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apprentissage - Page 9

  • Pascal, une jeunesse

    Une jeunesse de Blaise Pascal, « roman », a été publié deux ans avant La vie princière : Marc Pautrel y décrit un enfant de douze ans qui trace des cercles à la craie sur le sol, fasciné par les formes et par les lignes. Il ne va pas à l’école. Son père lui enseigne « ce qu’il y a à savoir : parler, écrire, connaître la poésie, et les langues classiques, le grec et le latin », des leçons d’histoire et de géographie aussi, mais pas encore de mathématiques.

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    Une "pascaline"

    Etienne Pascal, mathématicien « amateur et très éclairé », est amoureux des mathématiques et consacre sa vie aux théorèmes, démonstrations et discussions. Il se reproche d’avoir été trop peu présent pour sa femme, morte huit ans plus tôt. Seul avec leurs trois enfants, Gilberte, Blaise et Jacqueline, il a élevé son fils hors des chiffres et de la géométrie, gardant cela pour plus tard.

    Lorsqu’il voit l’enfant tracer des droites et des tangentes, relier des points, il lui demande ce qu’il fait. Le petit Blaise, absorbé, répond : « Je crois avoir trouvé pourquoi. » Effrayé et ébloui, son père découvre qu’il a tout seul et sans aide d’aucun livre démontré « la 32e proposition du Livre I des Eléments d’Euclide ». A un enfant si intelligent, il faut enseigner les mathématiques sans attendre, « mais ce sera le père qui apprendra du fils ».

    A l’étonnement d’Etienne Pascal succédera celui de ses amis mathématiciens lorsqu’il leur amène son garçon. Il a demandé à l’adolescent de treize ans de se taire et d’écouter. Un jour où Blaise se rend à leur réunion sans son père, il les éblouit par son discours et aussi par son énergie, lui qui passait pour un enfant souffreteux.

    Une jeunesse de Blaise Pascal raconte comment, à dix-huit ans, Blaise aide son père dans le calcul des recettes fiscales de la région de Rouen. Très vite, il a l’idée d’une machine qui calculerait « à la place de la main humaine » : ce sera la « pascaline ». Ensuite, il fera des expériences sur le vide, toujours désireux de comprendre, de mesurer, de prouver.

    Après la mort de son père, Pascal (1623-1662) s’installe à Paris, « choisit le confort et le luxe », a des maîtresses, fréquente la cour, joue et calcule pour faire reculer la part du hasard. Jusqu’à un accident (non attesté historiquement, reconnaît l’auteur) où il frôle la mort après que son carrosse s’est renversé. Une fois qu’il en sera guéri, une autre expérience va changer sa vie à jamais, celle du « Feu », en 1654.

    Dans un entretien sur le blog de Fabien Ribery, l’auteur explique que « le roman devait être le plus fulgurant possible, comme a été la courte vie de Pascal, qui meurt à 39 ans, a fortiori ses années de jeunesse puisque [son] roman ne couvre que sa vie de l’âge de 12 ans à 31 ans, d’où la nécessité d’un texte très ramassé et vif. » (L’Intervalle)

    J’ai lu cette Jeunesse de Blaise Pascal, qui se termine quand le jeune savant laisse naître en lui le grand penseur, le croyant, l’écrivain, avec émotion, me souvenant de celle qui me l’a fait lire à dix-sept ans – une de ces lectures qui marquent pour la vie.

  • Voyages

    Auster 4321.jpg« Le temps se déplaçait dans deux directions parce que chaque pas dans l’avenir emportait avec lui un souvenir du passé, et même si Ferguson n’avait pas encore quinze ans, il avait déjà assez de souvenirs pour savoir que le monde qui l’entourait était façonné par celui qu’il portait en lui, tout comme l’expérience que chacun avait du monde était façonnée par ses souvenirs personnels, et si tous les gens étaient liés par l’espace commun qu’ils partageaient, leurs voyages à travers le temps étaient tous différents, ce qui signifiait que chacun vivait dans un monde légèrement différent de celui des autres. »

    Paul Auster, 4 3 2 1

  • Auster 4321 Ferguson

    Paul Auster captive d’un bout à l’autre de 4 3 2 1 (traduit de l’américain par Gérard Meudal) en racontant le monde d’Archie Ferguson de 1947, l’année de sa naissance (comme Auster), aux années 1970. Un millier de pages pour décrire l’enfance et la jeunesse d’Archie jusqu’à la fin de ses études : tout ce qui se passe en lui, toutes les premières fois, et autour de lui, dans sa famille et avec ses amis. Le monde de Ferguson, c’est aussi l’histoire des Etats-Unis dans la seconde moitié du XXe siècle.

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    Le monde des Ferguson, en fait. La légende familiale remonte au grand-père de Ferguson débarquant à New York en 1900 – on découvre l’origine cocasse de son nom et puis celle du prénom d’Archie (Archibald) choisi par Rose Adler et Stanley Ferguson, ses parents. Rose a une sœur, Mildred ; Stanley, deux frères. Cet arbre généalogique ne changera pas, mais bien les événements qui se produisent dans ces deux familles, puisque ce n’est pas une seule vie d’Archie Ferguson qui nous est contée, mais quatre versions différentes.

    Sa mère, à qui Archie voue un amour total, est photographe ; son père, qu’il voit moins, a le sens du commerce. Si un épisode de fièvre vaut au garçon de découvrir le base-ball a la télévision avec sa nounou, dans la première des versions, c’est au début de la deuxième que survient une révélation, à six ans, après s’être cassé la jambe en tombant d’un arbre : « Quelle idée intéressante de penser que les choses auraient pu se dérouler autrement pour lui, tout en restant le même. » Si… Si… Si…

    Quand une cousine lui rapporte en pleurs que les Rosenberg ont été « grillés sur la chaise électrique », Archie comprend qu’il ne sait pas grand-chose de l’Amérique, du monde où il vit, et que l’avenir est « totalement incertain ». Dans la troisième version, la mort va le frapper de beaucoup plus près et son mode de vie, radicalement changer : « Le monde n’avait plus aucune réalité. » Enfin, dans la quatrième, Archie Ferguson découvre, grâce au mari de sa tante maternelle, qu’on peut aussi gagner sa vie en écrivant des livres.

    Enfant unique, Archie est ravi de passer l’été au camp Paradise avec son cousin Noah, un camp de vacances de l’Etat de New-York. Presque tous les garçons et filles autour d’eux sont des juifs new-yorkais, Ferguson est le seul à venir de banlieue. Il s’y plaît, puis tout change. « Tout est parfaitement solide pendant un temps puis un matin le soleil se lève et le monde se met à fondre. »

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    La première fille qui attire Ferguson est sans doute « la fille dessinée sur les bouteilles de White Rock », l’eau de Seltz qu’achète sa mère : à moitié nue, séduisante, « deux ailes diaphanes dans le dos ». Ou la jeune Indienne du beurre Land O’Lakes avec ses nattes noires qui tient devant elle une plaquette de beurre identique – « un monde à l’intérieur d’un monde, qui était contenu dans un autre monde qui était lui-même dans un autre monde (…) ». Des camarades d’école lui montreront comment découper l’emballage pour la transformer en « bombe pulpeuse ». Mais c’est d’abord au sport, et surtout au base-ball qu’Archie Ferguson excelle.

    Sa première petite amie (belge) donne une leçon amère au garçon qui n’a pas de goût pour les filles « prévisibles ». Le monde lui semble aller mieux après la victoire de Kennedy, puis la marche sur Washington et le discours de Martin Luther King. Le couple de ses parents bat de l’aile – « et comme c’était étrange, profondément étrange d’être vivant ».

    La vie devient plus passionnante une fois qu’il rencontre Amy Schneiderman, seize ans, lors d’un barbecue de fin d’été pour fêter la victoire de sa mère à un concours de photos. Elle est la petite-fille de l’ancien patron photographe de Rose. Avec Amy, Archie a enfin une interlocutrice avec qui il peut tout partager, lectures, projets d’études, cinéma, musées, discussions au café. Elle ne jure que par New York, toutes les autres villes s’appelant pour elle « Morneville ».

    A dix ans, Ferguson a écrit tout seul les vingt-et-un articles d’un journal scolaire ; il aime le « grand foutoir bouillonnant » des journaux où tout se côtoie, à la différence des livres « solides et durables ». Sa réticence à y laisser participer le premier de classe lui vaudra des ennuis, mais il tient au ton choisi pour traiter les sujets, un esprit « incisif, enjoué et vif ».

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    Bibliothèque de l'université Columbia, NY, où Auster a fait ses études

    4 3 2 1 déroule, séquence par séquence, quatre récits où la vie de Ferguson change en fonction des circonstances. On se perd parfois sur ces voies parallèles, mais on s’attache à ce garçon sous ces quatre avatars, cet adolescent, ce jeune homme archicurieux du monde qui l’entoure et souvent rebelle. Toutes les questions existentielles se posent, de la découverte des autres si différents de soi-même au problème de l’existence de Dieu, de la véritable amitié aux désordres amoureux. Littérature, cinéma, musique, manifestations, tout est porteur d’élans nouveaux.

    Paul Auster a trouvé le moyen d’enchâsser dans son roman mille et une péripéties individuelles et collectives vécues par sa génération : « le monde était fait d’histoires ». Columbia ou Princeton ? New York ou Paris ? Partout, le monde est « densité, immensité, complexité ». Comment vivre dans un pays où les émeutes raciales se multiplient, où les jeunes gens sont envoyés au Vietnam ? De toute façon, Ferguson mène la guerre à « Nobodaddy, le personnage inventé par William Blake », le symbole de « tous ces hommes irrationnels qui avaient la charge de gouverner le monde ».

    Comment devient-on ce qu’on est ? Pour Ferguson, de toute façon, après avoir lu Crime et châtiment (formidable passage lu par Isabelle Carré à La Grande Librairie), pas de vie sans écriture – écrire, c’est être plus vivant. Ni sans sexe, et là aussi, il hésite sur la voie à prendre. Archie déteste « l’approche pratique de la vie », les convenances, les règlements. Ferguson, comme Paul Auster, a fait sienne la phrase notée au tableau par sa prof d’anglais : « contre la destruction du monde, il n’y a qu’une seule défense : l’acte créateur ».

    Les lecteurs fidèles de Paul Auster reconnaîtront au passage des noms, des événements, des jeux d’initiales, des titres ou des lieux de romans précédents. 4 3 2 1 est aussi le livre d’un livre en cours d’écriture, quand on reconnaît soudain un paragraphe déjà lu dans une autre partie. Ce roman total d’un conteur magicien donne le vertige.

  • Mandala

    paolo cognetti,les huit montagnes,roman,littérature italienne,montagne,famille,apprentissage,marche,escalade,sommets,amitié,alpage,nature,culture« Tout en disant ces mots, il traça à l’extérieur de la roue une petite pointe au-dessus de chaque rayon, puis une vaguelette d’une pointe à une autre. Huit montagnes et huit mers. A la fin, il entoura le centre de la roue d’une couronne qui devait, pensai-je, être le sommet enneigé du Sumeru. Il jaugea son travail un instant et secoua la tête, comme s’il avait déjà fait mille fois ce dessin mais avait un peu perdu la main dernièrement. Il planta quand même son bâton au centre, et conclut : « Et nous disons : lequel des deux aura le plus appris ? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru ? »
    Le porteur de poules me regarda et sourit. Je fis de même, parce que son histoire m’amusait et que j’avais le sentiment de la comprendre. Il effaça le mandala de sa main mais je savais que je ne serais pas près de l’oublier. Celle-là, me dis-je, il faut absolument que je la raconte à Bruno. »

    Paolo Cognetti, Les huit montagnes

  • Amis de la montagne

    Le roman de Paolo Cognetti Les huit montagnes (2016, traduit de l’italien par Anita Rochedy) est tout à fait à la hauteur des éloges lus dans la presse et dans la blogosphère : la passion du père pour la montagne, d’abord pesante pour son fils (le narrateur), imprègne toute leur vie de famille. Les parents avaient quitté la campagne pour vivre à Milan. « Leurs premières montagnes, leur premier amour, ça avait été les Dolomites. » Ils s’étaient mariés au pied des Tre Cime di Lavaredo – un mariage rejeté par les parents de la mère, célébré entre amis, en anorak, un matin d’octobre 1962.

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    Photomontage : https://www.gliscrittoridellaportaaccanto.com/

    A Milan, ils habitent au septième étage, sur un grand boulevard, dans le vacarme. La mère infirmière travaille comme assistante sanitaire, elle accompagne les femmes enceintes jusqu’au premier anniversaire du bébé. Le père, chimiste, n’en peut plus des grèves et des licenciements dans l’usine, dort mal. Vers la fin des années 1970, ils reprennent leurs chaussures de marche : cap à l’est, « direction l’Ossola, la Valsesia, le val d’Aoste, montagnes plus hautes et sévères »

    Découvrant le mont Rose, son père tombe amoureux de la région. Il lui faut les trois mille, les glaciers ; sa mère préfère les deux mille ou mille, la vie des « villages de bois et de pierres ». C’est elle qui trouve une maison, en 1984, dans le village de Grana. Pour le père, ce qui compte alors, c’est de monter au sommet ; pour la mère, d’agrémenter la vieille maison et aussi de pousser son fils Pietro à se lier davantage avec les autres.

    Le torrent tout proche devient le terrain de jeu de l’enfant ; il finit par faire connaissance avec un garçon qui garde des vaches dans les prés, Bruno Guglielmina, qui a quelques mois de plus que lui, sans savoir encore qu’il se fait un ami pour la vie. C’est pour le retrouver à l’alpage que le garçon va suivre son père en haute montagne et apprendre ses règles : prendre un rythme et s’y tenir sans s’arrêter ; ne pas parler ; aux croisements, choisir la route qui monte.

    Heureusement sa mère lui a appris le nom des arbres et des plantes – « pour mon père, la forêt n’était rien d’autre qu’un passage obligé avant la haute montagne ». Il n’a pas son endurance, mais parvient tout de même à le suivre jusqu’à la cime où son père s’arrête enfin pour lui passer en revue « les quatre mille d’est en ouest, toujours du premier au dernier, parce qu’avant d’y aller, il était important de les reconnaître, et de les avoir longtemps désirés. »

    A la mort de son père, à soixante-deux ans, Pietro en a trente et un : « Je n’étais pas marié, je n’étais pas entré à l’usine, je n’avais pas fait d’enfant, et ma vie me semblait à moitié celle d’un homme, à moitié celle d’un garçon. » Il vit seul dans un studio à Turin. Fasciné par les documentaires, il s’est inscrit à une école de cinéma. Son père lui a légué une propriété à Grana, dont il ne sait rien, mais où Bruno va le conduire, lui qui a beaucoup accompagné son père dans ses courses en montagne.

    « Une paroi de roche lisse, haute, inhabituellement blanche, tombait sur ce plateau tourné vers le lac. De la neige dépassaient les restes de trois murs à sec, taillés dans la même roche blanche (…). Deux murs brefs et un long devant, quatre par sept, comme disait mon plan cadastral. » Un petit pin cembro. « Le voilà, mon héritage : une paroi de roche, de la neige, un tas de pierres de taille, un arbre. »

    Bruno était avec le père de Pietro quand il a vu et puis voulu ce terrain, « la barma drola » (la roche étrange), pour y construire une maison. Il en a dessiné les plans et fait promettre à Bruno de la construire. Pietro n’ayant pas d’argent, son ami lui propose de payer uniquement le matériel et de lui donner un coup de main. Ce sera « la maison de la réconciliation ».

    « Bruno et moi vivions peut-être le rêve de mon père. Nous nous étions retrouvés dans une pause de nos existences : celle qui met fin à un âge et en précède un autre, même si ça, nous ne le comprendrions que plus tard. » Cette maison devient le centre du monde pour Pietro, il y amène des amis, un jour une fille, Lara, qui tombe elle aussi amoureuse des alpages.

    Puis il repart. Sa passion pour l’Himalaya est la plus forte et quand Bruno, attaché pour la vie à « sa » montagne, l’interroge au retour de son premier voyage au Népal, il répond que « débarquer là-bas, c’est comme voir enfin un temple en entier après avoir contemplé des ruines toute sa vie. »

    Une lecture à ne pas manquer pour tous ceux qui aiment la montagne. Ceux qui ont fréquenté les chemins du Piémont ou du val d’Aoste retrouveront dans Les huit montagnes (prix Strega, prix Médicis étranger, 2017) des impressions inoubliables, en plus d’une belle approche des liens familiaux et de l’amitié.