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Art - Page 168

  • L'art selon Morris

    Sous une de ces jolies couvertures qu’offre souvent la Petite Bibliothèque des éditions Rivages, L’art et l’artisanat de William Morris rassemble, traduites et présentées par Thierry Gillyboeuf, trois conférences du célèbre fondateur anglais des Arts and Crafts, prononcées à la fin des années 1880.

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    « La révolution par le bonheur » 
    : c’est sous cette excellente formule que Gillyboeuf rappelle qui est William Morris (1834-1896). Ce « précurseur du design », à la fois « poète, romancier, traducteur, dessinateur, ébéniste, peintre, imprimeur » s’est lancé dans l’art après avoir visité avec Edward Burne-Jones les cathédrales gothiques du nord de la France. Tous deux renoncent à des études religieuses après ce voyage initiatique : ils choisissent, pour Morris, d’entrer au service d’un grand architecte, pour Burne-Jones, de peindre sous le patronage de Rossetti.

    Avec quelques amis, ils fondent « une petite entreprise artisanale » qui propose tout ce qui touche à la décoration d’intérieur : peintures, sculptures, vitraux, ameublement et bientôt tissus, tapis, broderies... Dissoute en 1875, elle ouvre la voie à Morris & Co, sa propre firme, dont les bénéfices iront au socialisme naissant – William Morris est un des fondateurs de la Socialist League. Il écrit aussi des articles et donne des conférences pour dénoncer l’idéologie du progrès et défendre un socialisme libertaire. Pour lui, le bonheur d’une société se mesure à l’aune de son art, même dans ses formes les plus simples.

    « L’Art et l’artisanat d’aujourd’hui » (Edimbourg, 30 octobre 1889) revient sur la définition des « arts appliqués » comme « la qualité ornementale que les hommes choisissent d’ajouter aux articles utilitaires ». Morris leur assigne un double objectif : « ajouter de la beauté aux résultats du travail de l’homme » et « ajouter du plaisir au travail lui-même ». Les arts appliqués sont donc nécessaires pour éviter et la laideur et l’avilissement. Comme « se nourrir serait une corvée sans l’appétit ou le plaisir de manger », « la production de biens utilitaires sans art ou sans le plaisir de créer est fastidieuse. » Rien de frivole, , mais « quelque chose de sérieux qui fait partie intégrante de la vie. »

    Son modèle ? Le Moyen Age, « époque de l’association parfaite des artisans dans les guildes de l’art », à l’opposé de son époque où, depuis plus d’un siècle, les hommes s’emploient à « surcharger la terre d’immenses blocs de bâtiments « utilitaires » » d’une grande laideur, avec ici et là, encore, du travail raffiné et soigné, de « style éclectique ». L’architecture est pour lui le fondement de tous les arts, elle embrasse toutes les disciplines. Alors que le commerçant est poussé à « donner aussi peu que possible au public et à prendre autant qu’il peut de lui », « l’éthique de l’artiste l’invite à mettre tout ce qu’il peut de lui dans tout ce qu’il crée. »

    Un des « derniers représentants de l’artisanat auquel la production marchande a donné un coup fatal », Morris avait donné  une autre  conférence sous le titre « L’art en ploutocratie » (Oxford, 7 novembre 1883). Il y décrit les obstacles qui empêchent l’art d’être « une aide et un réconfort pour la vie quotidienne de chacun ». Sa vision du passé y est plutôt idéaliste – « au temps où l’art était abondant et florissant, tous les hommes étaient plus ou moins des artistes » – mais l’accusation claire : il reproche à la société de son époque d’être fondée « sur le travail sans art ni bonheur de la majorité des hommes ».

    Pourfendeur de la guerre commerciale, que n’interrompt jamais aucune paix, William Morris s’indigne : « Je vous dis que le mécontentement gronde et j’en appelle à ceux qui pensent qu’il y a mieux à faire que de gagner de l’argent pour l’argent, pour aider à transformer ce mécontentement en espérance, pour ce qu’il appelle à la renaissance de la société. »

    Enfin, « L’art : idéal socialiste » (New Review, janvier 1891) reprend les idées forces de Morris dans un discours de propagande plus radical. Les choses sont-elles allées trop loin, comme il le pensait ? Plus d’un siècle après sa mort, il faut bien reconnaître que l’artiste et l’artisan, aujourd’hui, ont encore plus de mal à creuser dans notre vie quotidienne le sillon de la beauté et du bonheur dans le travail.

  • Choc

    « Le spectacle du ciel me bouleverse. »

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    Miró © 2007 Art Point France

     

    « Je commence mes tableaux sous l’effet d’un choc que je ressens et qui me fait échapper à la réalité. La cause de ce choc peut être un petit fil qui se détache de la toile, une goutte d’eau qui tombe, cette empreinte que laisse mon doigt sur la surface brillante de cette table. De toute façon, il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme crée une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. »

    Miró, Je travaille comme un jardinier (cité par Roland Penrose, Joan Miró, Thames & Hudson, 1990.)

  • Miró peintre poète

    Le dimanche 19 juin, l’exposition « Joan Miró peintre poète » fermera ses portes à l’Espace Culturel ING, sur la Place Royale à Bruxelles. Ne la manquez pas, il vous reste une semaine. Ce sont 120 peintures, gravures, sculptures et dessins où la fantaisie créatrice de l’artiste catalan s’en donne à cœur joie, ce qui n’exclut pas le noir de sa palette, où priment souvent les couleurs primaires. Les œuvres proviennent des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et surtout de la Fondation Joan Miró de Barcelone. Voici l'affiche.

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    Déjà La danseuse espagnole, Olée, en début de parcours, signale et l’esprit facétieux du peintre et la présence des mots dans sa peinture. « J’ai beaucoup fréquenté les poètes, car je pensais qu’il fallait dépasser la « chose plastique » pour atteindre la poésie… Vivre avec la dignité d’un poète » déclare Miró (1893-1983) dont l’atelier parisien voisinait avec celui du peintre surréaliste André Masson. Il rencontre alors Reverdy, Tristan Tzara, Max Jacob, Artaud, Michel Leiris…

    Louis Marcoussis grave un Portrait de Miró à la pointe sèche en 1938, présenté en quatre états successifs : son modèle le complète, ajoute ici une araignée, là une étoile, y inscrit « Pluie de lyres » et « Cirques de mélancolie » jusqu’à une quatrième version où son visage se couvre de lignes et de signes. Quelques collages esquissent une façon de faire : sur la page blanche, Miró éparpille de petites illustrations d’objets découpées dans des magazines, sans rapport apparent. Il procèdera de même dans ses « poèmes-tableaux » ou « dessins-poèmes » comme Tête de fumeur, à la manière d’un rébus. Sur une photo de son atelier à Palma de Majorque, les murs aussi portent ses hiéroglyphes.

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    Miró, Chiffres et constellations amoureux d’une femme
    © Miró successió / Sabam Belgium

    Au cœur de cette exposition, disposées sur un arc de cercle, les 22 fameuses « Constellations » peintes en 1940-1941, d’abord à Varengeville-sur-mer (Normandie) puis à Palma et à Montroig. Les gouaches originales ont été dispersées, mais on peut les découvrir grâce à ces reproductions rehaussées au pochoir rassemblées dans un album avec un texte d’André Breton : « Le lever du soleil », « L’échelle de l’évasion »… Des aplats noirs, des couleurs primaires, des formes stylisées. Tout un bestiaire – araignée, chenille, escargot, chat, poisson, tortue, baleine – flotte dans les ciels de Miró où les étoiles, la lune s’offrent à l’œil grand ouvert qui les contemple au milieu de cercles, flèches et autres diabolos noirs.

    Un titre sur deux, il m’a semblé, contient le mot « femme », souvent associé à « oiseau ». Peindre, pour Miró, c’est peupler l’espace. J’entends quelqu’un dire « c’est enfantin », puis se reprendre : « c’est poétique », et je laisse résonner en moi ces deux qualificatifs. Il y a tant à voir dans ces Constellations, comme dans un tapis d’Orient aux multiples motifs, avec leurs variantes, que les grandes toiles à l’acrylique, par contraste, semblent lourdes, brutales. 

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    Miró, Partie de campagne

    A côté, deux beaux ensembles en vis-à-vis : « Archipel sauvage », six gravures au ciel nocturne, et « Partie de campagne » (1967), cinq autres, à l’eau-forte et aquatinte : sur un fond clair, des taches de couleurs s’étendent, comme si elles venaient de se poser, du vert surtout, mais aussi du jaune, du rouge, et dialoguent avec les lignes et les formes. C’est simple, léger, paradisiaque. « Je travaille comme un jardinier. Les formes s’engendrent en se transformant. »

    Miró voulait « détruire tout ce qui existe en peinture », seul « l’esprit pur » l’intéressait. Apprécié comme illustrateur – l'exposition propose des pages de Parler seul de Tristan Tzara, d' A toute épreuve d’Eluard –, Miró aime « dire avec la ligne », comme dans la série « Haïku ». Et quand le pinceau ou la plume se taisent, il bricole avec des boites de conserve, des cartons à œufs, toutes sortes d’objets de récupération. Coulées dans le bronze, ce sont ses sculptures, à nouveau des « femmes » , le plus souvent. Ou une étonnante « Tête de taureau ».

    « Conquérir la liberté, c’est conquérir la simplicité » : ces mots résument bien la trajectoire de Joan Miró, peintre et poète. Cet homme qui éprouvait le « besoin d’échapper au côté tragique » de son tempérament, reste l’inventeur d’une nouvelle calligraphie où les choses les plus simples, reconnaissables ou non, par la grâce du geste pictural, entrent dans la danse.

  • Une ville, une île

    Quelques éclats d’une île, côté ville et côté campagne, pour prolonger ce séjour à Majorque. Reverdie grâce aux pluies d’avril, elle est aussi de pierre, disent les rochers valises de l’aéroport.

     

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    Haut dans le ciel de Palma, des palmiers vouvoient des bougainvillées en fleurs. Au Grand Hôtel, l’invité est italien : Fellini El circo de las illusiones propose exclusivement des images, photos et séquences de films, de tournages. On y voit le réalisateur de La dolce vita et Mastroianni en belle complicité. Anita Ekberg brûlante dans une fontaine romaine. La statue du Christ transportée en hélicoptère. Une époque. De l’autre côté de la place Weyler, des motos immobiles au pied des maisons de Gaudi.

     

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    La vieille ville de Palma est très belle : il y a tant à regarder dans ses avenues et ses ruelles, les immeubles aux loggias de bois, les saints encadrés à l’angle des rues, les portes, les façades anciennes ou modernistes... Pour prendre un café ou un petit déjeuner décliné en formules diverses, le Cappuccino (Carrer de San Miguel) est un endroit magique. Musique de qualité, carte et décor remarquables, patio et jardin.

     

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    Dans la Cathédrale de Palma, après les interventions de Gaudi au début du siècle dernier, une chapelle a été récemment confiée à Barceló, l’artiste majorquin, peintre et aussi sculpteur, céramiste. L’audace du geste surprend d’abord, et puis la magie opère devant ces modelés qui montent à l’assaut des murs, des colonnes, et fusionnent avec la structure gothique. Ici, la pêche miraculeuse, vague et poissons, là les fruits de la terre, des figures. Des parois comme ressuscitées, vivantes. Seuls les vitraux déçoivent, en rupture avec l’élan vital qui surgit des murs où la glaise et la céramique portent les couleurs naturelles des Baléares.

     

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    Près de la cathédrale, dans les jardins de l’Evêché (Bisbat), les pétales des bougainvillées posent sur le bassin aux nymphéas des touches impressionnistes. Du Parc de la Mer (Parc de La Mar), sous les murailles, la vue est grandiose. On y a installé quelques sculptures, un pan de mur signé Miró.
     

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    La moderne et immense station « intermodale » en sous-sol à la Place d’Espagne donne accès aux métro, trains et autobus pour se déplacer dans la ville et dans l’île, c’est très commode. Mais être emmenée par une amie sur les routes de campagne, non pour tout voir mais à la rencontre de quelques villages et paysages (Puigpunyent, Calviá, Galilea, Alaró, Cap Blanc), c’est bien sûr un privilège inestimable que seule l’amitié peut offrir. Merci, Colo.

     

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  • Cité de verre

    « En marge de l’Art nouveau triomphant, l’éclectisme poursuit son chemin et trouve dans l’architecture de verre un de ses lieux d’intense réussite. En 1868, le roi avait pris la décision de faire construire à Laeken un jardin d’hiver dont Balat avait soumis les premiers plans en 1874. L’inauguration n’eut lieu qu’en mai 1880.

     

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    Confronté à un type de bâtiment propre au XIXe siècle, l’architecte utilise toutes les ressources de sa formation classique tout en s’appuyant sur les conceptions rationnelles prévalant dans l’architecture métallique : il fait reposer la corolle de fer et de verre, surmontée d’un lanterneau coiffé de la couronne royale, sur une colonnade dorique. Comme Viollet-le-Duc le recommandait, il emprunte l’ornementation des parties métalliques au style gothique, tout comme la structure d’arcs-boutants qui jaillissent de la coupole et prolongent à l’air libre l’arrondi des trente-six arcs la soutenant.

     

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    Au cours des ans, l’ensemble se développe pour faire des serres de Laeken un des édifices de verre les plus célèbres d’Europe : en 1880, Balat y construit la serre du Congo. Rappelant la silhouette d’une église byzantine, celle-ci est destinée à conserver des spécimens de ce territoire dont Léopold II était devenu le souverain l’année précédente. En 1902, Maquet, jouissant de l’appui du roi pour son projet du Mont des Arts, ajoute une serre au complexe : le parc est ainsi une véritable cité de verre que Girault embellira encore avec sa  nouvelle serre de palmiers. »

     

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    Bruxelles fin de siècle, sous la direction de Philippe Roberts-Jones, Flammarion, Paris, 1994.