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Art - Page 118

  • Joie de Vivre

    Le 17 janvier, dans une semaine, l’exposition « Joie de Vivre » fermera ses portes au Palais des Beaux-Arts de Lille – une sélection thématique qui traverse les siècles et qui remplit sa promesse : vraiment réjouissante ! J’ai passé à Lille une excellente journée vendredi dernier, le soleil en prime (dedans et dehors).

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    © Niki de Saint Phalle (1930-2002), Nana jaune, 1995
    Polyester peint, 220 x 110 x 300 cm - Collection particulière

    Une Nana jaune de Niki de Saint-Phalle accueille les visiteurs dans l’atrium où le titre de l’exposition s’affiche en néons graphiques, comme à l’entrée de ses différentes sections. Puis on emprunte un couloir de quatre mille étiquettes « La Vache qui rit » rassemblées par Wim Delvoye sous un titre emprunté à Darwin : de quoi s’amuser à observer l’évolution de l’emballage pour mieux emballer le consommateur – et tirer la langue au pop-art ?

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    © Mark Handforth (1969-), Rising Sun, 2003
    Installation murale, tubes fluo, câbles électriques, 700 x 1 200 cm
    Collection FRAC Poitou-Charentes

    Un immense soleil de néon (Rising sun, Mark Handforth) invite dans la première salle, « Sous le soleil ». Une grande toile d’Edward Munch, Hommes se baignant, montre des baigneurs nus, de face, et d’autre dans la mer : du jaune sur un dos, un torse, une épaule, une cuisse, sur la plage, et des vibrations solaires qui se mêlent à la fraîcheur de l’eau striée de vert et de bleu. Splendide !

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    Edvard Munch (1863-1944), Hommes se baignant, 1907-1908
    Huile sur toile, 206 x 227 cm, Helsinki, Ateneum Art Museum / Finnish National Gallery, Collection Antell

    Il y a de quoi nous retenir longuement ici : L’air du soir d’Henri-Edmond Cross (baigneuses et promeneuses) et d’autres œuvres dont ses célèbres Iles d’or ; L’Eau de Frantisek Kupka, la plus belle évocation du plaisir que l’on ressent en se baignant que j’aie jamais vue en peinture , et aussi Rythme, joie de vivre de Robert Delaunay, un grand format où les couleurs vives s’enroulent et nous emportent.

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    © František Kupka (1871-1957), L’Eau, 1906-1909
    Huile sur toile, 63 x 80 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle
    Dépôt au musée des Beaux-Arts de Nancy, 1998, Don d’Eugénie Kupka en 1963

    Le bonheur est illustré d’abord par des scènes de jeux. Sur un bas-relief romain du IIe siècle, des garçons en tuniques courtes font rouler des balles à terre, des filles en jupes longues lancent des balles en l’air. En face, un charmant portrait par Chardin d’une fillette tenant d’une main sa raquette, de l’autre un volant à plumes – des couleurs et une harmonie inégalables (Petite fille jouant au volant).

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    Jean Siméon Chardin (1699 - 1779), Petite fille jouant au volant, 1737
    Huile sur toile, 83 x 66 cm - Florence, Galerie des Offices

    Un ensemble de quatre photographies d’Elger Esser montre deux enfants jouant les pieds dans l’eau près de rochers : un polyptique plein d’atmosphère et, à mes yeux, la seule photographie qui soit ici à la hauteur des tableaux exposés autour. Une scène délicieuse à observer : Le Maître peintre de Jan Verhas, où un enfant blond s’exerce à l’aquarelle sous les yeux d’autres enfants attentifs et souriants.

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    Albert Fourié (1854-1937), Un repas de noces à Yport, 1886
    Huile sur toile, 245 x 355 cm Rouen, musée des Beaux-Arts

    Puis ce sont des « parties de campagne » : Un repas de noces à Yport d’Albert Fourié montre en grand format de joyeux convives attablés à l’ombre d’un arbre. Le verger en haut, la nappe blanche en bas, vie et lumière. Quel plaisir de revoir plus loin Jour de fête de Kouznetsov (et quel contraste avec la sculpture placée en dessous, La sieste, un marbre de Denis Foyatier).

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    Gustave Crauk (1827-1905), Le Baiser, 1901
    Plâtre patiné, 79 x 70 x 62 cm - Lille, Palais des Beaux-Arts

    Le Baiser de Gustave Crauk, tendre étreinte entre une jeune mère et son enfant (le cartel attire l’attention sur les petites ailes de celui-ci, allusion à son décès), occupe le centre d’une salle sur le thème des « liens » familiaux ou amicaux. Même tendresse entre Silène et Bacchus enfant, un bronze du Louvre (d’après Lysippe). De Renoir, dont j’ai omis de signaler au début du parcours une belle étude (Torse, sous le soleil), voici Gabrielle et Jean, tout en douceur. Une Vierge à l’enfant d’après Rogier van der Weyden (XVe s.) montre Marie allaitant Jésus : ses vêtements d’un rose subtil ressortent sur le fond bleu du panneau entouré de guirlandes de fleurs et de fruits sur fond doré. 

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    Rogier van der Weyden (d’après), Vierge à l’Enfant, Fin du XVe
    Huile sur bois, 49 x 33 cm - Lille, Palais des Beaux-Arts
    (désolée pour les reflets)

    Dans une tout autre gamme, le rose et le bleu enchantent dans une grande toile de Maurice Denis, Soir de Septembre, aux couleurs irréelles et merveilleuses : il a peint sa famille, femmes et enfants, sur une plage étonnamment bleue où une mer émeraude étale son écume du même rose-orangé que le ciel du soir.

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    Maurice Denis (1870-1943), Soir de septembre, 1911
    Huile sur toile, 130 x 180 cm - Nantes, musée des Beaux-Arts

    Pour illustrer les deux salles consacrées aux « liesses » (bals, carnavals, fêtes, festins), je me limiterai à un peintre que je ne connaissais pas, Georges-Antoine Rochegrosse, et à son Bal des quat’z’arts descendant les Champs-Elysées : les étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris forment un joyeux cortège avec leurs modèles. Costumes anciens et exotiques, nus, musiciens, cavaliers, ombrelles – et même une chatte et ses petits, non loin d’une pie ! –, c’est un défilé rieur qui descend de l’Arc-de-Triomphe sous surveillance (un policier de dos, sous un réverbère). Un tableau très gai, composé en diagonale, avec le sol clair qui fait ressortir le chatoiement des étoffes et des couleurs.

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    Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938), Le Bal des Quat’zarts descendant les Champs-Élysées, 1894
    Huile sur toile, 153 x 215 cm - Paris, École nationale supérieure des beaux-arts

    Deux salles aussi pour les « corps joyeux » – course exaltée des baigneuses de Picasso avec le vent, l’affiche de l’exposition – et trois très belles sculptures sensuelles de Rodin : L’Ange déchu, Eternelle idole et Torse d’Adèle. (Plus loin aussi, de merveilleuses Mains d’amants en plâtre.) Une petite plaque d’ivoire ronde (« valve de boîte à miroir », XIVe) représente avec finesse, de part et d’autre d’un arbre, un couple visé par Cupidon juché sur une branche, et un couple en train de s’embrasser – l’éternelle histoire.

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    Anonyme (Paris), Valve de boîte à miroir : L’Amour et deux couples, Deuxième quart du XIVe siècle
    Ivoire, Diam. 9 cm - Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

    Hans Peter Feldmann s’est amusé, en 2014, à copier le fameux portrait de Jeune fille au repos par François Boucher : même pose aguichante, mêmes effets de jambes et d’étoffes, mais avec quelques variantes dont la plus drôle est bien l’anachronique contraste de la peau restée blanche sous le bikini de la demoiselle !

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    François Boucher (1703-1770), Jeune fille au repos (Louise O’Murphy), 1751
    Huile sur toile, 59,5 x 73,5 cm - Cologne, Wallraf-Richartz-Museum

    © Hans Peter Feldmann (1941-), Sans titre, 2014
    Huile sur toile , 40 x 50 cm - Allemagne, collection de l’artiste

    « Rires » pour terminer : un sujet plutôt rare en peinture et en sculpture, et difficile, non ? J’ai aimé celui du Jeune garçon riant de Frans Hals et le fin sourire d’un ange sculpté du XIIIe siècle (Tête d’ange provenant de Saint-Louis de Poissy).

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    Anonyme (Poissy), Tête d’ange provenant de Saint-Louis de Poissy, Après 1297
    Calcaire, 19,5 x 18 x 16,5 cm. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

    Dans l’atrium, des scènes de films sont proposées en boucle, les titres sont repris dans le dossier de presse, ainsi que toutes les œuvres exposées. « Joie de Vivre » : un thème stimulant pour commencer l’année. J’ai apprécié l’aménagement des espaces d’exposition avec leurs seuils panoptiques (vue d’ensemble de chaque salle dès l’entrée) et aussi les citations proposées au bas des murs (peut-être un peu trop bas) sur une bande colorée. « Toute joie parfaite consiste en la joie de vivre, et en elle seule. » (Clément Rosset)

  • Bruxelles ma belle

    « Idéal pour vos longues soirées d’hiver » conclut Nicolas Capart* dans La Libre (18/12/2015) où il présente les cinq ans de « Bruxelles ma belle ». Ce sera pour vous mon sujet de Noël.

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    © http://www.bruxellesmabelle.net/

    En 2010, Emmanuel Milon dit Manou, un Français venu faire des études audiovisuelles à l’IAD, lance son projet en ligne : filmer, enregistrer des chanteurs et des groupes musicaux de passage dans la capitale belge. Aujourd’hui, le site http://www.bruxellesmabelle.net/ vous offre en ligne les vidéos de plus de cent artistes dans presque autant de lieux connus ou méconnus de Bruxelles.

    Première vidéo réalisée en direct : « Eté 67 ». Le groupe liégeois s’installe sur un toit de Saint-Josse-ten-Noode – « Banjo, basse, guitare et batterie se mirent à chanter dans la nuit bruxelloise calme et paisible. » (Bruxelles ma belle) Un an après, ils reviendront chanter « Passer la frontière » sur le Parvis Saint-Gilles, sous le soleil.

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    © http://www.bruxellesmabelle.net/

    L’originalité de la plate-forme, c’est de promouvoir en même temps le patrimoine bruxellois. Les artistes chantent et jouent dans un musée, une église, un café, sur une place, devant un monument, au parc, aux Plaisirs d’hiver… Le site web propose deux formules pour choisir une vidéo : les artistes et les lieux. Ceux-ci sont chaque fois présentés et situés sur un plan de la ville, pour ceux-là, on peut prolonger la découverte via leur propre site ou page sur les réseaux sociaux.

    Un premier tour des endroits où je vous ai déjà invités ? Voici la maison des arts de Schaerbeek et son estaminet, le Mont des Arts, les Galeries royales Saint Hubert, la librairie Tropismes, le Botanique – neuf vidéos pour ce centre culturel où se déroulent les fameuses Nuits du Botanique, Bertrand Belin s’est installé au jardin avec sa guitare pour chanter « Hypernuit ».

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    © http://www.bruxellesmabelle.net/

    Et surtout, allez voir ailleurs, Bruxelles a mille facettes à sa boule de Noël ! Enchaînez, si vous voulez, en écoutant Anaïs dans un salon de thé, Arno chez le coiffeur, Camille à Notre-Dame du Finistère, Henri Dès dans une école, Ibrahim Maalouf et sa merveilleuse trompette à Bozar (pour toi, Colo), Saule dans les serres de Meise, etc. Bien sûr, il faut réécouter aussi Dirk Annegarn qui a si bien chanté Bruxelles. Chaque mardi, une nouvelle vidéo est mise en ligne sur Bruxelles ma belle, qui se visite en français, en néerlandais et en anglais.

    Chères lectrices, chers lecteurs de Textes & prétextes,
    bonne balade musicale 
    et joyeux Noël !

    *

    * Lire Nicolas Capart sur Let It Sound (mise à jour 27/12/2015)

     

     

  • Opiniâtreté

    plissart,marie-françoise,aqua arbor,exposition,photographie,bruxelles,le botanique,mer,arbres,nature,culture« Les mers, c’est l’eau, le liquide, les vagues, l’absence d’humains et d’objet, le mariage avec le ciel. C’est la matrice. A l’étage, l’arbre, c’est le vertical, le sec, la marque des humains, le masculin. Francis Ponge opposait « la mer qui a l’opiniâtreté de l’horizontalité » avec « les arbres qui ont l’opiniâtreté de la verticalité. »

    Guy Duplat, « Notre mer à tous », La Libre Belgique, 7/12/2015.

     

    « Aqua Arbor » de Marie-Françoise Plissart

    Le Botanique, Bruxelles, jusqu’au 31 janvier 2016.

  • Plissart Aqua Arbor

    Le Botanique accueille jusqu’au dix janvier « Aqua Arbor » de Marie-Françoise Plissart. Connue pour ses photographies d’architecture et de villes, elle expose ici un autre versant de son œuvre : les mers, les arbres, des photographies en noir et blanc. « Parc royal » (l’affiche) avec son assemblage, ses reflets dans l’eau, ses lumières, introduit ses grandes « compositions marines ».

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    Parc royal © Marie-Françoise Plissart

    Ce ne sont pas des vues de mer d’un seul point de vue à un moment précis, mais des agencements, des mises en scène. Dans une vidéo (sur la mezzanine), la photographe explique qu’elle a voulu prendre en compte le temps qui change, le temps de regarder, de photographier (la vitesse d’obturation a incroyablement progressé – temps impossible à l’échelle du regard humain ou animal), le temps de composer aussi. Elle situe son travail « à cheval sur l’argentique et le numérique ».

    « Aqua » montre des « constructions visuelles » jouant sur l’art de juxtaposer, de créer des contrastes, d’ajuster, « toujours dans une recherche de tension et d’équilibre » (Véronique Danneels). Ex-véliplanchiste, Marie-Françoise Plissart prend ses photos du littoral, pas en pleine mer, sur tous les continents. Elle prépare une installation artistique dans la station de métro Parc Royal, prévue en 2018.

    L’horizon qui structure ses compositions, en principe au milieu, on peut quasi le toucher sur une photographie, alors qu’en réalité (elle le souligne dans la vidéo), il reste une limite inaccessible. Enfant, la photographe bruxelloise passait les grandes vacances à la campagne et rêvait d’aller à la mer, de voyager.

    Au sol, une carte du monde inédite est dédiée à celle-ci : une carte des mers réalisée par Bieke Cattoor, architecte-urbaniste (KUL). En laissant pays et continents sur les bords, cette carte en bleu nous fait prendre conscience autrement de l’importance de la mer sur notre planète (pas seulement par la surface qu’elle couvre).

    La houle et les nuages, les rives du fleuve Congo, le vol des oiseaux, le passage d’un bateau, les explosions d’écume sur les vagues... Chaque composition explore un thème, un climat, à Saint-Pétersbourg ou Ostende, Hong Kong ou Lesconil (France), jusqu’à cette fascinante vue du Sri Lanka où les animaux sur le rivage et la végétation volent la vedette au monde aquatique.

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    Lesconil (France) © Marie-Françoise Plissart

    Au fond de la salle, on peut s’asseoir pour regarder le film « Congo » (2003) : autorisée à filmer la rive gauche du fleuve Congo à Kinshasa – « 45 minutes, pas une seconde de plus » (injonction administrative) –, la cinéaste filme d’une bananière un plan fixe. Au rythme lent de la navigation, on découvre les activités humaines sur la rive ou à bord d’autres bateaux, les installations industrielles à l’abandon, les baraques rafistolées, le linge mis à sécher, la végétation qui pousse comme elle peut. Des inscriptions, des slogans, des gestes de réaction aussi. « Ce qu’on voit parle de soi-même. » (M.-F. Plissart)

    « Arbor », à l’étage, présente des photographies N/B des vingt dernières années que Marie-Françoise Plissart avait prises sans intention particulière sinon garder le souvenir de rencontres, de lieux, d’impressions. Le rôle du photographe n’est-il pas d’être le « gardien de la mémoire » ? Elle raconte dans la vidéo comment, après un incendie à côté de chez elle, une dame lui avait parlé d’un album de photos comme de sa plus grande perte – un témoignage confirmé par les assureurs.

    Plus que des photographies d’arbres, sa sélection montre les liens entre les arbres ou entre les arbres et les hommes. Par exemple dans ses séries de voyage en Chine, en 2010 et 2011. Des hommes prennent le thé dans la cour d’un ancien temple de Confucius où poussent deux figuiers centenaires. Des canards se promènent près d’une grange où les villageois rangent leur cercueil creusé dans un tronc, préparé de leur vivant. Des amateurs emmènent leurs oiseaux siffleurs au parc, une couverture sur leur cage.

    Une belle série montre des arbres de santal transplantés à l’aide de cordes pour peupler un nouveau campus universitaire. A l’opposé de cet esprit de conservation ou plutôt de transmission aux générations futures, des photos de cabanes installées dans les arbres du bois de Lappersfort, près de Bruges, témoignent du combat écologique contre l’abattage (perdu et gagné, 5 hectares rasés sur 13).

    Dans ses voyages, la Bruxelloise a rencontré des arbres exceptionnels, un baobab qui aurait 734 ans (Sri Lanka), un figuier du Bengale (Calcutta) foudroyé qui continue de croître (on dirait plusieurs arbres, mais en réalité, il s’agit bien d’un seul, qui s’étend à présent sur un hectare et demi !)

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    Vue d'ensemble au musée du Botanique. Au sol, "Carte des mers" de Bieke Cattoor

    Marie-Françoise Plissart lit beaucoup (dans la vidéo, elle cite Ponge, Maylis de Kérangal), elle est à l’écoute des gens qu’elle rencontre. Elle a pris des photos dans le jardin de l’architecte Pierre Hebbelinck, à Othée : des arbres chaulés dans le brouillard ; un élagueur en plein travail, y taillant un vieux poirier « pour lui donner quelques années de plus ». Pierre Lesage lui a fait remarquer que les arbres « depuis toujours forment le plus grand des réseaux par leurs racines qui vont jusqu’à la mer ».

    Vous vous souvenez peut-être des aquarelles de Hans Op de Beeck, exposées au Botanique l’an dernier ? « Aqua Arbor » de Marie-Françoise Plissart m’y a fait penser, bien que son travail soit très différent, plus ancré dans le réel : cette fois encore, le noir et blanc, la lumière, la nature et l’humanité, la poésie sont au rendez-vous.

  • Epopée d'Espagne

    Libertad ! de Dan Franck, après Bohèmes consacré aux effervescences de l’art moderne à Paris au début du XXe siècle, raconte une autre époque : « Elle est aventurière. Elle est à l’engagement. Elle est terrible. » Années trente : le fascisme rôde en Europe. Et c’est l’Espagne qui s’embrase. Des écrivains, poètes, artistes n’y resteront pas indifférents.

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    Le récit s’ouvre sur un dîner entre Gide et Malraux place des Victoires, en 1936 : André Gide, 67 ans, rentre d’Union soviétique ; André Malraux, 35 ans, d’Espagne, où il est colonel, chef d’escadrille, dans l’armée républicaine. De ces deux grandes figures de leur génération, nous suivrons l’engagement intellectuel et politique, la vie privée aussi, jusqu’à la seconde guerre mondiale.

    Les écrivains français qui se rendent en URSS en ramènent des impressions diverses : Saint-Exupéry, envoyé par Paris-Soir à Moscou pour écrire sur le premier mai 1935, n’a pu se rendre sur la place Rouge, faute d’autorisation préalable, accordée seulement après enquête. Prévert, qui y accompagne le groupe Octobre en 1934, refuse de participer aux visites et activités de propagande.

    A Paris, André Breton gifle Ilya Ehrenbourg, qui vient de traiter les surréalistes de « dégénérés », de « véritables aliénés » dans un article. « Le troubadour de la culture soviétique », furieux, appelle Louis Aragon. Entre celui-ci et Breton, la grande amitié née de leur engagement volontaire en 1916 avait déjà commencé à se fissurer, Aragon restant soumis à Staline. Breton est alors exclu du Congrès international des écrivains à Paris où il était inscrit comme « orateur libre ».

    Le poète surréaliste René Crevel, dégoûté des basses manœuvres staliniennes, se suicide. Il était ami de Salvador Dali, étranger à toute cause autre que celle de « convertir le monde à lui-même ». Franck relate les débuts du peintre, ses rencontres avec Lorca à Madrid, avec Miró et Picasso à Paris – Picasso qui porte sur le lobe de l’oreille gauche le même grain de beauté que Gala, la muse de Dali (après Eluard et Max Ernst).

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    Puis on découvre comment Gide est devenu peu à peu « un commandeur dans le monde des arts, des lettres et des points de vue » et qui fréquente son antre parisien rue Vaneau. Les délégués au Congrès de juin 1935 « pour la défense de la culture » lui rendent visite, Gide a accepté de le présider. C’est la foire d’empoigne sur le cas de Victor Serge, traître pour les uns, innocent pour les autres. Eluard tente de lire à la tribune le discours transmis par Breton, mais il est interrompu, sifflé, applaudi. La rupture est consommée entre surréalistes et communistes.

    Marina Tsvetaïeva en a profité pour rencontrer Pasternak, avec qui elle a échangé une longue correspondance amoureuse. Mais elle n’écoutera pas son conseil : « Surtout, ne revenez pas à Moscou. » On retrouve Gide aux funérailles de Gorki qui était absent au Congrès. Gide est invité à prononcer un discours, Aragon l’aide à le composer. Gide ignore tout alors de la façon dont Gorki survivait, surveillé, étouffé par le régime soviétique, afin de rassurer faussement les Européens qui lui faisaient confiance. On offre à Gide un luxueux voyage en train vers le Caucase, mais malgré cela, en discutant avec de jeunes komsomols, l’écrivain découvre l’envers du décor. Il va le décrire dans Retour de l’URSS, que beaucoup lui conseillent de ne pas publier vu les circonstances politiques.

    En février 1936, les Espagnols ont élu un gouvernement démocrate, mais en juillet, c’est le putsch du général Franco : la guerre d’Espagne commence. « Ici, des ouvriers, des paysans, communistes, socialistes, anarchistes, anticléricaux ; là, des bourgeois, des soldats, catholiques, propriétaires. L’Espagne et ses oppositions irréductibles. »

    Dan Franck rappelle qui fut Malraux avant de s’envoler pour Madrid : son mariage avec Clara, le vol d’œuvres d’art khmer au Cambodge, sa condamnation, sa peine réduite après une pétition en sa faveur, ses écrits pour Grasset, le passage chez Gallimard, ses premiers prix littéraires. Josette Clotis, sa maîtresse, loge à Tolède. Dans l’urgence, Malraux monte l’escadrille « España », avec des mercenaires, tandis que la France opte officiellement pour la « non-intervention ».

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    Ici, à mi-lecture de Libertad ! (environ 400 pages), commence l’épopée d’Espagne : l’histoire de la guerre civile (1936-1939) et de la part qu’y ont prise les autres nations – les Italiens et les Allemands apportant leur appui militaire aux fascistes, les Soviets aux Brigades internationales venues prêter main-forte aux républicains. Ecrivains, artistes, photographes s’engagent ou témoignent sur le front anti-fasciste. Malraux, Koestler, Robert Capa et Gerda Taro, Orwell, Hemingway… Dan Franck s’attarde sur les figures qui se sont particulièrement illustrées durant ces années. Des portraits, des faits, l’espoir et le chaos.