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lecture - Page 18

  • Bourdonnement

    « Où trouver le temps et la liberté d’esprit pour lire des classiques, quand nous sommes submergés par l’avalanche de l’actualité ? (…) L’idéal serait peut-être de percevoir l’actualité comme le bourdonnement de la rue – qui nous avertit, à travers la fenêtre, du trafic automobile et des changements météorologiques – tout en suivant le discours des classiques, qui résonne, clair et structuré, dans la pièce. »

    Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques

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  • Lire les classiques

    Pourquoi lire les classiques ? La question semble a priori scolaire, mais La Grande Librairie du 12 mars dernier lui a consacré un débat si fertile que j’ai envie d’y revenir. Dans le cadre du Salon du Livre, François Busnel avait prié ses invités d’apporter leurs classiques préférés – dont la lecture est, selon eux,  indispensable – et aussi ceux qui n’ont pas de place dans leur bibliothèque idéale. Débat assuré, ambiance joyeuse et insolente. Les écrivains présents ont joué le jeu à fond.

    Songeant à la belle définition d’Italo Calvino, « Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire », j’ai repris Pourquoi lire les classiques (1993), un volume d’essais et d’articles de l’écrivain italien sur « ses » classiques, où il propose cette définition (la sixième sur quatorze). Mais « Si l’étincelle ne jaillit pas, rien à faire : on ne lit pas les classiques par devoir ou par respect, mais seulement par amour. Du moins hors de l’école (…). L’école est tenue de nous donner des instruments pour opérer un choix ; mais les choix qui comptent sont ceux qui se font après et en dehors d’elle. »

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    Philippe Besson, en ouverture, a réjoui tous les proustiens en choisissant A la recherche du temps perdu – et contrarié ceux qui ne s’y sont jamais sentis chez eux. A ces derniers, moi qui emporterais la Recherche sur une île si je ne pouvais y emporter qu’un seul livre, je conseille deux entrées qui pourraient faire jaillir l’étincelle : Un amour de Swann, que Proust lui-même considérait comme le récit le plus accessible et comme une « maquette » de l’œuvre entière, ou Comment Proust peut changer votre vie (1997), le réjouissant essai d’Alain de Botton. Dessins à l’appui, il explique comment aimer la vie aujourd’hui, prendre son temps, exprimer ses émotions, être un véritable ami, et ainsi de suite, en puisant dans la Recherche les situations et les passages les plus parlants – c’est souvent drôle.

    Amélie Nothomb a soulevé ma curiosité pour Eloge de l’ombre de Tanizaki, un essai sur la spécificité japonaise. Son interprétation de L’homme et son chien, un poème de Maurice Carême, son anti-classique, est désopilante. L’éloge du Cahier d’un retour au pays natal de Césaire par Alain Mabanckou a pris vie dans une lecture vibrante. Roman trop « fabriqué », Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier lui semble trop faible pour figurer parmi les plus grands.

    C’était bien sûr intéressant d’entendre l’un défendre ce qu’un autre avait rejeté, et vice-versa. Ainsi pour Voyage au bout de la nuit de Céline, très discuté, ou pour Sade. Plusieurs fois, il est apparu qu’un classique qui avait plu au premier abord, relu plus tard, avait perdu de son charme, ou l’inverse. Retour à Calvino : « C’est pourquoi l’on devrait consacrer, à l’âge adulte, un temps à la redécouverte des plus importantes lectures de sa jeunesse. Car, si les livres ne changent pas (mais en réalité ils changent à la lumière d’une perspective historique différente), nous-mêmes avons changé, et nos retrouvailles avec eux sont des événements nouveaux. »

    Rousseau a passé un mauvais quart d’heure, aussi bien pour ses Confessions que pour La nouvelle Héloïse, de même que Joyce avec Ulysse. Régis Jauffret, dégoûté par La mare au diable, a joliment plaidé pour Histoire de ma vie, l’autobiographie de George Sand. Quant à Flaubert, il a emporté la palme avec Douglas Kennedy, admirateur inconditionnel de Madame Bovary – j’ai noté la version américaine, selon lui, de ce roman : La fenêtre panoramique de Richard Yates, qui a inspiré au cinéma Les noces rebelles.

    On ne parle plus de La princesse de Clèves aujourd’hui en France sans se moquer du président actuel qui a eu le mauvais goût de critiquer la lecture obligatoire de cette œuvre au concours d’attaché d’administration. Madame de La Fayette a-t-elle suscité pour autant de nouveaux adeptes ? En tout cas pas Charles Dantzig, réputé pour son Dictionnaire égoïste de la littérature française. En revanche, il adore Gatsby le Magnifique de Fitzgerald, dont la construction imparfaite est justement le propre de l’art, jamais convenu. « La lecture d’un classique doit toujours nous réserver quelque surprise par rapport à l’image que nous en avions », écrit Calvino.

  • Virginia en lectrice

    Quelle intelligence ! Quel humour ! Dès 1905, Virginia Woolf (1882-1941) écrit des essais critiques, entre autres pour le supplément littéraire du Times. Rassemblés dans The Common reader, ils sont publiés la même année que Mrs Dalloway, son chef-d’œuvre, en 1925. Le premier volume, Le Commun des lecteurs, regroupe une vingtaine de textes consacrés principalement à la littérature anglaise et surtout à la lecture, comme l’indique le titre du deuxième volume paru récemment, Comment lire un livre ? 

     

    « Je me félicite d’avoir l’approbation du commun des lecteurs ; car c’est le bon sens des lecteurs purs de tout préjugé littéraire, après les raffinements interminables de la subtilité et le dogmatisme de l’érudition, qui doit finalement décider de tout droit aux honneurs poétiques. » Cette phrase du Dr Johnson a inspiré le titre : le commun des lecteurs, ceux qui « lisent pour leur propre plaisir, plutôt que pour transmettre des connaissances ou corriger l’opinion des autres », même s’ils « présentent en tant que critiques des insuffisances trop évidentes pour qu’il soit besoin de les signaler. »

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    Quel plaisir de retrouver la fine plume de Virginia Woolf  ! « Acheter des terres, faire construire de grandes demeures, remplir ces demeures de vaisselle d’or et d’argent (ce qui ne les empêchait pas d’installer des cabinets dans les chambres), tel était le véritable but de l’humanité. Mr et Mrs Paston dépensaient l’essentiel de leur énergie à la même activité épuisante. » (Les Paston et Chaucer) Woolf divise les écrivains en deux genres : les prêtres et les profanes, dont Chaucer : « au lieu de nous adresser des exhortations solennelles, on nous laisse flâner, observer et tirer nos propres conclusions. »

     

    Lisant les auteurs grecs, elle oppose le « style preste et railleur » des gens du Sud à « la lente réserve, les demi-tons graves, la mélancolie songeuse et renfermée de peuples habitués à vivre plus de la moitié de l’année sous un toit. » (Sur l’ignorance du grec). Hélas, « l’humour est la première qualité à disparaître dans une langue étrangère, et quand nous passons de la littérature grecque à la littérature anglaise nous avons l’impression, après un long silence, d’entrer dans notre glorieuse époque avec un éclat de rire. »

     

    Au milieu de l’océan élisabéthain, voici une lettre de la reine Elisabeth « dont le papier était délicatement parfumé de camphre et d’ambre gris, et l’encre de musc véritable ». Woolf compare l’Annabella « grossièrement ébauchée » de Dommage qu’elle soit une putain (John Ford) avec Anna Karénine, « une femme de chair et de sang » qui a « des nerfs et un tempérament, un cœur, un cerveau, un corps et un esprit », avant d’approfondir la différence essentielle entre le théâtre et le roman. Plus loin elle rend hommage à la littérature russe, à Tchekhov en particulier, sans oublier qu’en traduction, elle nous reste pourtant « étrangère ».

     

    Virginia Woolf s’emballe pour Montaigne. « Car au-delà de la difficulté de se communiquer, il y a la difficulté suprême d’être soi-même. » L'auteur des Essais ajoute volontiers « peut-être », « je pense », et « tous ces mots qui nuancent les affirmations irréfléchies de l’ignorance humaine. » Elle aime son amour de la vie : « Toutes les saisons sont aimables, les jours de pluie comme les jours de beau temps, le vin rouge comme le vin blanc, la compagnie comme la solitude. »

     

    Elle s’amuse à peindre la Duchesse de Newcastle, extravagante et excentrique. Celle-ci adorait ne pas s’habiller comme tout le monde, « inventer des modes » et par-dessus tout écrire des livres interminables. De l’auteur de Robinson Crusoé, Defoe, qui considérait comme une injustice choquante de refuser l’éducation aux femmes, Woolf commente surtout Moll Flanders et Roxane, d’une grande « vérité de compréhension ». « Et surtout, ces hommes et ces femmes étaient libres de parler en toute franchise des désirs et des passions qui animent hommes et femmes depuis la nuit des temps, ce qui leur conserve même à présent une vitalité intacte. »

    Virginia Woolf  écrit sur Jane Austen, les sœurs Brontë, Conrad... Parmi ses chutes, remarquables, celle-ci : « Deux cents ans ont passé ; l’argenterie, usée, est devenue lisse ; le dessin est presque effacé ; mais c’est toujours de l’argent massif. » (Addison)

  • La grande librairie

    En trois mois, elle est entrée dans mes habitudes. Sur France 5, La Grande Librairie est le nouveau rendez-vous littéraire de qualité. Vous n’avez pas accès à cette excellente chaîne ? Qu’importe, vous pouvez suivre l’émission quand vous voulez sur le site de France 5. Programmée chaque jeudi à 20h35, rediffusée le dimanche à 9h55, La Grande Librairie est aussi visible sur internet. Toutes les vidéos sont en ligne. Au format « plein écran », l’image est un peu floue, mais - et ça, c’est d’une facilité formidable -, le curseur en dessous de l’image permet de se déplacer dans l’enregistrement, pour réentendre l’un ou l’autre à sa guise.

     

    François Busnel et son équipe ont eu la bonne idée de ne pas renier l’héritage télévisuel de Bernard Pivot. Comme dans Apostrophes, Bouillon de culture et Double je, c’est la rencontre directe avec les auteurs qui prime ici. Quatre invités, pendant une heure, répondent aux questions de Busnel et partagent leurs réactions. Chaque séquence est précédée d’un portrait. L’émission est rythmée, sans temps mort, avec un coup d’œil sur les meilleures ventes et le choix des libraires en intermèdes. Il faut de solides qualités d’animateur pour que la sauce prenne. Et, ma foi, François Busnel est très bien. Livre en main, souriant, il cite, interroge, provoque, insiste. C’était très amusant, le 2 octobre, de le voir donner la réplique à l’intarissable Pivot, invité en même temps que d’Ormesson qui crevait l’écran comme toujours. D’être assis côte à côte, cette fois, cela leur semblait bizarre.

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    Personnellement, j’ai adoré l’émission new-yorkaise du 30 octobre. En pleine ville et en plein air ! Avec Salman Rushdie, d’abord, il est question de L’Enchanteresse de Florence, dans Central Park. Pour commenter Le cas Sonderberg d’Elie Wiesel, Busnel l’accompagne en voiture jusqu’à Brooklyn. Il faut voir le vieil homme remettre ses cheveux en place et y attacher sa kippa avant de se rendre dans un quartier juif très orthodoxe où, dit-il, les familles vivent comme en Europe de l’Est autrefois. On lui demande pourquoi il ne vit pas là, Wiesel répond : « Ce n’est pas mon monde. »
    Il parle de son dernier roman, d’Auschwitz, de la foi, de ses parents. Des gens le reconnaissent dans la rue et interrompent la conversation pour lui exprimer leur gratitude. Quand il est arrivé aux Etats-Unis, qu’il a traversé le Sud, Elie Wiesel a découvert la réalité du racisme ordinaire envers les noirs : « Je n’ai jamais eu honte d’être juif, mais là, j’avais honte d’être blanc. » C’est une séquence formidable, d’une simplicité, d’une authenticité bouleversantes. Puis vient le tour de deux jeunes écrivains qui vivent à New York.

     

    Le 20 novembre, François Busnel a reçu sur son plateau quatre femmes de lettres. Elisabeth Badinter pour une audacieuse correspondance du XVIIIe siècle, signée Isabelle de Bourbon-Parme ; Nina Bouraoui pour son dernier roman Appelez-moi par mon prénom ; Alice Ferney pour Paradis conjugal. Avec Claire Castillon, la benjamine, cela faisait quatre voix pour discuter avec Busnel des rapports amoureux, sans clichés. C'était passionnant. Vous pouvez les retrouver sur le site de La Grande Librairie. Chaque sommaire affiche la photo des invités, accompagnée d'une notice. Le générique, le décor… Non, je ne vous en parle pas, dites-moi ce que vous en pensez, si vous voulez.

     

    Citant Alberto Manguel, jeudi dernier, François Busnel y voyait une devise pour La Grande Librairie : « Question : Que peut faire le lecteur ? Réponse : Lire et rester conscient des questions. »

  • A vous

    A vous, visiteurs fidèles, à vous, les irréguliers, voire les occasionnels, salut !
    Sept mois après la création de Textes & Prétextes, les statistiques de fréquentation du blog / blogue / bloc-notes (choisissez) ont joliment bondi en sens inverse des cours de bourse. Chaque mois, blogs.lalibre m’indique le nombre de visiteurs différents, je peux ainsi suivre son évolution. Aujourd’hui, pause.
    « Qu’as-tu lu de beau ces temps-ci ? Tu connais  ce bouquin ? Qu’en penses-tu ? » Désireuse de partager mes impressions, j’ai voulu prolonger mes plaisirs de lecture sur la Toile. Après tant de notes et de fiches, prendre le temps d’écrire. Elargir le cercle des échanges.

    Quel amoureux des livres ne s’est jamais laissé à penser qu’il y a dans le tête-à-tête avec un auteur plus d’idées ou de vibrations échangées que dans une journée ordinaire ou une réunion quelconque ? La lecture est une conversation de choix. « Fenêtre par laquelle on s’évade » (Julien Green), « clé qui m’ouvrait le monde » (Beauvoir), le livre « sème à foison les questions » (Cocteau).

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    Lire ne fait pas que nous divertir, lire ouvre à autrui, bouscule, inquiète, émeut, nourrit. « Passé le temps de celles qui sont imposées par l’enseignement – de moins en moins imposées d’ailleurs -, la lecture ne peut plus être que la pratique que nous avons adoptée avec le dessein de nous meubler l’esprit, dans l’ambition d’enrichir nos connaissances et notre mémoire, dans le désir d’entretenir les jardins de l’affectif et de découvrir le théâtre de nos émotions. » résume Hubert Nyssen dans Lira bien qui lira le dernier (Lettre libertine sur la lecture).

    La fréquentation des écrivains – de leurs textes - permet d’entendre d’autres sensibilités que la sienne, de mieux approcher les autres et la réalité du monde. « Réservons le terme de littérature, écrit Maurice Nadeau, à ces œuvres dont André Gide disait qu’elles ne laissent pas le lecteur dans l’état où elles l’ont trouvé. » Loin de moi l’idée de jouer les critiques littéraires ou les critiques d’art.
    Sans attache éditoriale ni journalistique, l’espace de liberté du blogue me permet de traiter de sujets délicieusement inactuels ou d’écrire sur le passionnant aujourd’hui, à mon gré, au hasard des mes lectures et de mes promenades. Je n’écris que sur ce qui me plaît ou m’intéresse, c’est un parti pris.

    Cette note serait incomplète sans un chaleureux merci à ceux qui me font l’amitié d’un commentaire. Ils sont peu nombreux, mais toujours appréciés. Merci à mon amie et sorcière de haut vol, Colo, qui s’est lancée avant moi sur la Toile. Merci à Doulidelle, facétieux pseudo d’un supporter enthousiaste. Merci aux autres commentateurs d’exprimer de temps en temps leur intérêt. A vous qui hésitez à signaler votre passage, je précise que celui-ci peut rester anonyme – un pseudo, des initiales suffisent – et que l’@dresse demandée ne sera pas mise en ligne ni communiquée, c’est un simple outil de sécurisation. Une fois le commentaire rédigé, vous pouvez en demander un aperçu et le modifier.

    A ceux qui seraient tentés de bloguer à leur tour, blogs.lalibre permet de se lancer avec beaucoup de facilité : on complète un formulaire pour s’inscrire, puis on choisit parmi différents modèles. On personnalise par la suite. Nul besoin d’être initié à l’informatique, quoique cela puisse aider. Certains mystères continuent à m’échapper, comme les raisons techniques qui m’empêchent de justifier le texte. Vous aurez remarqué, sans doute, la souris malicieuse cachée dans la marge de droite qui adore grignoter le dernier caractère et m’oblige à certains ajustements.

    Je voulais faire court, j’ai encore fait long.
    A vous.