La première fois que Denis Podalydès s’enregistre : « déception, migraine, aphasie solitaire. Ma voix n’est pas telle que je l’entends, telle que je la veux, telle que je la profère, de l’intérieur, de la tête, de la gorge, de la bouche. Trahison. » Au lycée, il s’amuse avec un ami à imiter ses professeurs. Partout, tout le temps, Podalydès qui se dit « sage, réservé, certes mutin mais souvent emprunté, doux, complaisant, diplomate et toujours modéré dans mes avis et mes positions, mais gai, avide de gaieté, de malice, de dévergondage » s’exerce à saisir ainsi ce qu’il entend. Jusqu’aux « pah – poh – pah ! », le bruit des balles, leur claquement sec qui résonne au jardin lors des tournois de Roland-Garros, son reproduit indéfiniment « sans même une raquette à la main. »
La voix Ruat – « Ouii ? Allô ? Ouiii ? » caractéristique de famille –, il l’a héritée de sa grand-mère qu’il adore, Mamie, dont les bibelots lui sont « chers et familiers » comme ses dîners rituels du samedi midi, animés, où les autres membres de la famille s’amusent à aborder les sujets qui la fâchent (religion, politique…) tandis que Denis Podalydès feint avec sa grand-mère de « négliger ces sujets embarrassants » au profit de ce qui les rapproche, elle et lui, leur souci profond, « l’amour de la littérature ». Son psychanalyste lui dit un jour : « Il vous faut tuer la vieille dame qui est en vous ».
Le cinéma : voix d’acteurs, voix de doublage. Trintignant et sa « voix tapie prête à bondir ». La voix de Charles Denner (très belle photo), « drue, verticale, exemplaire », plus intérieure et plus rauque qu’il ne le pensait, se dit-il en revoyant L’homme qui aimait les femmes. « Les bruns sont les beaux ténébreux que ma mère aime. Les beaux ténébreux Giani Esposito, Sami Frey, Charles Denner. Leur voix ténébreuse, brune, chaude, sensuelle, de beaux ténébreux. La voix, le regard, la peau, les yeux. » Podalydès, blond, plus tard châtain, est un peu jaloux d’eux et de son frère Bruno, le brun avec qui aime danser sa mère..
« Voix de mes frères », mots répétés encore et encore, entre deux blancs, sans commentaire. Denis Podalydès évoque les siens avec affection, avec humour, avec
une grande pudeur quand il rappelle la dernière fois qu’il a entendu son frère Eric au téléphone, avant son suicide en 1997. Voix des morts, voix des vivants, passé, présent s’entremêlent. Il insère dans son essai les deux parties d’un roman intitulé « Voix de l’Empoté » (la sienne), roman d’apprentissage d’un jeune puceau. Y évoque des jardins – « Les jardins sont des salons où l’on s’adonne à la lecture. » En fait un poème, « Voix au jardin ».
Un tel amour des voix donne du vocabulaire pour décrire la matière sonore : « voix-cerveau » de Michel Bouquet, « voix de thé » de Michael Lonsdale, « voix-cavité » de Jean-Pierre Miquel (et aussitôt j'entends celui-ci défendre la Maison de Molière dans ce formidable Bouillon de culture donné par Pivot sur la scène de la Comédie-Française lors de la restauration de la salle Richelieu). L’auteur poursuit : « Voix à peine atteinte par la maladie. Dans cet « à peine » s’entend toutefois l’irréparable. (…) Parler fait mal. Gorge irradiée. »
J’aimerais, mais j’en suis incapable, trouver les mots pour dire à son exemple « l’inflexion grave des voix chères qui se sont tues. » Avec Denis Podalydès, au moins aurai-je un peu appris à écouter. « Le temps travaille nos voix, nous distingue, nous fait autres. »