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Textes & prétextes - Page 685

  • Trois regards

    Retour à la littérature japonaise avec Le Fusil de chasse, de Yasushi Inoué (1949), une œuvre très originale, recommandée par une bonne conseillère. En quelques pages, le narrateur y explique d’abord dans quelles circonstances il a écrit pour une revue cynégétique un poème intitulé Le Fusil de chasse, lui qui n’est pourtant pas chasseur et n’a jamais tenu d’arme entre les mains. Quelques mois après la publication, une lettre lui arrive. Il s’attendait à une protestation quelconque, mais au contraire, un certain Josuke Misugi lui adresse ses remerciements et lui confie même trois lettres dont il n’a jamais eu le courage de se débarrasser, pour qu’il les lise avant de les détruire.

    Ce sont trois lettres de femmes, trois regards sur un homme qu’elles ont connu à divers titres. La première, la « Lettre de Shoko », lui a été envoyée par la fille d’une femme qu’il a aimée en secret.  Le jour où celle-ci est morte, en cachette, Shoko a lu le Journal que sa mère lui demandait de brûler. Elle espérait y trouver la raison du divorce de ses parents, sur lequel sa mère n’avait jamais voulu s’expliquer. La découverte de leur liaison la bouleverse. Que tout cela se soit passé à son insu, mais aussi à l’insu de Midori, la cousine et l’amie de sa mère, l’épouse de Josuke, la scandalise.

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    La « Lettre de Midori » éclaire tout autrement la situation. « Quand nous jetons un regard sur le passé, notre mariage, qui n’existe que de nom, semble avoir duré très longtemps, n’est-ce pas ? Alors, n’as-tu pas envie d’en finir une fois pour toutes ? Certes, il est assez triste d’en arriver là, mais, si tu n’y vois pas d’objection, prenons tous deux les mesures propres à recouvrer notre liberté. » Midori elle-même s’est entichée d’autres hommes, avec insouciance. Sans faux-fuyant, elle compose une lettre d’adieu et demande le divorce. Elle raconte à son mari sa dernière entrevue cruciale avec Saïko, sans rien épargner à l’homme qui se tint entre elles deux.

    Saïko est l’auteur de la troisième missive, « Lettre de Saïko », un message posthume. « Comme si tu entendais ma voix, cette lettre te dira mes pensées, mes sentiments, des choses que tu ignores. Ce sera comme si nous bavardions, comme si tu entendais ma voix. Tu vas être bien étonné, et sans doute affligé, et tu vas m’en vouloir. » La maîtresse de Josuke dit à quel point l'ont obsédée les mots « amour », « péché » et « mort ».

    La force du roman, dont l’intensité croît de lettre en lettre, réside dans le biais choisi pour raconter cette tragédie d’amour. Chacune des femmes y exprime ce qu’elle ressent mais pas seulement. Chaque lettre évoque des moments forts, des lieux précis, des vêtements particuliers, des gestes uniques, avec poésie bien que dans une langue économe. A travers ces confidences, le lecteur entre dans l’intimité des personnages, qu’ils aient choisi de vivre pleinement leurs sentiments ou d’y renoncer.

    Le titre, Le fusil de chasse, semble éloigné du sujet, mais ce fusil a sa place dans le récit, et on comprend finalement pourquoi Josuke Misugi, le destinataire des trois lettres, affirme dans le prologue sa conviction d’être le personnage du poème éponyme : « Que diriez-vous si je vous avouais que l’homme dont vous avez parlé dans votre poème n’est personne d’autre que moi ? »

  • Mal dans sa peau

    La petite Arabe, roman d’Alicia Erian (2005), vient d’être adapté au cinéma par Alan Ball, le réalisateur d’American Beauty,. On y découvre comme dans ce film inoubliable des tensions familiales exacerbées, l’obsession du sexe, beaucoup de non-dit entre personnages de la classe moyenne américaine.

    Jasira, treize ans, raconte son histoire : « Parce que je plaisais trop à son petit ami, ma mère m’a envoyée habiter avec papa. » Il y a huit ans que sa mère (d’origine irlandaise) a divorcé d’avec son père (d’origine libanaise) chez qui elle doit passer un mois tous les étés, bon gré mal gré. Mais l’intérêt que porte Barry, le petit ami en question, au développement physique précoce de l’adolescente a exaspéré sa mère, qui l’envoie vivre à Houston. Rifat, qui gagne bien sa vie à la NASA, est un père autoritaire et violent. Le premier matin, lorsque Jasira vient déjeuner en tee-shirt et culotte, il lui flanque d’emblée une gifle et l’envoie s’habiller. Ils emménagent dans un nouveau lotissement, où  le premier contact avec leurs voisins, les Vuoso et Zack, leur fils de dix ans, est un peu tendu. Les Irakiens viennent d’envahir le Koweït et Vuoso, militaire de réserve, préjuge à tort des sympathies de son voisin libanais pour Saddam. Les deux hommes rivalisent dès lors de patriotisme, arborant l’un et l’autre la bannière étoilée devant chez eux. Ambiance.

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    Un autre malentendu surgit entre Jasira et son père : celui-ci veut profiter de la piscine du lotissement, mais elle n’ose pas s’y montrer, sa mère lui ayant interdit de se raser entre les jambes. Son père, quand il la découvre en maillot, trouve qu’elle « déborde de partout » et lui ordonne à nouveau de se rhabiller. En revanche, les voisins l’engagent pour garder Zack après l’école, ce qui rend le garçon furieux. C’est chez eux que Jasira découvre la revue Playboy que Zack emprunte régulièrement à son père. Quand elle tâche de l’en dissuader, il la traite « d’enturbannée ». Le père de Jasira est chrétien, « comme tout le monde au Texas », mais cela n’empêche pas le racisme ordinaire.

    Quand viennent ses premières règles, Jasira téléphone à sa mère, qui lui dit d’en parler à son père. Celui-ci l’emmène au drugstore et lui interdit les tampons hygiéniques avant le mariage, sans explication. L’adolescente, une fois de plus, est livrée à elle-même et c’est son drame. Personne à qui se confier, à qui poser ouvertement ses questions, pas de paroles réconfortantes, pas de gestes attentionnés. Alors Jasira se débrouille et fait les choses en cachette. Chez les voisins, elle aussi se réfugie dans l’univers de Playboy, y prend du plaisir, et vole des tampons dans la salle de bain de Mme Vuoso.

    Cette gamine mal dans sa peau n’a de relation vraie avec personne et sera bientôt la proie des hommes, jeunes ou adultes, pour peu qu’ils lui manifestent de l’intérêt, surtout sexuel. Melina, une nouvelle voisine qui est enceinte, s’attache à elle et lui vient discrètement en aide. Chez elle, Jasira découvre une autre sorte de gens, qui expliquent leurs principes, se parlent et ont des gestes affectueux. Mais la sympathique voisine ne se doute pas des situations extrêmes où Jasira s’enfonce. Ni sa mère, trop préoccupée de sa propre vie sentimentale, ni son père, dépassé par cette fille rétive à l’éducation stricte qu’il veut lui imposer et surtout soucieux de sa propre réputation, ne devinent la vie cachée de Jasira qui n’a trouvé qu’une solution : dissimuler. Le manuel d’éducation sexuelle pour adolescents que lui a offert Melina à Noël, tout en le conservant chez elle pour ne pas que Jasira en soit privée, lui fournit de temps à autre une clé pour résoudre les problèmes qui se posent à elle. « Le livre expliquait que ce n’était pas ma faute, que j’étais un être humain, pas une plante, et qu’on pouvait donc comprendre que mon corps ait réagi de cette façon. »

    Alicia Erian rend crûment la solitude extrême de son héroïne aux prises à la fois avec un corps qui change, des parents égocentriques, le racisme, les interdits. Seule Melina regarde Jasira non comme « la petite Arabe », mais comme une adolescente en grande difficulté. Ce sera sa chance, malgré ses malheurs.

  • A l'heure japonaise

    La remarquable exposition « Oriental fascination » ou « Le japonisme en Belgique, 1889-1915 » se tient encore à l’Hôtel de Ville, Grand-Place, jusqu’au 28 septembre. On y est accueilli par une élégante Parisienne japonaise d’Alfred Stevens, en kimono fleuri, qui se regarde dans un miroir. Les femmes occupent une grande place dans ces « japonaiseries », la nature aussi. Mais tout était prétexte alors pour se mettre à l’heure japonaise, comme on le voit sur des photographies de soirées costumées, engouement qui fit dire à Alexandre Dumas : « Tout est japonais de nos jours. »

    Comment résister au charme de La belle Yosooi de Mastuba-ya, en train d’écrire sur un rouleau de papier, ou à la magnifique Princesse descendant d’une calèche de Kitagawa Utamaro ? C’est une longue estampe horizontale dans une dominante de rose : près d’un cerisier en fleurs, une femme descend de sa voiture qu’entourent des courtisanes attentionnées. Hiroshige, le célèbre paysagiste du XIXe siècle, est très bien représenté dans les deux salles de l’exposition, avec Mésange sur une branche de camélia, par exemple, et des vues de sa série de paysages japonais, souvent traversés par un pont, sujet cher aux Asiatiques.

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    Des poètes belges se sont associés à cette fascination de l’Orient. De Max Elskamp sont présentées plusieurs belles pages illustrées de L’éventail japonais. Emile Verhaeren, qui fut sollicité pour accompagner des Images japonaises de textes inspirés par des estampes (sous vitrine), publia Les villages illusoires avec une série de gravures signées Ramah dans un style japonisant.

    Les estampes ont inspiré à Adolphe Crespin un grand ensemble de toiles pour orner une chambre à coucher. Décoratif aussi, un panneau commandé par Rops à Auguste Donnay, Et pour l’automne. Une étude à l’aquarelle, avec une bordure corail, des tons contrastés, une ligne ferme, jouxte la grande toile plus crémeuse. Dans la même gamme de couleurs, on peut voir un beau pastel de Fernand Khnopff, Des roses, en bouquet près d’un visage de rousse énigmatique.

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    Spilliaert est bien sûr au rendez-vous, avec des bords de mer à l’encre de Chine où les courbes puissantes vont souvent par trois, comme dans Fillettes devant la vague et Femme au bord de l’eau. Moins japonaise, mais impressionnante, sa Hofstraat à Ostende où le reflet de la lune plonge entre les hauts immeubles d’une des rues étroites qui mènent à la mer. Son étonnant chat noir, silhouette fantastique, est accroché au-dessus d’un autre moins inquiétant peint par Rik Wouters, près du Merle de Boitsfort, gaiement croqué par ce génie du familier.

    Parmi les affiches inspirées par l’art japonais, on retrouve une composition de Rassenfosse pour le Salon des Cent en 1896 - deux dames à une exposition, dans de chauds tons ocre - reprise en 1980 pour annoncer la mémorable exposition bruxelloise « Vies de femmes 1830-1980 ». Gisbert Combaz a peint pour le salon 1906 de La Libre Esthétique un voilier secoué par les flots, lui qui était excellent marin se représente par ailleurs à la barre dans un autoportrait. Van Rysselberghe, Rops, Lemmen, Ensor… La liste des peintres belges influencés par le Japon et présents dans cette exposition serait fastidieuse. Des artistes moins connus sont associés à ces grands noms, par des paysages aux lignes sinueuses (Melchers) ou vibrants de lumière (Van Ermengen, frère de l’écrivain Franz Hellens).

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    Quelle bonne surprise de retrouver ici l’Autoportrait d’Hokusai âgé, une reproduction de 1905 prêtée par le Musée national de Cracovie – le musée polonais a hérité en 1920 de près de cinq mille estampes d’un collectionneur -, et quelques-unes de ses fameuses Cascades ! Une citation traduite en trois langues (français, néerlandais et anglais, comme le catalogue trilingue) résume bien l’état d’esprit que reflètent toutes ces œuvres : « Vivre seulement pour l’instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les érables rouges ; chanter des airs, boire, se divertir et se laisser flotter comme flotte la gourde au fil de l’eau. » (Asai Ryoi, Le Dit du Monde flottant, 1661)

    (Merci à Vayhair de m’avoir rappelé cette exposition.)

  • La petite Anna

    Ippolito, Concettina, Giustino, Anna, quatre enfants sans mère – morte peu après la naissance de la dernière – grandissent à la garde de madame Maria, l’ancienne dame de compagnie de leur grand-mère, et d’un père qui depuis des années rédige en secret des mémoires explosifs sur les fascistes et le roi d’Italie. Tous nos hiers de Natalia Ginzburg (1916 – 1991) égrène l’histoire d’une famille du Piémont avant et pendant la seconde guerre mondiale, à travers le simple déroulé des saisons. Les chocolats et les cartes postales envoyés par Cenzo Rena, jadis très aimé de leur père, rompent de temps en temps la routine.

    Le fils aîné est le favori et le confident, tenu de tenir compagnie à son père qui n’a pas d’amis. Concettina collectionne les fiancés, mais se morfond d’être laide. Chaque été, ils se rendent en train à la campagne, aux « Griottes », alors que les enfants préféreraient aller chez Cenzo Rena qui les invite dans son « espèce de château ». Leur père refuse : « L’argent, c’est la merde du diable ». Alors Ippolito part dans de longues promenades avec le chien, le père se rend au village « pour se montrer aux crapules » fascistes sans les saluer, Concettina passe des heures au soleil avec un livre. Peu après leur retour en ville, le père décide soudain de brûler tous ses écrits, tombe malade et meurt.

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    L’auteur a choisi un style dépouillé, sans effets, pour nous raconter tout cela, le plus souvent du point de vue d’Anna, la plus jeune, auquel le sens profond des événements échappe et que les autres laissent livrée à elle-même, plus préoccupés de leurs amitiés ou de leurs amours que de la petite. En effet, dans la maison d’en face s’est installée une famille intéressante, avec laquelle ils vont faire connaissance. L’homme assez âgé qui dirige une usine de savon s’est remarié avec une femme élégante qu’ils appellent tous « maman chérie ». Mais lui aussi va laisser sans père sa fille Amalia aux cheveux roux, ses fils Emanuele, l’aîné, qui boîte, et Giuma, un jeune garçon renfermé aux « dents de renard » envoyé bientôt dans un pensionnat suisse. 

    Comment Emanuele et Ippolito deviennent amis et s’intéressent de plus en plus à la politique, comment Concettina et Amalia finissent par se marier, sans pour autant être heureuses, comment tous se débrouillent avec le fascisme, l’entrée de l’Italie en guerre, c’est ce que raconte ce roman original où les choses sont dites sans jamais s’appesantir.

    Les personnages de Natalia Ginzburg sont caractérisés par un détail concret, un geste, une expression. Certains s’en sortent, d’autres pas. Le parcours hésitant d’Anna, un temps amoureuse de Giuma qui n’aime personne, est le fil le plus intense du récit. Lorsque sa route croise celle de Cenzo Rena, le vieil ami de son père – « deux individus qui s’étaient heurtés l’un à l’autre par hasard dans un paquebot qui coulait » -, une nouvelle vie commence pour elle en Italie du Sud, où elle découvre la vie réelle des paysans pauvres et la générosité d’un homme dévoué à son village « qui ne connaissait que sa misère ». Plus d’un s’attache à lui : sa servante la Garçonne, Giuseppe le paysan qui rêve de socialisme, un Turc juif assigné à résidence dans cet endroit reculé. Cenzo Rena est sans conteste le personnage clé du roman, celui vers qui chacun se tourne un jour ou l’autre. Tous nos hiers est aussi un roman sur la guerre, celle des gens ordinaires, débrouillards ou peureux.

    Publié en 1952, ce récit montre subtilement comment des adolescents surtout préoccupés d’eux-mêmes, confrontés aux drames personnels et aux secousses de l’histoire, trouvent peu ou prou le courage de vivre sans lequel, dit Cenzo Rena, on vit comme un insecte. Selon Nathalie Bauer, à qui l’on doit cette nouvelle traduction, Tchekhov a grandement inspiré la romancière italienne.  Les mémoires brûlés du père ne devaient-ils pas s’intituler « Rien que la vérité », premier souci du grand écrivain russe ?

  • Figures et paysages

    Sur les rivages méditerranéens, à la fin du mois d’août, l’été offrait encore toute sa splendeur...
    Toujours en fleurs, les lauriers-roses et les bougainvillées. Le bleu pâle des plumbagos buissonne généreusement le long des murs. La chaleur pousse à flâner dans les ruelles ou à s’asseoir sur une place, à l’ombre bienfaisante des platanes. Aux expositions d’été, parfois, de bonnes surprises vous retiennent.

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    A l’Atelier des Artistes de Sanary sur Mer, Laurence Castermans propose jusqu’à la mi-septembre Terres & Bronzes, des figures féminines. Une femme noire assise en tailleur porte une robe et un foulard, mais la plupart des sculptures sont des nus. Une adolescente assise sur un tabouret rêve, un coude sur la cuisse, le menton dans la main, les yeux bien ouverts, avec un vague sourire. Une autre, à plat ventre, les pieds en l’air, tourne la tête comme pour épier ce qui se passe à proximité. Ailleurs, une jeune femme, jambes croisées, tient la pose en nouant les mains autour d’un genou. Les terres cuites, lisses ou rugueuses, rendent bien la douceur des corps, le grain de la peau comme tiède sous le regard.

    Si je préfère en général les bronzes, c’est pour la lumière qui joue avec leur patine et leur donne vie. C’est en particulier le cas pour L’accroupie. Il a fallu à Laurence Castermans travailler beaucoup pour garder cette figure en équilibre sur ses pieds presque joints (sans parler du modèle). Elle se tourne vers le visiteur, son regard le défie. Une main contre la joue, l’autre sous le menton, elle se tient devant nous et nous interroge. Il y a de la force dans le mouvement du corps et dans la franchise du visage. C’est beau.

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    Autres œuvres visibles sur http://laurence-castermans.com/index.htm

    Les nombreuses affiches placées dans les environs du Brusc par sa Maison du Patrimoine avaient attiré mon regard sur un nom russe et des bouquets éclatants. Le Brusc, où il est si gai de faire le tour du petit Gaou, île aux bords escarpés et espace naturel protégé, se situe non loin de Sanary où de nombreux artistes allemands trouvèrent refuge loin des nazis, Thomas Mann en premier. Huxley y a écrit Le Meilleur des Mondes. Un sentier du littoral relie Sanary au Brusc. L’exposition du Moscovite fut l’autre bonne surprise de ce séjour.

    Fils d’un peintre homonyme, Serguéï Toutounov peint beaucoup, en Russie et en France depuis son mariage en 1982. Ses bouquets champêtres sont pleins de fraîcheur, ses paysages très sereins. Il explique dans un livre richement illustré avoir choisi de montrer la vie souriante, la vraie vie suffisant largement à nous pourvoir en drames et en soucis divers. La nature est son grand sujet.

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    Dans des formats plutôt intimistes, il aime croquer un joli coin dans un bois, une fenêtre fleurie, un portail, des poules dans une cour de ferme, des détails « universels ». Il peint d’après nature, dans une camionnette aménagée en atelier qu’il arrête au gré de son inspiration. L’impression d’un instant, voilà ce qu’il tient à communiquer, c’est pourquoi il se refuse à corriger l’œuvre ensuite. Dans la lignée des réalistes russes du XXe siècle, il cherche, écrit Ludmila Rudneva, à « raconter à nos contemporains l’infinie beauté du monde ».

    Toutounov peint des fleurs simples : lilas, pensées, iris, myosotis, bleuets, roses parfois. De vibrants bouquets de mimosas laissent entrevoir une prédilection pour le jaune, qui éclaire ses sujets printaniers et ses paysages d’automne, comme sur cette toile où un banc baigne dans la lumière dorée d’un érable. L’artiste s’installe souvent devant un petit pont du Bois de Boulogne où il aime travailler, qui l'attire à chaque saison. J’aime beaucoup ses paysages.

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    Quand il retourne en Russie, Toutounov trouve de quoi l'inspirer non loin de l’aéroport de Moscou, à Melkhizarovo : des maisons anciennes abandonnées, traces d’une Russie qui disparaît. La Moskova près de Kolomna, Eglise à Perslavl, Bouleaux en hiver : ces tableaux sont comme les visages des pèlerins du monastère Saint Serge dans les années ’70, auxquels il fait allusion dans son livre, « pleins de lumière et de joie douce ».