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Cultiver la joie

Une main bienveillante a posé sous le sapin de Noël La puissance de la joie, de Frédéric Lenoir, un autre éloge de la joie de vivre. « Existe-t-il une expérience plus désirable que la joie ? » écrit-il en avant-propos. Certains lui reprochent d’en faire « commerce littéraire », il est vrai que Du bonheur, un voyage philosophique est déjà au format de poche et que l’auteur de best-sellers sur la spiritualité « séduit et agace » (Portraits critiques dans Le Figaro, et dans L'Express, 2013). 

lenoir,frédéric,la puissance de la joie,essai,littérature française,plaisir,bonheur,joie,réflexion,cheminement personnel,culturehttp://aufilafil.blogspot.be/2012/06/joie.html (Merci, Fifi.)

Le plaisir, le bonheur, la joie : des notions à distinguer. Plaisirs des sens et de l’esprit ne durent pas, d’où le concept du bonheur, « en quelque sorte un plaisir plus global et plus durable ». Lenoir convoque Epicure, Aristote, « les sages d’Orient et d’Occident » qui ont cherché à définir une sagesse basée sur l’autonomie, « c’est-à-dire la liberté intérieure qui ne fait plus dépendre notre bonheur ou notre malheur des circonstances extérieures. »

La joie, moins souvent évoquée par les penseurs, est un état différent, « source d’un immense contentement dans la vie ». Plus intense que le plaisir, due à un stimulus extérieur, la joie nous transporte, elle est communicative et pourtant « fugace » elle aussi. « La joie apporte une force qui augmente notre puissance d’exister. » (J’ai détesté son détournement publicitaire par une firme automobile allemande qui en a fait son fonds de commerce.)

Pour mieux comprendre l’expérience de la joie, Frédéric Lenoir interroge « les rares philosophes qui se sont penchés sur cette belle et entière émotion ». Montaigne en fait le critère d’une vie bonne – « Il faut étendre la joie et retrancher autant qu’on peut la tristesse », mais c’est Spinoza qui est par excellence le « philosophe de la joie ». L’essayiste rappelle le parcours du jeune et brillant Baruch Spinoza, banni de la communauté juive d’Amsterdam à 24 ans pour son analyse rationnelle trop critique du texte biblique – il quitte alors son milieu et « vit parmi des chrétiens libéraux » sans pour autant se convertir. Une vie de célibataire, simple, travailleuse (polisseur de verres d’optique) et la rédaction de quelques ouvrages déterminants dont L’Ethique, son chef-d’oeuvre. Il meurt à 45 ans.

Spinoza définit la joie comme le « passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». Lenoir ajoute que « chaque fois que nous grandissons, que nous progressons, que nous remportons une victoire, que nous nous accomplissons un peu plus selon notre nature propre, nous sommes dans la joie. » Nietzsche et Bergson, à leur tour, décrivent la joie qui aboutit à « un consentement total à la vie » et est liée à l’acte créateur.

« Laisser fleurir la joie », le chapitre 3 de La puissance de la joie, ouvre une dizaine de pistes intéressantes pour créer dans notre vie un climat favorable à l’émergence de la joie : de l’attention, la présence, la méditation… jusqu’à la jouissance du corps. « Devenir soi », « S’accorder au monde », les chapitres suivants développent un véritable cheminement personnel « vers une joie profonde et durable ».

Dans « La joie parfaite », Frédéric Lenoir revient sur sa jeunesse, période de « joies absolues et de grandes souffrances intérieures » : études de philosophie à Fribourg, voyage en Inde et appel à la vie monastique, et puis une crise qui l’a conduit vers la psychanalyse et d’autres thérapies, un « long travail de libération et de communion, de déliaison et de reliaison, de lâcher-prise et de consentement à la vie » toujours en cours. Il reviendra dans l’épilogue sur sa quête incessante d’une « sagesse de la joie ».

« La joie de vivre », le dernier chapitre, rappelle le titre de Zola (douzième tome des Rougon-Macquart) et observe la joie des enfants, de ceux qui mènent une vie simple, à l’opposé de nos sociétés occidentales où « nous avons bien souvent aussi perdu la joie de vivre, qui est celle de l’accueil spontané de la vie comme elle est, et non comme nous voudrions qu’elle soit. »

Frédéric Lenoir offre dans La puissance de la joie une réflexion où chacun, chacune, il me semble, peut trouver de quoi nourrir sa recherche personnelle et des balises pour cultiver la joie. L’essai de deux cents pages est très accessible, sans jargon ni poses prétentieuses. L’auteur, qui a dirigé la riche Encyclopédie des religions dont je vous avais parlé ici, partage expériences et convictions avec simplicité , pour nous faire cheminer à notre tour sur « une voie d’accomplissement fondée sur la puissance de la joie ».

Commentaires

  • Un billet que je me réjouis de parcourir en profondeur, il faut un peu de temps pour cela. La joie, un sujet qui ne laisse personne indifférent. C'est quand même cette vibration heureuse de tout l'être qui est la fine pointe de l'existence. Et qui donne du prix et du sens à nos vies.

    J'aime cet auteur, qui forcément ne peut plaire en tous temps et à tout le monde.

    Merci pour le coquelicot et le lien :-)
    Je reviens tout à l'heure...

  • Merci à toi, Fifi, pour la note rouge joie. J'ai mis beaucoup de liens pour qui veut approfondir la question, comme Marque-pages qui a ouvert l'année sur ce thème.

  • "Le plaisir, le bonheur, la joie : des notions à distinguer." Exact, ne pas confondre. Bon, on le voit pas mal sur les media, cet auteur, mais pourquoi ne pas s'intéresser à ce thème? On en a besoin. merci de ton billet!

  • Je suis méfiante devant cet auteur pour des raisons diverses, pas toutes rationnelles ! Les parutions sur la joie se multiplient ces derniers temps, il n'est pas mauvais de bien identifier les différences avec d'autres émotions.

  • Je souscris évidemment à la quête d'une joie profonde mais non au culte du bonheur affiché "politiquement correct" ni à son exploitation à des fins commerciales, tu l'as compris.

  • pourquoi reprocher à un auteur de "faire du commerce littéraire de la joie", il y a pire comme commerce - surtout lorsque je pense à tous ces polars scandinaces qui font "commerce de l'horreur", personnellement je vote pour le premier - ceci dit, certaines interviews de frédéric lenoir me laissent un peu sur ma faim, mais ce n'est qu'un ressenti personnel

  • Quel beau billet pour commencer la semaine... Ca fait du bien en cette période où l'actualité ne nous sert que des mauvaises nouvelles. Ton article me fait penser aussi aux livres de Colette Nys-Mazure (dont son "Célébration du quotidien").

    Bonne semaine Tania.

  • Je n'ai jamais lu l'auteur mais en France on se méfie toujours du succès surtout si c'est un philosophe qui écrit. Leurs textes doivent être ésotériques et être lus par un public confidentiel pour qu'ils soient pris au sérieux. Et c'est bien dommage!

  • Je n'ai jamais lu l'auteur mais en France on se méfie toujours du succès surtout si c'est un philosophe qui écrit. Leurs textes doivent être ésotériques et être lus par un public confidentiel pour qu'ils soient pris au sérieux. Et c'est bien dommage!

  • Comment ne pas citer, ce matin, Michel Tournier?:

    "L'amour vrai, c'est le plaisir que nous donne le plaisir de l'autre, la joie qui naît en moi au spectacle de sa joie, le bonheur que j'éprouve à le savoir heureux. Plaisir du plaisir, joie de la joie, bonheur du bonheur, c'est cela l'amour, rien de plus."

  • « Cultiver la joie" ? ! … La joie est l’enfant du bonheur. … Le bonheur, il faut l’entretenir avec constance, persévérance et patience parce qu’il est fragile. …

    Je connais cet état qui m’a fait surmonter beaucoup de "contre joie" dans mon existence de 86 années de combats incessants pour le retrouver ou le garder. … J’ai maîtrisé maintenant cette « qualité rare ». …

    Je viens de publier sur mon blog « Propos d’un octogénaire » des poèmes et récits qui expriment justement cet état que j’’ai rendu constant et solide malgré beaucoup d’infirmités. … On y trouvera aussi une série d’études sur le bonheur qui "s’apprend". ...

  • @ Niki : Bonne remarque, Niki. "La puissance de la joie" n'est pas un essai fulgurant, mais j'ai aimé revenir en ce début d'année sur des choses essentielles, comme avec les trois amis en quête de sagesse invités par François Busnel la semaine dernière à La Grande Librairie.

    @ Un petit Belge : Merci de relier ce billet à Colette Nys-Mazure. Tu parlais de "Martine" il y a peu sur ton journal : ne faisait-on pas le même reproche à Marcel Marlier, au fond ?

    @ Claudialucia : Frédéric Lenoir évoque son parcours personnel dans l'essai et son choix de quitter un certain discours réservé à quelques-uns pour partager ses réflexions avec un large public.

    @ Colo : Merci pour cette très belle citation de Tournier, Colo. J'ai pensé à toi qui l'as beaucoup lu et aimé en apprenant sa disparition.

    @ Doulidelle : Tu donnes vraiment un exemple encourageant en gardant le cap de la joie, malgré les épreuves traversées, surmontées. Je vais tout de suite à la découverte de tes derniers poèmes.

  • un billet qui met en joie, pour moi la Spinoziste invétérée j'acquiesce à tout ce que tu dis évidement, j'écoute Frédéric Lenoir sur France Culture une émission que j'apprécie par contre je trouve ses livres un peu en deçà penchant parfois pour la facilité mais cela ne m'empêche pas de les lire :-)

  • Spinoza est aussi présent dans le roman que je lis en ce moment, peut-être serait-il temps que je le lise dans le texte, ce que je n'ai jamais fait ? As-tu un titre de lui ou sur lui à me conseiller ?

  • je crois aussi que la joie est une sorte d'aptitude au bonheur, qu'elle est en nous... ça me fait penser à un (merveilleux) reportage vu récemment, sur Alice Sommer-Herz

  • Un billet qui donne envie, je note et en passant merci Colo pour Tournier !

  • J'aime bien plus Spinoza que Frédéric Lenoir, mais je pense que je lirai ce livre car c'est un sujet qui m'intéresse fondamentalement : la joie dont il parle est aussi la joie sur un plan spirituel ; c'est certainement pour cela qu'il fait bien la distinction avec le bonheur.
    Merci de me signaler ce livre. Très bonne journée.

  • @ Adrienne : Une aptitude... à cultiver.

    @ K : A toi de voir si tu peux en faire ton miel.

    @ Bonheur du Jour : "recevoir la vie comme un cadeau et s'en réjouir" (F. Lenoir)

  • Si je devais illustrer bonheur, joie, plaisir...

    J'ai parfois fait la réflexion que dans une période "heureuse", où l'on a tout pour être heureux, selon les standards d'une époque ou d'une vie, on ne peut faire l'économie de mauvais moments. Ou de moments de joie (petits et grands).

    A contrario, dans des moments difficiles, jalonnés d'épreuves, il y a de petits moments de bonheur, de bien-être, de joie, peut-être...

    Le premier exemple de joie qui me vient, influencé sans doute par les récits de mes parents, cela a dû être (pour eux du moins), le 3 septembre 1944. Il me semble et ils l'ont vécu comme cela, que sortir de l'Occupation devait être une grande joie. Pourtant, la guerre n'était pas finie, loin de là.

    Moi aussi le personnage de Spinoza m'attire. Mais le fait est que les cours, les livres, les conférences de philosophie sont souvent de l'histoire de la philosophie, et qu'il faut sans doute un moment en venir au texte. Ou à des extraits.

    Spinoza a fait l'objet d'une série de conférences aux Midis de la philosophie - les enregistrements ou les comptes-rendus des conférences sont en ligne sur le site des mardis de la philo (se tiennent au théâtre du Vaudeville, le mardi matin).

    J'ai fait deux sessions l'an dernier - sur six poètes, analysés au travers de la philosophie, et sur le silence.

  • Merci pour ton témoignage, Pivoine. Le hasard fait que la date que tu cites comme exemple de grande joie pour tes parents coïncide avec celle où ma mère perdait son frère, fusillé à Webbekom-Assent, un héros de la Résistance dont j'ai raconté l'histoire. Chaque année, une cérémonie d'hommage est organisée là-bas à cette date, depuis plus de 70 ans.
    http://textespretextes.blogs.lalibre.be/tag/hilaire+gemoets

    J'ignorais que les "mardis de la philo" au Vaudeville mettaient des notes et des enregistrements en ligne, voilà qui est à explorer.
    http://lesmardisdelaphilo.be/notes_de_cours/

  • "L'augmentation de la puissance d'exister", affirmation de l'être. Il est normal qu'en philosophe sensible au message des Évangiles, Frédéric Lenoir voie la joie comme l'a fait Spinoza.
    Entre plaisir, gaieté et bonheur, la notion de joie, floue souvent, est le terrain propice à une recherche personnelle, car elle dépend essentiellement de l'aptitude à la joie. Et en cela je ne crois pas que tout le monde soit sur le même pied.
    J'ai tendance à mieux accepter "cultiver le bonheur" sur lequel il semble possible d'influer, alors que "cultiver la joie" passe moins bien, mais c'est un avis tout à fait personnel.

  • Vous rejoignez les questions que je me suis posées en le lisant, surtout sur la distinction entre bonheur et joie. Merci de donner votre point de vue à ce sujet. Y a-t-il une "aptitude" à la joie plus ou moins forte ? liée au caractère ? innée ou acquise ?
    Pour moi, le bonheur est davantage un état d'esprit - une certaine attitude par rapport à la vie peut sans doute y contribuer - tandis que la joie, comme Lenoir l'écrit, surgit spontanément, inopinément, et irradie tout l'être. Vous avez raison, elle ne se cultive pas, mais il faut aussi la laisser surgir, la recevoir.

  • Je suis assez entièrement d'accord avec le second paragraphe de votre commentaire.

    Lorsque j'ai eu laissé ces mots ici, j'ai pensé encore à cette capacité d'être facilement (ou pas) en joie : mon avis serait qu'elle dépend à la fois de facteurs innés et des accidents de la vie.
    Je ne crois pas qu'il y ait une réponse facile à cela. Le déprimé voit le verre à moitié vide, c'est bien connu. L'autre sera en joie de le voir à moitié plein...

    Bon, maintenant je vais relire votre commentaire sur ce livre (Proust contre Cocteau) qui ne vous agrée pas trop, semble-t-il.

  • Les questions sans réponse définitive sont les plus intéressantes à reprendre tout au long de la vie. (En train de lire une biographie d'écrivain, je me rends compte que je préfère décidément la littérature.)

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