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humour - Page 2

  • Gerry à Corfou

    Il faut absolument que tu lises ça, m’avait dit maman un jour, après avoir lu My Family and Others Animals de Gerald Durrell (1925-1995). Quand j’ai vu la nouvelle édition de La Trilogie de Corfou en un volume (La Table Ronde, 2023), j’ai su que le moment était enfin venu de découvrir Ma famille et autres animaux (traduit de l’anglais par Léo Lack). Que c’est joyeux ! Que c’est drôle !

    Durrell La trilogie de Corfou.jpg

    Ce premier volet (1956) s’ouvre sur un « Plaidoyer pro domo » où l’auteur annonce son sujet : le récit d’un séjour de cinq ans avec sa famille dans l’île de Corfou : Larry, son frère aîné avait vingt-trois ans (Lawrence Durrell, l’écrivain qui écrira le fameux Quatuor d’Alexandrie) ; son frère Leslie, dix-neuf ans ; sa sœur Margo, dix-huit ans et Gerry, dix ans. De leur mère veuve à qui il dédie son livre, il écrit que « tel un Noé plein de douceur, enthousiaste et compréhensif, elle a su gouverner son navire rempli d’une étrange progéniture à travers les orages de la vie avec une grande habileté… »

    C’est Larry qui déclare, pendant un mois d’août pluvieux en Angleterre, qu’ils ont besoin de soleil et d’un climat plus propice à l’écriture. Il propose Corfou, dont un ami lui a fait l’éloge. « Nous vendîmes donc la maison et, telle une bande d’oiseaux migrateurs, prîmes la fuite, loin du lugubre été anglais. » Avec leurs bagages et équipements divers, sans oublier Roger, le chien, ils accostent sur l’île « dans les vapeurs du matin »« tout à coup, le soleil parut à l’horizon et le ciel prit la teinte bleu émail des yeux du geai. »

    D’abord mal logés dans une Pension, ils se mettent à la recherche d’une villa avec salle de bains. L’aide proposée à la douane de Spiro Hakiaopoulos, qui parle anglais, va leur faciliter les choses ; ils y gagnent un ami, un chauffeur, un protecteur. Spiro déniche une maison selon leurs vœux : à mi-pente d’une colline couverte d’oliveraies, encadrée par des cyprès, « une charmante villa couleur de fraise, pareille à un fruit exotique posé dans la verdure ». Petite et carrée, la maison leur plaît. Spiro s’occupe de tout pour les y installer.

    Pour Gerry, naturaliste en herbe, son « jardin de poupée était une terre magique, une forêt de fleurs » à travers laquelle, accompagné du chant des cigales, observer toutes sortes de créatures jamais vues : araignées minuscules, coccinelles de diverses couleurs, abeilles, fourmis, papillons… L’auteur raconte son émerveillement à chaque découverte et ses rencontres diverses avec des êtres humains. Comme George, un vieil ami de Larry, « venu à Corfou pour écrire », qui accepte de lui donner des cours particuliers et lui apprend « à observer et à consigner » ses observations.

    Chez George, Gerry fait la connaissance du Dr Theodore Stephanides, « un amoureux excentrique de la nature », « le seul à partager [son] enthousiasme pour la zoologie ». Le garçon lui a montré en chemin un terrier de mygales, ce qui lui vaut des explications très instructives. Enchanté de leur conversation, son futur mentor lui envoie un microscope de poche et l’invite à venir prendre le thé chez lui. Tous les jeudis, Gerry se rendra dans le cabinet de travail de Theodore pour observer ses propres trouvailles.

    Ma famille et autres animaux, récit à la fois autobiographique et romancé, conte aussi les petites histoires des siens, comme celle de Margo et d’un jeune Turc arrogant dont elle s’est entichée, celle de Leslie et de ses fusils de chasse, celle de Larry qui invite des amis à séjourner chez eux alors qu’il n’y a pas de place. Leur mère, d’abord furieuse, se résout à sa nouvelle suggestion : déménager dans une maison plus grande.

    La villa jonquille est immense. Ils y reçoivent l’aide d’un jardinier et de sa femme hypocondriaque qui assiste leur mère passionnée de cuisine et de nouvelles recettes. Tandis que sa sœur tombe malade après avoir « vraiment » baisé les pieds de la relique de saint Spyridon à l’église, Gerry a « six hectares de jardin à explorer ». Les invités de Larry – un poète arménien, trois artistes, une comtesse –, loin d’être « ordinaires et charmants », complètent leur quatuor excentrique.

    Enchanté de découvrir un jour une femelle scorpion portant « une masse de bébés minuscules », Gerry ramène comme il en a l’habitude ce spécimen à la villa dans une boîte d’allumettes, sans se douter du drame qui s’ensuivra. Sa mère décide alors de lui faire prendre des cours de français chez le consul belge, puis lui trouve un nouveau précepteur.

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    Gerald Durrell en Grèce à la fin des années 30 © Durrell Wildlife Conservation Trust

    On verra pourquoi les Durrell vont à nouveau déménager, ce qui leur vaudra de nouvelles découvertes et d’autres rencontres hautes en couleurs, jusqu’à ce que le temps soit venu de rentrer en Angleterre pour que Gerry achève son éducation. Ma famille et autres animaux, plusieurs fois adapté pour la télévision, se termine sur ce retour, non définitif selon leur mère : « Afin d’apaiser les velléités de rébellion de la famille, elle nous dit qu’il fallait considérer ce séjour comme des vacances. Nous serions bientôt de retour à Corfou. »

  • L'indicible

    olga tokarczuk,sur les ossements des morts,roman,littérature polonaise,écologie,astrologie,meurtres,william blake,humour,culture« D’une certaine façon, les gens comme elle [l’Ecrivaine], ceux qui manient la plume, j’entends, peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de mentir, de ne pas être eux-mêmes, de n’être qu’un œil qui ne cesse d’observer, transformant en phrases tout ce qu’il voit ; tant et si bien qu’un écrivain dépouille la réalité de tout ce qu’elle contient de plus important : l’indicible. »

    Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts

  • La gardienne et eux

    Le titre du roman d’Olga Tokarczuk Sur les ossements des morts, publié en 2010 (traduit du polonais par Margot Carlier), est tiré du livre de William Blake, Le Mariage du Ciel et de l’Enfer (1793) – « Conduis ta charrue par-dessus les ossements des morts » – et les épigraphes des chapitres, de ses Proverbes de l’Enfer.

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    « Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. » L’autodérision rassure à l’entrée du récit. Je ne m’attendais pas à tant d’humour dans cette histoire qui commence avec des coups frappés à la porte au milieu de la nuit. Son voisin, Matoga, demande à la narratrice de s’habiller : « Grand Pied est mort. »

    « Comment ça, « il est mort » ? » ai-je fini par demander, la gorge serrée, en rouvrant la porte. Mais Matoga ne m’a pas répondu.
    En général, il est très peu loquace. Selon moi, il doit avoir Mercure en Capricorne, un signe de silence, ou bien en conjonction, en carré ou peut-être en opposition avec Saturne. Cela pourrait être aussi un Mercure rétrograde – ce qui est typique pour un introverti. »

    Mme Doucheyko (Janina, qui déteste son prénom et donne un surnom de son choix à chaque personne qu’elle rencontre) est une astrologue passionnée et la gardienne du hameau : elle veille sur les maisons vides durant l’hiver. Grand Pied, Matoga et elle sont les seuls à y vivre toute l’année. Matoga a entendu la chienne de Grand Pied aboyer, vu de la lumière dans la cuisine et il la prévient : « Ça n’est pas beau à voir. » Se frayant un chemin dans la neige derrière lui et sa lampe torche, elle remarque les yeux brillants de deux biches qui les suivent, des « Demoiselles » comme elle les appelle.

    Ils n’arrivent pas à joindre la police par téléphone, juste à capter « la voix tchèque d’un répondeur automatique » (Luftzug n’est pas loin de la frontière). Matoga la convainc de déplacer le cadavre sur le divan et de l’habiller plus dignement, même si elle lui rappelle qu’ils devraient attendre l’arrivée de la police. Apparemment l’homme s’est étouffé avec un os coincé dans la gorge – il reste une tête de biche tranchée et des restes de repas dans sa cuisine.

    L’hiver est difficile sur le plateau avec la neige, le vent, le grand froid, et la route est mauvaise, qui mène jusqu’à Wroclaw ou en Tchéquie. Bien que voisins, Matoga et Mme D. ne sont pas très proches : il est aussi ordonné qu’elle ne l’est pas. Elle n’aimait pas Grand Pied et avait même déposé plainte contre lui pour braconnage ; la police n’y avait pas donné suite, excédée par cette « folle à lier » qui prend la défense des animaux et tient tête aux chasseurs. La gardienne et eux ne sont pas en bons termes.

    Passionnée par la chaîne météo et ses annonces qui divisent la population en « skieurs, allergiques et conducteurs », la narratrice observe les étoiles, enterre les animaux morts, surveille les maisons des Professeurs, de l’Ecrivaine, des Dupuits. Quand elle fait sa ronde dans le paysage noir et blanc, son œil est chaque fois blessé de se poser sur les « ambons », huit tribunes érigées par les chasseurs pour appâter le gibier. 

    Le jour, elle fait ce qu’elle a à faire, malgré ses maux douloureux. Le soir, elle s’occupe de thèmes astrologiques à l’aide d’éphémérides et de livres pour étudier « les ordres de la mort » selon les planètes. Son ancien élève Dyzio, informaticien de la police, lui a offert un ordinateur et vient chaque vendredi lui raconter son travail en cours : il traduit William Blake.

    Une nuit au temps particulièrement exécrable, elle le reconduit en voiture (son « Samouraï ») et ils remarquent une lumière inhabituelle près du col ; ils y découvrent la voiture du chef de la police et son cadavre dans un vieux puits, entouré d’empreintes de sabots. « Dyzio, ce sont les animaux qui se vengent des hommes. » – « Tu es sous le choc. Tu racontes n’importe quoi. »

    Sur les ossements des morts n’est pas un roman policier, mais il s’y produit une série de meurtres mystérieux sur lesquels Mme Doucheyko a sa propre idée. Très observatrice de la nature, du ciel, des animaux et des humains, elle commente tout sous un angle original, inattendu, attentive aux subtiles « corrélations » entre les choses. Matoga lui conseille de ne pas trop ébruiter ses théories, qui pourraient lui causer du tort, elle s’en fiche. Elle ne s’est jamais remise de la disparition de ses deux chiennes, ses « Petites Filles ».

    Olga Tokarczuk campe ici un personnage de vieille excentrique très attachant, malgré ses lubies, voire à cause d’elles. Ingénieure des ponts et chaussées puis institutrice, elle donne encore des cours d’anglais une fois par semaine en ville. Ce roman nous apprend des noms d’oiseaux et d’insectes, des proverbes de Blake et décrit la vie quotidienne d’une retraitée dans ce coin perdu de Pologne où la Tchéquie toute proche semble le pays idéal. S’il y est question essentiellement de la vie et de la mort, c’est à travers une succession de péripéties désolantes et de remarques désopilantes que je me garderai bien de vous dévoiler.

    (Un roman apprécié aussi par Dominique, Claudialucia, Keisha, Marilyne - entre autres.)

  • Nasreddin Hodja

    Petite Anatolie Nasreddin.jpg

    « Les élèves interrogent Nasreddin Hodja, leur instituteur :

    – Maître, quel homme a plus de valeur : celui qui conquiert un empire par la force, celui qui peut le conquérir, mais qui se l’interdit ou celui qui empêche un autre de s’emparer d'un tel empire ?

    Perplexe, Hodja répond :

    – Je n’en sais rien. Mais je sais quelle est la tâche la plus difficile au monde.

    – Laquelle ? demandent les élèves.

    – Vous apprendre à voir les choses comme elles sont réellement. »

     

    D’autres contes délicieux à lire sur le site : http://nasreddinhodja.blogspot.be/

     

     

     

  • Sacré Woody

    Pour me changer les idées, rien de tel que du Woody Allen, me suis-je dit. Sacré Woody, fais-moi rire. J’aurais sans doute mieux fait de m’installer dans le canapé et de glisser Annie Hall ou Manhattan dans le lecteur. J’ai ouvert un recueil de nouvelles du maître aux fameuses lunettes, L’erreur est humaine (2007).

     

    La nouvelle éponyme s’intitule, au complet, L’erreur est humaine et la lévitation divine. Autres titres prometteurs : Ainsi mangeait Zarathoustra et A Vienne que pourra. « Eussé-je été un encornet que ce préambule aurait suffi à déclencher une éjaculation d’encre noire » peut-on lire dans ce récit où l’on projette un grand spectacle « Fun de siècle » avec Alma Mahler en bombe sexuelle, entourée de Klimt, Schiele, Zweig, Kokoschka, et plus si affinités.

     

    Annie Hall 1977.jpg

     

    Woody Allen soigne les attaques. « Dans le cadre d’un programme de remise en forme visant à réduire mon espérance de vie à celle d’un mineur du dix-neuvième siècle, je faisais mon jogging l’été dernier dans la Cinquième Avenue. » (Les infortunes d’un génie méconnu) Ou « Je suis grandement soulagé d’apprendre qu’on est enfin capable d’expliquer l’univers. » (Théorie des cordes et désaccord)

     

    Dans Nounou très chère, Harvey apprend par sa femme que la bonne d’enfants est en train d’écrire un livre sur eux – « Pourquoi avais-je dédaigné les conseils de l’avocat qui me suggérait de faire figurer une clause de confidentialité dans notre contrat avec Mlle Viaire ? » Que faire ? La virer risque d’aggraver la situation. Après une halte au « Palais du Houblon » pour calmer son « palpitant », Harvey envisage différentes techniques de meurtre et opte pour un breuvage maléfique. Bien sûr, c’est lui qui finit par boire la tasse. Mlle Viaire a renoncé entre-temps à écrire sur ces gens trop minables. Mot de la fin : « Nous n’avons pas l’intention d’engager une autre baby-sitter, du moins tant qu’il n’y aura pas eu d’avancée technologique significative en matière de robotique. »

     

    Qui d’autre que Woody imaginerait Mes secrets minceur, par Friedrich Nietzsche, un essai qui réconcilie Platon et Montignac (Ainsi mangeait Zarathoustra) ? Toute une nouvelle sur la mise aux enchères d’une truffe blanche de plus d’un kilo (Mortelles papilles, ma jolie) ? La vente de prières personnalisées sur ebay (Notre Père qui êtes sur la toile) ? Extrait : « L’honnêteté intellectuelle est un concept tout relatif, qu’il est préférable de laisser aux intellectuels, justement – les Jean-Paul Sartre et autres Hannah Arendt. » Aux parents belges désespérés, on conseille Recalé, l’histoire terrible de Mischa, trois ans, non admis dans la meilleure école maternelle de Manhattan.

     

    Cela croustille donc joliment çà et là. Cela fourmille d’expressions populaires ou argotiques (cf. dans Dieu Skakespeare et moi, du même, Les origines de l’argot). Mais franchement, à la lecture des Opus alleniens, il manque les voix et les bobines. Celles de Woody Allen /Alvy Singer et de Diane Keaton/Annie Hall :

     

    - ALVY (en gesticulant) – Pourtant, pourtant, il faut un point de repère esthétique pour pouvoir envisager une perspective sociale. (Sous-titre : « On se croirait sur France-Culture. »)

    - ANNIE (elle rit) – Enfin, je ne sais pas. Je veux dire, je crois… je crois que vous devez être en retard, non ?

    - ALVY – C’est vrai, il va falloir que j’aille faire mes lamentations. (Annie rit.)

    (…)

    - ALVY – Hé, écoutez, écoutez. (Ils s’arrêtent.)

    - ANNIE – Quoi ?

    - ALVY – Embrassez-moi.

    - ANNIE – Sérieusement ?

    - ALVY – Oui, pourquoi pas ? Parce qu’on va forcément rentrer ensemble, non ?

    - ANNIE – Oui.

    - ALVY (poursuivant) – Et… et euh… il y aura forcément un brin de tension. Vous savez, quand on ne s’est jamais embrassé et qu’on ne sait pas très bien par où commencer. Alors je propose qu’on s’embrasse maintenant, ce sera fait, et puis, on pourra aller manger, d’accord ?