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Littérature - Page 267

  • Vertu du roman

    binet,laurent,la septième fonction du langage,roman,policier,littérature française,parodie,uchronie,enquête policière,barthes,linguistique,sémiologie,langage,culture« Cette histoire possède un point aveugle qui est aussi un point de départ : le déjeuner de Barthes avec Mitterand. C’est la grande scène qui n’aura pas lieu. Mais elle a eu lieu pourtant… Jacques Bayard et Simon Herzog ne sauront jamais, n’ont jamais su ce qui s’était passé ce jour-là, ce qui s’était dit. A peine pourront-ils accéder à la liste des invités. Mais moi, je peux, peut-être… Après tout, tout est affaire de méthode, et je sais comment procéder : interroger les témoins, recouper, écarter les témoignages fragiles, confronter les souvenirs tendancieux avec la réalité de l’Histoire. Et puis, au besoin… Vous savez bien. Il y a quelque chose à faire avec ce jour-là. Le 25 février 1980 n’a pas encore tout dit. Vertu du roman : il n’est jamais trop tard. »

    Laurent Binet, La septième fonction du langage

  • La septième fonction

    Une critique m’avait emballée, un extrait déroutée, finalement un coup de fil enthousiaste m’a persuadée de lire La septième fonction du langage de Laurent Binet. Ce que j’ai ri ! « Qui a tué Roland Barthes ? » peut-on lire sur la couverture. Dans ce polar sémiologique et irrévérencieux, l’auteur a eu le culot de prendre pour personnages des gens célèbres du monde littéraire (des vivants et des morts, un droit que s’est octroyé l’auteur de HHhH – le grand Hic).

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    Le schéma de la communication selon Jakobson (Source : http://www.responsable-communication.net/)

    Pour qui a suivi des cours de linguistique ou de sémiologie, dans les années 1970-1980, ère du structuralisme, et pour tous les autres j’espère, quitte à manquer certaines allusions, c’est un régal de drôlerie. Laurent Binet, agrégé de lettres, est reconnaissant à Roland Barthes de lui avoir fait comprendre « qu’on pouvait tirer d’un texte plus que ce qu’il semblait dire » et que « le commentaire pouvait être une aventure ». Tout commence donc par la mort de Barthes, quelques jours après avoir été renversé par une camionnette à Paris en février 1980.

    En bon pédagogue, Binet prend soin de tout expliquer : « la sémiologie est un truc très étrange. C’est Ferdinand de Saussure, le fondateur de la linguistique, qui, le premier, en a eu l’intuition. » Sans rien de pédant, sur un ton qui ne devait pas déplaire à « Umberto Eco, le sage de Bologne, l’un des derniers sémiologues encore vivants » (décédé depuis).

    Barthes se rendait au Collège de France et sortait d’un déjeuner avec François Mitterand. Laurent Binet y voit une matière très romanesque, d’où cette enquête imaginaire. Le commissaire Jacques Bayard, qui se rend au cours de Michel Foucault pour l’interroger, comprend vite qu’il aura besoin d’un assistant éclairé pour avancer dans l’interprétation des signes.

    Ce sera Simon Herzog, jeune prof chargé d’un cours de « sémiologie de l’image ». Sa leçon sur « les chiffres et les lettres dans James Bond » et la façon dont il devine rien qu’en l’observant à qui il a affaire lors de leur première entrevue convainquent Bayard de l’embaucher. En plus de lui traduire en clair les formules absconses, il l’aidera à se repérer dans ce milieu intellectuel.

    Dès le début, une DS noire et une Fuego bleue sont signalées dans les parages de l’action, sans que le commissaire les voie. Bayard et Herzog cherchent des témoignages au Flore, puis aux Bains Diderot, un sauna à la gare de Lyon, où ils retrouvent Foucault qui pontifie même dans les « backrooms » en compagnie d’Hamed, un jeune homme également familier de Barthes.

    C’est à la Pitié-Salpêtrière où celui-ci n’est pas encore mort que surgissent « une femme, petite taille, cheveux courts, énergique, encadrée par deux hommes, l’un, chemise blanche, dépoitraillé, long manteau noir, cheveux noirs au vent, l’autre, tête d’oiseau, fume-cigarette aux lèvres, cheveux beiges » : Kristeva, BHL, Sollers, dénonçant « les conditions indignes dans lesquelles on traite un patient aussi prestigieux que leur grand ami Roland Barthes ».

    Mais une infirmière affolée appelle un médecin : elle vient de retrouver « le grand critique » par terre, désintubé, fils arrachés. Bayard se précipite dans la chambre et entend Barthes lui souffler « Sophia ! Elle sait… » avant de perdre conscience. Une fois réinstallé dans son lit, revenu à lui, Barthes, très agité, se met à discourir de façon délirante et crie avant de mourir : « Tout est dans le texte ! Vous comprenez ? Retrouver le texte ! La fonction ! Ah c’est trop bête ! »

    S’ensuit une visite à Gilles Deleuze mis en cause par BHL, dans son appartement « qui sent la philosophie et le tabac froid ». Simon Herzog est ravi d’avoir l’occasion d’entrer chez le grand philosophe, qui suit un match de tennis, Connors-Nastase. Chercher la vérité ? « Houla ! La vérité… Où c’est qu’elle commence, où c’est qu’elle finit… On est toujours au milieu de quelque chose, vous savez. »

    L’entrevue suivante l’impressionnne encore plus. Le président Giscard a demandé à rencontrer les enquêteurs : « Commissaire, le jour de son accident, M. Barthes était en possession d’un document qui lui a été dérobé. Je souhaite que vous retrouviez ce document. Il s’agit d’une affaire de sécurité nationale. » On leur donne carte blanche pour agir « en toute discrétion ».

    On suivra donc les enquêteurs de Paris à Bologne, d’Ithaca à Venise et à Naples pour découvrir le fin mot de toute cette histoire, en quelque cinq cents pages où l’on ne s’ennuie pas une seconde. On y parle crûment du sexe (clichés contemporains), que cela ne vous empêche pas de lire ce roman insolent qui m’a fait parfois éclater de rire, en découvrant les situations dans lesquelles Binet place ses personnages ou encore les calembours dans les titres de conférences d’un colloque universitaire.

    La mystérieuse septième fonction du langage – le schéma de la communication de Roman Jakobson n’en compte que six – sert-elle le pouvoir politique ? Assure-t-elle la victoire au « Logos Club » dont les joutes oratoires ne semblent pas étrangères à toute cette affaire ? Laurent Binet revisite le début des années 80, leurs théories et aussi l’histoire, avec un humour corrosif. Que ce roman burlesque, prix Fnac et prix Interallié, se retrouve dans les meilleures ventes a de quoi réjouir.

     

    * * *

    Un billet programmé avant le 22.03.16,
    je n'y ai rien changé.

    Tania

  • Révélateur

    Stevenson Caillebotte.jpg« Le parapluie, comme le visage, est en quelque sorte révélateur de celui qui le porte ; il est même beaucoup plus susceptible de trahir sa confiance. Car, tandis qu’un visage nous est, à ce jour, donné tout fait et que notre seule façon d’agir sur lui est de froncer les sourcils, de grimacer et de rire pendant les quatre premières décennies de notre vie, le parapluie est choisi parmi des centaines d’autres dans une boutique spécialisée, comme convenant le mieux au caractère de l’acquéreur. Le Philosophe du Parapluie possède là un pouvoir de diagnostic indéniable. »

    Robert Louis Stevenson, La philosophie du parapluie (L’Esprit d’aventure)

    Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, 1877 (Art Institute of Chicago)

  • L'esprit d'aventure

    L’Esprit d’aventure (traduit de l’anglais par Isabelle Py Balibar) rassemble des articles de Robert Louis Stevenson (1850-1894) publiés dans diverses revues, de 1870 jusque peu avant sa mort, à 44 ans. Henry James : « […] le lire voulait dire pour beaucoup de gens la même chose que le « rencontrer ». Comme s’il y parlait lui-même, directement, comme s’il se dressait à la surface de sa prose avec son allure et sa voix, sa vie et ses habitudes, ses affaires et ses secrets les plus intimes. »

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    Portrait de Stevenson par John Singer Sargent (1887)

    Michel Le Bris explique dans la préface qu’après avoir réuni les Essais sur l’art de la fiction de Stevenson, il rêvait de le compléter par ces essais sur « l’esprit d’aventure », qui donnent à lire un véritable « art de vivre ». Chaque article est présenté par ses soins : non seulement les références de sa parution, revue et date, mais aussi les circonstances dans lesquelles il a été écrit, combien il a été payé et le sort que l’auteur a réservé au texte par la suite.

    « Aes Triplex », en ouverture, affirme clairement un choix d’existence. L’observation des effets de la mort d’un proche sur son entourage, la brièveté de la vie – « le temps que flambe une allumette » – l’amènent à réfléchir sur la manière de conduire sa vie. A l’instar de Samuel Johnson déjà âgé, parti faire le tour des Highlands – « et son cœur cuirassé de triple airain  ne reculait pas devant ses vingt-sept tasses de thé quotidiennes » (d’où le titre, tiré d’Horace) – Stevenson prône « un comportement ouvert et légèrement irréfléchi » plutôt que de vivre « dans un salon à température constante ». « Etre trop sage, c’est se scléroser ». « Tout cœur qui a battu fort et joyeux a laissé après lui dans le monde un mouvement d’espoir, et apporté sa pierre à l’histoire de l’humanité ».

    « Virginibus puerisque » aborde la question de se marier ou pas : « Le mariage est terrifiant, mais une vieillesse glacée et solitaire ne l’est pas moins. » (Du mariage) S’émerveillant du fait que tant d’unions soient « relativement » réussies, il s’interroge sur la manière de bien choisir un conjoint, sur les secrets du bonheur domestique, et conclut que « le mariage est semblable à la vie en ceci qu’il est un champ de bataille et non un lit de roses. » Son mariage avec Fanny Osbourne ne le fera pas changer d’avis quand il reviendra sur cette question.

    Le dernier des quatre textes réunis sous ce titre, « De la vérité dans les relations avec autrui », élargit le débat : est-ce vrai qu’il soit facile de dire vrai et difficile de mentir ? « L’art de bien dire », pour Stevenson, repose sur la vérité : « La difficulté de la littérature n’est pas d’écrire, mais d’écrire ce que l’on pense ; n’est pas de toucher le lecteur, mais de le toucher exactement comme on l’entend. »

    Son ironie éclate quand il oppose dans « La vieillesse grincheuse et la jeunesse » les bonnes manières, un idéal de prudence et de respectabilité au « drapeau rouge de l’aventure », Jeanne d’Arc et Christophe Colomb à l’appui. Comment se comporter quand on est jeune ? comment préparer sa vieillesse ? L’auteur aime raisonner à rebours des proverbes et de leur prétendue sagesse. Ainsi son « Apologie des oisifs » fait l’éloge de l’école buissonnière, école de tolérance et de curiosité, contre « l’extrême affairement », « symptôme de vitalité déficiente, alors que la faculté d’oisiveté suppose des goûts éclectiques et un solide sens de l’identité personnelle. »

    Aux amateurs de randonnées pédestres, je recommande « Le sens de la marche » ; aux amateurs de pittoresque, « De l’agrément des lieux peu attrayants ». Les amis des chiens apprécieront son étude du caractère canin et l’hommage à son brave Coolin, son premier et regretté compagnon à quatre pattes : « être un gentleman aux manières nobles et aux sentiments élevés, insouciant, affable et gai, voilà l’ambition innée du chien. »

    Un dernier titre pour conclure, parce qu’il est drôle et reflète bien le ton de L’Esprit d’aventure où les idées foisonnent : « La philosophie du parapluie », écrit par Stevenson à vingt ans pour un journal universitaire. Comme l’écrit Michel Le Bris, ce texte « préfigure déjà les essais qui établiront plus tard sa notoriété, mélanges d’aphorismes, d’anecdotes et de réminiscences personnelles, jouant du paradoxe et de l’antithèse d’un air faussement dilettante, mais, en fait, très soigneusement écrits. »

  • A la limite

    A la limite de la lumière et de l'ombre
    Je remue un trésor plus fuyant que le sable
    Je cherche ma chanson parmi les bruits du monde
    Je cherche mon amour au milieu des miracles

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    Un poème commence où la voix s'est brisée
    Et je fais mon bonheur en dénouant tes mains
    Quand nous nous rencontrons au bord d'une journée
    Nouvelle, au bord de l'aube où le ciel nous rejoint

    Odilon-Jean Périer