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  • Genoux

    « En général, une bibliothèque, ou n’importe quel bâtiment d’ailleurs, donne l’impression d’être un espace limité. Comment peut-on rester du matin au soir, tous les jours, dans 1200 m2 sans s’ennuyer ? Mais pour Dewey, la bibliothèque municipale de Spencer était un univers immense, regorgeant de tiroirs, de placards, d’étagères, de rayonnages, d’élastiques, de machines à écrire, de tables, de chaises, de sacs à dos, de sacs à main et d’innombrables mains pour le caresser, de jambes pour s’y frotter, de bouches pour chanter ses louanges. Et de genoux. La bibliothèque était toujours miséricordieusement, superbement remplie de genoux. » 

    Vicki Myron, Dewey 

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  • Dewey Readmore Books

    Si vous aimez les bibliothèques publiques, ce livre est pour vous ; si vous adorez les chats, n’hésitez pas, lisez Dewey, l’histoire du chat de la bibliothèque de Spencer, Iowa« Le destin extraordinaire d’un chat abandonné »raconté par Vicki Myron, sa directrice, avec la collaboration de Bret Witter (traduit de l’anglais par Bérangère Viennot). 

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    Ce chat doit son prénom à la classification décimale de Dewey, un système de classement développé par un bibliothécaire américain qui lui a donné son nom, au XIXe siècle, et qui a été perfectionné au début du XXe siècle par Paul Otlet, créateur de la Classification Décimale Universelle, avec Henri La Fontaine.

    Dewey, best-seller aux Etats-Unis, raconte l’histoire vraie d’un chaton abandonné en janvier 1988 par moins quinze degrés dans la boîte de dépôt en métal fixée au mur et destinée à recueillir les livres rendus en dehors des heures d’ouverture de la bibliothèque. Ce lundi matin-là, en soulevant le couvercle, Vicki Myron constate qu’un livre coincé dans la fente laisse entrer de l’air glacé et découvre « la tête penchée, les pattes repliées sous lui », un chaton qui se fait le plus petit possible. 

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    Mère célibataire et fille de la campagne, Vicki n’est pas une sentimentale, mais quand elle prend contre elle ce petit chat de huit mois à peine pour le réchauffer, c’est lui qui la fait fondre. Il tremble si fort qu’elle décide de lui donner un bain chaud dans l’évier et à son grand étonnement – les chats n’aiment pas l’eau d’habitude – le chaton se met à ronronner. Après un shampooing et le séchage avec un séchoir à colle, il se révèle « un magnifique chat tigré roux aux poils longs ». Ses coussinets gelés vont blanchir et peler dans la semaine, mais il s’en remet et manifeste une confiance totale envers ses sauveteuses. 

    Il faut évidemment l’accord du conseil d’administration de la bibliothèque de Spencer pour le garder et n’importe quel chat ne conviendrait pas. Mais Vicki pressent à l’attitude bienveillante de celui-ci envers tout le monde, personnel d’abord, puis visiteurs, qu’il fera un excellent « employé de bibliothèque » à demeure. Dans le contexte difficile de la crise agricole qui frappe leur région dans les années 80, ce chat très sociable va devenir pour la ville beaucoup plus qu’un animal de compagnie.

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    Comment l’appeler ? Baptisé Dewey, prénom confirmé par un concours ouvert aux habitués de la bibliothèque, il lui faut un nom de famille et ce sera celui du chat O. G. Readmore qui, entre deux dessins animés, incite les enfants « à lire un livre et regarder la télévision dans sa tête ». Dewey Readmore Books, « un nom pour les bibliothécaires (…). Un nom pour les enfants. Et un nom pour tout le monde. »

    Dewey est le récit de sa vie à la bibliothèque dont il devient l’âme, pendant dix-neuf ans, de la vie de la bibliothécaire qui l’a recueilli et qu’il sauve aussi, à sa manière, et de Spencer, cette petite ville de l’Iowa que le chat roux va rendre si célèbre que même des Japonais viendront le filmer dans son cadre (culturel). Pas à pas, saut à saut, les aventures d’un chat qui a un sens inné de l’accueil et du réconfort, et qui charme les plus indifférents en s’installant sur leurs genoux ou sur la photocopieuse. 

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    Un livre pour « gagas » des chats ? Sans doute, mais pas seulement. Vicki Miron réussit à faire partager son amour du lien social que peut représenter une bibliothèque vraiment au service du public. Elle nous raconte l’évolution de sa ville, au milieu des champs de maïs. Cette histoire d’un chat devenu célèbre qui a même sa propre entrée dans Wikipedia, est aussi, vous l’avez compris, une histoire très humaine. 

  • Une compagne

    « Qu’est-ce que la solitude ? Une compagne qui sert à tout.

    Elle est un baume appliqué sur les blessures. Elle fait caisse de résonance : les impressions sont décuplées quand on est seul à les faire surgir. Elle impose une responsabilité : je suis l’ambassadeur du genre humain dans la forêt vide d’hommes. Je dois jouir de ce spectacle pour ceux qui en sont privés. Elle génère des pensées puisque la seule conversation possible se tient avec soi-même. Elle lave de tous les bavardages, permet le coup de sonde en soi. Elle convoque à la mémoire le souvenir des gens aimés. Elle lie l’ermite d’amitié avec les plantes et les bêtes et parfois un petit dieu qui passerait par là. » (25 mars)

    Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie

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  • Sa cabane en Sibérie

    Je préfère laisser passer du temps avant d’aborder un livre dont on a beaucoup parlé, et à lire Sylvain Tesson, je me découvre en phase avec un de ses principes : « Je pratique un exercice qui consiste à se plonger dans des lectures dont la couleur propulse aux exacts  antipodes de ma vie présente. » Dans les forêts de Sibérie, prix Médicis essai 2011, c’est l’expérience de la cabane, six mois de vie d’ermite au bord du lac Baïkal (de février à juillet 2010), l’ivresse de la solitude – avec ses gueules de bois, au sens littéral (vodka) et au sens figuré. 

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    © Olivier Desvaux, Sylvain Tesson dans sa cabane en Sibérie

    Sa cabane, un ancien abri de géologue dans une clairière de cèdres, mesure trois mètres sur trois. Pour parler avec un voisin, il faut marcher au moins cinq heures vers le nord (Volodia) ou vers le sud (un autre Volodia). Sept ans plus tôt, l’écrivain-voyageur avait découvert ces cabanes régulièrement espacées au bord du lac et avait rêvé d’y séjourner « seul, dans le silence » avant ses quarante ans.

    Avec la yourte et l’igloo, la cabane est « une des plus belles réponses humaines à l’adversité du milieu ». Un ami qui l’a accompagné jusque-là l’aide à arracher le lino, le coffrage en carton des murs, à mettre à nu les rondins et un parquet jaune pâle – Volodia en est consterné et voilà le Français surpris en flagrant délit d’esthétisme bourgeois. Après quelques jours, ses compagnons le quittent. Sylvain Tesson a beaucoup voyagé, dans l’immobilité il cherche à présent « la paix ». « Je vais enfin savoir si j’ai une vie intérieure. »

    « La moindre des choses quand on s’invite dans les bois est de connaître le nom de ses hôtes », d’où une série de guides naturalistes dans sa caisse de livres, en plus d’une soixantaine de « lectures idéales » d’après sa liste dressée à Paris (où ne figurent que trois écrivaines : Ingrid Astier (auteure de polars), Yourcenar et Blixen). Sur place, il regrettera de ne pas avoir emporté « un beau livre d’histoire de la peinture pour contempler, de temps en temps, un visage. » 

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    Photo Thomas Goisque / Le Figaro magazine

    La vie dans la nature et la vie en ville, la solitude et les contacts humains, le progrès et l’écologie, ce sont les principaux axes de réflexion qui reviennent dans les notes de Sylvain Tesson, mais il s’agit aussi d’une mise au point sur ses choix de vie : fuite ? jeu ? quête ? Il voit l’ermitage volontaire, la vie ralentie, comme un « champ expérimental ». Une expérience de liberté d’abord, puisque lui seul décide de ses activités, des heures attribuées à la lecture, à l’écriture, à l’entretien, à la promenade, à la contemplation, au sommeil, etc. « L’homme libre possède le temps. »

    En mars, il note ceci : « Pour parvenir au sentiment de liberté intérieure, il faut de l’espace à profusion et de la solitude. Il faut ajouter la maîtrise du temps, le silence total, l’âpreté de la vie et le côtoiement de la splendeur géographique. L’équation de ces conquêtes mène en cabane. » Vérité universelle ou personnelle ? Aurait-il dû écrire : « Il me faut… » ? En tout cas, il tient quotidiennement son journal intime, « supplétif à la mémoire ». Archiver les heures, tenir son journal « féconde l’existence. »

    Les autres, la famille, la femme aimée, les amis, ne sont pas oubliés. Une date rappelle un anniversaire. L’ennui ne l’effraie pas – « Il y a morsure plus douloureuse : le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus. » Mais certains jours, il s’accuse de lâcheté : « Le courage serait de regarder les choses en face : ma vie, mon époque et les autres. » 

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    Perov, Les chasseurs à la halte (toile commentée par Tesson) 

    "Les Russes ont le génie de créer dans l'instant les conditions d'un festin."

    Les intrusions de pêcheurs ou de voyageurs amènent un rituel immuable : couper du saucisson en lamelles, ouvrir une bouteille de vodka, se saouler ensemble. Rares sont ceux qui s’y refusent, comme Volodia T., qui s’est réveillé un jour sans sa femme ni ses enfants, partis – « La famille, c’est mieux que l’alcool. » Ses visiteurs traitent le Français d’«Allemand » à cause de la propreté dans sa cabane bien tenue. Tesson rencontre de temps à autre, chez eux ou chez lui, d’autres personnes qui ont fait le choix de vivre seules ou en couple au bord du lac.

    Un ermite se retire, prend congé de ses semblables – les sociétés n’aiment pas ce qui « souille le contrat social ». Sans contacts avec les autres, l’esprit ralentit, perd la vivacité des conversations mondaines, il n’est plus nécessaire de trouver toujours quelque chose à dire. « Il gagne en poésie ce qu’il perd en agilité. »  L’écrivain allume une bougie devant l’icône de Séraphin de Sarov qu’il emporte partout, il porte au cou une petite croix orthodoxe, par amour du Christ, non de la religion, « tripatouillage de la parole évangélique ».

    Bien à l’abri du froid, Sylvain Tesson redécouvre des choses simples : comment les objets familiers deviennent chers – le couteau, la théière, la lampe – et comme une fenêtre ouvre à la beauté du monde. Les mésanges lui offrent bientôt leur amitié : « Au carreau ce soir, la mésange, mon ange. » Le matin, leurs coups de bec contre la vitre le réveillent. « Côtoyer les bêtes est une jouvence. » Le 28 avril, de passage à Zavarotnoe au retour d’un déplacement pour raisons administratives (extension de visa), il se voit confier deux chiots de quatre mois, Aïka et Bêk, qui aboieront si un ours approche de sa cabane. Leur compagnie, sur place ou en randonnée, lui sera précieuse, voire salvatrice. 

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    A feuilleter sur le site de Gallimard

    La peinture revient sous sa plume pour dire la beauté des choses : « L’or des branches, le bleu du lac, le blanc des fractures de glace : palette d’Hokusai. » (3 mars) « Au matin, l’air est aussi joyeux qu’un tableau de Dufy. » (6 juin) Il a tenté un soir de photographier l’éclat de la neige quand le soleil perce, « mais l’image ne rend rien du rayonnement » : « Aucun objectif photographique ne captera les réminiscences qu’un paysage déploie dans nos cœurs. » (17 mars) « Penser qu’il faudrait le prendre en photo est le meilleur moyen de tuer l’intensité d’un moment. » (15 mai) Paradoxe : Sylvain Tesson a filmé son séjour et en a tiré un documentaire co-réalisé avec Florence Tran : « Six mois de cabane au Baïkal ».

    « Habiter l’instant » est nécessaire à la santé mentale d’un anachorète – « Le présent, camisole de protection contre les sirènes de l’avenir. » Mi-juin, « tout s’écroule » à cause de cinq lignes sur le téléphone satellite qu’il réserve aux urgences : « La femme que j’aime me signifie mon congé. » L’arrivée de deux amis peintres quelques jours plus tard l’aide à « rester en vie ». Le 25 juillet, peu avant de se séparer des chiens, l’auteur dresse le bilan de ces six mois de vie, « pas trop loin du bonheur de vivre ». C’est l’adieu au lac : « Ici, j’ai demandé au génie d’un lieu de m’aider à faire la paix avec le temps. »

    Bien qu’à l’opposé de Rumiz et de ses déplacements le long de la frontière européenne, Dans les forêts de Sibérie, expérience d’immobilité, tient aussi ses promesses de dépaysement : de nombreuses pages racontent l’exploration des environs, les conditions climatiques, le passage des saisons. Au contact des Russes, Tesson prend quelques leçons de philosophie, ce qui ne l’empêche pas d’être critique devant l’arrogance ou la destruction gratuite comme l’abandon des déchets ou la chasse par plaisir. Mais à ces aventures du dehors, à ces conversations passagères, l’exploration du dedans se mêle sans cesse, et donne au récit sa part d’humanité.

  • Epigramme

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    James Ensor (Ostende, 1860 - id., 1949) Épigramme autographe signée*. (droits réservés)

     

    « Cette courte épigramme de James Ensor est révélatrice* à la fois de sa détestation de ses contemporains et des conventions sociales. Dans sa période la plus créatrice, Ensor s’est construit en réaction contre ses contemporains, il décrit alors la société comme un carnaval absurde, révolutionnant l’art graphique en méprisant les conventions. »

    (Dossier du Musée des Lettres et des Manuscrits, exposition Rops, Ensor, Magritte - Des lettres et des peintres, Bruxelles, 2013.) [* correctif de la rédaction]