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Chats - Page 3

  • Chats d'aquarelle

    Les amoureux des chats comprendront, les autres souriront peut-être, ou passeront. Le chat zen de Kwong Kuen Shan (2011) est un de ces livres délicieux à glisser au rayon « chats » d’une bibliothèque où un coin leur est réservé. Ou à offrir sans hésiter aux félinophiles, il doit bien y en avoir parmi vos connaissances ? 

    Le chat zen Pocket.png

    Peintre et écrivaine, cette artiste chinoise établie au Pays de Galles, signe Le chat zen (The cat and the Tao, traduit de l’anglais par Alain Sainte-Marie), un album dédié en premier à son vieux chat Healey qui l’a guérie, dit-elle, de sa phobie des chats. Elle n’en avait jamais eu, mais le chat de ses anciens voisins l’a adoptée en revenant à quatre reprises sur son ancien territoire après leur déménagement. D’abord laissé dehors une année entière, il a fait sa conquête en se chauffant au soleil, un jour, près du bouddha de pierre de son jardin, l’air détendu et heureux. « Virage initiatique ».

     

    Tombée sous le charme, Kwong Kuen Shan s’est mise à peindre ce chat et les autres dans un style chinois, puis « un mélange de technique méticuleuse et de technique libre ». Ensuite elle s’est mise en quête de textes de la littérature classique chinoise pour les accompagner. Le zen, issu du taoïsme et du bouddhisme, apporte  « certaines réponses à la quête humaine de sérénité », elle rêvait donc de l’associer au caractère félin.

     

    Proverbes – « N’épuise pas la gentillesse et la loyauté de l’ami. De cette façon l’amitié est préservée », poèmes et maximes de Confucius, Lao-Tseu, Zhuangzi et Sun Zi, principalement, ont donc pris place en vis-à-vis des aquarelles de Kwong Kuen Shan : chats et fleurs, chats et poissons, chats au jardin, à la fenêtre, à l’intérieur, au repos ou en action… Ce sont des compositions très sobres, où elle pose un ou plusieurs sceaux chinois comme des accents dans les vides, sceaux ronds, carrés, ovales, rectangulaires dont la signification est précisée en bas de page. La première illustration de cet album n’est pas la moins originale : on y voit une silhouette de chat assis entièrement constituée de sceaux d’un beau rouge de Chine, celui de la pâte de cinabre.

     

    Les textes, courts, offrent à méditer. « Joseph et les poissons », un jeune chat noir au bout des pattes blanc, est couché sur le flanc près d’un bocal et relève la tête pour saluer les poissons rouges venus l’observer ; « Je ne maltraite pas les faibles ni ne crains les puissants. » (Zuo Quining) « Healey », dans différentes nuances de gris taupe, la queue soigneusement courbée sur les pattes de devant, observe sa maîtresse assis près d’un vase à couvercle, sous une inscription en caractères chinois signifiant « Egaré dans un nuage bas ». En face, Confucius :
     
    « L’excès de courtoisie est assommant,
    L’excès de prudence rend craintif,
    L’excès de bravoure rend téméraire,
    La franchise sans égard est offensante. »

     

    Du même : « Trois sortes d’amitié sont dommageables : l’amitié des flatteurs, des hypocrites et des discutailleurs. » Les chats aiment les plantes, se frottent à leurs pots, à leurs feuillages, dérangent les bouquets, voire renversent les vases – j’en connais. La plupart des aquarelles de Kwong Kuen Shan évoquent cette prédilection pour l’univers végétal : fleurs de magnolia, chrysanthèmes, dahlias, branches d’érables, feuilles et fruits de la vigne…

     

    Le chat, ami du papier, qui distingue à coup sûr leur douceur ou leur qualité de craquant s’installe volontiers sur un bureau : « Une personne large d’esprit trouve ses aises dans un endroit exigu. » (Proverbe chinois) Dans le même esprit, l’aquarelliste a publié ensuite Le chat philosophe. Pour amateurs de mots et d’images, de chats et de sagesse, en toute légèreté.

  • Préface

    Parfois, pour entrer en lecture, il suffit d’une préface pour vous mettre l’eau à la bouche. 

     

    Nina la chatte.jpg

     

    « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire, qu’il ne m’en reste plus pour travailler. » Pierre Reverdy

     

    « Quand Saint-Pol-Roux se retirait pour dormir, il accrochait à la porte de sa chambre à coucher un écriteau portant l’avertissement Poète au travail. Denis Grozdanovitch serait en droit de suspendre une inscription semblable au hamac dans lequel il fait ses fécondes siestes.

     

    A ce propos, songez-un peu : pourquoi les poètes aiment-ils tous les chats ?

     

    Les chats passent le plus clair de leur temps à dormir, et leur sommeil est principalement employé à rêver (la chose a été très scientifiquement mesurée en laboratoire, avec des électrodes). Ceci explique pourquoi – à la différence (par exemple) des lapins ou des cochons d’Inde, lesquels, ne pouvant jamais fermer l’œil plus de trois minutes d’affilée, sont de lamentables névrosés en proie à une tremblote chronique – les chats jouissent d’un formidable équilibre : ils retombent toujours sur leur pattes ; gracieux au repos, foudroyants à la chasse, leurs réflexes sont d’une rapidité et d’une précision infaillibles. D’une certaine manière, ce double talent qu’ils ont et pour la contemplation et pour l’action les rapproche non seulement des poètes mais aussi des champions de tennis. (…) »

     

    Simon Leys, Préface à L’art difficile de ne presque rien faire de Denis Grozdanovitch

  • Indifférence

    « Car les chats ont tous une nature plus ou moins réservée et devant des tiers ne se montrent jamais tendres à l’égard de leur maître, mieux encore font exprès
    de se comporter avec une extrême indifférence. »

    Junichirô Tanizaki, Le chat, son maître et ses deux maîtresses

    Chat couché.jpg
  • L'oeil de Steinlen

    Ses chats sont souvent plus connus que lui. Les félinophiles adorent ses affiches publicitaires : Lait pur stérilisé, Compagnie française des chocolats et des thés, et surtout Le Chat noir, célèbre cabaret parisien. Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), un Vaudois devenu la mémoire visuelle du peuple de Montmartre, n’est pas très visible dans les musées. Je m’étais promis d’aller un jour pour lui au musée du Petit Palais à Genève, et voilà que le musée d’Ixelles accueille Steinlen, l’œil de la rue, une exposition qui vient d’être montrée à Lausanne – quel bonheur !  

    Steinlen, Chats couchés (détail).jpg

     

    Dessinateur, caricaturiste, graveur, illustrateur, affichiste, peintre et sculpteur, Steinlen aimait les chats, les recueillait. Il les a dessinés à profusion. Pour l’affiche de sa première exposition personnelle, A la Bodinière, il choisit d’ailleurs un chat noir, de profil, et un chat écaille de tortue, la tête tournée vers nous. Le musée d’Ixelles a repris ce célèbre duo pour annoncer cette grande rétrospective, à visiter jusqu’au 30 mai 2009.

      

    Dans la section des « félinités », des pastels, des huiles, de petites sculptures aussi, pleines de vie. L’hiver, chat sur un coussin, est une de ces lithographies où Steinlen excelle à rendre l’animal au naturel, dans sa nonchalance qui n’exclut pas la vigilance. Par sa composition en diagonale et son aplat d’un rose délicieux, l’œuvre évoque le japonisme, comme le monogramme de l’artiste. Pour son cachet d’atelier, celui-ci a sculpté un chat angora juché sur une colonne.

    Steinlen Nu asssis au bord du lit (d'après le catalogue).jpg

    Parmi les femmes dessinées par Steinlen, des nus remarquables (fusain et pastels) : Nu couché de dos, lové dans un drap blanc ; Nu assis au bord du lit, une femme songeuse ; Femme à sa toilette, ajustant ses cheveux. Masséïda, la gouvernante puis, un temps, la compagne de l’artiste après la mort de son épouse, était d’ascendance princière africaine. Détente, une grande toile, la montre nue sur un fond très coloré, qui rappelle Gauguin, près d’une femme allongée habillée de vert, avec une corbeille de fruits à l’avant-plan.

     

    Les journaux illustrés, à la fin du XIXe siècle, permettent à Steinlein de gagner sa vie. On a estimé, d’après sa production en 1894, qu’il remettait un dessin tous les trois jours, ce qui donne une idée du travail intensif dont il se plaignait parfois, parce qu’il l’empêchait de réaliser de plus grandes ambitions dans la peinture. A Montmartre, Steinlein croque les passants dans son carnet de notes, dessine sur le vif, l’œil ouvert. Loin du pittoresque, il rend habilement la silhouette, le costume des petits métiers, les groupes dans la rue. Les Commères, ce sont des femmes de différents âges, près d’une jeune mère avec un enfant dans les bras. Il peint la Parisienne dans tous ses aspects, les trottins, les couples, les foules aussi, en ethnographe de la France contemporaine. 

    Steinlen Autoportrait de profil (d'après le catalgue).jpg

     

    Au bout de l’allée principale de l’exposition, bordée de réverbères, ne ratez pas les planches des Dessins sans paroles, qui content à la manière d’une bande dessinée des histoires de chats, heureuses – Comment l’amour vient aux chats – drôles ou malheureuses. On peut les apprécier aussi en diaporama sur un écran. Rare chat personnifié chez Steinlen, le chat debout, gueule ouverte, de Gaudeamus – cri emprunté à un chant estudiantin dans l’esprit de Montmartre –, ouvre sur une autre part de l’œuvre : la révolte. « A quoi bon prêcher ? Il faut agir, le monde ne va pas ainsi qu’il devrait aller » écrit-il à sa sœur en 1898, faisant écho à  Jean Grave, l’éditeur des Temps nouveaux, une revue anarchiste : « Par le spectacle qu’elle nous offre, la société engendre elle-même les révoltés ».

     

    S’il garde la trace des midinettes, des chanteurs des rues, des marchands de fleurs, des blanchisseuses, Steinlein peint aussi avec tendresse sa fille Colette, qui lui servira de modèle pour des affiches. A l’étage, un très beau portrait de Gorki, un autre de Tolstoï – Steinlen était devenu membre de l’Association des amis du peuple russe – illustrent les temps noirs de la première guerre mondiale. « En Belgique, les Belges ont faim », crie une affiche solidaire. Humaniste et antimilitariste, Steinlen dénonce la guerre à coups de crayon, montre les familles dispersées, les soldats blessés, les cadavres. La Gloire ? Quatre femmes en voiles noirs devant un cercueil couvert du drapeau tricolore et de palmes. C’est le temps des danses macabres.

     

    Issues de collections publiques et particulières, les œuvres exposées au musée d’Ixelles sont rarement rassemblées. C’est l’occasion idéale de découvrir le « compromis, vraiment, entre l’art graphique et l’écriture, griffe plutôt que dessin – la griffe de Steinlen » (Camille Mauclair, 1915).