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Il éprouve l’impérieux besoin
de dresser sur la toile
des objets qui échappent
à l’emprise du temps
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Giorgio Morandi Natura morta 1956 Acquerello su carta 16 x 24 cm © Collection privée
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Il éprouve l’impérieux besoin
de dresser sur la toile
des objets qui échappent
à l’emprise du temps
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Giorgio Morandi Natura morta 1956 Acquerello su carta 16 x 24 cm © Collection privée
Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar), vous avez jusqu’au 22 septembre pour visiter la rétrospective Giorgio Morandi (1890-1964) et, si vous ne supportez pas bien la chaleur de ce beau mois de juillet particulièrement ardent dans la capitale, sachez que vous y prendrez en même temps un bain de fraîcheur.
Giorgio Morandi, Nature morte, 1936. Mamiano di Traversetolo (Parma) © Fondazione Magnani Rocca
Le peintre de Bologne voulait « toucher l’essence des choses ». Dans le Dictionnaire de la peinture moderne (Hazan, 1980), on loue l’excellence de ses gravures mais on le présente ainsi : « Morandi se tourne vers le passé, vers un petit monde clos et qui n’appartient qu’à lui, élaboré à l’ombre des deux tours de Bologne. » L’exposition bruxelloise retrace son cheminement et en propose « une lecture plus contemporaine » (Guide du visiteur).
Première toile, un « Autoportrait » de 1924 où l’artiste tient palette et pinceau fin, mais ne nous regarde pas : des couleurs délavées à la manière de la fresque, comme dans la plupart de ses toiles. Puis quelques baigneuses inspirées de Cézanne et surtout une petite aquarelle de 1918, « Baigneuse », dans de doux tons de rose. Plutôt que la figure humaine, Morandi peint des paysages, des objets, parfois des fleurs – la nature morte est son domaine de prédilection : la vie silencieuse, tranquille des choses.
Giorgio Morandi, Autoportrait, 1924, huile sur toile 63 x 48,5 cm, Parme © Fondation Magnani-Rocca
Ses paysages, moins connus que ses arrangements de bouteilles et de vases, sont réduits à l’essentiel : des murs et des volumes, des surfaces captant la lumière au milieu de la végétation. Pas de ciel au-dessus d’une maison enfouie dans la verdure, mais bien dans une petite toile presque carrée où un jeune arbre anime la surface d’un champ ocre clair et deux cyprès, à peine esquissés, la ligne oblique d’une colline.
Quelques marches mènent à une première série d’eaux-fortes. Morandi dessine des lieux familiers, sa résidence d’été à Grizzana, le jeu chaque fois différent des feuillages et des façades. « La route blanche » (1933) montre un procédé qu’il utilise aussi dans ses natures mortes gravées : le papier laissé vierge pour les surfaces blanches. On retrouve ce paysage plus loin, à l’huile.
Giorgio Morandi, Nature morte au mannequin, 1918, huile sur toile, Milan © Pinacoteca di Brera, Collezione Jesi
Prêt exceptionnel de la Galerie des Offices, une « Nature morte » de 1916, une des rares œuvres de jeunesse que l’artiste ait conservées. La lumière y est « diaphane », les couleurs subtiles (abricot ? pêche ?). Elle voisine avec des œuvres « métaphysiques » inspirées par Chirico, comme « Nature morte au mannequin » (1918) où une tête fait face à une bouteille blanche légèrement ombrée, leurs courbes dialoguent avec des formes rectangulaires ou cylindriques : du blanc, du jaune très pâle, des gris.
Et puis voilà les Morandi qu’on croit connaître : objets sur un guéridon, vases, pots, cruches, côte à côte dans une composition soigneusement réglée. Des couleurs impossibles à nommer, des harmonies où un petit vase bleu ciel, un citron, un fruit cuivré mettent des accents vibratoires. D’où vient cette sensation de présence ? Mystère.
Deux toiles m’ont retenue dans la salle d’angle. Le verre qui les protège gêne le spectateur, mais quelle splendeur ! Comment identifier cette nature morte de 1929 ? Au panier derrière un pot blanc, au col bleu vert d’une bouteille. Et cette autre de 1923-1924, où la lumière irradie ? Une lampe à huile en opaline bleu turquoise (bleue aussi, l’anse d’un sucrier), des pots blancs de formes et de nuances différentes, des verreries, tout un petit monde sur l’épaisseur d’une table ronde.
Giorgio Morandi, Nature morte, gravure sur cuivre à l'eau-forte, 1931 © collection privée
Parmi les natures mortes gravées – quelle finesse dans les hachures qui donnent forme et volume, quels contrastes, quel travail du fond dans « Grande nature morte avec lampe à droite » ! – une étrange eau-forte de 1931 où les formes des vases apparaissent en creux, dans les vides.
Dans la grande salle où s’alignent des toiles de format réduit (à partir de 1930), il est de plus en plus évident que Morandi n’est figuratif qu’en apparence : les récipients disposés dans l’espace ou serrés les uns contre les autres ne sont pas tant des objets à montrer que des formes, des volumes, des couleurs. Torsades ou cannelures sont jeux d’ombre et de lumière. « Il suffit de leur consacrer quelques minutes d’attention pour percevoir, dans ce léger tremblement qui délimite le contour de chaque objet, comme un cœur qui bat. » (Guy Tosatto, Giorgio Morandi – Variations sur un coin de table, Beaux-Arts magazine, n°81, juillet-août 1990)
Quel contraste entre la banquette en velours grenat d’une autre époque, inattendue au centre de cette salle où les œuvres pâtissent un peu de l’alignement, et les discrètes nuances des peintures en infinies variations de tons clairs, le plus souvent. « Tout y est affaire de silence, de perception des valeurs qui nous entourent. » (Roger Pierre Turine)
Giorgio Morandi, 1951, huile sur toile, Florence © Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
Après des natures mortes avec coquillages, et parfois une silhouette de guitare, l’exposition se termine sur de petits bouquets de fleurs très délicats. « Morandi aimait les offrir à ses amis et admirateurs, « poètes et gens de lettres, historiens de l’art et musicologues. » (Guide du visiteur)
Le « Dialogue » final avec des œuvres de Luc Tuymans semble incongru, plusieurs l’ont noté dans le livre d’or. En revanche, les six textes inspirés par Morandi et repris dans le petit Guide l’accompagnent à bon escient, en particulier une méditation de Nicole Malinconi, « Dans la poussière du jour », qui aurait pu aussi s’intituler « Dans la poussière du temps ».
« J’arrivais sur le plongeoir. Je me dirigeais vers la plateforme, tout au bout. La petite bande y était déjà. Elle ne m’accueillait pas, moi hélas, avec les injures amicales qu’elle avait coutume de lancer aux tard-venus. J’avais trente ans. J’étais déjà un vieux. Ils me traitaient avec une nuance dont je me serais bien passé. »
Robert Merle, Dernier été à Primerol
Dernier été à Primerol (2013) est un récit posthume de Robert Merle, son premier texte littéraire, retrouvé par ses enfants à son domicile en 2004, à son décès. Il ne leur en avait jamais parlé. Son fils Pierre donne en postface les clés de ce texte inédit d’une centaine de pages, rédigé en captivité de 1940 à 1943.
« C’est la faim qui est cause de tout. » Trois semaines après sa dernière bouchée de viande, sa dernière pipe, le narrateur sent se dilater sa « pensée de jeûneur » involontaire et défiler dans sa mémoire tout ce qu’il a mangé dans sa vie antérieure. Flash-back : le « breakfast » servi par Fifine, du bacon grillé et des œufs dont il se régalait tandis que sa femme, « la Louve », se contentait d’un café au lait. Et puis la première cigarette, « comme une action de grâce vers les narines du Créateur ! »
Dans l’immense « cage de verre » où ils sont environ quatre mille prisonniers, des « clochards en uniforme », c’est chaque fois la queue interminable pour la soupe, où quelqu’un trouve parfois un morceau de nerf et de graisse qui rend tout le monde jaloux. Distributions, semblant d’hygiène, vols, toux du soir, plaintes nocturnes… sous le canon d’un fusil-mitrailleur.
« Un an auparavant, presque jour pour jour, j’étais à Primerol, nu ou presque, dans la chaleur du midi. Eté 39… » Des villas, deux ou trois hôtels, une petite gare. La mer « phosphorescente » au clair de lune. Mais l’Histoire le poursuit jusque-là : « Dans ces radieuses journées d’août, je ne pouvais penser qu’à Dantzig. » Un fonctionnaire polonais, rencontré au tennis l’année d’avant, lui avait parlé de la « ville libre », et ses paroles le hantent, lui qui évite les discussions du Bar-tabac et la TSF – « Je faisais le mort. »
Jean Dodéro préfère s’intéresser à la petite bande qui occupe la plate-forme, au bout du plongeoir, lézarde, se baigne, dont la blonde Tillie, une jeune Allemande, excellente nageuse – « je n’avais pas du tout envie de lui faire la guerre, à celle-là. » Ou s’en aller vers les îles sur son kayak, tôt le matin ou le soir, le soir surtout : « La mer prenait des teintes mauves. Je ne la regardais pas. Je me dépouillais tout entier. »
Il fuit « les Historiens » qui ont tous fait la dernière guerre et en possèdent une « expérience infinie ». Il observe M. Marcillac, « un piqué de Primerol, lui aussi, mais pas un vagabond dans mon genre ». Ponctuel, élégant, dandy viril qui se balance sur son transatlantique particulier : « Ah ! Ces pins, Monsieur ! Cette terrasse ! Cette mer ! »
Dernier été à Primerol est la gourmande résurrection de ces derniers instants de bonheur avant la guerre. Aux jouissances de l’été, à l’observation des uns et des autres, hommes et femmes, jeunes et vieux, aux souvenirs personnels se mêle l’inquiétude de l’avenir qui menace, une perception aiguë du temps : « On ne demande jamais assez aux êtres, à la Vie. Puis le Temps passe, on se réveille enfin, et c’est fini. »
« Ecrit au crayon de bois très fin, parfois difficile à déchiffrer », sur un cahier cartonné, c’est le récit d’un jeune père de 31 ans réquisitionné en août 1939, promu « agent de liaison », et neuf mois plus tard confronté aux camps de transit puis au stalag pour trois longues années. Sa correspondance de captivité a permis de reconstituer plus ou moins les circonstances dans lesquelles Robert Merle a écrit Dernier été à Primerol « à mi-chemin entre le récit autobiographique et la nouvelle ». L’écrivain l’a conservé tel quel, sans jamais en faire autre chose que ce qu’il est, « un texte d’évasion, léger et grave, heureux et inquiet, rythmé par l’amour des mots et des personnages insolites. » (Pierre Merle, Postface)
« La plage de Jambes rappellera d’agréables souvenirs à ceux qui l’ont fréquentée dans les années 60… « La plage », comme on l’appelle, est un établissement de bains publics fondé à la fin du XIXe siècle. Par beau temps, les Namurois et les Jambois profitent de ses infrastructures : une lingerie, un buffet et un magasin d’accessoires. Une caisse à l’entrée et un local pour les surveillants complètent l’aménagement. Les 50 cabines couvertes de tôle ondulée offrent un accès direct à la Meuse. Les soldats de la garnison disposent d’un grand local séparé. Au début du XXe siècle, il existe deux catégories d’entrées. La première, réservée à la bourgeoisie, fournit deux essuies, une paire d’espadrilles et un costume de bain. Les ouvriers et les soldats se contentent de la seconde catégorie. Il existe aussi un « bassin des dames », qu’un treillis cache à la vue des autres nageurs. Avec la démocratisation des loisirs, certaines infrastructures sont réaménagées.
© Renée Prinz (1883-1973), Les bains publics près du pont de Jambes (détail)
Depuis la rive droite, Renée Prinz nous montre cette vue en amont du pont de Jambes avec la citadelle. Le ponton permet de plonger dans une zone balisée par des bouées. La Plage offre ses services de mai à septembre. A la fin de la saison, les infrastructures en bois sont démontées pour l’hivernage. (…) »
Fabien De Roose, Namur vue par les peintres