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Café Vivre

Chantal Thomas a réuni dans Café Vivre (2020), sous-titré Chroniques en passant, les chroniques mensuelles qu’elle a écrites pour le journal Sud Ouest de 2014 à 2018 (avant la pandémie). De sable et de neige m’a donné envie de la lire plus avant. L’épigraphe du recueil est si belle que je la reprends :

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« Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l’aube se lève, s’étend, les cailles et les perdrix s’en mêlent […] Finalement, ce qui constitue l’ossature de l’existence, ce n’est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d’autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l’amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. » (Nicolas Bouvier, L’Usage du monde)

Dans sa préface, la chroniqueuse invite à lire Café Vivre « comme un journal de voyage, si l’on croit que chaque matin contient une occasion de départ et une chance d’aventure, émotive, intellectuelle – la recherche d’une certaine qualité de vibration. » On y trouvera « la ronde des saisons », y écrit-elle, avec un clin d’œil à Bonnard pour les notations atmosphériques de ses agendas (« beau nuageux », « beau orageux »…) et à Sei Shônagon pour ces « Choses qui ne font que passer » (Notes de chevet).

Le titre du recueil, elle l’a trouvé à Kyoto parmi les noms de cafés et de magasins en français. Elle avait ses habitudes au Bon Bon Café, au bord de la rivière Kamo, avant de découvrir et d’adopter le Café Vivre. De nombreuses chroniques sont consacrées à ses destinations de voyage. Elle écrit sur Arcachon, où la maison de ses grands-parents, vendue, peut se louer pour des vacances, sur Paris, Bordeaux, New York, « la ville [qu’elle] aime entre toutes ».

On retrouve New York dans plusieurs chroniques : Dans l’ombre des gratte-ciel où elle décrit la « ville debout » (Céline) et l’East Village, Alphabet City en particulier. Le taxi-salsa de New York. Washington Square Park. Le Metropolitan. La Frick Collection où il y a tant à admirer, notamment une série de Fragonard, musée qui appartient à l’espèce rare des « musées qui suscitent l’envie d’y habiter » (Rites d’arrivée : visite à la Frick Collection). Les huîtres au Grand Central Oyster Bar.

Ses sujets sont très variés : voyages, couleurs, fêtes, rites – « J’ai dans les lieux qui me sont chers des rites d’arrivée » (Café Nerval) –, personnages historiques, peintres, opéra, lectures, musées et expositions, cinéma, restaurants, parcs… On se réjouit de la lire à propos d’écrivains qu’on aime ou sur des sujets familiers ; elle attise notre curiosité sur ceux qu’on ne connaît que de loin. « Pour qui aime lire, le voyage immobile est là, toujours accessible. » (Nos livres de chevet

L’émotion du vert tendre est de saison : Chantal Thomas nous apprend qu’au Moyen Age, on devait avoir avec soi, en mai, « un rameau vert, une petite branche de feuillage, cueillie de frais chaque matin ». La personne qui n’en avait pas était aspergée d’eau ou recevait un gage. Du passé d’Arcachon, avant le XIXe siècle, des peintures et des vitraux de la chapelle des marins de l’église Notre-Dame racontent la saga d’un franciscain, Thomas Illyricus, fondateur de la première chapelle d’Arcachon et d’un pèlerinage à Notre-Dame-du-Bon-Secours (L’ermite d’Arcachon). A la recherche de livres éclairants, elle s’émerveille de Frère François de Julien Green (Sur les traces des moines mendiants).

Bien sûr, notre époque est observée : « notre frénésie de contacts ininterrompus » grâce au smartphone (Rester en contact), le plaisir de lire (qui se perdrait) et les femmes « en train de lire » en peinture (Le besoin de lire), le désir des Japonais pour la propreté (L’année du Singe au Japon) et « la dominante éclatante du rouge » à Taipei (Rouge feu : l’année du Singe à Taïwan). Chantal Thomas aime Paterson, le film de Jim Jarmusch, et les écrits de Patti Smith, grande amatrice de cafés – rappelez-vous M Train.

Et Paris ? Les reines du Luxembourg m’a donné envie d’aller m’y promener à la recherche des statues de « vingt reines, saintes et dames illustres », dont celle de George Sand, « seule et peu visible ». A la fin du livre, après une bibliographie joliment intitulée « Horizon de lectures », on trouve (fait rare, il me semble) la liste des « Crédits » envers les éditeurs de tous les livres cités, des © habituellement réservés aux images.

Café Vivre permet d’approcher les centres d’intérêt de Chantal Thomas et d’apprécier la langue claire de cette admiratrice de Barthes. Celui-ci préférait le séjour au voyage, vivait à Paris et dans le Sud-Ouest dont il aimait la lumière : « Il suffit, pour habiter le monde, de savoir rendre grâce à sa changeante beauté. » (Les deux pôles de Roland Barthes)

Commentaires

  • Chère Tania c'est un bonheur de découvrir ce livre, avec vos mots, puis viendront ceux de l'auteur. Oui, je le lirai, tant d'éléments me charment dans votre évocation.

    Comme écrit pour vous, un court extrait des «Notes de chevet»: «On ne doit jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu'on a lues.»

  • Chère Elisabeth, c'est du bonheur de lire votre commentaire. Merci pour cette citation attentionnée.

  • Un livre qui te ressemble, qui rassemble semble-t-il tout ce que tu aimes, et que j'aimerai sans doute aussi. Une belle écriture est toujours un régal, merci

  • J'ai nommé ce qui m'a le plus parlé dans ce livre, voilà pour la "ressemblance". De livre en livre, je me sens plus proche de l'univers de Chantal Thomas, je l'admets.
    Bonne lecture, j'espère que tu l'aimeras aussi.

  • J'ai énormément aimé cette lecture ; je suis admirative de l'écriture de Chantal Thomas depuis assez longtemps maintenant. Ces temps-ci, j'ai envie de relire "Comment supporter sa liberté", le livre qui me l'a fait découvrir. Il est paru il y a 25 ans, je pense que je le percevrais différemment aujourd'hui.

  • C'est aussi le premier livre que j'ai lu d'elle. Je n'ai pas retrouvé ton billet, avais-tu écrit sur "Café Vivre" ? Bonne journée, du soleil comme ici, j'espère.

  • J'ai oublié de te le préciser, je n'ai pas fait de billet sur "café vivre" lu pendant l'arrêt de mon blog.

  • Merci pour ta réponse.

  • Ce livre aux multiples entrées parait très intéressant. Je note. Je ne connais d'elle que "Souvenirs de la marée basse". L'écriture de l'auteur m'avait touchée à l'époque. Merci Tania !
    Ps: L'épigraphe de Nicolas Bouvier me fait penser à tes hêtres pourpres...

  • Ce n'est pas faux :-). Cet autre titre attend son heure avec son "Journal de nage".
    Bonne après-midi, Claudie.

  • Je ne connais de Chantal Thomas ses livres ou elle parle d’Arcachon et son livre sur la nage. J’aime son écriture qui résonne pour moi comme de la poésie. Je crois que maintenant je suis prêtre à découvrir d’autres lieux avec elle.

  • C'est avec Dominique Bona que j'ai découvert Arcachon (La Ville d'hiver) et j'imagine que Chantal Thomas et elle ont bien des choses à échanger depuis qu'elles sont toutes deux à l'Académie française.
    C'est vrai, sa prose est poétique et aussi son regard sur le monde. Merci, Thaïs.

  • Ce titre-là n'est pas encore dans ma médiathèque en ville, mais j'ai déjà noté certains de ses livres car je l'avoue je n'ai pas encore lu cette écrivaine et pourtant je l'ai noté plusieurs fois et je n'ai lu que des chroniques enthousiastes à son sujet. Merci de nous présenter aussi joliment celui-ci, une belle manière de voyager il me semble...

  • Je suis très heureuse de lire Chantal Thomas plus avant. A suivre.

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