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Passions - Page 241

  • Oiseaux sauvages

    JCO Edward-hopper-nighthawks.jpg« J’ai parlé de Ray ailleurs – longuement, dans J’ai réussi à rester en vie. (…) Je regrette, mais je suis incapable d’écrire sur Ray ici, j’ai essayé… mais c’est tout simplement trop douloureux, et trop difficile.

    Les mots sont comme des oiseaux sauvages – ils viennent quand ils veulent, non quand on les appelle. »

    Joyce Carol Oates, Paysage perdu

    Edward Hopper, Nighthawks (détail), plusieurs fois cité par JCO.
    "Car personne n'est aussi heureux, ni aussi affamé,
    qu'un insomniaque qui a survécu à la nuit."

  • Paysage perdu, JCO

    Joyce Carol Oates a sous-titré Paysage perdu (2015, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban, 2017) « De l’enfant à l’écrivain ». Ce récit autobiographique montre la façon dont sa vie « (d’écrivain, mais pas uniquement) a été modelée dans la petite enfance, l’adolescence et un peu au-delà ». Ce « paysage des premiers temps » est aussi un véritable paysage rural, dans l’ouest de l’Etat de New York, au nord de Buffalo.

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    « Au commencement, nous sommes des enfants imaginant des fantômes qui nous effraient. Peu à peu, au cours de nos longues vies, nous devenons nous-mêmes ces fantômes, hantant les paysages perdus de notre enfance. » Ce récit en séquences est nourri d’articles reproduits ou remaniés. La fille de Carolina Bush et de Frederic Oates y fait leur portrait et surtout y relate concrètement ses liens très forts avec ses parents, jusqu’à leur mort.

    Son père travaillait dans une usine parce que la petite ferme dans laquelle ils vivaient ne suffisait pas à les nourrir. Toute petite, Joyce Carol y avait un animal préféré, « Heureux le poulet », qui la suivait partout et qu’elle caressait. Plus tard, ce seront surtout des chats. Vingt ans après sa mère, elle va dans la classe unique à l’école du district ; elle aime apprendre. Son père, toujours très actif, apprend à piloter un Piper Cub, peint des lettres pour des enseignes durant son temps libre.

    JCO, enfant solitaire et secrète, a un premier coup de cœur littéraire pour Alice, cadeau de sa grand-mère juive, Blanche Morgenstern, qui lui offrira aussi sa première machine à écrire. La romancière sait que la mémoire est trompeuse et qu’écrire sur le passé est un exercice périlleux. « C’est la transcription des émotions, non celle des faits, qui intéressent l’écrivain. » « L’écrivain est un déchiffreur d’indices – si l’on entend par « indices » un récit souterrain et discontinu. »

    Promenade du dimanche, harcèlement des garçons qu’elle fuit en courant très vite, rapprochement avec la fille d’une voisine battue par son mari, fréquentation d’une église méthodiste, puis protestante (sans jamais croire en l’existence de Dieu), les relations de Joyce Carol avec les autres sont timides et souvent décevantes. Elle perd son amie Cynthia, d’un milieu aisé, pour qui elle a fait tant d’efforts, chez qui elle était reçue, et qui finira par se suicider.

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    Carolina Oates et Joyce, dans le jardin de la maison de Millersport, mai 1941 © (Fred Oates) in Paysage perdu

    « La solitude fait de nous tellement plus que ce que nous sommes au milieu de gens qui prétendent nous connaître. » Quand après son frère Robin naît une petite sœur, le jour même de ses dix-huit ans, l’honneur que lui font ses parents en la laissant choisir son prénom – contente du sien, elle l’appellera Lynn Ann – elle vivra une autre perte : celle qui lui ressemble comme une sœur jumelle est autiste et n’aura jamais de contact avec elle.

    Les études, la lecture, l’écriture, voilà l’autre noyau de sa vie. Les bibliothèques font son bonheur, les revues littéraires. Sa première nouvelle est publiée dans « Mademoiselle » à dix-neuf ans. En 1960, JCO sort « major » de sa promotion. « Cela a été le mantra de ma vie. Je n’ai pas d’autre choix que de continuer. » Le troisième cycle la déçoit, une approche de la littérature plus érudite, centrée sur les « notes de bas de page », mais elle y rencontre son mari, Raymond Smith ; tous deux enseigneront.

    Lynn Ann détruit tout. Ses parents protègent sa petite sœur avec un amour total. Muette et coupée du monde, elle sera placée à quinze ans dans une institution pour handicapés mentaux. Devant cette « vie sans langage » qui met sa sœur en opposition avec elle, la romancière écrit : « Pas ce que nous méritons, mais ce qui nous est donné. Pas ce que nous sommes, mais ce qu’il nous est donné d’être. »

    En revenant sur ses années universitaires, Joyce Carol Oates se souvient de son épuisement à cette époque : insomnies, lectures accumulées, tachycardie. Elle s’y est fait une amie qui lui fera ressentir « le frôlement des ailes de la folie ». Quand elle échoue à l’oral d’admission au doctorat, son mari l’encourage : « tu vas pouvoir écrire ». Bien des années plus tard, elle sera reçue docteur honoris causa à Madison ; à 61 ans, on y donnera un grand dîner en son honneur : « Je pense que nous sommes tous des chats à neuf vies, ou même davantage. Nous devons nous réjouir de notre félinité insaisissable. »

    Auprès de Ray, JCO connaît une nouvelle atmosphère de bien-être, intimité, contemplation. Paysage perdu raconte leurs déménagements successifs, en fonction de leurs charges de professeurs, et ses succès littéraires, avant de revenir sur les figures aimées de ses parents. Le recueil se termine avec « Les courtepointes de ma mère », un très bel hommage à sa mère qui lui a cousu tant de belles choses.

  • Un air frais

    de renoir à picasso,regard sur une donation,boncompain et les grands maîtres,expo,montélimar,2018,peinture,céramiques,tapisseries,mac,château des adhémar,culture,estampes japonaises,utagawa kunisada« Il y a dans les estampes japonaises un art des cadrages, de la distribution de la tache dans l’espace de la feuille, une absence de perspective, une vision frontale qui est le propre de l’art moderne, une synthèse colorée, décorative, qui lie figures et paysages, un sens de l’arabesque, qui apportèrent un air frais et nouveau dans la peinture, dont l’influence s’étend des impressionnistes jusqu’à Rodin, Matisse, Klimt ou même Viallat, et qui rejoignent en partie l’objet de mes préoccupations. »

    Pierre Boncompain

    Catalogue De Renoir à Picasso, Regard sur une donation, MAC Saint-Martin, Château des Adhémar, Montélimar, 2018.

    Utagawa Kunisada, Sawamura Tosshô I (gauche) et Iwai Tojaku I (droite)
    dans la pièce "Sono mukashi koi no edozome" 
    au théâtre Kawarazaki (1839),
    Xylographie en couleurs - diptyque.

  • De Renoir à Picasso

    De Renoir à Picasso : l’importante donation de Pierre Boncompain à la ville de Montélimar est à l’origine de cette exposition à voir jusqu’à la fin de l’année au Musée d’art contemporain et au Château des Adhémar. Des réalisations de l’artiste (voir le billet précédent) et des œuvres sur papier de grands maîtres des XIXe et XXe siècles. L’exposition s’ouvre sur celles-ci, de Bonnard, Braque, Cézanne, Chagall, Dufy, Manet, Picasso, Renoir, Rouault, entre autres, sans oublier les estampes de Utagawa Kunisada illustrant des scènes de théâtre Kabuki.

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    Pierre Boncompain raconte qu’un tableau était tombé du mur dans son berceau, quand il était bébé, en lui laissant la vie, heureusement. Jolie anecdote de collectionneur qui dit avoir toujours eu « la passion de l’art ». L’affiche « France-Champagne » de Bonnard « qui donna à Lautrec l’envie de pratiquer la lithographie » et surtout une planche rare de L’enfant à la lampe furent ses premiers achats, à une amie de sa mère. « J’avais le culte de Bonnard, je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité. »

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    Bonnard, L'enfant à la lampe, lithographie

    Avant la salle consacrée à Bonnard, des eaux-fortes signées Chagall, Couple dans un nuage ; Goya, avec des scènes de cirque dont une écuyère sur un cheval blanc funambule (Disparate puntual). On retrouvera cet univers du cirque plus loin, dans des gravures de Rouault. Parmi des lithographies de Renoir, j’ai beaucoup aimé le mouvement des Enfants jouant à la balle.

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    Renoir, Les enfants jouant à la balle, 1900, lithographie

    Toutes ces gravures sont sous verre, impossible de bien les photographier.Et puis voici Vollard par Bonnard, « caressant son chat ». Deux lithographies en couleurs de Bonnard (« mise sur pierre par Jacques Villon ») précèdent des études de nu, d’enfants, des fusains. Dans le couloir, un très beau dessin de Corot.

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    Corot, Jeune fille au béret (détail)

    Les eaux-fortes de Picasso sont remarquables, datées de 1933 à 1970, sur le thème de l’artiste et du modèle, parfois violemment érotiques et machistes comme dans Femme au lit avec visiteurs en costumes du XVIIe siècle où la femme allongée voit sa tête réduite en tout petit dans le coin supérieur de la feuille. Deux portraits de Vollard, des portraits imaginaires sur fond cartonné, des affiches : Picasso est bien représenté.

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    Picasso, Vieux sculpteur grec avec modèle, vase aux trois anémones et autoportrait sculpté
    (suite Vollard, 65)
    , 1933, eau-forte sur cuivre

    Braque est moins présent, mais j’ai admiré son art synthétique dans Nature morte aux poissons (eau-forte en couleurs).

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    Braque, Nature morte aux poissons (vers 1956), eau-forte en couleurs

    Une salle rassemble une série d’encres de Chine, des études de figures par Raoul Dufy pour La fée électricité : Aristote, Apollon, Hermès, Héra ou, en costumes, Arago ou Goethe. D’autres artistes sont présents dans la donation de Boncompain et j’ai été heureuse d’y découvrir trois sépias du Canal de la Giudecca par Zoran Music, ce peintre mis en avant par Claudie Gallay dans Seule Venise, dont je n’avais encore rien vu de mes propres yeux. Quelques lignes pour les éléments du rivage, les bateaux, tout autour l’espace libre du papier pour rendre le ciel et l’eau. Sans doute la part la plus paisible de son œuvre.

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    Zoran Music, Canal de la Giudecca (1980), sépia

    Si vous pouvez vous rendre à cette exposition « De Renoir à Picasso, Boncompain et les grands maîtres », prenez le temps de vous arrêter dans la salle des estampes de Utagawa Kunisada, qui vont souvent par trois, elles sont très belles. Le musée d’Art contemporain le matin, le Château des Adhémar l’après-midi – une belle journée à Montélimar.

  • Rumeur

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    Eric Vuillard, Congo

    Photo de couverture : Sir Henry Morton Stanley ; Kalulu (Ndugu M'hali),
    National Portrait Gallery, Londres