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journal

  • Vie privée

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    Avec le Journal d’Anne Frank, j’ai appris qu’on pouvait écrire et que ça faisait du bien et qu’on se sentait moins seul. Dès cette lecture, lecture et écriture allèrent d’amble dans ma vie. […]

    Tenir un journal fut mon premier geste pour sortir de l’enfermement dans lequel je vivais. Je n’en sortis pas tout de suite, évidemment. Mais quel premier pas ! Je pouvais écrire ce que je voulais, rêver comme je le voulais : je l’écrivais dans mon cahier et personne ne pouvait me demander des comptes. Ce fut le début de ma vie privée. »

    Marie Gillet, Ma vie était un fusil chargé. Comment les livres m’ont sauvé la vie

  • Etre une femme

    Peut-être êtes-vous de celles (voire de ceux) qui, une fois lu le premier tome du Journal d’Anaïs Nin paru au Livre de Poche, attendiez impatiemment la parution du tome suivant ? Aux six tomes de ce Journal (1931-1966) édité d’abord chez Stock, dans une traduction de Marie-Claire Van der Elst relue par l’auteur, s’est ajouté en 1982 le septième et dernier tome (1966-1974), traduit de l’anglais par Béatrice Commengé – celui-ci n’est pas dans ma bibliothèque, voilà que je doute de l’avoir lu. La même a traduit de l’américain, en 1977, In Favor of The Sensitive Man and Other Essays, devenu en français Etre une femme et autres essais.

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    Ce recueil de conférences, articles, entretiens, critiques qu’Anaïs Nin (1903-1977) avait classés elle-même de son vivant comporte trois parties : Femmes et hommes (que je viens de relire) ; Livres, Musiques, Films ; Lieux enchantés. On peut lire ici les premières pages, en commençant par « L’érotisme féminin » où elle observe le lien entre amour et sexualité qui distingue en général les femmes des hommes et la manière dont la voix des femmes à propos de leur sensualité a longtemps été étouffée. Les livres de D. H. Lawrence ont été brûlés, ceux d’Henry Miller ou de James Joyce bannis, sans qu’on s’en prenne à eux personnellement, tandis que le « dénigrement continu de la critique » envers les femmes qui osaient écrire des scènes sensuelles en ont poussé beaucoup à signer leurs œuvres de noms d’hommes pour échapper aux préjugés.

    Anaïs Nin rapporte, d’après le Journal de George Sand, que Zola « qui la courtisait, obtint d’elle une nuit d’amour ; et parce qu’elle fit vivre si librement sa sensualité, il laissa en partant de l’argent sur la table de nuit, donnant à entendre qu’à ses yeux, une femme passionnée était une prostituée. » Trouvant Kate Millett injuste à l’égard de Lawrence, Nin le défend et cite son passage préféré de L’amant de Lady Chatterley. Rappelant la distinction entre érotisme et pornographie, elle appelle les femmes à se chercher de nouveaux modèles pour l’écriture érotique, à se libérer de leurs tabous.

    Dans une conférence donnée à San Francisco en avril 1974, à l’occasion de la « Célébration de la Femme dans les Arts », Anaïs Nin explique ce qui pousse à écrire ou à créer une œuvre d’art. Parmi les phrases que j’y ai cochées, en voici une qui me plaît particulièrement et qui illustre bien les raisons de tenir un journal comme elle l’a fait toute sa vie : « Nous écrivons pour goûter la vie deux fois, sur le moment et rétrospectivement. » Et aussi : « Si vous ne respirez pas en écrivant, si vous ne criez pas en écrivant, si vous ne chantez pas en écrivant, alors n’écrivez pas, car notre culture n’en a nul besoin. »

    « Etre une femme » est le titre d’une interview parue dans Vogue en octobre 1971. On l’interroge sur sa redécouverte par les jeunes, sur Henry Miller avec qui elle a eu une liaison passionnée, sur le rôle des hommes dans son œuvre, sur « la femme nouvelle »… Ses réponses nuancées s’appuient toujours sur son expérience personnelle, ses lectures, la psychanalyse.

    Dans « Notes sur le féminisme » (1972), elle rappelle qu’elle n’a cessé de dénoncer dans son Journal les « nombreuses restrictions dont la femme est victime ». « Le Journal était en lui-même une façon d’échapper au jugement, un endroit où je pouvais analyser la vérité sur la situation de la femme. » Pour l’efficacité du mouvement féministe, elle appelle à des actions lucides menées par des femmes « libérées affectivement », refuse « la colère aveugle et l’hostilité » non maîtrisées, les généralisations, toujours fausses. « Il est moins important d’attaquer les écrivains hommes que de découvrir et de lire les écrivains femmes, de s’en prendre aux films mis en scène par des hommes que de faire faire des films par des femmes. »

    Une préface à Ma sœur, mon épouse : une biographie de Lou Andreas-Salomé par H. F. Peters – « un portrait sensible qui nous fait aimer son talent et son courage » –, un article sur Entre moi et la vie : biographie de Romaine Brooks par Meryle Secrest sont des textes plus intéressants, à mes yeux, que son aperçu sur les femmes et les enfants au Japon.

    L’article éponyme (en anglais) termine cette première section d’Etre une femme : « Pour l’homme sensible ». De ses rencontres avec des jeunes femmes universitaires, elle dégage un « nouveau type d’homme » désiré par « un nouveau type de femme ». Non pas le « mâle » dans sa fausse virilité, mais « l’homme sincère, naturel, sans arrogance ou vanité, l’homme qui n’impose rien, attaché aux vraies valeurs et non à l’ambition, celui qui déteste la guerre et la cupidité, le mercantilisme et l’opportunisme politique. »

    Anaïs Nin a rencontré de ces couples sans « guerre des sexes », qui se partagent les tâches, qui « désirent voyager tant qu’ils sont jeunes, vivre dans le présent » plutôt que de passer leur vie « à la poursuite de la fortune ». Sa description du « nouveau couple » annonce très justement la manière d’envisager la vie que nous observons de plus en plus souvent autour de nous. Nous les voyons davantage aujourd’hui, ces hommes chez qui la sensibilité n’est pas faiblesse, qui osent montrer leurs émotions et cherchent la compréhension plutôt que le pouvoir sur l’autre.

    Dans la deuxième partie de l’essai (Livres, Musiques, Films), je n’ai relu que la belle conférence d’Anaïs Nin sur Ingmar Bergman. En voici un extrait pour terminer, sautez-le si vous détestez ses films. « Bergman dit que nous sommes assez intelligents pour faire notre analyse personnelle de l’expérience qu’il nous fait partager. Il nous demande de la ressentir, parce qu’il sait que seule l’émotion et non l’analyse, peut nous transformer. Il communique directement avec notre inconscient. Celui qui ne cherche que la clarté d’une analyse reste un touriste, un spectateur. Et je suppose, devant l’incompréhension dont Bergman est l’objet, que beaucoup se sentent mieux dans leur rôle de touristes et ne souhaitent pas remuer, éveiller, déranger, ces obscures parties d’eux-mêmes qu’ils ne veulent même pas reconnaître. »

  • On se croira

    Lafon Quand tu écouteras.jpeg« Mes camarades de classe avaient raison : écrire est un mélange de n’importe quoi, en périphérie du réel, loin de la vérité, car elle n’existe pas. Et ces précieux n’importe quoi nous lient les uns aux autres, écrivains aux lecteurs, comme un serment, un contrat dont on ne respecterait qu’un terme : on se croira.
    Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu’on ait pu le comprendre, nous sommes faits d’histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent, nous qui « marchons dans la nuit au-dessous de ce qui est écrit là-haut, également insensés dans nos souhaits, dans notre joie, notre affliction » (Diderot). »

    Lola Lafon, Quand tu écouteras cette chanson

  • La nuit de Lola Lafon

    De sa nuit au musée Anne Frank le 18 août 2021, Lola Lafon avait parlé avec émotion à La Grande Librairie. La lecture de Quand tu écouteras cette chanson m’a bouleversée. Elle y rend hommage à la jeune fille juive qui a tenu son journal dans « l’annexe », où sa famille a vécu cachée des nazis pendant plus de deux ans, une jeune autrice à part entière.

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    Fac-similé du Journal d'Anne Frank exposé au Anne Frank Zentrum de Berlin en 2008.

    Quand tu écouteras cette chanson touche à l’intime, au non-dit. Lola Lafon s’y dévoile avec pudeur, avec intensité. Elle parle de ses origines, de sa famille, de ses rapports avec la « judaïté », de la jeune fille qu’elle a été, de choses et de personnes sur qui elle n’avait jamais écrit jusque-là. « Anne Frank, que le monde connaît tant qu’il n’en sait pas grand-chose. » Lors d’un entretien préalable, le directeur du Musée lui demande ce que la jeune Anne représente pour elle, ce qui la met mal à l’aise. Elle lui envoie un mail qui se termine sur cette citation de Duras : « Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine. »

    Laureen Nussbaum est « l’une des dernières personnes en vie à avoir bien connu les Frank, […] une pionnière : elle étudie le Journal en tant qu’œuvre littéraire depuis les années 1990. » Elle raconte à Lola Lafon combien Anne, onze ans, la sœur de son amie Margot, était bavarde, « pénible et adorable » pour les adultes. Les deux sœurs étaient très gâtées par leur père Otto, « un homme moderne, pour l’époque », attaché à ce que ses filles soient éduquées et critiques.

    Après avoir fui l’Allemagne en 1933, leurs familles s’étaient  rencontrées à Amsterdam. La capitulation de la Hollande en mai 1940 les prend au piège, puis les premières mesures antijuives. Anne Frank énumère le 20 juin 1942 tout ce que les juifs doivent faire et tout ce qui leur est interdit – première page où elle rend compte « d’autre chose que de son quotidien d’écolière ». Tous craignent la « convocation » envoyée aux jeunes juifs de seize à vingt ans. Le 6 juillet 1942, Margot, seize ans, n’étant pas au cours, Laureen passe chez elle : « La porte de l’appartement des Frank est entrouverte. Les pièces sont vides, les lits défaits. »

    Laureen Nussbaum invite Lola L. à lire les quatrièmes de couverture du Journal (Het Achterhuis en néerlandais), « extrêmement révélatrices » de ce que les éditeurs ont souligné et des mots qu’ils ont évités. En laissant dans l’ombre l’essentiel : Anne écrivait pour être lue, et non « vénérée » comme une sainte ou un symbole. En mars 1944, dans l’Annexe, Anne Frank avait entendu à la radio le ministre de l’Education en exil demander aux Hollandais de « conserver leurs lettres, leurs journaux intimes » comme futurs témoignages précieux. Aussitôt elle s’était mise à retravailler son texte.

    Autorisée à passer la nuit dans l’Annexe, Lola Lafon sait qu’elle passera dix heures dans un lieu vide – Otto Frank, le seul survivant, a exigé que l’appartement reste dans l’état. « On dira : dans l’Annexe, il y a rien et ce rien, je l’ai vu. » Huit personnes sont restées vingt-cinq mois ensemble dans cette cachette au-dessus des bureaux de l’entreprise, où cinq employés leur fournissaient « vivres, livres et encouragements ». Silencieux, immobiles, sauf une heure pendant la pause du déjeuner.

    Lola Lafon raconte comment elle s’est préparée, ce qu’elle a lu, elle qui « depuis l’adolescence, détourne les yeux ; celle qui ne regarde pas de documentaire sur la Shoah. Celle qui n’a lu que peu de livres à ce sujet. » Mais elle « sait » cette histoire. L’histoire des familles russes, polonaises, qui ont tout quitté pour rejoindre « une France de fiction, celle d’Hugo, de Jaurès et de la Déclaration des droits de l’homme ». C’est l’histoire de sa famille, « l’abîme » auquel elle a tourné le dos à l’adolescence.

    Aspirant plus que tout à être « normale », elle restait vague sur ses origines russo-polonaises – « ma blondeur était un passeport vers la tranquillité. » Jamais elle ne disait qu’elle était juive. Elle a grandi en Bulgarie et en Roumanie, elle est trilingue : français, anglais, roumain, mais « aucun accent, aucune appartenance ».

    Au Musée Anne Frank, Teresien da Silva lui raconte les préparatifs d’Otto Frank jusqu’au 5 juillet 1942 : Margot a reçu la convocation redoutée, ils partiront le lendemain matin, Anne « ne pourra emporter que l’essentiel. » C’est dans la chambre étroite des parents et de Margot qu’un lit de camp a été installé pour l’écrivaine, la chambre d’Anne est juste à côté.

    Pourquoi elle écrit, son enfance en Roumanie et son arrivée à Paris à l’âge de douze ans, pourquoi on tient un Journal, la publication du Journal d’Anne, l’arrestation et le sort des Frank, la rencontre d’une déportée… La nuit passe et Lola Lafon n’arrive pas à franchir la porte de la chambre d’Anne Frank. Rien de convenu dans Quand tu écouteras cette chanson, plutôt des battements de la sensibilité, de la mémoire – d’où surgiront des mots qu’elle n’avait jamais écrits. Entrer dans la nuit de Lola Lafon au musée Anne Frank est une lecture à part, intime, troublante, au cœur de l’absence et de la présence.

  • Vieux pommier

    marie gillet,aussitôt que la vie,listes de la colline et au-delà,journal,provence,marche,promenade,nature,observation,réflexion,mémoire,résilience,culture,littérature française,récit« J’avais devant moi une image parfaite du printemps : un magnifique vieux pommier en fleurs au milieu d’un pré d’un vert éclatant. J’étais heureuse de pouvoir éprouver cette joie de le voir et de n’en être point blasée. Cette beauté était là avant que j’arrive et si je n’étais pas venue, elle aurait quand même existé parce qu’elle est une vie en elle-même : les fleurs qui deviendront des fruits, les abeilles butinant pour nourrir leur reine féconde, emportant du pollen ailleurs et tout ce qui va avec, les saisons qui s’écoulent, la pluie, le vent, le soleil, les oiseaux, cette vie à laquelle je n’ai pas d’autre part que la contemplation. J’ai repris la marche mais sans me presser pour l’aller voir de près. Je me suis arrêtée à quelques pas pour le saluer encore, de loin encore, comme on le faisait à la Cour pour le Roi. »

    Marie Gillet, Aussitôt que la vie