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Peinture - Page 82

  • Nos émotions

    « J’ai commencé ce livre avec l’idée que j’allais parler de nos émotions et de la façon dont elles affectent (et sont affectées par) notre lecture des œuvres d’art. J’ai, semble-t-il, abouti loin, très loin du but que j’avais imaginé. Mais, ainsi que l’exprime Laurence Sterne, « je crois qu’il y a là une fatalité – j’arrive rarement à l’endroit vers lequel je me dirige ». Comme écrivain (et comme lecteur), je pense que, d’une certaine manière, telle doit toujours avoir été ma devise. »

     

    Alberto Manguel, Le Livre d’images

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  • Lire des images / 1

    Lire Alberto Manguel, c’est lire avec Manguel, homme de lettres, homme de livres, l’auteur d’Une Histoire de la lecture et de La bibliothèque, la nuit, entre autres. Son dernier essai, Le livre d’images (Reading Pictures - A History of Love and Hate, 2000, traduit par Christine Le Bœuf), comporte comme ceux-là de nombreuses illustrations. A nouveau, voilà le lecteur emporté dans un fabuleux voyage au pays de l’imaginaire. Embarquement immédiat, première étape.

     

    Van Gogh Bateaux aux Saintes-Maries-de-la-mer.jpg

     

    Avant les douze « arrêts sur image » de cette réflexion, l’auteur, « voyageur curieux et chaotique », avoue prendre autant de plaisir à la lecture des images qu’à celle des mots, « à la découverte des histoires explicitement ou secrètement tissées dans toutes sortes d’œuvres d’art – et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vocabulaires obscurs ou ésotériques », en lecteur ordinaire devenu spectateur ordinaire, selon l’intitulé du premier chapitre, Le spectateur ordinaire - L’image récit. La première épigraphe l’annonçait : « La véritable peinture doit appeler son spectateur… et le spectateur surpris doit aller à elle, comme pour entrer en conversation. » (Roger de Piles, Cours de peinture par principes, 1676)

     

    Bateaux aux Saintes-Maries de Van Gogh : l’une des premières images dont Manguel se souvienne, découverte à neuf ou dix ans dans un volume de Skira qu’une de ses tantes, peintre, avait posé sur les genoux de son neveu dans son atelier à Buenos Aires. Ces images n’illustraient aucune histoire – « Je ne pouvais que les contempler : la plage cuivrée, la barque rouge, le mât bleu. Je les regardai longuement et intensément. Je ne les ai jamais oubliées. » Comment lire les signes, symboles, messages et allégories ? Peut-on lire n’importe quelle image ? Si les images se présentent de façon instantanée, il nous faut du temps pour les regarder – « en soi, une image existe dans l’espace qu’elle occupe, indépendamment du temps que nous accordons à sa contemplation : ce n’est qu’après bien des années que j’ai remarqué que l’une des barques portait, peint sur son flanc, le nom d’Amitié. » Comme le clamait Ruskin en fureur « contre le conformisme de son temps » dans une conférence devant un public « trop peu soucieux de l’art et trop soucieux de l’argent », pour Manguel, « avoir la capacité (et le désir) de lire une œuvre d’art est essentiel. »

     

    Le nom de Joan Mitchell parle sans nul doute à ceux qui ont vu sa belle exposition de 1994 au Jeu-de-Paume (après que l’aient quitté les impressionnistes) ou, plus récemment, à Giverny (deux billets à relire sur Giverny News et sur Le goût des livres). « Toile après toile, je m’étonnais du pur bonheur de tant de couleur, de tant de lumière, de tant d’extatique liberté », écrit Manguel. Joan Mitchell - L’image absence part d’un diptyque, Deux pianos, trois mètres de haut, trois
    mètres cinquante de large environ. « Sur un fond blanc visible seulement par bribes isolées, une tempête de traits verticaux couvre les toiles entières de riches nuances de jaune et de lilas – un jaune qui pâlit par endroits jusqu’au citron,
    un lilas qui s’obscurcit jusqu’au noir. »

     

     

    Joan Mitchell, de la génération après Pollock, était la fille d’une poétesse sourde et d’un médecin généraliste, Beckett était devenu son ami. Pas de récit dans Deux pianos, « mais quelque chose qui se trouve à la limite du mouvement, une promesse de présence identifiable qui ne sera jamais tenue. » Manguel s’interroge sur la force des couleurs, leur perception, les mots pour les désigner – « nous avons peine à distinguer ce que nous ne pouvons nommer ». Opposition des couleurs et du blanc. Devant « ce blanc primordial, visible à l’arrière-plan de ses Deux pianos », Manguel rappelle une parole de Joan Mitchell : « Je pense au blanc
    comme à un silence. J’ai souvent tenté d’imaginer quelle sorte de silence doit régner au-dedans d’une personne sourde. »

     

    La couleur, un moyen de sortir de la dépression et du découragement, écrit aussi Manguel, lisant et relisant la grande toile, conscient des limites de sa méthode qui n’autorise « que le fantôme de l’ombre d’un reflet, aperçu dans le plus opaque des miroirs, de ce que faute d’un terme plus approprié nous appelons l’acte créatif. »

     

    (entre-deux)

  • Titres

    « Il ne renoncera jamais à cette double conviction : les mots brouillent et embrouillent le sens de la peinture et les titres que l’on donne aux toiles les mutilent souvent. « Je n’y crois pas, aux titres, vous le savez », répète-t-il toujours à ses amis. »

    Laurent Greilsamer, Le Prince foudroyé – La vie de Nicolas de Staël

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    Nicolas de Staël, Paysage (1954)
    sur « Double je », le blog de Malcontenta

  • Fureur de peindre

    Les premières Compositions de Staël jouent avec les figures géométriques. « Cercles, demi-cercles, cônes et triangles sont enserrés, cernés d’un trait puissant et épais qui rappelle le filet de plomb des maîtres verriers du Moyen Age. » Le peintre André Laskoy l’aide à en sortir : « Un coup de pinceau posé sur une toile cherche à trouver une forme et lutte contre les autres formes posées sur la même toile. L’aboutissement de cette lutte est la naissance du tableau. » Braque lui apprend à aimer la matière : « Ce n’est pas assez de faire voir ce qu’on peint. Il faut encore le faire toucher. » Misère royale et passion de peindre. Staël déteste l’économie, presse le tube de couleur. « Il crève de faim, et les siens avec lui, mais couvre la toile des pâtes les plus somptueuses. »

     

     

    Jeannine, qui a voulu un nouvel enfant malgré sa mauvaise santé, n’y survit pas. Quelques mois plus tard, il se remarie avec Françoise Chapouton, de dix ans plus jeune que lui. Ils s’installent au fond d’une impasse près du parc Montsouris. « De plus en plus, Staël additionne, accumule, superpose les couches. » – « Sa peinture est une peau. Une peau couturée, entaillée, tailladée. On ne compte plus ses blessures, ses cicatrices et estafilades. Elles constituent secrètement sa beauté. » De la danse (1947), Jour de fête (1948), Rue Gauguet (1949). Staël va jusqu’au bout de soi, est enfin reconnu, surtout aux Etats-Unis. On le catalogue « abstrait », lui abhorre les étiquettes. René Char lui offre de travailler à un recueil avec lui, poésie et peinture à égalité. Succès d'estime, mais pas le triomphe espéré.

     

    Pierre Granville lui montre un beau petit cadre vénitien chantourné dont il aimerait faire cadeau à sa femme, demande à Staël de lui faire un bouquet de violettes. Ce sera son premier bouquet de fleurs. Il se tourne vers des motifs plus humbles, quotidiens, des pommes, des bouteilles en verre coloré, peint Les Toits (1951), « aboutissement de dix années de fureur de peindre », « votre chef-d’œuvre, Staël », lui dit Bernard Dorival, qui craint de ne pas avoir les fonds pour l’acquérir en faveur du Musée national d’art moderne. Nicolas de Staël le lui offre – « A vous de lui trouver sa juste place. »

     

    Vient alors la série du Parc des Princes et des Footballeurs, après avoir assisté au match France-Suède, premier match international en nocturne à Paris. « Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance », écrit le peintre à René Char. Les partisans de l’abstraction « se raidissent », Staël est vilipendé par les puristes. Il se lance dans de « petits paysages des environs de Paris », puis de Provence, « oscille en permanence entre déprime et exaltation, épuisement et sursaut de vitalité ».

     

    Chez Suzanne Tézenas, dont les soirées parisiennes sont très courues et qui le soutient, Staël s’engoue pour la musique. A New-York, son exposition est plébiscitée, sa cote monte. Marcelle Braque le met en garde : « Vous avez résisté à la pauvreté, soyez assez fort pour résister à la richesse. » Les Staël – Françoise, Anne, Laurence et Jérôme – passent l’été en Provence à Lagnes dans une magnanerie accueillante, « Lou Roucas », une pause au « Paradis » dont lui a souvent parlé René Char. En 1953,
    il réalise son rêve d’acheter une demeure, ce sera « Le Castelet » de Ménerbes. L’année suivante, Françoise accouche de leur troisième enfant, Gustave.

     

    Mais Nicolas est hanté par Jeanne, une amie que Char lui a fait rencontrer, qui lui inspire Nu debout et Grand Nu orange. Il peint « comme jamais », 266 tableaux en 1954. La critique se divise, lui se sent mal, incompris, trop riche, trop exigeant,
    voulant à la fois Françoise et Jeanne  auprès de lui, abruti de travail – « Je vis un enfer ! »
    Il retrouve sa passion de peindre devant Les Ménines de Vélasquez au Prado, rentre en France pour se séparer des siens et s’installe à Antibes où il se retrouve seul, entre ses certitudes et ses doutes. En mars 1955, il y peint son dernier tableau, Le Concert, laisse trois lettres avant de se jeter dans le vide, du haut d'un immeuble.

     

    Laurent Greisalmer, avec Le Prince foudroyé – La vie de Nicolas de Staël, réussit à nous faire ressentir les glissements d’une vie, un demi-siècle d’histoire de l’art, les difficultés d’un artiste en butte à la pauvreté et au doute continuels, les rencontres clés, les amitiés, les amours, les foucades, tout ce qui fait le riche et terrible chemin de la création. On referme ce livre pour regarder mieux peut-être, autrement, en prenant le temps, les œuvres d’un peintre qui n’a jamais voulu tricher avec le feu intérieur.

  • Jeux de lumière

    « Staël est obsédé de peinture. Il est tout entier absorbé, pénétré par la couleur et l’espace. En parcourant l’Atlas, il s’imprègne des jeux de lumière, découvre les vertus du noir, la splendeur du blanc. Comme Henri Michaux, il relève que ce sont les ombres qui, dans les pays arabes, recèlent la plus forte part d’émotion, tout à la fois menacées et protégées par la lumière, étranglées et serties par le soleil. »

    Laurent Greilsamer, Le Prince foudroyé – La vie de Nicolas de Staël

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    « Composition » de Nicolas de Stael

    http://mc.escalier.voila.net/gris.html