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Passions - Page 340

  • Mise à nu

    buren,daniel,une fresque,exposition,bruxelles,bozar,rétrospective,scénographie,art contemporain,xxe,xxie,surface,espace,parcours,culture« La fresque de Buren à Bruxelles est bien davantage qu’une énième exposition : c’est à la fois un manifeste sur l’histoire de l’art et la création contemporaine et une mise à nu visuelle de sa propre histoire. Une plongée fascinante et réussie dans l’intimité artistique d’un grand maître. »

    Fabrice Bousteau, La fresque d’art & de vie de Buren, Beaux Arts magazine 382, avril 2016. 

    Les Salles des Ombres et des Lumières, travail in situ, in « Daniel Buren : Une Fresque », Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 2016, détails, Anish Kapoor
    © DB/ADAGP, Paris/Philippe De Gobert
    (Source Bozar)

  • Buren - Une fresque

    C’est un article lu dans Beaux Arts Magazine qui m’a décidée à aller voir tout de même l’exposition Daniel Buren – Une fresque au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (jusqu’au 22 mai 2016). Question d’apprendre et peut-être de mieux comprendre cet artiste a priori trop conceptuel à mon goût. Je ne le regrette pas.

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    Vue partielle du Hall Horta (Bozar, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles)

    Depuis l’installation des colonnes rayées noir et blanc (Les deux plateaux) dans la cour du Palais-Royal à Paris, en 1986, plus personne n’ignore que Buren travaille avec un « outil visuel » : l’alternance systématique de bandes blanches et de bandes colorées verticales de 8,7 cm de largeur, inspirées « des tissus imprimés utilisés pour les auvents des magasins et bistrots parisiens » (guide du visiteur). A Bozar, il en a recouvert les colonnes du grand hall Horta et les contremarches vers l’entrée des salles d’exposition.

    Sa fresque bruxelloise instaure « un dialogue entre son travail et des œuvres choisies de plus de cent artistes du XXe et du XXIe siècles », j’étais curieuse de découvrir qui étaient ses compagnons d’art. Vu la diversité des œuvres intégrées peu à peu parmi des formes fantômes, j’ai l’impression que ces peintures, photographies, sculptures, vidéos, installations – jalons d’une rétrospective plus ou moins autobiographique – entrent dans un rythme particulier, original, qui invite à les regarder pour elles-mêmes et sans filtre.

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    Daniel Buren, "Salle des empreintes", Bozar, Bruxelles

    A l’entrée, le visiteur reçoit un dépliant format A2 : au recto une carte des lieux et le nom des artistes correspondant aux formes numérotées ; au verso, un texte d’introduction suivi des légendes, salle par salle. Facile, se dit-on d’abord, mais ce ne sera pas si simple : après la « salle des empreintes » (formes exactes des œuvres exposées laissées en blanc sur les murs rayés de vert et sur le parquet), les œuvres apparaîtront bien accrochées par ci par là, mais sans aucun numéro.

    Pour identifier les artistes qu’on connaît un peu, pas de problème, mais pour les autres ? Les titres des légendes sont parfois explicites, pas toujours, alors on cherche une signature, on se réfère à la couleur des empreintes (« ombres » bleues d’un côté de la salle, roses de l’autre) reprises sous les légendes et on se bat avec son dépliant pour rendre à César ce qui est à César…

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    © Dan Flavin, Cornerpiece, 1978, M HKA Anvers

    A quoi bon, me suis-je dit à un moment donné, regarde, flâne, va simplement à la rencontre de ce qui se présente à toi. En abandonnant l’identification à tout prix de chaque œuvre, je me suis sentie beaucoup plus libre et mieux disposée. Alors j’ai profité de l’autorisation de prendre des photos (un petit Picasso excepté) pour pouvoir revenir plus tard aux indications du guide.

    Dans la salle 2, face à une planche de Matisse (Icare), des néons dans un coin : Cornerpiece de Dan Flavin. On reflexion de Bertrand Lavier attire par le jeu des reflets : les coups de brosse à la surface d’un miroir l’ont rendu opaque ; dès qu’on bouge, l’œuvre change, et aussi avec la lumière ambiante et les ombres des visiteurs.

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    © Bertrand Lavier, On reflexion, 1984, FRAC, Paris

    Quand des œuvres sont accrochées très haut, comme dans les salons de peinture du XVIIIe siècle, on les aperçoit plus qu’on ne les voit. Dans la grande salle suivante un grand rectangle lumineux m’intrigue. Simple projection sur un mur vierge ? Non, le Ciel de Ann Veronica Janssens va s’animer d’ombres et de nuages, doucement.

    La salle 3 accueille aussi des mots, près d’une photographie de Sophie Calle, Prenez soin de vous : ces derniers mots d’un « mail de rupture », elle a demandé à 107 femmes de les interpréter à leur manière – ici une traduction en langage sms par Alice Lenay. Exercice de déchiffrage. Observation des reflets – un leitmotiv dans le choix de Buren.

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    ©
    Sophie Calle, Prenez soin de vous, 2007

    Non loin d’un grand Simon Hantaï bicolore, je suis heureuse de tourner autour du Torse de jeune homme de Brancusi – une colonne, des cylindres, en effet. L’igloo de verre qui occupe la salle d’angle lui vole un peu la vedette : Spostamenti della Terra e della Luna su un asse (Mouvements de la Terre et la Lune sur un axe) de Mario Merz, représentant de l’Arte Povera. Plus loin, un bois de Penone, Nel Legno. Minuscule par rapport au reste, Salaire solaire de Franck Scurti.

    Un mélange d’artistes plus ou moins connus, figuratifs ou non, de tous horizons. Monet, Cézanne, Chagall semblent un peu perdus dans cette fresque, comme venus d’une autre planète. Le moins qu’on puisse dire est que cette sélection est d’un bel éclectisme. La reprise des empreintes de salle en salle offre un fil conducteur, à défaut d’ordre chronologique ou thématique, sans aucune hiérarchie. Artistes rencontrés, influences, œuvres « questionnantes », il s’agit néanmoins d’un « itinéraire personnel ».

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    © Mario Merz, Spostamenti della Terra e della Luna su un asse, 2002 

    « Placer, déplacer, replacer », voilà ce que fait Buren comme il le dit dans le film projeté devant l’entrée de l’exposition (pas besoin de billet pour s’installer devant l’écran, le film dure en tout trois heures et demie). C’est une sorte de rétrospective audio-visuelle montrant ses « interventions des années 60 à aujourd’hui, dont 80% ont disparu ».

    J’y suis restée un quart d’heure pour l’écouter à propos des Deux plateaux du Palais-Royal à Paris : la manière dont il a étudié, mesuré, occupé la cour pour y créer une œuvre « monumentale sans effet de monumentalisme » et « marier l’historique et le contemporain » est très intéressante, loin du « n’importe quoi » que lui reprochaient certains à l’époque.

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    Plutôt sceptique au départ, je reconnais que cette exposition aide à mieux percevoir l’originalité de ce travail artistique : ni peintre ni sculpteur, Daniel Buren, en couvrant des surfaces, est avant tout un créateur d’espaces.

  • Des noms d'animaux

    ovaldé,véronique,des vies d'oiseaux,roman,littérature française,culture« Vida l’appelait généralement sa mésange, sa gazelle, sa girafe des steppes, son otarie bleue, son boa constrictor, sa baleine, sa springbok, son ragondin de la brousse, sa crevette rose, son caribou et son abeille. C’était peut-être une manie irigoyenne, quelque chose qui ne se fait que dans ces contrées : tant que l’enfant n’a pas atteint la puberté il est encore un animal et puis la fille a ses règles, le garçon commence à voir pousser du poil dru et noir au-dessus de ses lèvres tandis que la voix s’éraille, et le spécimen mâle ou femelle se transforme en un pur produit irigoyen. Vida n’osait pas raconter à Paloma les légendes qui couraient sur cette partie du monde mais Paloma savait bien qu’on appelait (ou avait appelé) ses habitants les hommes chiens. Ces histoires de coyotes croisés avec des humains empêchaient sans doute Gustavo de prendre avec la décontraction nécessaire la liste des noms d’animaux dont Vida affublait leur fille. »

    Véronique Ovaldé, Des vies d’oiseaux

     

     

  • Vies d'oiseaux

    Ils portent des noms d’ailleurs, les personnages de Véronique Ovaldé dans Des vies d’oiseaux (2011) : Taïbo, Vida, Paloma… Le lieutenant de police Taïbo reçoit en octobre 1997 un appel de Monsieur Izarra : il se plaint d’avoir été cambriolé, même si rien n’a été volé, et exige qu’on vienne constater l’intrusion. Le lieutenant se rend très tôt, le lendemain matin, dans la somptueuse villa face à la mer, sur la colline de Villanueva ; Mme Izarra l’accueille, cheveux blonds, « visage lisse et très pâle ». Son mari est déjà parti.

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    © Walasse Ting (source)

    Elle offre un café au policier et décrit la situation : quelqu’un a dormi dans leur lit, on a porté leurs vêtements, dévoré le contenu du congélateur, utilisé le sauna… Les six chambres ont été visitées, seule une chambre bleu ciel d’adolescente a été relativement épargnée. L’alarme n’a pas fonctionné, la société de maintenance n’était pas venue la remettre en état à temps.

    Des vies d’oiseaux est un roman construit en brèves séquences, chacune porte un titre. « La roseraie de Vida » change de point de vue : Vida (Mme Izarra) s’est assise à la cuisine dont elle aime la « très belle vue sur la baie », luxueuse pour une native du village d’Irigoy. Dans la maison « tout en pierre, en bois et en verre », les fenêtres ont des angles mais ne s’ouvrent pas (inutile avec la climatisation, a estimé Gustavo, son mari), des fissures se forment déjà.

    Aussi Vida sort-elle dans le jardin « écouter la rumeur lointaine et fastueuse du monde, fastueuse parce que lointaine, si peu dérangeante, une rumeur qui vous dit juste que le monde existe mais qu’il ne peut en rien contrarier la perfection de ce petit matin ». A la roseraie, Adolfo le jardinier a parfaitement suivi ses instructions – il parle avec l’accent d’Irigoy. Vida pense à la façon dont Gustavo réagit quand elle prend la parole devant des invités – « Et qui t’a dit ça ? » – et au départ de Paloma qui a fini par ne plus supporter ce mépris.

    D’autres gens signalent à la police des intrusions en leur absence, puis un bijoutier chez qui tout a été déplacé, les vitrines brisées, sans qu’il soit encore possible de dire si quelque chose a été volé, Taïbo est intrigué par la remarque du commis lorsqu’ils regardent les images prises par la caméra de surveillance : juste avant d’être obstruée par de la chantilly, elle montre deux silhouettes, dont une fille aux cheveux longs qui a « la silhouette de Paloma Izarra ». Or Mme Izarra a déclaré ne pas avoir d’enfants.

    Taïbo vit seul dans un mobil-home, parfois il téléphone à Teresa, son ex-femme, et ils se parlent « prudemment ». Elle lui manque, même s’il y a déjà dix ans qu’elle est partie. Mme Izarra l’intrigue. Il ne connaît pas encore son prénom, Vida, et ne se doute pas qu’elle se couche le soir « infiniment triste » avec l’impression d’être « vivante dans une tombe ».

    Il y aura donc une enquête. Mme Izarra reconnaîtra qu’ils ont une fille, à présent majeure, qui a décidé « de ne plus voir son père pour le moment ». Elle n’a plus vu Paloma depuis un an. Vida invitera Taïbo à l’appeler par son prénom, ce qui ne lui paraît pas possible. Peu à peu, le lecteur entre dans la vie de ces personnages : l’épouse qui n’en peut plus de sa cage dorée, les jeunes qui s’amusent à vivre chez les autres quand ils sont absents, l’enquêteur solitaire, les souvenirs et les rêves des uns et des autres.

    Véronique Ovaldé, dont je découvre l’écriture avec Des vies d’oiseaux, crée par petites touches un univers, un milieu, une intrigue avec beaucoup de sensibilité et sans grands effets, en choisissant des détails significatifs : un décor, qu’on situe vaguement en Amérique latine, un vêtement, une façon de parler. Une ambiance à la Supervielle, une mélancolie qu’évoquent certains titres de séquences : « Mais qui saura d’où je viens ? », « Les recoins secrets du cœur », « La beauté révolue de nos mères » ou encore « Un endroit où aller ».

    Que se passe-t-il au juste entre ces personnages, dans cette famille ? entre Villanueva et Irigoy, d’un point de vue social opposés ? Faut-il toujours partir pour se sentir libre ?

  • Pourquoi ?

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    « Therese n’était pas assez certaine pour répondre. Que voulait dire aimer quelqu’un ? Pourquoi l’amour prenait-il fin ou pas ? Là étaient les vraies questions ; et qui pouvait y répondre ? »

    Patricia Highsmith, Carol