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poésie - Page 23

  • Vert

    « Les doigts de verre en suspension se tendent vers le bas. La lumière ruisselle le long du verre et s’égoutte en une mare verte. A longueur de journée, les dix doigts du lustre font tomber goutte à goutte leur verdeur sur le marbre. Les plumes de perruche – leur cri strident ! – les lames affûtées des palmiers – vertes, elles aussi. Aiguilles vertes scintillant au soleil. Mais le verre solide s’écoule sur le marbre ; les flaques flottent au-dessus du désert, les chameaux titubent au travers ; les flaques s’installent sur le marbre, les joncs les bordent, les herbes les envahissent ; ici et là, un bourgeon blanc ; la grenouille s’affale dessus ; la nuit, les étoiles s’y déposent sans se briser. Vient le soir, et l’ombre efface le vert sur la cheminée ; la surface troublée de l’océan. Aucun bateau ne vient ; les vagues ondulent sans but sous le ciel vide. Il fait nuit. Les aiguilles laissent tomber des gouttes bleues. Fini le vert. »

    Virginia Woolf, Bleu et vert, 1921 (Lettre à un jeune poète) 

    Lustre en verre Murano.jpg


  • Réponse à un poète

    La Lettre à un jeune poète rédigée par Virginia Woolf en 1931 – il est peu crédible, note Maxime Rovere dans la préface, qu’elle ait pu lire les Lettres à un jeune poète de Rilke, posthumes (1929) et traduites en anglais seulement cinq ans plus tard – n’est pas une véritable lettre, mais une réponse à une question de John Lehmann (1907-1987). 

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    De 25 ans son cadet, ce jeune poète « manager » d’une collection de poésie à  la Hogarth Press où il sera lui-même publié deux fois, l’interroge sur la place des poètes dans ce monde en plein changement au début du XXe siècle (techniques, paysages, mode de vie…), marqué par la première guerre mondiale et la crise économique de 1929. Qu’il y est difficile d’être poète ! Qu’en pense-t-elle ?

    Lettre à un jeune poète rassemble six textes écrits par Virginia Woolf entre 1918 et 1931, certains inédits en français. « Mon cher John » : le texte éponyme, le plus tardif, prend la forme et le ton d’une lettre privée – une vingtaine de pages où elle a l’art de mener une réflexion de fond avec la légèreté d’une conversation amicale pleine d’humour.

    Contre les « nécrophiles » pour qui l’art épistolaire est mort, Virginia Woolf considère que celui-ci vient à peine de naître – « il est l’enfant du timbre-poste ». Elle compare les lettres du passé, « écrites pour la postérité », des envois coûteux destinés à la lecture à voix haute, aux échanges plus intimes (qu’il est souvent préférable de brûler pour éviter les indiscrétions). 

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    © The Estate of Virginia Woolf, 2011

    http://www.theparisreview.org/blog/2011/08/03/document-woolfs-letter-to-a-young-poet/

    A quel titre écrire sur la poésie, elle qui manque « d’une formation universitaire solide », ne peut distinguer « iambe » et « dactyle », et s’exprime en prose ?  Mais elle lit les poètes et ceux-ci ne meurent pas : Keats, Shelley, Byron « sont vivants ». Aux jeunes poètes, à leur tour, de définir « le juste rapport » entre le monde extérieur et leur moi.  « Le poète essaie de décrire avec honnêteté et exactitude
    un monde qui n’existe peut-être que pour une personne précise, à un moment précis. »

    La poésie a besoin de rythme et de vie. « Laissez votre sens du rythme se déployer et onduler parmi les hommes et les femmes, les omnibus, les moineaux – toutes les choses, quelles qu’elles soient, qui traversent la rue – jusqu’à ce qu’il les ait tissées ensemble en un tout harmonieux. » L’art d’écrire amène à suggérer plus qu’à dire et cela s’apprend par la lecture – « il est impossible de lire trop »  
    « Et pour l’amour du ciel, ne publiez rien avant d’avoir trente ans. »

    Dans « La fiction, la poésie et l’avenir » (1927), Virginia Woolf insiste sur la curiosité, un esprit ouvert à tout : « La beauté comporte une part de laideur ; l’amusement, une part de dégoût ; le plaisir, une part de douleur. » Dans un poème de Keats sur une nuit de printemps, « le chagrin est l’ombre qui accompagne la beauté. » Le poète et le romancier puisent aux mêmes sources. « La vie est toujours et inévitablement plus riche que nous qui voulons l’exprimer. » 

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    Comment six ou sept jeunes femmes, en 1914, soutiennent Poll, l’une d’entre elles, dont le père a précisé dans son testament qu’elle n’hériterait « qu’à la condition qu’elle ait lu tous les livres conservés à la bibliothèque de Londres », voilà le point de départ d’un drôle de petit récit, « Une association » (1921), à propos des hommes et des femmes.

    De la lecture de Lettre à un jeune poète, je retiens l’optimisme de Virginia et son goût pour le présent. Aussi je dédie cet extrait au coursier à vélo qui la déposée dans ma boîte aux lettres : « Eh bien, notre optimisme est en grande partie instinctif. Il a pour source le beau temps, le vin et la conversation. Il a pour source le fait que si la vie dispose tant de trésors au quotidien, si elle suggère chaque jour plus que n’en pourraient dire les plus volubiles, nous aurons beau admirer les morts, nous préférons la vie comme elle est. Il y a quelque chose dans le présent que nous ne voudrions pas échanger, même si l’on nous offrait de vivre au choix dans l’un des siècles passés. Et la littérature moderne, avec toutes ses imperfections, exerce sur nous le même charme et la même fascination. » (« Ce qui frappe un contemporain », 1923)

  • Les ciseaux à ongles

    « Elle coupe, elle coupe, / silencieuse, le dos courbé, / pendant des heures, elle coupe.
    Elle coupe, elle coupe, / chaque brin d’herbe, / de même hauteur, / il faut que ce soit net / tout le long de la bordure. 

    Inlassablement, elle taille.  

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    C’est joli, cette petite fille, / qui prend soin de son jardin.
    Une enfant comme ça, / ils aimeraient aussi avoir.

    Et elle coupe, / elle ajuste, / elle rectifie, / elle aligne, / dehors / dans le jardin, / loin de tout / ce qui là-bas / à l’intérieur, / respire la terreur. »


    Florence Marchal & Annabel Sougné, Rosé


    Un projet à soutenir :
    http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/rose?ref=similar

  • Pour "Rosé"

    Aujourd’hui Florence Marchal & Annabel Sougné présentent chez Amazone leur projet de livre commun, les textes de l’une et les photographies de l’autre : « Rosé ». Une couleur douce pour un sujet qui ne l’est pas, et qu’elles abordent d’une manière singulière – chacune la sienne, mais ensemble. 

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    Elles ne s’étaient plus rencontrées depuis une quinzaine d’années quand elles se sont revues, ces « petites filles sages » de bonne famille qui faisaient la fierté de leur père – mais pas seulement cela. Il y a des choses qui ne se disent pas.

    A deux, elles sont retournées dans leurs villages, éloignés de trente kilomètres, sur les lieux de leur enfance : « Deux univers, presque une même histoire. » Puis elles ont échangé mots et photos. « Le livre ne se veut pas autofictionnel. Il n’y a pas de pathos : ni larmes, ni désespoir. Au contraire, il libère. Il libère la parole, les souvenirs, les sensations refoulées. »

    Une architecte graphiste de plus en plus tournée vers l’écriture et une photographe professionnelle (elles vivent et travaillent toutes deux à Bruxelles) se sont retrouvées et peut-être trouvées dans le désir de dire publiquement la blessure intime, l’enfance violée.  De contrer le silence des familles. Si la démarche paraît thérapeutique, l’originalité de « Rosé » ne se limite pas au thème de l’inceste. C’est une approche artistique, un dialogue délicat entre la poésie et les images.

    C’est aussi une aventure graphique avec l’asbl Espaces Regards : les auteures s’adressent pendant 45 jours aux internautes pour co-éditer « Rosé ». Elles font appel à leur solidarité en collectant des fonds via la Kiss Kiss Bank Bank (soutien aux projets créatifs et innovants). En échange des contributions, suivant leur montant, différentes contreparties sont proposées (plus de précisions sur le site).

    Le projet commun de Florence Marchal & Annabel Sougné prévoit plusieurs étapes : d’abord la publication du livre, à l’automne prochain, et une exposition des photographies, en 2014. Puis une journée d’études sur ce sujet encore trop souvent tabou.

    « Il faut que ça sorte.
    Il faut que l’on sache
    pour que cela s’arrête. »

  • Plus de rouge

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    Quand je n’ai plus de rouge
    je fais les arbres en vert, les arbustes,
    tout le paysage que je peins.
    Donc aussi les herbes folles et l’herbe

    où tu es étendue, attendant immobile,
    mais pourtant profondément émue plus tard
    quand tu peux voir la toile où j’ai remplacé
    ta robe rouge par ta douce nudité,
    pour laquelle, comme pour ton sourire,
    je n’ai pas encore trouvé la couleur qui convient.

    Quand je n’ai plus de rouge,
    il me reste tes lèvres.


    Paul Snoek, Quand je n’ai plus de rouge…
    (traduction Marnix Vincent)

    in Ici on parle flamand & français, Une fameuse collection de poèmes belges par Francis Dannemark (Le Castor Astral, 2005)