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La gardienne et eux

Le titre du roman d’Olga Tokarczuk Sur les ossements des morts, publié en 2010 (traduit du polonais par Margot Carlier), est tiré du livre de William Blake, Le Mariage du Ciel et de l’Enfer (1793) – « Conduis ta charrue par-dessus les ossements des morts » – et les épigraphes des chapitres, de ses Proverbes de l’Enfer.

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« Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. » L’autodérision rassure à l’entrée du récit. Je ne m’attendais pas à tant d’humour dans cette histoire qui commence avec des coups frappés à la porte au milieu de la nuit. Son voisin, Matoga, demande à la narratrice de s’habiller : « Grand Pied est mort. »

« Comment ça, « il est mort » ? » ai-je fini par demander, la gorge serrée, en rouvrant la porte. Mais Matoga ne m’a pas répondu.
En général, il est très peu loquace. Selon moi, il doit avoir Mercure en Capricorne, un signe de silence, ou bien en conjonction, en carré ou peut-être en opposition avec Saturne. Cela pourrait être aussi un Mercure rétrograde – ce qui est typique pour un introverti. »

Mme Doucheyko (Janina, qui déteste son prénom et donne un surnom de son choix à chaque personne qu’elle rencontre) est une astrologue passionnée et la gardienne du hameau : elle veille sur les maisons vides durant l’hiver. Grand Pied, Matoga et elle sont les seuls à y vivre toute l’année. Matoga a entendu la chienne de Grand Pied aboyer, vu de la lumière dans la cuisine et il la prévient : « Ça n’est pas beau à voir. » Se frayant un chemin dans la neige derrière lui et sa lampe torche, elle remarque les yeux brillants de deux biches qui les suivent, des « Demoiselles » comme elle les appelle.

Ils n’arrivent pas à joindre la police par téléphone, juste à capter « la voix tchèque d’un répondeur automatique » (Luftzug n’est pas loin de la frontière). Matoga la convainc de déplacer le cadavre sur le divan et de l’habiller plus dignement, même si elle lui rappelle qu’ils devraient attendre l’arrivée de la police. Apparemment l’homme s’est étouffé avec un os coincé dans la gorge – il reste une tête de biche tranchée et des restes de repas dans sa cuisine.

L’hiver est difficile sur le plateau avec la neige, le vent, le grand froid, et la route est mauvaise, qui mène jusqu’à Wroclaw ou en Tchéquie. Bien que voisins, Matoga et Mme D. ne sont pas très proches : il est aussi ordonné qu’elle ne l’est pas. Elle n’aimait pas Grand Pied et avait même déposé plainte contre lui pour braconnage ; la police n’y avait pas donné suite, excédée par cette « folle à lier » qui prend la défense des animaux et tient tête aux chasseurs. La gardienne et eux ne sont pas en bons termes.

Passionnée par la chaîne météo et ses annonces qui divisent la population en « skieurs, allergiques et conducteurs », la narratrice observe les étoiles, enterre les animaux morts, surveille les maisons des Professeurs, de l’Ecrivaine, des Dupuits. Quand elle fait sa ronde dans le paysage noir et blanc, son œil est chaque fois blessé de se poser sur les « ambons », huit tribunes érigées par les chasseurs pour appâter le gibier. 

Le jour, elle fait ce qu’elle a à faire, malgré ses maux douloureux. Le soir, elle s’occupe de thèmes astrologiques à l’aide d’éphémérides et de livres pour étudier « les ordres de la mort » selon les planètes. Son ancien élève Dyzio, informaticien de la police, lui a offert un ordinateur et vient chaque vendredi lui raconter son travail en cours : il traduit William Blake.

Une nuit au temps particulièrement exécrable, elle le reconduit en voiture (son « Samouraï ») et ils remarquent une lumière inhabituelle près du col ; ils y découvrent la voiture du chef de la police et son cadavre dans un vieux puits, entouré d’empreintes de sabots. « Dyzio, ce sont les animaux qui se vengent des hommes. » – « Tu es sous le choc. Tu racontes n’importe quoi. »

Sur les ossements des morts n’est pas un roman policier, mais il s’y produit une série de meurtres mystérieux sur lesquels Mme Doucheyko a sa propre idée. Très observatrice de la nature, du ciel, des animaux et des humains, elle commente tout sous un angle original, inattendu, attentive aux subtiles « corrélations » entre les choses. Matoga lui conseille de ne pas trop ébruiter ses théories, qui pourraient lui causer du tort, elle s’en fiche. Elle ne s’est jamais remise de la disparition de ses deux chiennes, ses « Petites Filles ».

Olga Tokarczuk campe ici un personnage de vieille excentrique très attachant, malgré ses lubies, voire à cause d’elles. Ingénieure des ponts et chaussées puis institutrice, elle donne encore des cours d’anglais une fois par semaine en ville. Ce roman nous apprend des noms d’oiseaux et d’insectes, des proverbes de Blake et décrit la vie quotidienne d’une retraitée dans ce coin perdu de Pologne où la Tchéquie toute proche semble le pays idéal. S’il y est question essentiellement de la vie et de la mort, c’est à travers une succession de péripéties désolantes et de remarques désopilantes que je me garderai bien de vous dévoiler.

(Un roman apprécié aussi par Dominique, Claudialucia, Keisha, Marilyne - entre autres.)

Commentaires

  • Un roman que je suis occupée à lire, 65% de lus. Pour le moment je suis attachée à Janina, bien sûr, l'astrologie m'ennuie un peu, il me semble que le récit part un peu dans tous les sens...je reviendrai une fois fini.
    Bonne journée.

  • Ah, je n'ai pas tenté de la suivre de près sur ce thème astrologique, une des facettes fantaisistes dans ce roman, une des manières pour Mme D. de relier la vie et la mort, les étoiles et les humains... Cette fantaisie est justement ce qui m'a plu.

  • Merci pour ce bel article, il me semble que j'aimerais bien: je note la référence.

  • Si tu ne crains pas l'influence de Saturne... Bonne journée, Anne.

  • Plutôt attractif ce roman (parfois l'auteure est plus difficile) alors quel bon roman!

  • Nous sommes d'accord.

  • J'ai eu envie de connaître cet écrivain et c'est aujourd'hui que je reçois son livre «Dieu, le temps, les hommes et les anges». Même jour, même auteur, la coïncidence me ravit, comme votre long billet. Belle journée Tania.

  • Ah, sous la même étoile alors ? Bonne lecture, Elisabeth.

  • Que j'avais aimé ce roman, et pourtant maintenant, je préfère les suivants. Mais celui-ci m'a décidée à lire William Blake dont je ne connaissais quasiment rien.
    Merci pour le lien.

  • Que j'avais aimé ce roman, et pourtant maintenant, je préfère les suivants. Mais celui-ci m'a décidée à lire William Blake dont je ne connaissais quasiment rien.
    Merci pour le lien.

  • Je me réjouis d'autant plus de découvrir les romans suivants. Avec plaisir, Marilyne.

  • Jusqu'à présent, c'est aussi mon cas. Bonne soirée, Dominique.

  • Voilà je l’ai terminé. Si la fin du roman m’a prise, je suis restée à distance pendant le reste de la lecture. Je n’arrive pas à mettre le doigt sur le pourquoi exactement car tant de choses m’ont séduites….
    J’en garderai le souvenir d’un bon roman quand même

  • Il arrive qu'une attente trop grande favorise la déception. Et les digressions astrologiques qui t'ennuyaient sont assez nombreuses...
    Les meurtres de cette histoire n'ont rien d'enchanteur, au contraire même, mais le ton de la romancière m'a plu dès les premières pages avec l'inattendu des situations, des réactions, des commentaires de la narratrice, un personnage loufoque qui m'a fait souvent rire avec son humour plutôt noir.

  • Je lis (en alternance) les Peregrins. C'est une auteure très particulière que j'ai découvert avec son discours du Nobel.Je ne sais pas si je poursuivrai ou non l'exploration d'Olga. J'ai tant d'autres livres sur ma pile !

  • Oui, sa façon d'envisager les choses est originale et je compte bien la lire plus avant.

  • Elle est "la romancière polonaise la plus traduite à travers le monde, elle est sans doute l’auteure la plus aimée de son pays, quand bien même ses prises de position en faveur de la cause animale, de l’égalité des sexes et des droits des minorités lui ont valu de solides inimitiés." (Editions Noir sur Blanc)

  • Oh, merci Tania, il me reste deux cadeaux de Noël à faire, et je crois avoir trouvé là l'un des deux... La Pologne, l'astrologie, la nature... L'écriture est-elle belle ? Doux dimanche à toi. brigitte

  • Son style est fluide sans être particulièrement recherché (pour autant que la traduction le rende bien), d'une grande efficacité narrative. Bonne après-midi, Brigitte.

  • Je ne l'ai toujours pas lu, il faut que je l'achète pour l'avoir sous la main à la minute où je serai prête !! Je reconnais certains passages vus dans le film qui a été tiré du roman et que j'avais aimé.

  • J'avais oublié qu'on en avait tiré un film. Pour info, je signale la bande-annonce de l'adaptation cinématographique de la cinéaste Agnieszka Holland sous le titre "Spoor" ici : https://filmsdefemmes.com/fiche-film/spoor/

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