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  • Quel parfum ?

    chantal thomas,journal de nage,journal,confinement,nice,paris,plages,nage,corps,lectures,culture,littérature française« Plus tard, […], je découvre un glacier qui offre des glaces de toutes les couleurs, présentées en petits rectangles, comme dans les boîtes de peinture pour aquarelle. Les rectangles gris m’intriguent. Je vais pour demander « S’il vous plaît, les glaces grises sont à quel parfum ? » et je me réveille.
    Je prends mon café entre deux averses, les nuages par-dessus les arbres me suggèrent une réponse à la question ébauchée en rêve : Ce sont des glaces au parfum « ciel de Paris ». »

    Chantal Thomas, Journal de nage

    © Marthe Guillain (1890-1974), Composition grise et jaune

  • Journal de nage

    Après la lecture de ses Souvenirs de la marée basse, le Journal de nage de Chantal Thomas semble un complément idéal. Son bonheur de nager en « eau libre », de retrouver les rivages, y voisine avec le deuil – de son père et de sa mère qu’elle a déjà évoqués par ailleurs –, et l’évocation d’un mode de vie modifié par la pandémie de Covid-19. « Le corps confiné », « Nice », « Paris », « Nice », ce sont les quatre temps de ce Journal.

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    Au temps de l’autorisation de sortie à remplir, l’autrice fait comme tout le monde : « Je sors pour garder la forme. Mais quelle forme ? » Recommandations, précautions, distanciation, c’est la « montée en puissance de l’empire des chiffres » vainqueur de « l’empire des sens ». Alors elle écoute de la musique, se tourne vers les livres. « Les Clochards célestes de Kerouac, et surtout Le Journal de Kafka : ils m’accompagnent et me procurent une aide indispensable. »

    Belles pages sur le réconfort qu’elle trouve chez Kafka, « l’écrivain de l’obstacle », de la cohabitation avec le corps. Kafka se promène, monte à cheval, rame et nage « en toute occasion : en piscines, dans les rivières de la campagne autour de Prague, dans le lac de Zurich, les lacs italiens, la mer. »  Belle surprise, dans une autre partie du livre : une photo de Max Brod et de Kafka sur la plage de Lugano, très souriants,

    Confinée, Chantal Thomas se remet à noter ses rêves, « pour contrebalancer le rétrécissement de [ses] jours par l’effort de restituer aux nuits leur densité. » Plus loin, elle écrira : « Nager et rêver entretiennent des affinités. » Le 6 juin 2021, elle prend son premier bain à Nice, en face de l’hôtel Negresco, comme quand elle logeait chez sa mère. « Entrer dans l’eau prend un sens fort : je tourne le dos aux mois précédents, au confinement, à l’anxiété. » Une entrée « dans un autre mode d’être ». L’envie de poursuivre, de prolonger Souvenirs de la marée basse : « saisir l’insaisissable », « doter d’une mémoire ce qui, se traçant sur les flots, est voué à l’effacement immédiat. »

    Elle va nager tôt, seule, puis monte au-dessus de la plage vers la « niche dans des broussailles » où habitait un vagabond. Son abri est vide. Elle évoque Hugo Pratt qui « avait toujours l’eau à portée de regard » dans son appartement de l’île du Lido, à Malamocco. Parmi ses relectures rituelles, Chantal Thomas cite Une chambre à soi de Virginia Woolf, Le Métier de vivre de Cesare Pavese, le Journal de deuil de Roland Barthes.

    « Peut-être parce que dans le Journal de deuil la mort de la personne aimée, la mère, est ressentie comme un obscurcissement définitif, une atteinte sans remède au goût de vivre. » La phrase s’enfonce en moi. Chantal Thomas se souvient qu’à la mort de son père, « un sursaut de volonté teinté de croyance magique » lui a permis de garder intact son goût de vivre.

    De livre en livre, je ressens son amitié pour Barthes, qu’elle connaît bien. (En 2015, avec son frère, elle a réalisé un documentaire : « Roland Barthes (1915-1980). Le Théâtre du langage.) Elle lit « comme une pratique conjuratoire » le Journal de deuil de cet homme « amoureux de sa mère, étranger à toute autre langue que sa langue maternelle, n’aimant que les fruits français » !

    Lors d’un bain du dimanche, elle se croit seule dans la mer, où elle n’a rencontré qu’une plume de mouette. Soudain, un air d’opéra : un homme fait la planche, près de la bouée, et chante à pleine voix de ténor. « La suite de la journée est portée par cette double grâce de mon bain du matin : une plume blanche, la voix magnifique d’un nageur chantant. »

    Comment ne pas être séduite par la description de ses plages préférées, comme celle sous la « Folie de l’Anglais », château construit au XIXe siècle face à la baie des Anges ? par ses observations sur ceux qui les fréquentent ? par sa recherche du mot juste pour dire la couleur du jour de la mer ? par son « sourire aux lèvres » en entrant dans l’eau ? En nageuse ou en lectrice, Chantal Thomas est décidément de bonne compagnie. Sur le site de l’Académie française, j’ai trouvé le mot qui lui a été attribué : « Volupté ».

  • Vie privée

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    Avec le Journal d’Anne Frank, j’ai appris qu’on pouvait écrire et que ça faisait du bien et qu’on se sentait moins seul. Dès cette lecture, lecture et écriture allèrent d’amble dans ma vie. […]

    Tenir un journal fut mon premier geste pour sortir de l’enfermement dans lequel je vivais. Je n’en sortis pas tout de suite, évidemment. Mais quel premier pas ! Je pouvais écrire ce que je voulais, rêver comme je le voulais : je l’écrivais dans mon cahier et personne ne pouvait me demander des comptes. Ce fut le début de ma vie privée. »

    Marie Gillet, Ma vie était un fusil chargé. Comment les livres m’ont sauvé la vie

  • Etre une femme

    Peut-être êtes-vous de celles (voire de ceux) qui, une fois lu le premier tome du Journal d’Anaïs Nin paru au Livre de Poche, attendiez impatiemment la parution du tome suivant ? Aux six tomes de ce Journal (1931-1966) édité d’abord chez Stock, dans une traduction de Marie-Claire Van der Elst relue par l’auteur, s’est ajouté en 1982 le septième et dernier tome (1966-1974), traduit de l’anglais par Béatrice Commengé – celui-ci n’est pas dans ma bibliothèque, voilà que je doute de l’avoir lu. La même a traduit de l’américain, en 1977, In Favor of The Sensitive Man and Other Essays, devenu en français Etre une femme et autres essais.

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    Ce recueil de conférences, articles, entretiens, critiques qu’Anaïs Nin (1903-1977) avait classés elle-même de son vivant comporte trois parties : Femmes et hommes (que je viens de relire) ; Livres, Musiques, Films ; Lieux enchantés. On peut lire ici les premières pages, en commençant par « L’érotisme féminin » où elle observe le lien entre amour et sexualité qui distingue en général les femmes des hommes et la manière dont la voix des femmes à propos de leur sensualité a longtemps été étouffée. Les livres de D. H. Lawrence ont été brûlés, ceux d’Henry Miller ou de James Joyce bannis, sans qu’on s’en prenne à eux personnellement, tandis que le « dénigrement continu de la critique » envers les femmes qui osaient écrire des scènes sensuelles en ont poussé beaucoup à signer leurs œuvres de noms d’hommes pour échapper aux préjugés.

    Anaïs Nin rapporte, d’après le Journal de George Sand, que Zola « qui la courtisait, obtint d’elle une nuit d’amour ; et parce qu’elle fit vivre si librement sa sensualité, il laissa en partant de l’argent sur la table de nuit, donnant à entendre qu’à ses yeux, une femme passionnée était une prostituée. » Trouvant Kate Millett injuste à l’égard de Lawrence, Nin le défend et cite son passage préféré de L’amant de Lady Chatterley. Rappelant la distinction entre érotisme et pornographie, elle appelle les femmes à se chercher de nouveaux modèles pour l’écriture érotique, à se libérer de leurs tabous.

    Dans une conférence donnée à San Francisco en avril 1974, à l’occasion de la « Célébration de la Femme dans les Arts », Anaïs Nin explique ce qui pousse à écrire ou à créer une œuvre d’art. Parmi les phrases que j’y ai cochées, en voici une qui me plaît particulièrement et qui illustre bien les raisons de tenir un journal comme elle l’a fait toute sa vie : « Nous écrivons pour goûter la vie deux fois, sur le moment et rétrospectivement. » Et aussi : « Si vous ne respirez pas en écrivant, si vous ne criez pas en écrivant, si vous ne chantez pas en écrivant, alors n’écrivez pas, car notre culture n’en a nul besoin. »

    « Etre une femme » est le titre d’une interview parue dans Vogue en octobre 1971. On l’interroge sur sa redécouverte par les jeunes, sur Henry Miller avec qui elle a eu une liaison passionnée, sur le rôle des hommes dans son œuvre, sur « la femme nouvelle »… Ses réponses nuancées s’appuient toujours sur son expérience personnelle, ses lectures, la psychanalyse.

    Dans « Notes sur le féminisme » (1972), elle rappelle qu’elle n’a cessé de dénoncer dans son Journal les « nombreuses restrictions dont la femme est victime ». « Le Journal était en lui-même une façon d’échapper au jugement, un endroit où je pouvais analyser la vérité sur la situation de la femme. » Pour l’efficacité du mouvement féministe, elle appelle à des actions lucides menées par des femmes « libérées affectivement », refuse « la colère aveugle et l’hostilité » non maîtrisées, les généralisations, toujours fausses. « Il est moins important d’attaquer les écrivains hommes que de découvrir et de lire les écrivains femmes, de s’en prendre aux films mis en scène par des hommes que de faire faire des films par des femmes. »

    Une préface à Ma sœur, mon épouse : une biographie de Lou Andreas-Salomé par H. F. Peters – « un portrait sensible qui nous fait aimer son talent et son courage » –, un article sur Entre moi et la vie : biographie de Romaine Brooks par Meryle Secrest sont des textes plus intéressants, à mes yeux, que son aperçu sur les femmes et les enfants au Japon.

    L’article éponyme (en anglais) termine cette première section d’Etre une femme : « Pour l’homme sensible ». De ses rencontres avec des jeunes femmes universitaires, elle dégage un « nouveau type d’homme » désiré par « un nouveau type de femme ». Non pas le « mâle » dans sa fausse virilité, mais « l’homme sincère, naturel, sans arrogance ou vanité, l’homme qui n’impose rien, attaché aux vraies valeurs et non à l’ambition, celui qui déteste la guerre et la cupidité, le mercantilisme et l’opportunisme politique. »

    Anaïs Nin a rencontré de ces couples sans « guerre des sexes », qui se partagent les tâches, qui « désirent voyager tant qu’ils sont jeunes, vivre dans le présent » plutôt que de passer leur vie « à la poursuite de la fortune ». Sa description du « nouveau couple » annonce très justement la manière d’envisager la vie que nous observons de plus en plus souvent autour de nous. Nous les voyons davantage aujourd’hui, ces hommes chez qui la sensibilité n’est pas faiblesse, qui osent montrer leurs émotions et cherchent la compréhension plutôt que le pouvoir sur l’autre.

    Dans la deuxième partie de l’essai (Livres, Musiques, Films), je n’ai relu que la belle conférence d’Anaïs Nin sur Ingmar Bergman. En voici un extrait pour terminer, sautez-le si vous détestez ses films. « Bergman dit que nous sommes assez intelligents pour faire notre analyse personnelle de l’expérience qu’il nous fait partager. Il nous demande de la ressentir, parce qu’il sait que seule l’émotion et non l’analyse, peut nous transformer. Il communique directement avec notre inconscient. Celui qui ne cherche que la clarté d’une analyse reste un touriste, un spectateur. Et je suppose, devant l’incompréhension dont Bergman est l’objet, que beaucoup se sentent mieux dans leur rôle de touristes et ne souhaitent pas remuer, éveiller, déranger, ces obscures parties d’eux-mêmes qu’ils ne veulent même pas reconnaître. »

  • On se croira

    Lafon Quand tu écouteras.jpeg« Mes camarades de classe avaient raison : écrire est un mélange de n’importe quoi, en périphérie du réel, loin de la vérité, car elle n’existe pas. Et ces précieux n’importe quoi nous lient les uns aux autres, écrivains aux lecteurs, comme un serment, un contrat dont on ne respecterait qu’un terme : on se croira.
    Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu’on ait pu le comprendre, nous sommes faits d’histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent, nous qui « marchons dans la nuit au-dessous de ce qui est écrit là-haut, également insensés dans nos souhaits, dans notre joie, notre affliction » (Diderot). »

    Lola Lafon, Quand tu écouteras cette chanson