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Peinture - Page 13

  • Route

    Hockney Canyon.jpg« Il fit un petit essai qui montrait son itinéraire à travers le canyon. Une route tortueuse était tracée à la verticale au centre de la toile, entourée de taches de couleurs vives qui représentaient les collines et la végétation avec, ici et là, des arbres ou une maison. Ce tableau n’avait rien à voir avec ceux qu’il avait peints jusque-là – sauf avec celui qu’il avait fait au hasard pour essayer les couleurs acryliques – et ressemblait à un dessin d’enfant. Le second fut plus grand, plus ambitieux : il peignit le trajet de sa maison à son atelier, dans des couleurs plus douces, avec une technique par moments presque pointilliste. La route ondulante traversait la toile horizontalement, bordée par un paysage plus complexe qui incluait des collines, des arbres, de la végétation basse, mais aussi un court de tennis, une piscine, un poteau électrique, un plan quadrillé de Downton L.A., la mer à l’horizon. Tout était à la même échelle, comme dans ces cartes dessinées par les enfants. Ces deux tableaux, et ceux qui suivirent, n’étaient pas des paysages traditionnels mais des voyages dans le temps, des récits pleins de vie qui charmaient l’œil par leur équilibre de couleurs chaudes et de formes géométriques. Les critiques penseraient qu’il était retombé en enfance. David n’avait aucun doute : il s’engageait sur la bonne voie. »

    Catherine Cusset, Vie de David Hockney

    © David Hockney, Nichols Canyon, 1980, acrylique sur toile 84 x 60"
    (non exposé à Bozar)

  • Hockney par Cusset

    Si vous ne savez pas grand-chose de David Hockney et que vous comptez visiter l’exposition actuelle à Bozar – très courue, il vaut mieux réserver –, je vous recommande Vie de David Hockney par Catherine Cusset (Folio acheté après ma visite) : « Ce livre est un roman. Tous les faits sont vrais. J’ai inventé les sentiments, les pensées, les dialogues » écrit-elle au début de son avant-propos.

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    © David Hockney, Mr. and Mrs. Clark and Percy, 1970-71. Acrylic on canvas, 213.4 x 304.8 cm
    (Tate : Presented by the Friends of the Tate Gallery 1971)

    Après une première incursion à Bozar où la cohue était telle que j’en suis sortie à peine entrée, j’y suis retournée un autre jour sur le temps de midi, comme on me l’avait conseillé quand j’ai demandé un échange. En première partie, « Œuvres de la collection de la Tate, 1954-2017 » : passé les débuts, les fameuses piscines et les nus masculins, c’est la salle des doubles portraits qui m’a le plus retenue, et aussi ce vase et son ombre, avant de plonger dans la luxuriance californienne et dans l’exploration de la vision multifocale à l’aide de clichés numériques.

    Après In the Studio (immense photo panoramique de son atelier de Los Angeles, 2017) vient la seconde partie de l’exposition, les grandes réalisations sur Ipad : L’arrivée du printemps en Normandie (2020) avec des arbres et paysages dont il suit la transformation de l’apparition des bourgeons jusqu’à la floraison, des coins de jardins, de la pluie tombant dans une mare, des fleurs printanières – une immersion spectaculaire, colorée et joyeuse. (Exposition aussi à Paris.)

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    David Hockney, My parents, 1977, huile sur toile, 72 x 72", © David Hockney Collection Tate, U.K.

    Vie de David Hockney, une sorte de portrait du peintre, rend hommage à un artiste dont la liberté fascine Catherine Cusset : liberté dans la vie comme dans la création. Né en 1937 dans une famille modeste, d’un père pacifiste qui « n’avait pas d’argent mais ne manquait pas de ressources » et d’une mère généreusement nourricière pour ses enfants, dès qu’il a pu tenir un crayon en main, David a dessiné et déjà à l’école, ses dessins plaisaient et étaient exposés.

    Le principal de son collège recommanda de l’envoyer, dès ses quatorze ans, dans une école d’art, mais il fallait une autorisation de la ville, qui refusa. Deux années d’enseignement général à endurer, ce qui mettait le garçon en rage, une rage atténuée grâce aux cours gratuits donnés le soir par un voisin. Autre fait marquant de son adolescence, la main qui prend la sienne dans une salle de cinéma, une révélation du plaisir homosexuel dont il n’osera parler à ses parents.

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    © David Hockney, Man in Shower in Beverly Hills, 1964, Tate Britain

    Enfin admis aux Beaux-Arts de Bradford, David Hockney peut « se livrer à sa passion du matin au soir ». Il y rencontre un jeune professeur stimulant qui pousse ses étudiants à aller à Londres et les invite chez lui. Deux ans plus tard, son élève propose deux tableaux pour l’exposition annuelle des artistes du Yorkshire – acceptés, à sa grande surprise. Un visiteur achètera même le portrait de son père !  

    Entre Bradford et Londres, Hockney découvre que « le figuratif appartenait au passé, qu’il était antimoderne », ce qui l’inquiète un certain temps, puis il comprend grâce à Ron, un ami américain, qu’il doit peindre ce qui compte pour lui – « Tu es nécessairement contemporain. Tu l’es, puisque tu vis dans ton époque » – et aussi, en faisant connaissance avec Adrian qui partage le coin d’atelier de Ron, le premier homme « ouvertement gay » qu’il rencontre, à vingt-deux ans, comment lui-même voudrait vivre.

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    David Hockney, Lithographic Water Made of Lines, Crayon and Two Blue Washes without Green Wash, 1980,
    © David Hockney / Tyler Graphics Ltd.

    Quelques ventes et un chèque inattendu pour une gravure primée lui permettent de s’envoler pour New York où l’accueille pour l’été un autre Américain, Mark, son premier amant. Pour rire, ils se métamorphosent en « blonds peroxydés » : « La vie, comme la peinture, était une scène sur laquelle on jouait. »  La façon totalement libre dont ses amis vivent là-bas, partagent la douche ou le lit sans culpabilité, lui donne le goût de vivre en Amérique : « Un grand blond dans un costume blanc qui ne cachait pas sa sexualité déviante », voilà qui attirerait davantage l’attention des critiques.

    Au Collège royal de Londres, Hockney n’a plus peur d’être lui-même et peint ce qu’il veut. Ses gravures lui rapportent assez pour aller à Los Angeles en janvier 1964. Le mode de vie californien devient le sien. Il y dessine Peter, l’étudiant dont il est tombé amoureux, près de la piscine, il devient « le peintre de la Californie ». David Hockney se fait si bien remarquer qu’à 32 ans, il a droit à une première rétrospective à Londres, à la Whitechapel Gallery. Il devient un peintre connu, interviewé, photographié, il voyage.

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    David Hockney, Peinture sur le Motif pour le Nouvel Age Post-Photographique, 2007,
    Oil on 50 canvases, 457.5 x 121.9 cm overall ((Tout un mur à l'entrée de l'exposition)
    Tate: Presented by the artist 2008 © David Hockney. Photo: Prudence Cuming Associates 

    Catherine Cusset raconte son parcours d’artiste (peintre, photographe, dessinateur, créateur de décors et de costumes pour l’opéra) et ses recherches, sa vie et ses amours, ses allées et venues entre l’Angleterre et l’Amérique. Grand maître des couleurs et, selon Rinus Van de Velde, le dernier artiste mythique après Picasso, plus rien ne l’arrêtera sur le chemin de l’art et de la célébrité. Hockney dit avoir « l’intention de vivre une vie intense jusqu'au dernier jour ».

  • Ouverture

    Asse Lignes et rouge 2010.jpg« Est-ce le bleu qui fit naître dans vos tableaux cette ligne qui les partage ?
    Je ne pense pas. J’ai dit que les lignes qui traversent ma peinture ne sont pas d’aujourd’hui. Auparavant, elles délimitaient la fenêtre ou les portes : elles étaient l’ouverture. Maintenant, la ligne est l’ouverture d’une couleur. En fait, je prolonge cette ligne, que l’on retrouve dans mes gravures, dans mes dessins. C’est comme le trait d’un silex qui fractionne la lumière. Il peut être tracé avec un autre instrument. Dans le travail, le peintre saisit ce qu’il trouve autour de lui : un pinceau, un couteau, un crayon noir ou de couleur. J’ai besoin quelquefois d’un fil, ligne de couleur, fil à plomb : d’un trait rouge qui apporte sa chaleur. Le rouge m’attire, mais je ne l’emploie que très peu pour le moment. »

    Silvia Baron Supervielle, Un été avec Geneviève Asse

    Geneviève Asse, Lignes et rouge, 2010, print, lithography
    © Photo: Jean-Louis Losi, © ADAGP, Paris, Banque d’Images de l’ADAGP

    Rappel de l’exposition en cours à la Wittockiana :
    « Geneviève Asse – Une fenêtre sur le livre »
    jusqu’au 30 janvier 2022.

     

  • Un été avec G. Asse

    Sur l’Ile aux Moines où Geneviève Asse (1923-2021) avait sa maison, Silvia Baron Supervielle l’a interrogée en 1995 sur sa vie, son œuvre : Un été avec Geneviève Asse, paru à L’Echoppe l’année suivante, est disponible à la Wittockiana où se poursuit l’exposition « Geneviève Asse, une fenêtre sur le livre ». Vous rappelez-vous le temps où l’on s’armait d’un coupe-papier avant de lire ? J’ai retrouvé en lisant cet entretien les plaisirs de l’édition à l’ancienne, qui donne à caresser les pages et la tranche du livre aux douces aspérités.

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    Vue extérieure de la maison de l’artiste Geneviève Asse, 17 mai 2011 en Bretagne, France.
    Photo © Catherine Panchout/Sygma via Getty Images

    Les questions posées à la peintre amie, échelonnées sur quelques semaines, permettent à Geneviève Asse de remonter le temps et de raconter, en même temps que ce qu’elle a vécu, ce qui a guidé son art. Avant de l’acquérir, elle connaissait cette maison pour y être venue avec sa grand-mère qui les a élevés, son frère jumeau et elle. « C’était revenir à cette lumière qui m’a entourée et qui a nourri mon travail. »

    Enfants, ils étaient très seuls. Leur mère divorcée partie travailler à Paris, ils vivaient avec leur grand-mère normande que Geneviève Asse admirait, une humaniste aux idées très avancées, bonne et intelligente, féministe, qui les a élevés « dans une liberté complète ». Dans la presqu’île de Rhuys, ils allaient « à travers champs jusqu’à la mer, dans sa lumière », lisaient dans la bibliothèque du Bonnervo où régnait « une grande ouverture d’esprit ». 

    « Son indépendance vous donna l’occasion de découvrir les choses par vous-même, dans la solitude…
    Ce fut ainsi toute ma vie. C’est dans la solitude et avec une nourriture que j’accumulais au fond de moi, que se forgea, si je puis dire, mon désir de peindre. »

    Geneviève Asse n’a pas connu son père, épousé par sa mère après la guerre 14-17, un mariage arrangé et raté. Vu son peu de ressources, sa mère divorcée avait trouvé un emploi dans une maison d’édition à Paris, dont elle épousera plus tard le propriétaire. C’est à l’âge de dix ans que ses enfants la rejoignent dans la capitale, découvrent les musées, les expositions. Trop rêveuse, Geneviève Asse n’est pas très bonne à l’école privée. Leur vie matérielle est assez difficile, il faut « faire attention », elle le cache par fierté.

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    Geneviève Asse dans son atelier, 8 juin 2013 Photo © Hubert Fanthomme, Paris Match via Getty Images

    « J’ai toujours pensé qu’il me fallait être heureuse avec le monde que j’avais en moi. » Pas particulièrement douée pour le dessin, l’artiste dit avoir été peintre, « intérieurement, depuis toujours ». Rien d’autre ne l’a jamais attirée : « Peindre, c’est comme boire, dormir ou manger. » Au Louvre, elle admire les natures mortes de Chardin, leur composition, la sobriété des couleurs. « J’aimais la peinture construite d’espace et de silence. »

    Entrée à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs dans Paris occupé, en 1940, elle se fait membre de l’UNEF qui essaie d’agir contre l’occupant. Elle expose ses premiers tableaux au Salon des moins de trente ans, des paysages et des natures mortes. Elle fréquente l’atelier de l’Echelle, mais reste en marge. Encouragée par Othon Friesz, elle rencontre le collectionneur Jean Bauret chez qui elle fait connaissance avec des écrivains, des musiciens, des peintres. Parmi ses préférés, Braque et Matisse – « sa peinture ne faisait qu’un avec le trait ».

    Elle s’engage dans les F.F.I. et fait un stage à la Croix-Rouge pour devenir « conductrice-ambulancière ». Une vingtaine de pages d’Un été avec Geneviève Asse sont consacrées à cette « sorte d’aventure » qui l’a beaucoup marquée : désir d’agir pour ceux qui souffrent, camaraderie avec des jeunes femmes de cultures diverses réunies par la fraternité sous l’uniforme, douleurs et dangers de la guerre, jusqu’en Allemagne et puis au camp de Terezin en Tchécoslovaquie, où Desnos vient de mourir.

    Au retour, fin 45, Geneviève Asse vit pauvrement, présente des projets pour des tissus de haute couture, pour des vitrines. Elle peint des petits formats, en vend parfois. « Je peignais des choses silencieuses. » Elle cherche la sobriété, la lumière. En 1961, elle se rend dans l’atelier de Morandi, centré lui aussi sur les objets. Peu à peu, elle s’éloigne de la forme, s’intéresse davantage aux couleurs – blancs, bleu clair, notes de vert ou de rouge passé – et quitte la figuration.

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    © Geneviève Asse, Ligne blanche intérieure
    © Coll. Centre Pompidou / Christian Bahier , Philippe Migeat / Dist. Rmn-GP

    Pierre Lecuire lui fait découvrir la gravure, le beau livre. Elle aime la pointe sèche et l’aquatinte. Peinture, dessin et gravure sont « un tout qui avance ensemble ». Sur ses rencontres avec des poètes, Geneviève Asse a cette belle parole : « J’aime aimer complètement. » Elle est rapide pour graver : « On peut écrire en peignant aussi. » La suite de l’entretien éclaire sa démarche d’artiste souvent instinctive, et comment ce « bleu Asse » lui est venu petit à petit. « La peinture est mystérieuse, inexplicable. Il y a le geste, et un combat entre les couleurs et la toile. »

  • Lignes

    geneviève asse,une fenêtre sur le livre,exposition,wittockiana,bruxelles,beaux livres,illustration,lignes,couleurs,bleu,gravure,peinture,livres,carnets,culture« Aux lignes gravées à la pointe sèche et aux burins répondent les lignes des cuvettes, traces des plaques de cuivre sur les feuilles imprimées. Geneviève Asse en parle comme des fenêtres : « [elles] tiennent lieu de lignes, de fils de lumière, de stèles transparentes avec lesquels je construis dans l’espace. Les cuvettes comptent autant que les traits que j’inscris, elles suscitent une profondeur, une distance, une sensation de relief. » (BNF, p. 20) »

    Géraldine David & Perrine Estienne, Geneviève Asse – Une fenêtre sur le livre, Editions Esperluète – Wittockiana, 2021.

    Geneviève Asse © René Tanguy