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Lecture - Page 17

  • Le temps de lire

    « De toute manière, le temps, et en particulier le temps de lire, dites-vous bien qu’on ne le trouve pas, on ne le trouve jamais qui, tout à coup disponible, vous attendrait. Le temps, ça se prend ou ça se perd ! Si vous voulez en disposer, vous ne pouvez que l’attraper, le choper, le ravir. C’est un choix à faire dans les priorités que vous vous donnez. Oui, voilà bien une autre des conditions dont l’avenir de la lecture dépend : l’attitude à l’endroit du temps.

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    Réfléchissez tout de même… Le désir et la capacité d’arrêter le temps n’ont jamais trouvé à se réaliser que dans les œuvres. Un tableau, une symphonie, un poème ou un roman sont autant de cages dans lesquelles le temps se trouve soudainement immobilisé. Et avec lui, vous, pour tout le temps où vous regardez, écoutez, lisez. Ce qui revient à dire que ne pas lire, ce serait perdre deux fois votre temps, le temps de lire et le temps à lire.

     

    Pour avoir organisé de nombreuses lectures publiques, bonnes pages lues par de belles voix, l’occasion m’a maintes fois été fournie de constater que les premières réflexions auxquelles se livrent les auditeurs en s’égaillant ne sont pas seulement pour les textes qu’ils viennent d’entendre, ou pour le talent des acteurs, mais aussi, et parfois même en premier, pour le plaisir qu’ils ont eu de « prendre le temps » d’écouter. Un peu comme s’ils découvraient soudain le sens de l’expression et se rendaient compte qu’à ne pas prendre assez souvent le temps de lire parce qu’ils sont victimes d’empressements auxquels les invitent les sirènes de la société ils laissaient passer la chance de profiter des petites éternités que l’on trouve dans les oasis de la durée. »

     

    Hubert Nyssen, Lira bien qui lira le dernier, Lettre libertine sur la lecture, Labor / Espaces de liberté (Babel), 2004.

  • Histoire de l'art

    « En histoire de l’art, l’intérêt des interprétations ou des théories n’est pas qu’elles soient définitives, mais que leur cohérence et leur pertinence nous obligent à vraiment regarder une œuvre, et nous offrent ainsi une chance de se l’approprier. »

    Jacques Bonnet, Des bibliothèques pleines de fantômes

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     Mai en janvier ? Pourquoi pas, le temps d'un livre ?  

    Bonne année 2011 à vous qui passez me lire.  

     

    Tania  

  • Pleines de fantômes

    Une mère Noël attentionnée m’a offert un livre qui rend joliment compte de la vie (surtout) et de la mort (un peu) des livres quand ils franchissent notre seuil :
    Des bibliothèques pleines de fantômes, un essai de Jacques Bonnet. Il s’ouvre sur une citation chère à Dominique : « Après le plaisir de posséder des livres, il n’y en
    a guère de plus doux que d’en parler. »
    (Charles Nodier)

     

     

    Lorsque Bonnet, alors au service d’une maison d’édition parisienne, a dîné dans un restaurant russe avec Pontiggia, écrivain et critique italien, les deux hommes se sont tout de suite entendus en découvrant leur point commun : « nous possédions tous deux une bibliothèque monstrueuse de plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages. Non pas une de ces bibliothèques de bibliophile aux ouvrages si précieux que leur propriétaire ne les ouvre jamais de crainte de les abîmer, mais une bibliothèque de travail où l’on n’hésite pas à écrire dans les livres, à les lire dans son bain, et où l’on conserve tout ce qu’on a lu – livres de poche compris et les multiples éditions éventuelles d’un même ouvrage – ou que l’on a l’intention de lire plus tard. »

     

    Bonheur et malédiction. Pas un mur d’épargné, à part au-dessus de son lit (pour échapper au sort d’un compositeur, Alkan, mort écrasé par sa bibliothèque). Si leurs visiteurs occasionnels réagissent à peu près de la même manière et avec les mêmes questions en découvrant leur monde de papier, eux s’étonnent plutôt, lorsqu’ils pénètrent chez quelqu’un, ou de l’absence de livres ou de la maigre collection « d’un soi-disant confrère » ou encore des rangements « d’apparat » derrière des vitres.

     

    Comment en arrive-t-on à rassembler plus de vingt mille ouvrages (minimum envisagé par les deux convives pour un projet d’association jamais abouti) ? Pourquoi tant de livres ? Parmi les réponses de Jacques Bonnet, il y a ce « besoin d’avoir à sa disposition tous les livres, puis toutes les peintures, les musiques, les films, comme éléments de liberté intérieure. » Les bibliothèques décrites dans les romans, la différence entre collectionneurs spécialistes et « entasseurs », les ouvrages rares, les lecteurs acharnés… Les sujets abordés sont légion. Sans limites, la curiosité « se nourrit d’elle-même, ne se satisfait jamais de ce qu’elle trouve, va toujours de l’avant, et ne s’épuise qu’avec notre dernier souffle de vie. »

     

    La question du rangement et du classement se pose à quiconque possède une bibliothèque – Perec, Manguel l’ont abordée à leur façon. Bonnet préconise « le panachage de plusieurs ordres avec une grande latitude vis-à-vis des règles que l’on s’est fixées. » – « Il s’agit d’un principe pouvant d’ailleurs être étendu à la vie en général ! » Voilà le ton de cet érudit sans pédanterie, mais généreux en références et en citations, on n’en attendait pas moins d’un tel bibliomane. Il s’est permis depuis longtemps, écrit-il, de séparer Flamands et Wallons sur ses rayonnages, classement par langue oblige, mais ne dit pas où il place les écrivains francophones de Flandre ou de Bruxelles.

     

    La lecture est le cœur battant des Bibliothèques pleines de fantômes. Comment on
    lit pour se mettre « en présence des richesses et des misérables banalités auxquelles peut se résumer l’existence humaine » ; comment le titre d’un livre lu n’a plus rien à voir alors avec ce qu’il représentait auparavant, quelle que soit la manière dont il survit dans notre mémoire ; comment certains livres arrivent dans notre bibliothèque à la suite d’une conversation, d’une rencontre, chargés ensuite de souvenirs.

    Jacques Bonnet, en quelque cent trente pages, traverse le bonheur de lire et de posséder des livres en tous genres. Son évocation des livres d’art est particulièrement stimulante. S’il constate qu’« Internet et la télévision ont chassé l’ennui qui a toujours été l’aiguillon le plus sûr de la lecture », l’auteur ajoute : « Curieusement, la source d’informations infinie que constitue Internet n’a pas pour moi le même statut magique que ma bibliothèque. »

  • Votre Virginia W.

    Primesautière, acerbe, découragée, enthousiaste, moqueuse, tendre, potinière, angoissée, curieuse, drôle, inventive, la plume de Virginia Woolf (1882-1941) me ravit. Ce que je suis en réalité demeure inconnu, tel est le titre emprunté par Claude Demanuelli au Journal de la romancière anglaise pour présenter les lettres qu’il a choisies et traduites parmi les quatre mille inventoriées. Ces Lettres (1901-1941) signées « Ta chèvre », « Virginia », « Ta VS » (Virginia Stephen) et plus tard « Votre Virginia Woolf », entre autres, racontent ses humeurs, ses amours, ses amitiés, ses voyages et, bien sûr, ses lectures et son travail en cours.

     

    Virginia Woolf à Monks House (Virginia Woolf Society of Great Britain).jpg

    V. W. at Monks House © Virginia Woolf Society of Great Britain

     

    Elle écrit à sa famille, surtout à sa sœur Vanessa ; à ses amies intimes, Violet Dickinson, Vita Sackville-West, Ethel Smyth ; à ses amis de Bloomsbury. Répond
    aux critiques, aux écrivains. La diversité des destinataires et les variations de ton assurent l’intérêt de bout en bout – pour autant que puisse en juger une inconditionnelle de Virginia Woolf qui aurait certes aimé correspondre avec elle.
    « Alors je lis, et la beauté gonfle comme un fruit mûr sur la paume de ma main, j’entends une musique tissée dans l’écheveau de l’air azuré ; et, plongeant les yeux dans des lacs profonds effleurés par le voile italien, je vois la jeunesse et la mélancolie marcher main dans la main. Et pourtant, pourquoi vouloir tout dissocier, séparer, quand tout se presse à la fois vers vos lèvres ardentes en une seule gorgée d’eau claire ? » (A Clive Bell, 1907) Les autres aussi demeurent inconnus : « Je suis rongée par l’idée que je ne saurai jamais ce que ressentent les autres, mais je suppose qu’à mon âge, c’est inévitable. C’est un peu comme si je cherchais à sauter par-dessus mon ombre. » (A Vanessa Bell, 1909)

     

    Première lettre à Leonard Woolf (« Cher Mr Wolf » !) en juillet 1911. En mai, une longue mise au point : « tantôt je suis presque amoureuse de toi, et j’ai envie que tu sois toujours avec moi, que tu saches tout de moi, tantôt je deviens sauvage
    et distante au possible. »
    Elle lui avoue ne ressentir aucune attirance physique envers lui – « et pourtant ton attachement pour moi me submerge. » Elle l’épouse en août 1912. Dans leur correspondance, il sera « sa mangouste chérie », elle son « mandrill ».

     

    Avec Lytton Strachey, ami d’études de ses frères et de son mari, à qui elle avait été brièvement fiancée, elle parle de Thomas Hardy ou de Donne puis ajoute : « Mais comme j’ai eu souvent l’occasion de te le dire, ce ne sont pas ces esprits distingués qui méritent le plus d’être observés, ce sont les humbles, les détraqués, les excentriques. » Celle qui publiera Une chambre à soi et Trois guinées envoie au New Statesman, en octobre 1920, une réplique formidable – un chef-d’œuvre d’ironie – à un article signé « Faucon Aimable » sur l’infériorité intellectuelle des femmes. Ce qui l’a choquée en particulier, c’est d’y voir affirmer que « l’éducation et la liberté n’ont pas d’incidence particulière sur l’esprit de la femme ».

     

    Parmi les écrivains contemporains qu’admire Virginia W., Proust lui fait dire : « Si seulement je pouvais écrire comme ça ! » Joyce l’ennuie. Katherine Mansfield l’intéresse. A ceux qui ne croient plus au roman, elle répond que tel est pourtant son destin : « Il faut que cette génération se casse le cou pour que la prochaine trouve les choses plus faciles. » Percevoir l’âme humaine dans sa totalité est une gageure – « Les meilleurs d’entre nous entrevoient un nez, une épaule, quelque chose qui se détourne, s’échappe, parce que toujours en mouvement. » (A Gerald Brenan, 1922) Au même, de Monk’s House : « Nous menons une vie dans l’ensemble heureuse, quoique entre mon besoin d’écrire, mon désir de lire, celui de parler, mais aussi d’être seule, de partir explorer le Sussex pour y trouver la maison de mes rêves, et d’arriver à une appréhension du monde qui se tienne debout, je donne des signes d’agitation. »

     

    Au début, elle rédigeait d’abord un brouillon – « Mais écrire une lettre revient désormais pour moi à retourner une omelette dans la poêle : si elle se brise et s’écrase, tant pis. » Aux amis malades, Virginia Woolf envoie des lettres enjouées, affectueuses. Elle écrit durant ses voyages en Espagne, en Italie, en France.
    Les Woolf se plaisent près de Cassis. Silence, chant des grenouilles, vin, tulipes sauvages – « Vita, Vita, pourquoi ne vivons-nous pas comme ça ? Sans jamais retourner à Bloomsbury ? » (1927) Mais on revient toujours : « et il m’arrive souvent d’aller me ressourcer dans Londres, entre le thé et le dîner, et de marcher des heures dans la ville pour réveiller mes ardeurs. » (A Ethel Smyth, 1930).

    Rendre compte d’une correspondance est illusoire – pages amoureuses, éclairs de génie, soucis de santé, affres de la création, vie domestique… Jusqu’aux deux courtes lettres qui terminent ce recueil, écrites pour Vanessa et pour Leonard, en mars 1941, avant que Virginia Woolf se noie dans l’Ouse, des pierres plein les poches : « J’ai lutté autant que j’ai pu, mais je ne peux plus. »

  • Espace libre

    « Il arrive qu’aucune voix ne sorte de ma voix. Je veux revenir à la lecture silencieuse de qui n’a rien à produire, aucun son à émettre, aucun micro devant lui, promenant ses yeux sur une page pour l’instruction de son esprit, sans que lui soient comptés ni les mots ni les pages. Que mon cerveau ne soit pas la chambre close où je tourne encagé, mais un espace libre, étendu, infini, verdoyant. »

    Denis Podalydès, Voix off

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