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Littérature - Page 468

  • Tempête

    « C’est de ça que je vis. C’est de ça que je vis : il s’agit d’éprouver encore que
    le langage est ce qui nous fait, que nous ne sommes que langage, que nous sommes dans une tempête de langue et de mots. Comme lui, comme lui. »

    Olivier Py (à propos du Roi Lear) in L'objet de...

    Le Roi Lear (détail), anonyme, XVIIIe siècle.jpg
  • Objets d'écrivains

    « Il suffit d’avancer pour vivre / D’aller droit devant soi / Vers tout ce que l’on aime… » Ce sont des vers d’Eluard que j’ai lus un de ces matins dans les Carnets de poésie de Guess Who, avec mélancolie. Il suffit d’avancer : mots cruels quand on piétine, quand le mouvement s’arrête, quand la voix s'absente. Un matin d’ailes coupées.

     

     

    Et puis, de clic en clic, me voilà sur le site d’Actes Sud et l’esprit s’envole. Joyeuse trouvaille sur la page d’accueil de l’éditeur : dix petits films diffusés il y a quelques mois sur Paris Première et la TNT, où dix écrivains « de la maison » présentent un objet fétiche, dans leur bibliothèque. La série s’intitule L’objet de… Dix fois deux minutes.

     

    Je les regarde dans le désordre, je les écoute. Je reprends, je note. Je savoure. Alberto Manguel n’a pas hésité à parler de son chien, qu’il flatte de la main et du regard, au pied d’une échelle de bibliothèque, dans la chaude lumière d’une lampe. Lucie, une chienne de presque cinq ans, est entrée dans sa vie après bien des chiens de lecture, quand il s’est installé dans le Poitou. Elle aime beaucoup la poésie, assure Manguel. Il lui récite le poème que Neruda a écrit pour son chien. Elle comprend plusieurs langues, elle aime bien le latin. Une chienne philologue.

     

    Les autres ont choisi de vrais objets. Je ne les dévoilerai pas tous, je vous laisse le plaisir de la surprise. Et des contrastes. L’un, pour qui l’écriture doit passer par la main, brandit un stylo dont il aime le sang d’encre : « Une lettre n’est une lettre qu’à partir du moment où elle est écrite avec la main » L’autre, devant de grandes cases de bibliothèque étiquetées, raconte sa conversion à l’ordinateur portable.

     

    Devinez, devant les dix noms d’écrivains, qui fantasme sur une petite chaise en bois et en paille, miniature de ces chaises que les Napolitains sortent dans la rue pour assister dehors au spectacle de la vie. Qui a ramené d’une quincaillerie un jeu de clés anglaises dont la plus petite, baptisée « grande gueule », ne quitte plus sa poche. Qui, devant une bibliothèque où les tableaux tiennent compagnie aux livres, rêve encore et toujours du Roi Lear.

     

    Anne-Marie Garat, près d’un bouquet de roses, curieusement pas très à l’aise devant la caméra, montre l’intérieur d’une chambre noire « avec des replis de cuir et un œil de verre au fond qui est assez organique, assez érotique même ». Derrière elle, de longues horizontales, des rayonnages réguliers. Il n’y a jamais, on s’en rend bien compte ici, deux bibliothèques qui soient semblables.

     

    Le chat en bois de Claude Pujade-Renaud, cadeau d’une amie, évoque des disparus : deux chats de compagnie et un compagnon d’écriture, Daniel Zimmermann. « Pour moi l’animal, outre sa présence, représente un langage différent ». Ce chat creux, dont elle montre l’intérieur, lui inspire une belle réflexion sur l’écriture et le vide.

     

    Quant à Nancy Huston et à son ange, c’est pour moi – et j’en connais une autre qui
    va adorer – le bijou de cette collection. Il faut écouter la texture de cette voix, suivre
    le langage de ces mains, de ce visage frémissant. Une femme de passion évoque son amitié avec la Québécoise Suzanne Jacob, qui lui a offert cet objet très beau et très ancien. Quand elles se sont rencontrées pour la première fois, « je me suis vue, dit Nancy Huston, c’est-à-dire j’ai cru que Suzanne était moi, et je me suis demandé pourquoi je me pressais pour arriver, alors que j’étais déjà là. » Ce sera une relation mouvementée, comme pour l’eau et la pierre dans la rivière Harricana, comme pour l’écrivain dans la tension créatrice. « Les choses trouvent leur forme. Il faut être patient. »

  • Le goût des autres

    « Sonia avait le goût des autres. Avec quels invités de ce dîner aurait-elle pu partager des émotions devant un paysage ? Quelques-uns, certainement, bien qu’un seul eût déjà été de trop aux yeux d’Othman. Ce n’est pas tant sa culture que sa curiosité, sans laquelle tout savoir est vain, qui lui accordait un avantage. La cause était entendue : il faut se dépêcher d’aimer les gens tant qu’ils
    respirent encore. Elle demeurait optimiste sur l’avenir du genre humain. »

    Pierre Assouline, Les invités

    Huile et vinaigre.jpg
  • Un autre Assouline

    Si je me suis un peu ennuyée dans Le Portrait de Pierre Assouline, je me suis divertie avec Les Invités (2009), son dernier roman. Une « comédie française » mise en scène par Madame du Vivier à la frontière du faubourg Saint-Germain – « Il est vrai que ses dîners étaient parmi les plus courus de Paris. » Pour cette soirée en l’honneur d’un important client de son mari, Madamedu, comme l’appelle ironiquement Sonia, la bonne, quand elle n’est pas dans les parages, il convient de
    bien placer les invités « de cette petite société choisie, caste qui se donne et que l’on donne pour une élite ». C’est l’occasion pour Assouline de décrire les codes du savoir-vivre à la française, d’indiquer les soixante-dix centimètres requis pour l'espace vital de chaque convive, et de signaler au passage les fautes de goût.

    Richir (détail).jpg

    Mais l’art d’une hôtesse tient surtout dans la gestion de l’imprévu, comme l’arrivée avec Stanislas Sévillano, ponctuel, d’Hubert d’A. qui n’a pas été invité. Son-Excellence-Alexandre, sous-directeur au Quai d’Orsay et sa femme « totalement désinhibée », Marie-Do, lui succèdent, puis les Costières qui sont dans la finance, « des dévoreurs » ; maître Adrien Le Châtelard et son épouse Christina, une beauté « préraphaélite », la seule qui ne porte pas de noir ; George Banon, l’invité d’honneur, un grand industriel de Toronto ; Joséphine, directrice de programmes télévisés ; enfin l’écrivain de service, Dandieu, accompagné de son épouse biologiste.

    Par les yeux de l’une, nous découvrons les diverses catégories de souliers – « de tous les détails, il était celui qui posait une personne à ses yeux ». Un autre examine les charmes des dames, plus ou moins naturels. Sophie du Vivier récolte les téléphones portables avant de passer à table. Hubert d’A. comprend à ce moment qu’il s’est trompé d’étage, on l’attend au deuxième. Et voici que Christina refuse de s’asseoir, en comptant les couverts. Madamedu est effarée de ne pas l’avoir prévu : ils seront treize à table, et une invitée menace carrément de s’en aller. George Banon, sensible au physique et aux manières irréprochables de Sonia, ose alors résoudre le problème en conviant la bonne à leur table. Le tablier ôté, le maquillage vérifié, la voilà dans le camp des invités, la quatorzième. Son compagnon dans la vie, Othman le cuisinier, servira à sa place.

    La tension disparaît, Sonia se tient parfaitement à table et fait la fierté de Madamedu. A celle-ci maintenant le discret souci de la cuisine et de la conversation, que les dîners rituels du dimanche chez ses parents lui ont appris – « Ecoute et tu apprendras », disait son père. Des études à Sciences-Po se sont ajoutées à cette éducation par imprégnation. « Ni affaires ni politique, c’était une règle. » Mais « une voix intérieure, celle de sa mère, lui rappela qu’un dîner de petites conversations privées est une soirée vaine et vide. »

    Alors que Banon entretient Sonia de ses voyages entre ses différentes propriétés, la conversation devient générale à propos de la révolution numérique. Puis de la langue française. Et bientôt du noir « qui endeuille les soirées ». Lorsque Sonia s’étonne qu’on lui prête des propos sur cette couleur qui peut être indécente, « Evidemment, pas vous. », lui balance Marie-Do, « On parle de notre Sonia, la reine du tricot. » Eclats de rire, humiliation. Et comme Marie-Do ne lâche jamais sa proie, voilà Sonia sommée de livrer ses origines, son prénom véritable : « Oumelkheir ». Gêne générale, que Georges Banon allège en traduisant : « la mère de la bonté ». La conversation repart sur le marché de l’art, les Costières sont de grands spéculateurs. Ce sera l’occasion pour Sonia de prendre une revanche.

    Assouline rend bien le rythme de cette soirée minutieusement préparée mais qui peut prendre, à chaque instant, une tournure inattendue. Beaucoup de lieux communs, d’allusions, de mots qui se veulent spirituels, bien sûr. La présence de Sonia à table et d’Othman en coulisses leur donne un éclairage particulier « Face à des gens ordinaires, Sonia se demanderait toujours si ce n’est pas le regard posé sur eux qui l’est. » On parle et on écoute, on boit et on mange, on aime et on déteste, « sans se soucier des contraintes de l’heure ». A la compétition d’ego (Assouline n’hésite d’ailleurs pas à y faire parler de lui, faute de goût littéraire) se mêlent préjugés sociaux et culturels. Chez les du Vivier, Sonia ne sera pas la seule à être démasquée ce soir-là.

  • Trop de choses

    « Le guide n’était pas un homme très loquace. Il s’efforçait, en toutes circonstances, d’être franc et exact, mais trop de choses, surtout dès qu’il s’agissait d’êtres humains et encore plus quand il était question d’hommes
    et de femmes, étaient d’une telle complexité qu’on ne pouvait en parler avec franchise ou exactitude. »

    Russell Banks, La Réserve

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