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  • Paul Willems rêve

    Une trouvaille à la Librairie du Port de Toulon, où je ne pensais pas rencontrer le nom de l’écrivain Paul Willems, le fils de Marie Gevers, évoqué ici ou sur ce blog : La cathédrale de brume est un recueil de six nouvelles imprimées sur vergé ivoire, une belle édition ornée de bois de Max Elskamp (nouvelle édition Fata Morgana, 2005, celle de 1983 n’étant plus disponible). Pages non coupées, comme autrefois, pour ces six textes où Paul Willems raconte, rêve et fait rêver.

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    L’incipit de Requiem pour le pain met en appétit : « Il ne faut jamais couper le pain, dit ma grand-mère, il faut le rompre. Et elle me prend le couteau des mains. Je ne réponds pas. On se tait quand on entend des paroles sacrées. » Cette première histoire concerne la grand-mère et deux enfants, son petit-fils et sa cousine, une histoire d’amour et de mort, où Ostende – « Avant la guerre, Ostende flottait sur la mer » – est un lieu clé.

    On voyage beaucoup dans La cathédrale de brume : à Helsinki (Un voyage d’archevêque), en Extrême-Orient (Dans l’œil du cheval), en Bulgarie (Tchiripisch). Si Le palais du vide n’est pas localisé, la nouvelle éponyme nous ramène en Belgique, « dans la forêt d’Houthulst » au milieu des chênes et des hêtres. Entre blessures et bonheurs – « le bric-à-brac du non-dit qui s’est accumulé en moi au cours de ma vie et qui est devenu lentement la matière de mon rêve. » (Ecrire, communication à l’Arllfb, 1981)

    Avez-vous lu ce beau roman que Paul Willems a intitulé Tout est réel ici ? Vous retrouverez dans ce recueil son art de créer du rêve avec peu, par la magie des mots et des silences. Racontées à la première personne, ses histoires s’ancrent dans la réalité concrète. Parfois c’est un objet qui donne l’impulsion, comme le pain de la grand-mère ou cette toque de fourrure – « une merveilleuse chose en kloupki à poil doré » – aperçue à la vitrine d’un chapelier.

    Souvent, c’est une rencontre : avec un comte et sa femme dans « un immense appartement moderne » tout blanc, du moins à la première impression ; avec un « ethnologue en chambre » et professeur d’université, qui l’emmène en voyage dans sa voiture ; avec un ingénieur soviétique dont il a fait la connaissance en avion.

    Comme il l’écrit dans Le pays noyé, un autre texte dont vous pouvez lire des passages en ligne sur le site de l’Académie, « Tous, pourtant, emportaient des souvenirs. Étrangement, ils ne choisissaient pas seulement les souvenirs heureux, mais aussi les chagrins, « car, disaient-ils, l’ombre fait briller la lampe d’une lumière plus claire ». » La cathédrale de brume appartient aux récits « venus de la mémoire profonde », des textes mi-biographiques, mi-oniriques « d’une simplicité bouleversante » (Liliane Wouters).

    Dans l’univers de Paul Willems, l’étrange est familier. Des choses improbables se passent naturellement, c’est le monde d’un poète ou la poésie du monde. Il nous en reste des images, des sensations, impalpables comme celles que nous laissent nos rêves, mais qui flottent longtemps à la surface de nos souvenirs. Embarquez-y, si vous voulez, ou plutôt, comme sur les bois gravés de Max Elskamp qui ouvrent et ferment le recueil, posez-vous là comme un oiseau sur la branche et laissez le vent des mots vous balancer.

  • A l'heure japonaise

    La remarquable exposition « Oriental fascination » ou « Le japonisme en Belgique, 1889-1915 » se tient encore à l’Hôtel de Ville, Grand-Place, jusqu’au 28 septembre. On y est accueilli par une élégante Parisienne japonaise d’Alfred Stevens, en kimono fleuri, qui se regarde dans un miroir. Les femmes occupent une grande place dans ces « japonaiseries », la nature aussi. Mais tout était prétexte alors pour se mettre à l’heure japonaise, comme on le voit sur des photographies de soirées costumées, engouement qui fit dire à Alexandre Dumas : « Tout est japonais de nos jours. »

    Comment résister au charme de La belle Yosooi de Mastuba-ya, en train d’écrire sur un rouleau de papier, ou à la magnifique Princesse descendant d’une calèche de Kitagawa Utamaro ? C’est une longue estampe horizontale dans une dominante de rose : près d’un cerisier en fleurs, une femme descend de sa voiture qu’entourent des courtisanes attentionnées. Hiroshige, le célèbre paysagiste du XIXe siècle, est très bien représenté dans les deux salles de l’exposition, avec Mésange sur une branche de camélia, par exemple, et des vues de sa série de paysages japonais, souvent traversés par un pont, sujet cher aux Asiatiques.

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    Des poètes belges se sont associés à cette fascination de l’Orient. De Max Elskamp sont présentées plusieurs belles pages illustrées de L’éventail japonais. Emile Verhaeren, qui fut sollicité pour accompagner des Images japonaises de textes inspirés par des estampes (sous vitrine), publia Les villages illusoires avec une série de gravures signées Ramah dans un style japonisant.

    Les estampes ont inspiré à Adolphe Crespin un grand ensemble de toiles pour orner une chambre à coucher. Décoratif aussi, un panneau commandé par Rops à Auguste Donnay, Et pour l’automne. Une étude à l’aquarelle, avec une bordure corail, des tons contrastés, une ligne ferme, jouxte la grande toile plus crémeuse. Dans la même gamme de couleurs, on peut voir un beau pastel de Fernand Khnopff, Des roses, en bouquet près d’un visage de rousse énigmatique.

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    Spilliaert est bien sûr au rendez-vous, avec des bords de mer à l’encre de Chine où les courbes puissantes vont souvent par trois, comme dans Fillettes devant la vague et Femme au bord de l’eau. Moins japonaise, mais impressionnante, sa Hofstraat à Ostende où le reflet de la lune plonge entre les hauts immeubles d’une des rues étroites qui mènent à la mer. Son étonnant chat noir, silhouette fantastique, est accroché au-dessus d’un autre moins inquiétant peint par Rik Wouters, près du Merle de Boitsfort, gaiement croqué par ce génie du familier.

    Parmi les affiches inspirées par l’art japonais, on retrouve une composition de Rassenfosse pour le Salon des Cent en 1896 - deux dames à une exposition, dans de chauds tons ocre - reprise en 1980 pour annoncer la mémorable exposition bruxelloise « Vies de femmes 1830-1980 ». Gisbert Combaz a peint pour le salon 1906 de La Libre Esthétique un voilier secoué par les flots, lui qui était excellent marin se représente par ailleurs à la barre dans un autoportrait. Van Rysselberghe, Rops, Lemmen, Ensor… La liste des peintres belges influencés par le Japon et présents dans cette exposition serait fastidieuse. Des artistes moins connus sont associés à ces grands noms, par des paysages aux lignes sinueuses (Melchers) ou vibrants de lumière (Van Ermengen, frère de l’écrivain Franz Hellens).

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    Quelle bonne surprise de retrouver ici l’Autoportrait d’Hokusai âgé, une reproduction de 1905 prêtée par le Musée national de Cracovie – le musée polonais a hérité en 1920 de près de cinq mille estampes d’un collectionneur -, et quelques-unes de ses fameuses Cascades ! Une citation traduite en trois langues (français, néerlandais et anglais, comme le catalogue trilingue) résume bien l’état d’esprit que reflètent toutes ces œuvres : « Vivre seulement pour l’instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les érables rouges ; chanter des airs, boire, se divertir et se laisser flotter comme flotte la gourde au fil de l’eau. » (Asai Ryoi, Le Dit du Monde flottant, 1661)

    (Merci à Vayhair de m’avoir rappelé cette exposition.)

  • Entre les deux

    Quand j’ai emprunté à la bibliothèque, avant le confinement, L’arbre du pays Toraja de Philippe Claudel, je ne pouvais me douter qu’il ferait partie, comme quelqu’un l’écrivait ici récemment, de ces livres qui « viennent toujours quand on a besoin d’eux ». J’ai lu d’une traite ce roman dont le titre renvoie à un rituel funéraire des Toraja, sur une île indonésienne.

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    Rik Wouters, Autoportrait, fusain

    Le narrateur, un cinéaste, se souvient de ce pays où, près d’un village, on lui a montré un arbre « particulier », « remarquable et majestueux » : « une sépulture réservée aux très jeunes enfants venant à mourir au cours des premiers mois », déposés dans une cavité sculptée à même le tronc, fermée par des branchages et des tissus. Au retour en France, il a l’intention de le raconter à Eugène, son producteur devenu son meilleur ami, mais en écoutant les messages sur son répondeur, il entend celui-ci lui dire : « Tu vas rire, j’ai un vilain cancer. »

    Depuis quelques années, il a l’impression que la mort s’approche, sans la craindre vraiment pour lui-même, mais bien pour ses proches. Dans leur brasserie préférée où ils se retrouvent le soir même, il raconte son voyage à Eugène, sans lui parler des rituels. Celui-ci l’a rassuré – « tout a été pris à temps », sa fille médecin y a veillé –, et ils ont trinqué « à Dieu, au millefeuille, à [eux], à la vie. » Eugène est mort moins d’un an plus tard, peu après qu’il lui avait tout de même « raconté l’arbre du pays Toraja ».

    Cela dit, le narrateur laisse « glisser les plans un à un », s’attarde sur L’invention de Morel, un roman de Casares qu’Eugène lui avait offert, sur le scénario qui l’occupe, à partir du suicide d’un camarade d’adolescence qui s’est suicidé à dix-neuf ans, dont le titre sera « Pas mon genre », d’après la conclusion d’Un amour de Swann.

    « Le remords, le temps, la mort, le souvenir ne sont que les différents masques d’une expérience qui n’a pas de nom dans la langue, et qu’on pourrait au plus simple désigner par l’expression usage de la vie. Quand on y pense, toute notre existence tient dans l’expérimentation que nous en faisons. Nous ne cessons de nous construire face à l’écoulement du temps, inventant des stratagèmes, des machines, des sentiments, des leurres pour essayer de nous jouer un peu de lui, de le trahir, de le redoubler, de l’étendre ou de l’accélérer, de le suspendre ou de le dissoudre comme un sucre au fond d’une tasse. »

    L’arbre du pays Toraja est une rumination sur cet « entre les deux » qu’est la pensée de la mort dans notre vie – « Nous autres vivants sommes emplis par les rumeurs de nos fantômes » – et le récit d’un homme qui vit seul dans un immeuble, entre deux femmes : une voisine qu’il observe de sa « fenêtre sur cour », dont il fera la connaissance, et Florence dont il a divorcé « en douceur », qu’il fréquente encore régulièrement. A tout cela se mêle l’amour du cinéma, qui imprègne sa vision des choses et son amitié pour Eugène.

    « Ainsi vont nos vies, qui se décident parfois un peu trop vite, et qui nous laissent nous débrouiller ensuite avec nos regrets et nos remords. » Au long des deux cents pages de L’arbre du pays Toraja, Philippe Claudel nous met à l’écoute des confidences d’un homme attentif aux corps, aux postures, aux mouvements, en même temps qu’aux méandres en lui de de la mémoire et de la vie.

  • Berlin 1912-1932

    Il reste une quinzaine de jours pour visiter « Berlin 1912-1932 » aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. « L’exposition dirigée par Inga Rossi-Schrimpf innove en insistant sur les liens noués entre les artistes belges d’alors et Berlin. Elle s’ouvre en 1912 déjà, parce que c’est l’année de l’ouverture de la galerie Der Sturm à Berlin, lieu essentiel pour toute l’avant-garde et d’abord celle du mouvement Die Brücke. Elle y exposa Ensor et Rik Wouters et, en 1928, Victor Servranckx, le premier abstrait belge. Jozef Peeters un des premiers abstraits belges, était tout autant fasciné par Berlin : « Dans une ville cosmopolite comme Berlin, même les plus grands extrêmes peuvent coexister. Une activité inouïe s’y déploie malgré la brièveté de la vie. » (Guy Duplat dans La Libre Belgique)

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    Ernst Ludwig Kirchner, Femmes dans la rue, 1915, Von der Heydt-Museum Wuppertal, Allemagne

    Cette exposition foisonnante est introduite par une chronologie année par année, qui rend compte et de l’effervescence artistique dans la métropole berlinoise et des événements sociaux et politiques, de la première guerre mondiale aux prémices de la seconde. Dès le début du parcours, on rencontre de grands noms de la peinture allemande expressionniste comme Kirchner (1880-1938) avec Femmes dans la rue. L’exposition rassemble des peintures, des sculptures – magnifique Vengeur de Barlach (1870-1930), des dessins, des photographies, des films et des éléments d’architecture.

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    Ernst Barlach, Le Vengeur, 1914, Ernest Barlach Haus-Stiftung Hermann F. Reemstma, Hambourg

    Parmi les 200 œuvres exposées, j’ai choisi de vous montrer d’abord des œuvres d’artistes allemandes que j’y ai découvertes. Plusieurs affiches et gravures de Käthe Kollwitz (1867-1945), peintre, dessinatrice et sculptrice, illustrent son engagement pacifiste. L’artiste, qui enseignait à Berlin, a perdu un fils de dix-huit ans au front en 1914. Nie wieder Krieg ! (Plus jamais de guerre !) montre avec force, dix ans plus tard, le refus et la révolte contre la guerre. Helen Ernst (1904-1948) s’engage elle aussi en appelant les ouvriers à l’action antifasciste ou en s’insurgeant contre les lois d’urgence, en 1930.

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    © Käthe Kollwitz, Nie wieder Krieg !, 1924, Käthe Kollwitz Museum, Cologne
    © Helen Ernst, Contre les lois d'urgence et la dictature militaire, vers 1930,
    Stiftung Deutsches Historisches Museum, Berlin

    Plus loin, dans une section intitulée « New [Wo]man », plusieurs œuvres de Jeanne Mammen (1890-1976) ont retenu mon regard. Cette Berlinoise qui a grandi à Paris, formée aussi à Bruxelles et à Rome, a dû rentrer dans sa ville natale en 1914. Sans ressources, elle travaille comme illustratrice et peint entre autres le milieu des cabarets, le Carnaval à Berlin, les homosexuelles. Sans titre (Mercredi des cendres, scène de carnaval), vers 1926, montre une jeune fêtarde affalée, cigarette à la main, en rupture avec les conventions. La silhouette du chat vient d’un jeu sur le nom de son modèle (pas noté). Jeanne Mammen a peint Die Schöne Frau (La belle femme) choisie pour l’affiche de « Berlin 1912-1932 »

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     © Jeanne Mammen, sans titre ( mercredi des Cendres, scène de carnaval), vers 1926

    La fameuse photographie d’une femme qui enjambe une flaque, A la station Zoo (1930), de Friedrich Seidenstücker, jouxte des vues de Berlin par Germaine Krull, comme celle du Romanisches Café.

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    © Friedrich Seidenstücker, A la station Zoo, 1930

    Plus loin, je me suis attardée devant un saisissant photomontage de Herbert Bayer intitulé Habitant solitaire d’une métropole.

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    © Herbert Bayer, Habitant solitaire d’une métropole, 1932, Cologne, Musée Ludwig

    Il y a de quoi titiller la curiosité et l’imagination à cette exposition des Musées royaux des Beaux-Arts, je vous laisse observer cette Fuite de Hanna Höch (1889-1978), une œuvre dadaïste pleine d’humour, non ?

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    © Hanna Höch, Fuite, 1931, Institut für Auslandsbeziehungen e.V., Stuttgart
     (désolée pour les reflets des spots)

    La commissaire de l’exposition, Inga Rossi-Schrimpf, avait déjà conçu ici même, il y a deux ans, l’exposition « 14-18. Rupture ou Continuité ? » On lui est reconnaissante d’avoir retenu de nombreuses signatures féminines parmi les artistes sélectionnés pour « Berlin 1912-1932 ». L’exposition reste visible à Bruxelles jusqu’au 27 janvier prochain.

  • Promesse de visages

    « Promesses d’un visage, L’art du portrait des primitifs flamands au selfie », c’est le titre en français de l’exposition Promises of a Face aux Musées royaux des Beaux-Arts (MRBAB) – l’affiche en anglais cible les touristes ; j’ai saisi l’occasion de revoir des peintures tirées des réserves, entre autres de feu le Musée d’Art moderne. A voir à Bruxelles jusqu’au 15 juillet.

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    « Memling, Rubens, Van Dyck, Gauguin, Ensor, Chagall, Delvaux, Bacon, Tuymans, Borremans, Fabre, Vanfleteren… À travers cette exposition, le visiteur redécouvrira dans un nouveau contexte certains chefs-d’œuvre des Musées royaux des Beaux-Arts. Les maîtres anciens y dialoguent avec les créations les plus contemporaines et les célébrités d’hier et d’aujourd’hui se côtoient de façon inédite. » (site des MRBAB)

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    On aperçoit d’en haut en arrivant le « troupeau » de Jan Fabre, un ensemble spectaculaire d’autoportraits en bronze ou en cire, une vingtaine, à différents âges, tous affublés d’oreilles ou de cornes animales, non sans ironie : « L’autoportrait comme une aspiration vers ce qui est étrange et autre. » Ils font face à des autoportraits de peintres de différentes époques.

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    Ecole des Pays-Bas méridionaux, Paysage anthropomorphe. Portrait d'homme, seconde moitié du XVIe s., MRBAB, Bruxelles

    Puis l’accrochage est chronologique, des portraits anciens, parfois flanqués d’une œuvre contemporaine (comme la photo d’un sans-abri par Serrano près d’un portrait du XVe siècle), aux portraits modernes. Pas de panneaux explicatifs ; les peintures et quelques sculptures sont groupées par type – portraits de famille, portraits royaux, épouses d’artistes, enfants…

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    Lambert Suavius (attribué à), Portrait de Guillaume de Norman le jeune ?, vers 1540, MRBAB, Bruxelles

    Devant les portraits de bourgmestres flamands ou ceux des archiducs Albert et Isabelle par Cornélis de Vos, on repense à ce qu’écrivait Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne, un passage lu près du Portrait de Guillaume de Norman le jeune (des citations et notices sont proposées tout au long du parcours sur des feuillets collés au mur avec un adhésif, voir ci-dessus) : « (…) la plupart des beaux portraits qui nous restent des temps antérieurs sont revêtus des costumes de leur époque. Ils sont parfaitement harmonieux, parce que le costume, la coiffure et même le geste, le regard et le sourire (chaque époque a son port, son regard et son sourire) forment un tout d’une complète vitalité. »

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    Rembrandt, Portrait de Nicolaes van Bambeeck, 1641, MRBAB, Bruxelles

    Après une longue série de portraits masculins, parfois accompagnés de celui d’une épouse ou d’une famille, je m’arrête devant deux peintures magistrales : l’une signée Frans Hals, Portrait de Johannes Hoornbeek, professeur à l’université de Leyde, un livre à la main, date de 1645 ; l’autre, Portrait de Nicolaes van Bambeeck par Rembrandt, de 1641 (ci-dessus). Des visages qui vivent, des personnalités perceptibles en plus d’un statut social.

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    Jean Delville, Portrait de la femme de l'artiste, 1916, MRBAB, Bruxelles

    Il faut attendre les XIXe et XXe siècles pour plus de liberté ou de fantaisie dans la représentation et souvent pour des sujets féminins, quoique Femme en gris (1904), le premier portrait de Nel par Rik Wouters soit fort austère par rapport à la façon dont il la montrera plus tard. Jean Delville peint sa femme dans une pose très souple, rêveuse, plus rassurante que le Portrait de madame Stuart Merrill aussi appelé Mysteriosa.            promesses d'un visage,portraits,exposition,musées royaux des beaux-arts,bruxelles,peinture,sculpture

    Paul Gauguin, Portrait de Suzanne Bambridge, 1891, MRBAB, Bruxelles

    Gauguin a trouvé des bleus et des roses délicats pour le portrait de Suzanne Bambridge (1891), dont les parents s’étaient installés à Tahiti. Cette peinture vient d’être restaurée. Non loin, Femme lisant et fillette de Van Rysselberghe (1899) date de la même époque – portraits ou scène de genre ? –, les deux façons de peindre sont très éloignées l’une de l’autre.

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    Léon Spilliaert, Profil, 1907, Encre de Chine, craie rouge et bleue sur papier, MRBAB, Bruxelles
    Edouard Agneessens, La flamande, ca. 1867, huile sur toile ovale, MRBAB, Bruxelles

    Parfois l’association de deux tableaux n’est que formelle : entre Profil de Spilliaert et La Flamande d’Agneessens, quelle différence de peinture et d’univers aussi ! Quarante ans séparent ce portrait symboliste et le tondo de belle facture classique.

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    Louis Gallait, Simonne Bucheron à trois ans, 1872 / Louis Faider à trois ans, 1879, MRBAB, Bruxelles

    Louis Gallait a peint Simonne Bucheron à trois ans en 1872, Louis Faider au même âge en 1879. La fillette regarde sur le côté, sa pose est assez naturelle, celle de son chien aussi, tandis que le gamin et son chien sont campés tout droit. Lui est en promenade, avec son bâton, elle à l’intérieur, près d’un fauteuil. Stéréotypes du genre.

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    Georges Verbanck, dit Geo, Fillette affligée, bois polychrome, 1917, MRBAB, Bruxelles

    L’ensemble contient de belles choses, de grands noms, il m’a paru pourtant hétéroclite ; les rapprochements ne permettent pas vraiment de comprendre comment a évolué la peinture du portrait. Avec ces 160 œuvres sélectionnées dans les collections, comme l’écrit Guy Duplat, l’exposition offre « une balade comme un autoportrait du musée, avec un fil assez ténu » (La Libre Belgique).

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    Au niveau – 3, entre autres activités ludiques, des feuillets sont à disposition pour écrire un commentaire
    à coller avec un adhésif près d’une reproduction (ils ne sont pas tous aussi sympathiques).

    Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de visiter le Musée d’art moderne avant sa fermeture, c’est l’occasion d’en découvrir certains chefs-d’œuvre, quoique hors contexte. Pour tout le monde, c’est l’occasion d’une trouvaille ou l’autre, par exemple, pour moi, cette sculpture de Geo Verbanck si expressive, Fillette affligée. Ou encore de s’exprimer par écrit à la sortie de cette exposition conçue comme un « libre parcours » (Michel Draguet).