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Cache-cache

Nina la chatte a ses cachettes. Dans le nouvel appartement, elles se sont multipliées. Dehors, dedans. Elle disparaît de la terrasse. Sur les toits voisins, pas un chat. Je la débusque sous le lierre qui déborde d’une jardinière, camouflage et ombre, endroit parfait dont elle occupe l’envers. Noire, elle se confond avec les ardoises du mur mitoyen : vous la cherchez des yeux, elle vous observe.

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Tapis, écharpes, coton frais, coussin brodé, peignoir éponge, elle sait les secrets des étoffes. Y abrite ses silences de velours. Une chatte sans grelot se déplace incognito. Je me retourne, elle dort au bord du grand châle russe dont la laine est fine, les franges attirantes. Un instant plus tard, elle n’y est plus. Faites-lui une place libre sur le bureau, elle la dédaigne, mais s’installe volontiers sur le carton du calendrier, des papiers épars.

L’absent, l’absente a toujours tort. A son retour, elle boude, sans trahir les heures immobiles à guetter le bruit de l’ascenseur et de la porte d’entrée. Le rituel accompli, elle vient s’enrouler autour des jambes, roucoule, appelle la caresse, retrouve son peps. Les dernières emplettes l’intéressent : la tête dans le sac, elle s’informe. Elle adore les papiers de soie, tous ceux qui crissent. A l’instant, fine mouche, la voilà qui se signale d’un cri flûté et se couche sous ma chaise, se sent-elle l’héroïne du jour ?

Elle aussi s’éclipse à ses heures. Un chat sait se faire oublier. Au-dessus d’une armoire. Sous un bureau. Sur une chaise de la salle à manger. Sourd aux appels. La plupart des visites l’importunent, Nina s’esquive. Elle préfère les heures calmes, la musique, le piano surtout, ne riez pas. Elle se berce aux pages tournées au-dessus d’elle, au bruit léger qu’on fait en écrivant, en tapotant le clavier. Ouvrez un tiroir, à la recherche d’une carte, d’une fiche, d’une enveloppe : elle s’y couche aussitôt, dans un paradis de papier. Les penderies aussi sont lieux magiques aux recoins sombres, parfumés d’odeurs familières. Les griffes se jouent des portes coulissantes, sachez-le.

Sur un appui de fenêtre, entre rideau et tenture, merveilleusement dissimulée, la chatte sommeille. Suit les allées et venues des pigeons sans qu’ils le sachent, surveille les toits, le ciel. A la nuit tombée, on adore jouer à cache-cache, surprendre et être surprise. Entamer une course poursuite, la queue en panache, pour éloigner – ou fêter ? – l’heure du coucher.

Difficile à photographier, un chat noir. Sa fourrure a besoin de lumière pour vibrer sous l’objectif. C’est avant tout une silhouette. Une ombre chinoise. Il y faudrait des pinceaux. Nina la chatte pose volontiers, mais déteste l’appareil photo, prend plaisir à bouger au dernier moment, à fermer les yeux, soudain très lasse. Parfois, bonne fille, elle patiente, vous observe à chercher la bonne hauteur, l’angle adéquat, à changer la position de la molette. Et c’est ainsi que la compagne invisible de tant de livres lus, de tant de pages écrites, devient texte, mystère de la sujétion.

Commentaires

  • ... superbe, j'en suis toute retournée, vous êtes l'artiste que je voudrais être ;-)

  • Rude le contraste entre Ardennes de France et Condroz.
    Ici, les oiseaux sont aphones. Les herbes désodorisées. Les moutons dévorés par de grasses mouches gloutonnes. Les nuages enfantés par une centrale nucléaire. Les voisins vous ignorent. Les enfants ne passent qu'en autobus brinquebalant. La pharmacienne bouclant la boucle en infantilisant les vieux.
    Mais un jeune chat est arrivé par les restes de campagne qui talonnent ma prairie. Farfelu. Saltimbanque. Assez poseur mais pas trop imbu de sa personne félinité.
    Pas cultivé ni dégustant avec élégance son café noir comme votre Nina.
    Mais leur diptyque allège bien des fatigues de la vie.

  • Cette "ode au chat" est magnifique!
    Combien d'heures à l'observer, elle qui t'observe.

    ET si différent de la relation fort affectueuse, (un peu encombrante pour toi parfois), que tu avais avec mon noir-chien!
    Belle journée amie, besos.

  • On sait que les chats sont les amis des écrivains. Belle photo et beau texte. L'élégance de l'animal à l'égal de l'élégance de la plume.

  • @ MH : Oh ! Merci, MH.

    @ JEA : Campagne inanimée qu'un jeune chat sauve de l'inanité. Je me plais à imaginer votre saltimbanque de bonne compagnie. Et admire votre plume.

    @ Colo : Un chien très digne, assis la tête droite, distinguée, tout en regard vers qui pousse la barrière, mais sa queue fouette le sol de plaisir... Le poids de son museau sur le bras, sa chaleur amicale...

    @ Armelle B. : Les chats sont donc vos amis, Armelle, merci.

  • J'ai eu deux chats noirs,disparus hélas tous les deux...
    et j'ai adoré lire ce magnifique billet à ton beau chat noir: il m'a rappelé des choses que je croyais avoir oubliées

  • @ Coumarine : Merci pour ces souvenirs, Coumarine. Après Douchka (onze ans de bonne compagnie, mais dans un autre genre), quand le temps est venu pour un nouveau chaton, nous pensions recueillir un tigré, un moucheté, un tricolore, bref un chat qui ne serait pas noir comme elle. Mais dans une maison de chats et de chiens, la noiraude est venue à ma rencontre...

  • Quel talent … ce texte mérite de figurer aux côtés ceux de Colette et de tant d’autres qui nous ont « dit » le chat ! … Mais Tania, elle, a le talent de le suggérer à chaque mot qui, seul, décrit mieux qu’un discours… et, surtout, quel amour pour cette petite bête, indépendante, mais pas indifférente … si exigeante d’une affection qu’elle ne veut que pour elle … Les autres domestiqués de l’homme le servent avant tout … jusqu’à la mort … : noblesse de la personnalité pour l’un et du sacrifice pour les autres…

  • @ Doulidelle : Merci, cher Doulidelle, pour ton commentaire si stimulant. Je suis heureuse que ce texte te plaise. Quand je n'avais pas encore de chat, j'ignorais à quel point celui-ci possède son caractère propre et tu as donc raison de parler de "personnalité". Heureuse aussi de te retrouver ici, en espérant que cela signifie moins de soucis pour toi par ailleurs.

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