il y faudrait des pinceaux. Nina la chatte pose volontiers, mais déteste l’appareil photo, prend plaisir à bouger au dernier moment, à fermer les yeux, soudain très lasse. Parfois, bonne fille, elle patiente, vous observe à chercher la bonne hauteur, l’angle adéquat, à changer la position de la molette. Et c’est ainsi que la compagne invisible de tant de livres lus, de tant de pages écrites, devient texte, mystère de la sujétion.

  • Amis du temps perdu

    J’avais capté ici ou là ce nom sonore, Grozdanovitch, et j’avoue avoir été séduite, d’emblée, par son Petit traité de désinvolture (2002). En regard d’une illustration de Zhang Sheng, Rivière en automne au milieu des montagnes, la page de titre comporte un sous-titre – « Où il est question du dilettantisme et de la désinvolture, du temps et de la vitesse, des îles et du bonheur, du sport et de la mélancolie… mais aussi des chats, des tortues et des Chinois. » – et une citation de Cingria : « Il n’y a rien de plus fructueux ni de plus amusant que d’être distrait d’une chose par une autre chose » (les internautes la reprendront volontiers à leur compte). 

    Chagall, Le poète, trois heures et demie (Musée d'art de Philadelphie).jpg

     

    Il y a d’abord le style, sa musique : « Un violent orage d’arrière-saison s’abat à l’instant sur la Porte de Saint-Cloud. Le tonnerre ébranle, des éclairs zèbrent l’habituelle grisaille parisienne de novembre. Enfin, une volée de gros grêlons vient gifler la façade. » C’est l’incipit de L’infiniment singulier. Une longue plume qui descend paisiblement « au milieu du maelström des airs tourbillonnants » crée « l’Insolite » du jour, « minuscule prodige » contemplé à la fenêtre, une tasse de thé à la main « tandis que dans mon dos les livres sagement rangés sur les rayons creusent la tranquille impunité de mon microcosme privé ».

     

    Denis Grozdanovitch, poète philosophe, cultive l’art de « jouir au jour le jour des petits plaisirs (…) à l’écart du train du monde » comme ces « tueurs de temps » (Restif de la Bretonne) qui se réunissent à la cinémathèque de Chaillot à la séance de l’après-midi, de vieux cinéphiles, comme ces joueurs d’échecs ou de pétanque ou encore ces « inactifs »  assis des heures dans les cafés. Il existe, écrit Grozdanovitch, une association de « Banalyse », dont les membres se retrouvent à l’endroit et au moment convenus « sans avoir aucun motif précis pour se rencontrer ni rien de spécial à se dire » (Les Tueurs de temps).

     

    « Dis-toi bien, fiston, qu’au cours de toutes les circonstances de l’histoire, il y a toujours eu des pêcheurs à la ligne » lui répétait son père quand il le voyait, adolescent, préoccupé par la tournure des événements. Leitmotiv que l’auteur associe à cette peinture chinoise ancienne où l’on découvre, à l’écart des scènes de bataille, « dans un coin du rouleau, généralement dissimulé derrière un rideau d’arbres, un étang à moitié couvert de nénuphars », une barque « dans laquelle un petit personnage coiffé d’un chapeau de paille pêche sans se soucier de rien » « le plus parfait symbole de la sagesse ».

     

    Je me garderai de citer les plus merveilleux exemples de « l’amateurisme désinvolte » que Grozdanovitch raconte avec délectation ; ils sont, de texte en texte, les perles de rosée que le lecteur peut toucher du doigt, le sourire aux lèvres. La mort de Perdita, chat parisien, ravive le souvenir d’une après-midi au musée d’art de Philadelphie devant un Chagall, Trois heures et demie, le poète (ci-dessus) : à la tête verte posée à l’envers sur le buste du poète correspond le chat vert qui lui lèche la main. « Les poètes : ces êtres qui n’ont rien de mieux à faire à trois heures et demie de l’après-midi que de noter leurs précieuses émotions dans de petits carnets, tout en buvant du thé, la tête perdue dans les nuages, et à qui les chats tiennent compagnie !… », consigne-t-il dans son carnet tandis que Perdita, roulée en boule, dort profondément sur le sofa près de sa table.

     

    « Rien n’est plus drôle que le malheur » (Beckett) : cela vaut pour l’histoire de Titi, la marionnette au sourire espiègle offerte à sa grand-mère devenue folle, qui en fera un usage inattendu à l’hospice. S’il évoque avec grâce le commun des mortels ou Paul Léautaud, esprit libre (Un héros solipsiste), Grozdanovitch écrit aussi sur Ted, le champion de squash, ou sur le fair-play, la prime de l’élégance du geste revenant sans conteste au joueur de tennis (Le futur champion) qui s’entraîne inlassablement contre un mur. Autant le compte rendu d’une soirée entre artistes, « tumultueux méli-mélo constitué d’une dizaine de prétendus dialogues vociférés » est hilarant, autant Au musée de Bruxelles par un jour de pluie en hiver… qui commente quelques toiles anciennes représentant l’homme dans la nature se mue en interrogation philosophique non exempte de mélancolie.

     

    En lisant, en visitant – voilà la démarche de ce Petit traité de désinvolture de haut vol où l’on rencontre tantôt Nietzsche tantôt le satyre du cimetière anglais de Corfou, « le bonheur de l’été » et aussi des sentiments disparus, où l’on songe gaiement à l’ennui, sur un vélomoteur le long de la Seine (en imaginant un « Club des Amis du temps perdu ») ou seul en forêt, dans le lit de Proust (Le Robinson de la chambre en liège) ou même dans les rêves d’un homme à la riche existence nocturne (Portrait de l’artiste en vieux songe). Ce livre est un cadeau du ciel, n’hésitez pas à vous l’offrir.

  • Les chats moines

    « Tout comme les chats s’accordent aux écrivains, à leur solitude et à leur silence, les chats s’associent au recueillement, à la paix et à l’isolement de la vie monastique. Je ne sais pas s’ils sont habités par une grande vie intérieure. Ils en donnent du moins le sentiment – et j’en ai pour ma part l’intuition. Regardez-les quand ils s’étendent, bien droits, les pattes de devant repliées sous leur poitrail, les yeux mi-clos ! On les croirait en méditation, en prières, en mâtines, comme si leurs pattes ou leurs mains étaient enfouies dans les manches de leur robe de bure. Ils prient. Ce qui ne les empêche pas d’avoir le goût du bien-être. Non pas celui du luxe ostentatoire mais celui d’un confort modeste et tissé d’habitudes. Le repas à telle heure, le repos à telle autre et les actions de grâces dans les moments perdus. Ils sont faits, en somme, pour obéir aux règles. Les leurs, bien entendu. Les monastères leur conviennent. Les cloîtres leur semblent un lieu idéal de promenade. Le rêve d’un chat ? Etre un bénédictin. Ou mieux : un chartreux. »

     

    Frédéric Vitoux, Dictionnaire amoureux des chats

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  • Amoureux des chats

    On peut être académicien et aimer les chats. La preuve par Frédéric Vitoux, « de l’Académie française », auteur du Dictionnaire amoureux des chats (2008). Il n’y a pas là de quoi surprendre ceux qui se récitent de temps à autre du Baudelaire : « Les amoureux fervents et les savants austères / Aiment également, dans leur mûre saison, / Les chats puissants et doux, orgueil de la maison, / Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires. » (Les Chats)

     

    La collection « Dictionnaire amoureux » propose (je cite l’éditeur) « un voyage alphabétique au cours duquel chaque auteur alimente notre curiosité d’entrées parfois savantes, souvent vagabondes, historiques, personnelles et même flamboyantes. Un Dictionnaire amoureux, c’est la rencontre évidente d’un auteur avec un sujet. » Vitoux, l’auteur de Bébert, le chat de Louis-Ferdinand Céline et des Chats du Louvre, compagnon successivement de Mouchette, Fafnie, Nessie, Papageno et enfin Zelda, nous y comble d’anecdotes qui séduiront tous les amis des félins dits domestiques.

     

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    C’est à la radio, sur Musiq3, que je l’ai entendu raconter comment le secrétaire privé de Churchill, chargé de le faire descendre aux abris pendant les bombardements de Londres, « tomba sur Churchill à moitié habillé et à quatre pattes, glissant plus ou moins sa tête sous la commode » : il tentait de rassurer Nelson, son matou qui s’y réfugiait à la première alerte. Voir l’homme le plus puissant d’Angleterre « braver le ridicule » fait écrire à Vitoux : « C’est exactement cela. Il faut témoigner de beaucoup de bravoure en effet pour accepter de se ridiculiser. »

     

    Les chats remarquables occupent ici plus de place que les chats de race. L’auteur n'apprécie guère les pedigrees de luxe, à l’exception des chartreux et des siamois, à la rigueur. En vrac, citons Eponine, la chatte noire musicienne de Théophile Gautier ; Micetto, le chat gris du pape Léon XII qui restait sur ses genoux pendant ses audiences et qui fut confié après sa mort à un ambassadeur qui lui avait montré un réel intérêt, un certain François-René de Châteaubriand ; Murr, le chat d’Hoffmann ; Oscar, le petit chat tigré blanc d’un Service pour malades atteints d’Alzheimer, aux Etats-Unis, qui se blottissait près des mourants, pressentant leur fin, et les accompagnait jusqu’au bout.

     

    Vitoux, bien sûr, rend hommage aux chats anonymes, aux chats de gouttière
    rebaptisés chats européens, aux chats victimes des bûchers pour sorcellerie, aux chats gardiens de musée (la soixantaine de chats de l’Ermitage à qui la fille de Pierre le Grand, Elisabeth I, octroya un contrat de location en échange des services rendus), aux chats de Venise… Avec les chats dans la peinture (souvent dans un coin du tableau, sauf quand ils en sont le sujet, chez Steinlen en particulier, choisi pour la couverture) et dans la musique (Rossini), les chats des bandes dessinées ou du cinéma, le chat noir qui traversait sans s’arrêter la scène de la Huchette pendant les premières représentations de La Cantatrice chauve, au grand plaisir d’Ionesco, vraiment, on est en bonne compagnie.

     

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    Champions de la « convivence » - nouveau mot entré au Dictionnaire de l’Académie, à distinguer de « convivialité », nous apprend l’auteur - c’est-à-dire « l’art de vivre avec, en bonne intelligence, tolérance et respect », 47 % de chats partagent leur foyer avec des chiens, statistiques qui font mentir certains préjugés. Relevant les proverbes, locutions et superstitions – au Québec, on dit « avoir une mine de chat fâché » – Vitoux se fâche littéralement contre « pas de quoi fouetter un chat », expression « tout bonnement inadmissible » ! Un chat, c’est quelqu’un, réplique-t-il. Et même « Un chat, c’est l’étincelle du sacré à portée de main et de caresse. »

     

    On lit de belles observations sur l’animal lui-même, son allure d’abord : « Le chat progresse comme au ralenti. Un côté et puis l’autre. Avec une incroyable souplesse. Prêt à bondir. » Son mystère : « Son silence est comme la signature de son intelligence. Et son regard, le miroir de son silence. La simple suggestion qu’il comprend tout et qu’il se tait. » Et puis ses oreilles, ses moustaches, ses yeux, son sommeil… « Chaque chat est un chef-d’œuvre. » (Léonard de Vinci)

     

    Je fais mien le vœu de Frédéric Vitoux : « Pour ma part, j’aimerais reposer dans
    un cimetière que des chats auraient l’habitude de hanter. (…) De toute façon, à l’ombre d’un cyprès ou d’un saule, et sous une pierre tombale consolée par la présence de chats assoupis, le sommeil de la mort serait sûrement moins dur. »