A la lettre C de son Dictionnaire amoureux de la Belgique, Jean-Baptiste Baronian rend hommage à Maurice Carême dont les poèmes, « quoi qu’en pensent les cuistres », sont si populaires à travers le monde qu’« il existe quelque deux mille huit cent cinquante mises en musique de ses textes ! »
La bibliothèque du Château de Beloeil © ASBL Fonds Château de Beloeil
On compte à peu près le même nombre de châteaux dans notre pays, de toutes les sortes, et Baronian qui s’avoue attiré par la vie de château s’installerait volontiers à Beloeil pour lire les œuvres complètes du prince de Ligne. Il y aurait forcément du chicon à table, « cette excellente variété d’endive » nommée « witloof » (feuillage blanc) en flamand, et bien sûr du chocolat (on compte actuellement près de sept cents chocolatiers belges).
Après quelques écrivains – Hugo Claus pour son Chagrin des Belges, Gaston Clément pour Le conseiller culinaire (1947), Jacques Albin Simon Collin de Plancy (un Français) pour son Dictionnaire infernal et son Histoire de Manneken-Pis racontée par lui-même (XIXe) –, vient le tour du Concours reine Elisabeth que l’auteur a souvent critiqué (et aussi son public bon chic bon genre), mais qu’il reconnaît comme « le plus sérieux » des concours musicaux internationaux.
Pas d’entrée pour le Congo, mais bien pour Congo, une histoire, l’essai retentissant de David Van Reybrouck, « un grand hymne d’amour au peuple congolais ». Pour avancer, je ne vous parle ni de « Contrefaçons » (le mot est impropre ; selon Baronian, en réalité, c’étaient des « réimpressions belges » de textes français) ni d’Annie Cordy ni des « coulonneux » (comme on nomme les colombophiles en Wallonie) – salut tout de même à feu mon grand-père flamand grand lâcheur de pigeons dont il était fier.
La succession de notices le plus souvent sans lien avec ce qui précède et ce qui suit est un des charmes de la collection des Dictionnaires amoureux. Sauter les crevettes grises ? Impensable, vu leur place « au patrimoine culinaire national ». Baronian confie qu’il teste un restaurant à la qualité de ses croquettes de crevettes grises. Le pamplemousse aux crevettes grises n’y est pas mentionné, mais bien la fameuse « tomate aux crevettes ». L’article « Cuisine » offre l’occasion d’une petite passe d’armes sur la cuisine belge par rapport à ce qu’en disent certains guides français.
« Cyclisme » : que de bons souvenirs pour l’auteur et de héros belges de la petite reine ! Au D, le père Damien est premier, d’ailleurs canonisé en 2009. Le missionnaire dévoué aux lépreux a été calomnié de son vivant, raconte Baronian, et c’est une lettre de Robert Louis Stevenson dans le Times qui a rétabli son honneur.
Hommage au cinéma réaliste des frères Dardenne, « à condition de considérer, comme l’a écrit Bertolt Brecht, que le réalisme ne consiste pas à dire des choses vraies, mais à dire ce que sont vraiment les choses. » Et aux films d’André Delvaux, regroupé sous son patronyme avec Laurent (sculpteur), Charles (maroquinier), Paul (peintre) et les autres, sans aucun lien de parenté entre eux.
Baronian préfère Anna Teresa De Keersmaeker à Maurice Béjart et Camille De Taeye à Jules Destrée. Après avoir ressuscité les raquettes de tennis Donnay, il consacre un bel article à Christian Dotremont – « un écrivain qui a peint ou un peintre qui a écrit ? » Clément Doucet récolte cinq pages du Dictionnaire amoureux de la Belgique, ce pianiste qui jouait « d’instinct » a formé un inoubliable duo avec Jean Wiéner.
Le D finit avec Christian de Duve, Prix Nobel de médecine (dont Doulidelle ne cesse de relayer l’appel). Et voici E comme L’Economie culinaire de Cauderlier, seul livre de cuisine des parents de Jean-Baptiste Baronian, E comme « Elskamp, Max », E comme « Ensor, James » : le peintre mais aussi l’écrivain et l’épistolier qui « a tordu le cou à l’académisme, le mal incurable des lettres de Belgique ».
E ou F ? Etrange ou Fantastique ? Bien sûr, le grand connaisseur du genre qu’est Baronian consacre un long article à l’« Ecole belge de l’étrange » (il cite une quinzaine d’écrivains qui en font partie et revendique en toute modestie la paternité de l’expression), saluant au passage les éditions Marabout qui ont joué un grand rôle dans la reconnaissance de cette littérature singulière.
L’histoire de la « Fête des chats » célébrée en mai à Ypres fera frémir tous les amis des chats, avec durant des siècles des « jets de chats vivants » même du haut du beffroi, entre autres mauvais traitements. Depuis 1938, les habitants se contentent « de lancer des chats en peluche » et de se déguiser en chat, « une orgie féline en somme ».
Je n’en ai pas fini de décliner l’alphabet du Dictionnaire amoureux de la Belgique. On s’y amuse de l’inattendu, de l’inconnu, du méconnu, que Baronian accommode à la sauce belge et agrémente d’anecdotes personnelles. Bien sûr, certaines entrées s’imposent, comme « De Coster, Charles », « Expo 58 », « Francorchamps » et « Frites ». Bon appétit, messieurs dames !