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Culture - Page 526

  • La Courlande et lui

    Jean-Paul Kauffmann a évoqué, dans La maison du retour, la fusion entre un homme et une maison au milieu des pins. Courlande (2009) n’est pas vraiment un récit de voyage. Plutôt une exploration à la fois personnelle et historique. L’écrivain partage avec nous sa quête d’une vérité cachée dans un pays de la vieille Europe, à la manière d’un « puzzle ». 

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    Kazdanga - Vues anciennes de Courlande © Andris Tomašūns, izstrādāja DSP
    http://www.latvija20gadsimts.lv/apkopojums/pilsetas-un-vietas/kazdanga0/

    « La Courlande appartient à ma propre histoire. Je suis parti à la recherche d’un nom. Je me suis lancé à la poursuite d’un souvenir. » Trente ans après, Kauffmann se souvient de « Mara du Canada », une beauté nordique rencontrée à Montréal, à vingt-deux ans. Il n’était pas le seul à tenter d’attirer son attention dans la librairie où elle travaillait. C’est l’achat d’une biographie de Louis XVIII qui déclenche la curiosité de la jeune femme : « C’est extraordinaire. Il a vécu chez moi. » (Louis XVIII s’était réfugié en Courlande.) Dès lors, Kauffmann n’aura de cesse de récolter des informations sur cette région.

    Mara l’autorise à lui faire la cour. Canadienne anglophone (ses parents ont fui l’Allemagne à la fin de la deuxième guerre, puis ont émigré au Canada, l’occupation soviétique se prolongeant en Lettonie), elle lui fait remarquer que Le coup de grâce de Yourcenar se déroule dans un château de Courlande. Quand elle l’invite chez ses parents pour la fête de la Saint-Jean – « Cette célébration du solstice d’été est la plus grande manifestation lettonne » –, la mère de Mara et ses filles portent des couronnes de fleurs, « un spectacle rare » : « Que de beauté ce soir-là ! » Une semaine après, Mara devient sa maîtresse. Après avoir prolongé son séjour pour elle, il a fini par rentrer en France. Ils se sont promis de s’écrire, il rêvait qu’elle vienne l’y rejoindre.

    Depuis lors, tout ce qui a trait à la Courlande s’imprime dans sa mémoire. Sa femme, Joëlle, le taquine à ce sujet, mais le jour où il lui annonce un reportage en Courlande, elle l’accompagne. Une lointaine cousine alsacienne lui a parlé de la « poche de Courlande » et de son père disparu là-bas en 45. Elle n’a jamais retrouvé sa tombe et insiste pour qu’il rencontre un Allemand qui repère des sépultures et identifie les morts, le « Résurrecteur ».

    Dès sa descente d’avion à Riga, le doute le prend : « La Courlande, est-ce une bonne idée ? » Laissant sa femme découvrir l’art nouveau dans la capitale, il visite, à l’écart, un village reconstitué à la gloire du patrimoine letton. Déception. A sa femme qui l’interroge, il répond faute de mieux : « C’est le contraire de l’Italie » (pour lui, « une concentration unique du beau »).

    Dans une Skoda Favorit rouge 1988, les voilà en route – « route sans ornements, paysage rectiligne de forêts ». Sa femme est plus enthousiaste que lui, trouve la forêt majestueuse, la lumière différente. A Liepaja, « l’ancienne Libau », premier rendez-vous manqué avec le Résurrecteur, mais une lectrice de français, qui a passé son temps libre à étudier le letton, lui montre le port, longtemps abandonné mais qui commence à redonner des signes de vie.

    Le directeur du magazine, inquiet de ses réponses laconiques au téléphone, insiste pour qu’il aille visiter les châteaux des « barons baltes » dont il lui avait parlé. Kauffmann les connaît déjà un peu à travers les romans de Keyserling. Kazdanga sera leur premier château en Courlande – « La concision courlandaise contre la profusion italienne. Ce n’est pas tout à fait nous, mais le moule est le même. » Le parc est grandiose. A Laidi, d’autres visiteurs les ont précédés. Pas des Français, il les reconnaîtrait – « une manière froide d’être agité, quelque chose d’à la fois saccadé et contrôlé, une façon de bomber le torse et de prendre un air harassé. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir un style si contradictoire. »

    Un homme, son épouse et leurs deux enfants, s’en vont dans une voiture immatriculée en Allemagne. Ils se revoient dans un « Flatotel postsoviétique », en pleine nuit, réveillés par les cris de la mère qui a besoin d’une aide urgente pour sa fille. Joëlle, médecin, soigne la petite. En remerciement, « le Professeur » les invite au restaurant. Dans une salle éclairée par la « belle lumière de juin », ils font connaissance. Cet homme d’une quarantaine d’années visite la Courlande pour la seconde fois. Il instruit de futurs designers, « des hommes concrets, créateurs de formes nouvelles ».

    Au château de Pelci, où ils se sont donné rendez-vous, les attend un pique-nique d’une abondance étonnante dans ce pays où les magasins offrent un choix assez sommaire. La conversation du Professeur révèle une grande culture historique , « il a en outre cette qualité rare de ne pas chercher à imposer son point de vue. » Tout heureux de pouvoir conduire la Skoda, il les emmène au vignoble de Sabile, sur la « colline du vin ». Les villageois sont surpris de l’entendre parler le letton. Ils décident alors de gravir ensemble le coteau jusqu’au sommet. Moment de plénitude – « L’effort nous a allégés. » Des sons à la fois « doux et tendus » montent du village.  « Je me sens en communion avec le monde. » Instant parfait, « première vraie vision de la Courlande », « une représentation familière sans châteaux, sans histoire, sans rameaux d’or. Ce pourrait être n’importe où en Europe. »

    Les visites communes se multiplient,  Joëlle Kauffmann taquine son mari : « Tu dois t’y faire, il connaît parfaitement son sujet. C’est une chance pour toi. » Le Professeur, jamais à court de ressources ou d’anecdotes historiques, est un « compagnon de voyage rêvé ». Lorsque celui-ci embarque avec sa famille sur un ferry, Kauffmann a le sentiment que pour lui aussi, « la fête est finie ».

    C’était avant de découvrir « la maison du lac », une maison isolée « au milieu des forêts enneigées », très moderne, complètement ouverte sur le paysage. Ils décident de prolonger leur séjour – « La vérité de ce pays, c’est l’hiver », disait le Professeur. L’évocation des « Frères de la forêt », groupes de résistance aux Soviétiques, lui rappelle l’oncle de Mara, qui en faisait partie. Ce n’est que longtemps après son retour en France qu’il aura de ses nouvelles.

    Et la Courlande où sa femme et lui ont connu « une digression exceptionnelle » dans leur mode d’existence se rappellera à lui en la personne de Vladimir, un jeune rocker russophone qui les avait guidés dans Karosta, à qui, à sa demande, il a envoyé un dictionnaire anglais-letton, et qui débarque carrément chez eux. Apprenant que le reportage n’a jamais été publié, le jeune homme n’hésite pas à lui intimer d'écrire un livre.

    Courlande est le récit curieux, aux sens positifs du terme, des pérégrinations d’un humaniste. Un livre de bonne compagnie qui donne un corps et une âme aux syllabes si fluides, en français, d’une région d’Europe : Kurzemē, la Courlande.

     

  • Pas bien, pas mal

    Le bien-être que procure une bonne santé est un bonheur dont nous ne sommes pas vraiment conscients, tendus vers nos activités, nos rencontres, les mille et une choses de la vie. Une maladie subite, un problème chronique nous rappellent que le bonheur d’aller bien est un privilège.

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    En français, des états opposés ne font pas nécessairement des contraires : « je ne suis pas bien » n’a rien à voir avec « je ne suis pas mal », vous êtes d’accord ? De deux négations, disait mon professeur de rhétorique en expliquant le syllogisme, on ne peut rien conclure. Changeons de verbe : « je ne vais pas bien » me semble plus courant que « je ne vais pas mal ». Passons au mode affirmatif et tout s’éclaire : « je vais bien, je me sens bien » fait saliver quand la santé chancelle, qu’on ne va, qu’on ne se sent pas bien.

     

    Rassurez-vous, rien de grave en la demeure. Mais les nuits où l’on ne trouve pas le sommeil, ni la position confortable, l’esprit accueille des batailles de mots, qui persistent parfois dans les songeries matinales. Et quand la migraine s’installe chez vous, avec sa suite, la lecture devient pesante, le soleil insupportable – un comble par ce magnifique été indien.

     

    Laisser au corps et à ses tribulations le dernier mot ? Impossible. L’esprit se rebelle, bat la campagne, et me voilà à composer ce billet de hasard, qui ne sera pas long. Excusez mon absence sur vos blogs, j’y reviendrai dès que je pourrai à nouveau regarder la lumière en face.

     

    L’ombre est délicieuse sous les arbres, ne trouvez-vous pas ?

  • Norfolk

    « Ça peut paraître bête, mais vous devez vous souvenir que pour nous, à ce stade de nos vies, tout lieu situé au-delà de Hailsham était comme un pays imaginaire ; nous n’avions que les notions les plus vagues du monde du dehors et de ce qui y était ou non possible. D’ailleurs, nous ne prîmes jamais la peine d’examiner en détail notre théorie sur Norfolk. Ce qui était important pour nous, comme le dit Ruth un soir où nous étions assises dans cette chambre carrelée à Douvres, contemplant le coucher du soleil, c’était que « quand nous perdions quelque chose de précieux, et le cherchions sans relâche, et ne le retrouvions toujours pas, notre cœur n’en était pas totalement brisé. Il nous restait encore cette dernière bribe de consolation, l’idée qu’un jour, lorsque nous serions grands, et libres de voyager dans le pays, nous pourrions toujours aller le récupérer à Norfolk ». » 

    Kazuo Ishiguro, Auprès de moi toujours

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  • Troublant Ishiguro

    Dans Les Vestiges du jour, Kazuo Ishiguro décrit une certaine société anglaise des années cinquante à travers les yeux et les oreilles d’un majordome hyperattentif aux nuances de la hiérarchie sociale. Dans Un artiste du monde flottant, la maison d’un vieux peintre japonais sert de cadre à de multiples observations sur l’art et l’existence, à la fin des années quarante. Auprès de moi toujours (Never let me go, 2005, traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch), quoique à nouveau très différent, et situé à une époque plus récente, reprend d’une autre manière l’exploration des liens qui se tissent au long d’une vie, qui en tissent la trame, au fond, pour chacun de nous. 

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    « L’Angleterre à la fin des années quatre-vingt-dix », précise l’auteur, avant de laisser la parole à Kathy H., trente et un ans, « accompagnante depuis maintenant plus de onze ans », avec succès puisque « les donneurs » dont elle s’occupe sont très satisfaits de son travail, et récupèrent plutôt mieux que prévu. Certains accompagnants lui envient le droit de choisir ses patients, issus en majorité de Hailsham où elle a étudié. C’est grâce à cette liberté qu’elle a retrouvé Ruth et Tommy, après bien des années. Ruth était sa meilleure amie à Hailsham, et quand elles se revoient au centre de convalescence à Douvres, leurs différences et leurs désaccords d’antan leur paraissent bien moins importantes que le fait d’avoir grandi à Hailsham, de savoir et de se rappeler « des choses ignorées de tous ». 
     

    A d’autres anciens qui l’interrogeaient, Kathy a déjà raconté leurs gardiens, leurs coffres à collection, le petit sentier qui contournait la maison principale, l’étang, la nourriture, « la vue de la salle de dessin sur les champs par une matinée de brouillard », les pavillons de sport… « C’est alors que j’ai compris, réellement compris, la chance que nous avions eue – Tommy, Ruth, moi, nous tous. » Les souvenirs de Hailsham affleurent tout au long de la première partie, avec les premiers temps de leur amitié : les « échanges » d’objets entre internes, les « ventes », les colères de Tommy, harcelé par des garçons. Un jour, il avoue à Kathy s’en être sorti grâce à une conversation particulière avec Miss Lucy. Tommy éprouvait alors des difficultés à être « créatif » au cours de dessin, mais selon elle, il n’avait pas à s’en faire, un jour il franchirait un cap et s’épanouirait. En tremblant de rage, Miss Lucy avait insinué devant Tommy qu’on ne leur en apprenait pas assez sur leur avenir, « les dons et le reste ». Son attitude l’avait surpris.
     

    Hailsham n’est pas qu’une école ou un internat. Ses élèves n’ont pas de famille. Hailsham est leur famille. Les relations avec les autres y prennent donc beaucoup d’importance. C’est Ruth la meneuse qui a incorporé Kathy dans « la garde secrète » de Miss Geraldine. C’est Ruth aussi qui va chercher par tous les moyens à retrouver une cassette à laquelle Kathy tenait énormément, un album de Judy Bridgewaters, en particulier une chanson : Auprès de moi toujours – « Oh, bébé, mon bébé, auprès de moi toujours… » A onze ans, cette chanson la bouleverse à chaque fois qu’elle l’écoute, et elle se fait surprendre un jour dans le dortoir où elle danse seule, les yeux fermés, avec un coussin dans les bras, par « Madame », la destinataire des plus beaux travaux créatifs prélevés à Hailsham, pour sa mystérieuse « Galerie ». Deux mois après, la cassette disparait.
     

    A la fin de leur formation, à seize ans, les élèves ont compris que leurs vies sont « toutes tracées » et qu’ils n’auront jamais d’enfants ; une fois adultes, ils vont commencer à donner leurs organes vitaux – « C’est pour cela que chacun de vous a été créé. » Avant cela, on les envoie aux « Cottages » où ces jeunes ont plus de liberté, sur tous les plans. Ils peuvent à présent partir seuls en excursion, et Kathy et Tommy, devenu entre-temps le petit ami de Ruth, accompagnent celle-ci avec de plus anciens à Norfolk, à la recherche d’un « possible », quelqu’un ayant vu là-bas une femme qui correspond à « l’avenir de rêve » de Ruth : travailler dans un bureau paysager étincelant, plein de gens qui s’entendent bien.
     

    La dernière partie du récit se recentre sur le travail de Kathy comme accompagnante. Avant leurs dons, les donneurs peuvent se former dans ce but, et repousser ainsi de quelques années leur destin. La solitude de l’accompagnant est grande, mais Kathy aime cette vie de déplacements, de soutien aux donneurs, et elle y excelle. Elle accompagne Ruth, puis Tommy, avec qui elle tente de vérifier une rumeur secrète : les couples issus de Hailsham, s’ils sont vraiment amoureux, auraient droit à un sursis. 
     

    Auprès de moi toujours est un roman d’anticipation troublant, adapté au cinéma en 2010. Sans entrer dans les schémas reconnaissables de la science-fiction, Ishiguro distille lentement les principes d’une organisation au service des dons d’organes. Mais l’attention se focalise d'emblée sur les liens entre les pensionnaires de Hailsham et sur leurs sentiments, dans le trio surtout. Peu à peu, le lecteur partage les questions que se posent ces jeunes gens sur les non-dits de leur éducation très entourée, sur les objectifs de leur formation à la créativité – « Pourquoi tous ces livres et ces discussions ? » Le plus étonnant, c’est sans doute la docilité des protagonistes, leurs révoltes trop rares, la nostalgie d’Hailsham agissant sur eux comme une drogue. Sont-ils si différents des autres ?

  • Intérieur

    « L’intérieur de la maison ne démentait pas la banalité de l’apparence extérieure. […] Lorsqu’on pense au luxe et au raffinement avec lesquels Matisse choisissait chaque objet qui l’entourait, on reste confondu. Mais Bonnard n’avait nul besoin de fauteuils vénitiens, de vases chinois, pour créer la féerie autour de lui. Son pinceau poétisait les objets les plus quotidiens, des tubulures de radiateur à la vétuste baignoire ; il leur communiquait une vie mystérieuse et chatoyante. Peu lui importait (sic) les ateliers improvisés, granges, chambres d’hôtel. Il avait le luxe en horreur ; les somptueuses installations l’intimidaient et, somme toute, un certain inconfort lui convenait. » 

    Brassaï, Les artistes de ma vie (cité dans le catalogue de « Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière de la Méditerranée », Le Cannet, 2011)

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    http://www.lecannet.fr/page-627-de-la-villa-du-bosquet-au-musee-bonnard.html