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deltas méandres
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Michel Butor, Alain Suby,
Houle d’un atlas
Les très riches heures du livre pauvre, Bibliotheca Wittockiana
> 10.09.2017
(mise à jour 4/9/2017)
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Michel Butor, Alain Suby,
Houle d’un atlas
Les très riches heures du livre pauvre, Bibliotheca Wittockiana
> 10.09.2017
(mise à jour 4/9/2017)
Connaissez-vous « les livres pauvres » ? La Bibliotheca Wittockiana expose jusqu’au 10 septembre « Les très riches heures du livre pauvre », une partie de la collection de Daniel Leuwers, critique et poète français. Celui-ci la présente dans une vidéo tournée au Prieuré Saint-Cosme de Ronsard où est conservée la collection complète. Ami de René Char, qui avait réalisé des « manuscrits enluminés » avec les plus grands peintres de son temps, Leuwers a été séduit par cette formule de livres sans éditeur et non commercialisés, à la différence des livres d’artistes.
© Michel Butor – André Villers, Affections
Il s’agit donc de livres « égotistes ». Daniel Leuwers propose à des poètes de réaliser avec des peintres qu’ils aiment de petits livres en duo, sans investissement. Il leur faut du papier correct, non luxueux, à plier de manière à obtenir quatre pages (couverture, texte et peinture, quatrième) ou bien en accordéon. Le poète écrit son texte, le peintre pose ses traits et couleurs : voilà un livre pauvre.
© Corinne Hoëx - Roger Dewint, Le grisbi
En quelques exemplaires seulement (en principe, deux pour l’écrivain, deux pour le peintre, un pour le collectionneur, un pour la demeure de Ronsard). Le livre pauvre s’enrichit d’être hors commerce, sans marchandage, son existence relève du partage et du don. Imaginant d’abord se limiter à une centaine de livres, Daniel Leuwers a passé le cap des 1000 et même des 2000. Arrêter sa collection serait prendre le risque, dit-il, de la « muséification » des livres pauvres, aussi ne lui impose-t-il aucune limite, même si son avenir est incertain.
© André Velter - Alexandre Galperine, Un pas
La Bibliotheca Wittockiana en montre une sélection, de vitrine en vitrine : on peut tourner autour pour en apprécier le recto et le verso. Poèmes courts ou longs, encres ou couleurs, chacun de ces livres pauvres est original dans tous les sens du terme. Les formats varient. Des noms sont plus connus que d’autres : Michel Butor, illustré ici notamment par Geneviève Besse, Annie Ernaux, Michel Tournier, François Cheng, Guy Goffette, Pierre Alechinsky, Hassan Massoudy, …
© Michel Butor - Geneviève Besse, Le sapin ardent
Ici le regard est attiré par une écriture, une mise en page, un dessin, une harmonie, pour le plaisir des yeux et de l’esprit. On est dans l’art sur mesure, le fait main. Ces livres pauvres respirent une liberté totale. Leur fraîcheur est surprenante, on a envie de les toucher, de les tenir en main.
© Henri Meschonnic - Hamid Tibouchi, Mes mots comme
Mme Wittock, qui m’a entendue demander au bibliothécaire, à l’étage, qui a sculpté le magnifique « Livre noir » accroché en bas entre deux fenêtres, a eu la gentillesse de me renseigner. Comme le gigantesque livre en pierre posé devant le musée des Arts du Livre et de la Reliure, cette œuvre superbe est du couple Kubach-Wilmsen. La ligne oblique qui suggère le signet en tissu des beaux livres est une veine naturelle de la pierre sculptée et polie.
Comme à chaque fois, j’aimerais connaître les noms des créateurs de chacune des œuvres qui jalonnent les espaces de la Bibliotheca Wittockiana. Seuls les petits livres-objets en vitrine sont attribués. A l’entrée de la salle d’exposition, les deux grandes pierres levées sont de Pierre Culot. Une liste de légendes serait bienvenue pour ces œuvres du Fonds Michel Wittock.
Vue partielle de l'exposition, avec la lectrice en fil de fer de Brigitte Schuermans sous le Livre noir (11/9/2017)
J’apprends aussi que la sculpture d’une lectrice, particulièrement bien placée près de la fenêtre pour cette exposition, est faite à partir d’un seul fil de fer : se démarquant des nombreuses représentations de lectrices qui regardent ailleurs ou rêvent un livre à la main, celle-ci baisse les yeux vers son livre – elle lit vraiment, à la lumière du jour.
© Yasuhiro Yotsumoto et Kaori Miyayama, Music score
Exposée malgré qu’il n’ait pas joué le jeu du livre pauvre, une réponse de Christian Bobin à Daniel Leuwers (adressée au « Cher monsieur du livre pauvre ») explique les raisons pour lesquelles il n’y participe pas – dommage. Yasuhiro Yotsumoto et Kaori Miyayama offrent avec Music score un étonnant livret traversé d’ondes, une interprétation très originale du concept.
© Michel-Ange Seretti - Anne Walker, s.t.
Il vous reste deux semaines pour visiter l’exposition « Les très riches heures du livre pauvre » à la Bibliotheca Wittockiana, un titre inspiré des « Très Riches Heures du duc de Berry ». Elle sera suivie dès le 16 septembre par « Histoires de femmes », une exposition internationale de reliure contemporaine organisée par Ara Belgica. Une autre occasion de visiter ce musée dédié au beau livre et à la reliure, qui cultive l’art de sortir des sentiers battus.
« Depuis le milieu des années cinquante, il collectionnait, avec passion, les anciens papiers déjà utilisés. Les boucles élégantes d’un clerc appliqué servent de point de départ à la représentation de quelque monstre. Les cartes géographiques sont des tentatives humaines destinées à rendre la nature mesurable et à l’appréhender par la raison. Alechinsky réussit à inverser le processus. Elles sont les formes d’objets trouvés d’Alechinsky, riches en qualités graphiques, elles nourrissent son appétit d’images. »
Willy Van Den Bussche, Un voyage dans l’imaginaire (Catalogue Pierre Alechinsky, PMMK-Musée d’art moderne, Ostende, 2000)
© Pierre Alechinsky, La femme du géomètre, 1977
Pierre Alechinsky, Les palimpsestes,
Centre de la gravure et de l'image imprimée, La Louvière, 03.03 > 05.11.2017
* * *
Un appel urgent aux amateurs du patrimoine bruxellois :
Ce 28 juin, la Commission du Développement Territorial a adopté le projet d’ordonnance réformant le CoBAT (Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire), malgré une pétition signée par plus de 2600 personnes et une carte blanche dans Le Soir cosignée par de nombreuses associations et politiques de la majorité et de l'opposition. Il supprime l’avis conforme de la CRMS (Commission royale des Monuments et des Sites). Cela signifie que, dans l’avenir, l’avis de la CRMS pouvant ne plus être suivi, notre patrimoine pourrait à nouveau être donné en pâture aux promoteurs.
Ce projet de réforme devant encore être approuvé par les 89 députés du Parlement Bruxellois d’ici le 20 juillet, nous pouvons encore les convaincre de ne pas l’approuver en continuant à signer la pétition et à la faire circuler.
Lien vers la pétition : https://www.change.org/p/pr%C3%A9servez-le-patrimoine-bruxellois-ne-supprimez-pas-l-avis-conforme-de-la-commission-royale-des-monuments-et-sites
Merci d'en parler autour de vous.
Tania
P.-S. Pour les suites de la pétition, voir le billet du 27/7/2017.
« Les palimpsestes » est le titre de l’exposition proposée par Pierre Alechinsky au Centre de la gravure et de l’image imprimée, à La Louvière, depuis le début du mois. En chemin, j’ai lu sur une façade cette citation d’un autre artiste de Cobra, Christian Dotremont : « La vraie poésie est celle où l’écriture a son mot à dire. » Voilà qui correspond bien à cette pratique littéraire du texte superposé à un autre : ici, peindre sur des papiers imprimés, tapuscrits, manuscrits, cartes géographiques, prendre des empreintes, par frottage, sur des plaques d’égouts ou d’autres supports.
Au fond de la grande salle du rez-de-chaussée consacrée aux « estampages » (l’exposition occupe trois niveaux), une œuvre spectaculaire attire le regard (je m’en approcherai plus tard), en rouge et noir comme sur la droite le clavecin peint, dont tous les éléments sont constitués de papiers imprimés surchargés de motifs peints.
Sur la gauche, Débâcle de mars (1987), une grande œuvre avec bordure et prédelle (succession de petites cases dans la partie inférieure) caractéristiques d’Alechinsky est étiquetée comme suit : « estampage : tour d’arbre en fer, 19e siècle / prédelle : encre et acrylique sur papier de Chine marouflé sur toile ».
© Pierre Alechinsky, Débâcle de mars, 1987,
estampage : tour d’arbre en fer, 19e siècle / prédelle : encre et acrylique sur papier de Chine marouflé sur toile
Quelle fête ce sera d’observer, de suivre le pinceau du peintre d’œuvre en œuvre, de se laisser séduire par des couleurs, des contrastes, des motifs d’un langage inimitable qui fait reconnaître d’emblée son univers ! Et de lire l’étiquette pour situer son inspiration : Bruxelles, Paris, Liège, New York, Pékin…
© Pierre Alechinsky, Société de sauvetage, 1991, encre sur vélin, estampage sur papier de Chine
En couleurs ou en noir et blanc. Au-dessus de l’empreinte de la « Société centrale de sauvetage des naufragés », dotée d’une ancre, une marine montre, sous un ciel étoilé, un petit navire à l’horizon, alors que se lève, à l’avant-plan, une gigantesque vague.
© Pierre Alechinsky, Passerelle, 1986, acrylique avec estampages en bordure sur papier de Chine marouflé sur toile
Œuvre phare en rouge et noir, Passerelle, peinture à l’acrylique avec bordure d’estampages, est un superbe exemple de l’art d’Alechinsky. On pourrait la décrire ainsi : quinze rectangles aux bords irréguliers, déclinés trois par trois (verticalement, un carré, un petit rectangle plus large que haut, un grand rectangle plus haut que large). A l’intérieur, des paysages, des sinuosités, des ouvertures qui invitent au voyage imaginaire – tout est mouvement. Une seule figure, centrale : un homme coiffé d’une toque regarde les fleurs qu’il tient à la main.
© Pierre Alechinsky, Dactile, 1984, encre sur mémorandum de 1902
Au premier étage, une vidéo montre l’artiste (né à Bruxelles en 1927) dans son atelier, dessinant de la main gauche ; l’école Decroly où il a fait ses études primaires ne tolérait pas les gauchers : « Ils m’ont laissé la main gauche pour le dessin, les menus travaux. » (Dossier pédagogique)
© Pierre Alechinsky, Roue, 2011, encre et acrylique sur pièces comptables marouflées sur toile (détail)
Des œuvres très variées, au mur ou sous vitrines, dans tous les formats. Ici Alechinsky peint à l’encre sur d’anciennes actions au porteur ou autour d’un vieux billet de banque démonétisé, là il invente un jeu, L’Oie belge, et une affiche pour les 150 ans du pays. On découvre des complicités : avec Michel Butor qui lui a donné des tapuscrits comme supports d’études à l’encre, avec Marcel Moreau (Deux lettres avec vue sur chaos), entre autres.
© Pierre Alechinsky, La première heure, 1968-1974, peinture à l’acrylique, dans la prédelle : 5 encres sur tapuscrits de Michel Butor
L’artiste s’en donne à cœur joie sur des écrits anciens : courrier, formulaires administratifs, factures… Il a peint une série d’aquarelles très colorées sur des lettres « du duc Prosper d’Arenberg à son conseiller » datant de la première moitié du XIXe siècle.
© Pierre Alechinsky, Lettre du duc Prosper d’Arenberg à son conseiller – Monsieur Stock, 1986, encre sur pli de 1849 remis à monsieur Stock
Le peintre et les ensortilèges naît d’une lettre d’Ensor à Emma Lambotte. Voici des érotiques, des gravures, des livres illustrés – nul doute, comme il l’a dit lui-même, Alechinsky est un peintre « qui vient de l’imprimerie ». Cela se confirme avec un bel ensemble d’affiches et puis des cartes géographiques et plans de villes au deuxième étage.
© Pierre Alechinsky, Le peintre et les ensortilèges, 1980, lettres de James Ensor à Emma Lambotte (détail)
Ne manquez pas « Les palimpsestes » de Pierre Alechinsky, une facette de son travail rarement montrée dans une telle diversité. Allégresse de peindre et humour corrosif sont de la partie. L’exposition dure plusieurs mois, jusqu’au 5 novembre.
© Pierre Alechinsky, Page d’atlas universel, III – Nantes et Rouen, 1984, encre sur carte de géographie du XIXe siècle
Pour info, le Centre de la gravure et de l’image imprimée (rue des Amours) est accessible en quelques minutes à pied, quasi tout droit en montant de la gare de La Louvière-centre, près de laquelle on peut aussi garer sa voiture. (Si vous avez du temps libre, il y a d’autres musées intéressants à La Louvière, je vous en parlerai prochainement.)
Tout au bout du musée d’Ixelles, côté jardin, l’installation d’Olivia Hernaïz s’intitule « As Long As the Sun Follows Its course ». La lauréate d’ArtContest 2016, sous des couleurs pimpantes, propose une vision faussement « soft » du monde dominé par la politique, l’argent, les multinationales, et interroge les mythes contemporains en trois temps.
« Make Yourself Comfortable » : un canapé arrondi plein de coussins colorés permet de s’asseoir bien à l’aise pour mettre un des casques accrochés à la table basse et regarder une vidéo. Des tentures imprimées aux fenêtres parachèvent ce décor « cosy ». A y regarder de plus près, tout est parodie. Par exemple, les tissus reprennent des symboles de mouvements politiques de divers pays et des logos d’institutions financières.
« All About You » : derrière un paravent aux motifs tirés du langage des mains utilisé à la Bourse, une table de massage où s’allonger pour regarder et écouter un clip. Olivia Hernaïz chante avec une voix douce les slogans rassurants des banques. En quelque sorte : endormez-vous, bonnes gens, nous nous occupons du reste.
« The Solar Economy » : un petit homme en costume sombre à tête de soleil (emprunt à un logo politique japonais) se mêle à des publicités pour des nouveautés technologiques (années 80) qui surfent sur les beautés de la nature que leur modèle de croissance met en péril. Crânement, Olivia Hernaïz « exagère les traits du système dans lequel on vit afin d’en démontrer l’absurdité ».