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Littérature - Page 12

  • Variation

    Soseki A travers la vitre 2001.jpg« Puisque je vis parmi les humains en ce bas monde, je ne puis me résoudre à un total isolement. Je suis bien obligé, pour une raison ou pour une autre, d’avoir affaire à autrui. […]
    Je ne veux pas faire confiance à quelqu’un de mauvais. Mais je ne veux pas non plus blesser quelqu’un de bon. Or, les gens qui apparaissent devant moi ne sont pas tous des méchants et ne sont pas davantage tous des bons. Il faut donc que mon attitude varie en fonction de ceux à qui j’ai affaire.
    Cette variation est nécessaire pour tout le monde et du reste tout le monde la pratique. Mais marche-t-on vraiment sans risque sur une ligne singulière et délicate, où aucune erreur n’est permise, en accord parfait avec l’autre ? C’est là que se troublent mes grandes interrogations. »

    Sôseki, A travers la vitre

  • A travers la vitre

    Cinq ans après avoir écrit Choses dont je me souviens, Sôseki (1867-1916) raconte sa vie au jour le jour dans A travers la vitre (1915, traduit du japonais par René de Ceccaty et Ryôji Nakamura). Ses ennuis de santé l’empêchent souvent de sortir de chez lui, l’obligent à rester assis ou couché. Le « spectacle », quand il regarde à travers la vitre de son bureau, « est remarquablement monotone et remarquablement réduit », écrit-il avec humour au début de l’année : des bananiers du Japon protégés du gel, des branches de houx, des poteaux électriques...

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    Couverture Rivages 1993

    « Si réduit que soit mon monde, il se produit des choses dans ses étroites limites. » L’écrivain reçoit des visites inattendues et cela lui a donné envie d’écrire un peu là-dessus, quitte à paraître « ennuyeux à quiconque mène une vie active » et  même si la « grande guerre » qui a éclaté en Europe rend encore plus ténus les sujets qu’il compte aborder.

    Un rédacteur voudrait passer prendre une photo de lui pour une revue, à l’occasion de l’année du Lapin, son signe. Bien qu’il ait horreur des « sourires affectés » sur ce genre de portrait, il finit par accepter, si on ne l’oblige pas à sourire… Vie et mort du chien Hector, qu’il avait appelé comme le héros troyen. Visites d’une lectrice, qui fait son éloge et lui raconte sa propre vie, une confession douloureuse. Réflexion sur la mort et sur le suicide. Les sujets anecdotiques et les questions graves se succèdent.

    L’année d’avant, l’écrivain avait reçu la visite d’un ami d’études qui avait enseigné en province puis en Chine, avant d’être nommé principal d’un collège, à Sakhaline. « O. et moi nous sommes assis face à face et nous sommes dévisagés avant toute chose. Et nous avons reconnu qu’il restait en nous des traces des jours révolus comme le souvenir d’un rêve nostalgique. » Mais impossible de retrouver les garçons qu’ils étaient alors.

    On le sollicite souvent pour lire des manuscrits. On lui demande des calligraphies ou des poèmes, voire de faire une conférence. Sôseki relate les malentendus qui s’ensuivent. Il aime écrire ses observations quand il sort de chez lui pour aller chez le coiffeur, par exemple, ou va dans un quartier de Tokyo qu’il connaît bien. Il se souvient des spectacles auxquels il assistait. Inévitablement, certaines pages sont consacrées à sa santé précaire depuis un grave ulcère à l’estomac en 1910, à la maladie qui frappe des personnes de sa connaissance.

    Le premier chat de l’écrivain était un chat de gouttière, devenu très célèbre, le modèle de son fameux roman Je suis un chat. Le suivant avait eu une vie très brève. Pour son successeur, « le chat noir qui vit chez moi en ce moment », il n’éprouve ni amour ni haine. « Lorsque je compare l’évolution de sa maladie avec la mienne, l’idée me traverse qu’il y a entre elles un lien obscur. Mais tout de suite après, je me dis que c’est absurde et je souris. Quant au chat, comme il ne fait que miauler, je ne sais absolument pas dans quel état d’esprit il se trouve. »

    Comme il en avait averti ses lecteurs, Natsume Sôseki ne raconte rien d’extraordinaire dans A travers la vitre. Sans prendre la pose, avec honnêteté et simplicité, il évoque son quotidien, les petits riens, les réflexions et les souvenirs qui traversent ses journées. Le ton choisi est poétique, narratif ou philosophique, selon les séquences. Commencé au Nouvel An, le texte se termine aux premiers signes du printemps, dans une belle sérénité qui le pousse à « ouvrir en grand la vitre » avant de « faire une sieste, sur la véranda, un coude replié. »

  • Deux vertus encore

    Ossola Les vertus communes.jpgL’été a déjà bien ralenti le rythme des blogs et/ou des commentaires. Comme chaque année, la belle saison nous appelle au plein air, à la détente, aux rencontres : « Aller, venir, ouvrir nos yeux, nos oreilles, rêver… » (Plumes d’anges). Quoi qu’il en soit, les billets d’été comme ceux d’hiver restent disponibles en ligne et trouvent parfois de nouveaux lecteurs occasionnels, en plus de fournir à celles ou ceux qui les ont rédigés une mémoire externe facile à consulter pour rafraîchir ses souvenirs, n’est-ce pas ?

    Avant de refermer pour de bon l’essai de Carlo Ossola divisé en douze chapitres, soit « douze stations pour devenir un peu plus humains » (titre de l’introduction), voici deux vertus encore. Après l’affabilité, la discrétion, la bonhomie, la franchise, la loyauté, la gratitude, la prévenance, l’urbanité, la mesure et la placidité, place à la constance et à la générosité.

    La constance

    XI. « La constance que je préfère est la roue du potier*, le tour que font les mulets autour de la meule, le balancement des bras qui fauchent l’herbe, la cantilène pareille à une ritournelle, le charretier en route : « Et en chantant, sur une triste mélodie, / Le charretier salue la dernière blancheur / De la lueur fuyante / Qui l’avait guidé, chemin faisant » (Leopardi, Le Coucher de la lune) ; tout ce qui, à une cadence silencieuse, assure la durée de l’être humain ; nihil novi sub sole, notre seule éternité. »

    Carlo Ossola, Les vertus communes

    * allusion à une réflexion d'Italo Calvino citée juste avant (dans une lettre à Primo Levi)

    La générosité

    XII. « Mais il existe un personnage qui réunit en soi toutes les générosités, et bon nombre des petites vertus que nous avons examinées jusqu’à présent (de la bonhomie à la prévenance, de l’affabilité à la constance), c’est Geppetto dans Pinocchio de Carlo Collodi. »

    Ossola La vie simple.jpgCarlo Ossola l’explique en quelques pages à la fin des Vertus communes (2019). Dans ce petit volume dont j’ai partagé ici des bribes apéritives, les auteurs latins et italiens abondent, mais il y en a beaucoup d’autres.

    Ce dernier chapitre, par exemple, s’achève sur des paroles de chanson, The Stranger Song de Leonard Cohen, et un film, John McCabe, « scandé par ce refrain ».  

    Merci à celles et ceux qui ont pris le temps de réagir ici aux propositions de cet essai intéressant. Avis aux amateurs : je découvre un peu tard sur le site des Belles Lettres que Carlo Ossola a repris et complété son sujet en 2023 dans La Vie simple, Les vertus minimes et communes : douze vertus « pour soi » et douze vertus « pour les autres ». Parmi celles-ci, l’extrait à lire en ligne porte sur le tact et l’ironie.

     

  • La placidité

    X. Parmi les douze vertus choisies par Carlo Ossola, la placidité est celle à laquelle je m’attendais le moins, doutant même, en mon for intérieur, qu’elle en soit une. L’auteur la définit comme « l’équilibre, pleinement atteint, de la maîtrise de soi […] au-dessus des passions, des ambitions, des désirs, des rivalités, des emportements. »

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    Massimo d’Azeglio, La vie au lac avec un bateau (Wikimedia)

    « Ce n’est pas seulement une vertu humaine, mais un aspect du cosmos organisé par le divin, qui repose sur la paix de la beauté […] », continue-t-il, citant à l’appui Lucrèce, Cicéron, Erasme et d’autres. Je préfère reprendre le dernier paragraphe de ce chapitre, pour son actualité, bien que le passage cité par Ossola date de… 1861.

    « Ainsi de nos jours. En dépit du monde violent et déclamatoire qui vient à notre rencontre, je demeure placidement confiant, avec Massimo d’Azeglio : « Le métier de charlatan politique devient chaque jour plus difficile. Les vieilles ruses qui servaient à conduire les peuples, les joujoux de leur enfance, de même que les épouvantails de leur vieillesse, sont désormais inutilisables […]. Et, de fait, les partis extrêmes, qui ne profitent que de l’enfance ou de la décrépitude des peuples, sont hors d’eux-mêmes, en proie à l’égarement, et jamais leur agitation n’a été plus convulsive qu’aujourd’hui. » Certes, il faudrait que les peuples s’exercent à mûrir… »

    Carlo Ossola, Les vertus communes

  • Un ballon

    Zalapi Ilaria couverture.jpg« Papa et Grand-Mère se disputent tout le temps. Les sujets : la facture astronomique de l’hôtel de Rome que Papa n’a jamais payée, le montant des factures de téléphone et le whisky. Et pourquoi tu ne cherches pas un travail ? Pourquoi tu ne sors pas avec Ilaria ? Tu comptes faire quoi de cette enfant ? Elle pourrait prendre des cours de tennis… Et l’école ?
    Je suis devenue un ballon de football entre eux. »

    Gabriella Zalapì, Ilaria

    ou la conquête de la désobéissance