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histoire - Page 28

  • Chapeau

    baronian,jean-baptiste,dictionnaire amoureux de la belgique,culture,essai,littérature française de belgique,écrivain belge,histoire,art« Dans son livre De l’élégance masculine (1987), Tatiana Tolstoï dit qu’aucun homme ne devrait se passer de chapeau. Outre le fait qu’il est une protection contre la pluie et le soleil, le chapeau permet en effet de saluer les dames, de cacher la calvitie, de grandir les individus de petite taille, de rendre acceptable un manteau aux épaules trop larges sur lesquelles une tête nue paraîtrait minuscule… Sans oublier qu’il est un signe de bienséance chez un individu, la politesse exigeant qu’on le retire lorsqu’on franchit la porte d’une maison où on est reçu. Encore qu’avec certains couvre-chefs magnifiquement extravagants d’Elvis Pompilio, il ne soit pas toujours très facile de le faire. »

    Jean-Baptiste Baronian, « Mode, c’est belge » (Dictionnaire amoureux de la Belgique)

    Photo empruntée à un entretien dans Metro : "Elvis Pompilio : Monsieur Chapeau" (26/6/2015)

     

  • Belgique LMNO...

    Nouvelle balade dans le Dictionnaire amoureux de la Belgique de Jean-Baptiste Baronian : cette fois nous irons de Laeken jusque chez Thomas Owen (qui a habité pas loin de chez moi). Je vous ai déjà présenté les Serres royales de Laeken, mais jamais je n’ai mis les pieds au « Père-Lachaise » bruxellois selon certains, à savoir le cimetière de Laeken où Baronian a eu « la curieuse impression de dégringoler les âges à la vitesse de l’éclair » dans une « métropole totalement désuète et, qui plus est, d’une laideur infinie ». Dans ce « gris répulsif », que de « Belges qui ont fait la Belgique », pourtant !

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    Albijn Van den Abeele, Bois de sapins en février, 1900
    (en couverture du catalogue Le premier groupe de Laethem-Saint-Martin 1899-1914, Bruxelles, 1988)

    A « Laethem-Saint-Martin », on respire mieux, avec les deux groupes d’artistes de ce « foyer de la peinture et de la sculpture flamandes du XXe siècle ». Un millier d’habitants vers 1900, quand les premiers s’y installent, neuf fois plus (« près de vingt fois plus si on compte la population de Deurle, la commune limitrophe ») aujourd’hui dans cette région cossue où musées et galeries d’art prospèrent. Baronian rappelle ce qui motivait ces artistes et admire Bois de sapins en février, chef-d’œuvre de Van den Abeele : « Le mystère de la lumière verte dans tous ses états. Le mystère tout court sublimé par des arbres. Un miracle. »

    La littérature française de Belgique prend volontiers sa source officielle dans La Légende d’Ulenspiegel de Charles de Coster (1827-1879), roman passé presque inaperçu à sa parution en 1867, écrit Baronian, mais relancé par diverses rééditions, surtout posthumes, et par le monument élevé aux étangs d’Ixelles en hommage à l’écrivain volontiers archaïsant, représentant le couple héroïque, Thyl Ulenspiegel et Nele (j’ai vu passer l’une ou l’autre fois la sculpture de Charles Samuel, en bronze et en format réduit, mais à des prix hors de ma portée.)

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    Si comme moi, vous ignoriez le nom du photographe Willy Kessels (devinette du billet précédent), celui de Charles Leirens devrait être plus familier à ceux qui fréquentaient l’ancienne librairie du palais des Beaux-Arts tenue par la Promotion des lettres belges de langue française : on y trouvait en cartes postales ses beaux portraits d’écrivains et d’artistes. Baronian nous apprend qu’il était féru de musique, lui-même compositeur, organisateur de concerts marquants, notamment à la Maison d’Art qu’il avait fondée avenue Louise. « Grand photographe, grand mélomane et grand animateur culturel : j’ai beau chercher, je ne vois pas quel nom je pourrais mettre en regard de celui de Charles Leirens », conclut Baronian.

    Je ne m’attarderai ni sur nos anciens rois Léopold I, II et III, ni sur « Lemaître », « Lemonnier », « Leys », ni sur « Liège », qui le méritent assurément. Pardonnez-moi de quitter le L, mais (comme dans ma bibliothèque) la lettre M qui suit est la plus fournie dans ce dictionnaire : 23 entrées en commençant par « Maeterlinck » et « Magritte », c’est une gageure d’en rendre compte. Alors tant pis (tant mieux pour vous quand vous ouvrirez ce Dictionnaire amoureux de la Belgique), pas de « Meunier (Constantin) » ni de « Mer du nord » ni même de « Moules », je m’arrêterai sur un seul article en M.

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    Léonard Misonne, Brouillard et poussière, 1908

    C’est au Musée de la photographie à Charleroi que j’ai vu les œuvres de Léonard Misonne – on hésite à nommer « photographies » les créations de ce photographe impressionniste. Méconnu, affirme Baronian, parce que la photographie pictorialiste (imitant la peinture) « a totalement été déconsidérée après la seconde guerre mondiale » au profit de la photographie réaliste et documentaire. Misonne composait des « tableaux photographiques », souvent des paysages champêtres, des scènes de ville aussi, et toujours avec une lumière, une atmosphère particulière.

    Bien sûr, à M vous trouverez bien « Mons » et à N « Namur » ! Puis les écrivains se succèdent : Norge précède Amélie Nothomb et Paul Nougé. Thomas Owen n’est pas loin, juste derrière « Ostende », où Baronian invite Stefan Zweig (La saison à Ostende), Henri Storck qui a filmé « Ostende, reine des plages » du temps où elle était ce qu’elle n’est plus (mais elle a de beaux restes), et bien sûr les deux grands peintres ostendais, James Ensor et Léon Spilliaert.

    Désolée de terminer ce billet sur un mode énumératif, je vous promets pour le prochain un extrait plus... élégant.

  • Coup d'archet

    Baronian grumiaux_arthur.gif« Au vrai, ce soir-là, il m’a profondément bouleversé et, chaque fois que j’entends le Concerto de Mendelssohn, je le vois, lui, Arthur Grumiaux, je le vois et le revois au Palais des Beaux-Arts, tout inhibé, comme en retrait de l’orchestre et de l’assistance, mais faisant jaillir de son instrument les timbres les plus magiques. C’est ce que disent et répètent d’ailleurs tous les mélomanes, tous les critiques : la pureté du style, la beauté lumineuse de la sonorité, l’élégance du coup d’archet. » 

    Jean-Baptiste Baronian, « Grumiaux, Arthur » in Dictionnaire amoureux de la Belgique

    Photo : Arthur Grumiaux (Wallonie en ligne)

  • Belgique GHIJK...

    Bien sûr, Jean-Baptiste Baronian ne pouvait manquer de passer par Gand dans son Dictionnaire amoureux de la Belgique, ni d’évoquer deux écrivains qui me sont chers, différents à tout point de vue – seule leur initiale les rapproche : Marie Gevers et Michel de Ghelderode.

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    Hôtel de Ville de Bruxelles par Henri Cassiers (1858-1944)

    Chez la « dame de Missembourg », les chroniques sur la nature, les « relations de voyages » et « recueils de textes plus ou moins anecdotiques » constituent « la part la plus originale de son œuvre », selon Baronian. Ce qu’il écrit à propos de L’Herbier légendaire et de Parabotanique est fort tentant  (je n’ai lu ni l’un ni l’autre, les deux livres semblent épuisés). Quant à l’article sur Ghelderode et son « carnaval scénique », j’y ai appris le mot « middelmaestisme » par lequel l’écrivain désignait « la manie belge des compromis » (voir § 7).

    Aux amateurs du ballon rond, je signale un bel hommage à Raymond Goethals à qui « aucun entraîneur de football à travers le monde ne ressemblera jamais ». Aux amateurs de la petite reine, un article sur Grammont, pour le fameux « mur de Grammont » que doivent franchir les coureurs du Tour des Flandres, « sorte de mont Ventoux en miniature » – et aussi, entre autres spécialités dont je vous laisse la surprise, pour la tarte au maton, dont le nom « tarte au maton de Grammont » est désormais protégé (on la fabrique aussi ailleurs en Belgique.)

    Le plus surprenant, à cette lettre « G », c’est l’incroyable « Guerre de la vache et les Ronds du Hainaut », une affaire méconnue qui a vu périr bien des humains au Moyen Age… pour un vol de vache. On n’attendra pas le « J » pour regretter le beau revers de notre « Juju » nationale : Justine Henin récolte plus de trois pages à la lettre « H », pas mal. Hergé et Horta feront mieux, on s’en doute.

    Et pourtant, c’est Victor Hugo qui gagne la première place : « De 1837 à 1871, il est venu dans le pays une bonne quinzaine de fois et, certaines années, il y a effectué de longs séjours. » Non seulement, il y a beaucoup écrit, mais il a beaucoup dessiné, parfois au lavis, au cours de ses voyages dans différentes villes belges. Hugo s’extasiait devant l’hôtel de ville de Bruxelles, « une éblouissante fantaisie de poète tombée de la tête d’un architecte ».

    A « Humour », vous assisterez à une malicieuse estocade sur la façon dont les Français parlent du rire belge et des Belges, vous rencontrerez du beau monde dans le décalé voire dans l’absurde, et pas seulement Philippe Geluck, figure bien connue outre-Quiévrain. J’y inclurai d’ailleurs Baronian lui-même pour avoir introduit un seul sujet à la lettre « I » : I comme « Informateur ».

    Par les temps qui courent, vous songez peut-être aux indicateurs de police, pas du tout. C’est l’occasion de revenir sur un épisode peu glorieux d’histoire contemporaine : la Belgique est restée 541 jours sans gouvernement en 2010-2011, au cours desquels le roi a dû nommer successivement des informateurs, médiateurs, conciliateur et clarificateur avant de pouvoir nommer un formateur (Elio di Rupo).

    Un seul « J », trois « K » : je terminerai par une devinette – sans tricher, n’est-ce pas ? (Abstenez-vous si vous possédez ce Dictionnaire amoureux de la Belgique.) Que suggérez-vous pour ces entrées ? Non, pas « Juju », je vous l’ai dit (§ 4). Les paris sont ouverts – des paris « belges », cela va sans dire. (Un indice : deux peintres.)

  • Meur & Mendelssohn

    Vous vous souvenez peut-être de cette maison polonaise qui raconte son histoire dans Les Vivants et les Ombres ? Diane Meur, toujours curieuse des histoires de famille, se penche dans La carte des Mendelssohn sur la personnalité d’Abraham Mendelssohn. Qui était-il ? Son père, Moses Mendelssohn, est un illustre philosophe des Lumières – le « Socrate allemand » a servi de modèle à G. E. Lessing pour sa fameuse pièce Nathan le sage – et son fils, Felix Mendelssohn, est un non moins illustre compositeur. Aussi Abraham, à l’identité flottante, connu surtout comme le fils de son père et le père de son fils, pouvait-il devenir un « merveilleux sujet de roman ».

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    Ce n’est ni une biographie ni un essai : La carte des Mendelssohn est un roman dont cette famille est le thème conducteur, ou plus exactement les recherches de Diane Meur sur les descendants de Moses Mendelssohn. L’idée en est venue à la romancière, que la relation père-fils intéresse beaucoup, après un séjour à Berlin, ville où Abraham Mendelssohn est né et décédé.

    « Seules les vies ont un commencement, et encore. » L’embryon d’arbre généalogique inséré au début du livre (emprunté à Sébastian Hensel, auteur de Die Familie Mendelssohn en 1879) aligne sous les prénoms des enfants de Moses Mendelssohn & Fromet Gugenheim ceux de leurs petits-enfants et de leurs arrière-petits-enfants à la ligne suivante. Diane Meur ira jusqu’à la huitième génération, mais sans résumer pour autant la vie des uns et des autres, pas du tout.

    « Seules les histoires ont un commencement, et encore. » Avec un bagout déconcertant (un peu contaminée par ma lecture, je souris de l’adjectif qui me vient sous les doigts), la romancière et narratrice nous plonge dans le déroulement de ses investigations, y mêle des éléments de sa propre existence, note une discordance de dates, observe une carte postale, parle de ses activités en cours – Diane Meur est aussi traductrice (de l’allemand) –, remonte au siècle des Lumières, caresse le projet d’écrire un roman « sur le vide et les filiations ».

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    Un détail de la carte (courtoisie Sabine Wiespieser Editeur)

    « Seules les idées ont un commencement, et encore. » A Berlin, elle fréquente évidemment la StaBi, comme on appelle familièrement la Staatsbibliothek, qui détient l’essentiel des archives Mendelssohn. Alors qu’elle s’est déjà rendue plusieurs fois à l’ambassade de Belgique, Jägerstrasse 52-53, elle y va un jour par l’autre côté et découvre une plaque au 51 : « Mendelssohn-Remise ».

    Dans ce petit musée, « l’ancienne remise à attelages de l’hôtel particulier où avait vécu et travaillé le banquier Joseph, frère d’Abraham », on vend un gros livre sur la famille Mendelssohn, un autre, de T. Lackmann, sur Abraham Mendelssohn – et Diane Meur de s’interroger sur la pertinence de son projet. Néanmoins, de retour à Paris, elle commence à s’occuper vraiment des Mendelssohn et « ce fragile projet auquel (elle n’était) même pas sûre de tenir, ce petit filet d’eau qui se refusait à grossir depuis cinq ou six ans, s’est soudain élargi en rivière. »

    « Et j’ai compris que ce fleuve en train de se répandre en un immense delta était gros de toute ma nostalgie de Berlin où j’avais voulu vivre une autre vie, sans jamais réussir à être vraiment là ; de toutes mes occasions manquées, de toutes mes affections perdues, de tout ce qu’il m’était jamais arrivé de laisser derrière moi ou d’échouer à retenir. De tout ce qui passe, s’enfuit, se dilue ou se disperse sur la face du monde – et cela fait beaucoup. » (C’est le dernier paragraphe du premier chapitre, page 25 d’un roman qui en compte 461, et 7 pages d’index des personnes).

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    L'entrée de la Maison Mendelssohn à la Jagerstrasse (Berlin) Source : Johannes Glintschert (2009)

    N’ayez pas peur de la quantité de noms et de pages, le « Mendelssohn-Komplex » de Diane Meur a sans doute quelque chose à voir avec La Vie mode d’emploi de Georges Perec, un écrivain qu’elle cite à plusieurs reprises et avec qui elle a des affinités certaines. Ce n’est pas un inventaire, ce serait plutôt un immense éventail avec des secrets dans ses plis qu’elle débusque ici ou là.

    En chemin, que de thèmes abordés : le judaïsme et le christianisme – de nombreuses conversions ; l’histoire des juifs en Europe, en Allemagne, et de l’antisémitisme ; des unions et des désunions ; des lectures diverses ; le choix d’un patronyme ou d’un prénom – Mendelssohn, Bartholdy, Enole… ; des lieux visités ; des correspondances ; des rencontres.

    Et pourquoi ce titre, La carte des Mendelssohn ? A mi-parcours, le chapitre 14 (sur 28) raconte l’émergence, au fil des recherches sur internet et en bibliothèque, d’un relevé des noms, des dates, des liens, sur de grands cartons de bristol où elle place des étiquettes repositionnables en fonction de l’avancement de ses travaux : « le monstre », « le tableau de chasse », comme l’appelleront ses enfants, va prendre de plus en plus de place sur la table de la salle à manger d’où il finira par déborder.

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    © Diane Meur pour la carte © Henri Desbois pour les photographies (Courtoisie Sabine Wespieser Editeur)

    Comment l’organiser ? Bien sûr par génération, mais Diane Meur instaure aussi des codes couleurs en fonction de la religion, du métier, et voit émerger des zones, des blocs, ce n’est pas du temps perdu. Elle organisera même une « fête de la carte » où elle s’entendra dire, à sa grande surprise, que « cette carte (lui) ressemble ». La manière dont elle agence la carte en pratique et construit du même coup La carte des Mendelssohn est un « tour de force », comme l’écrit l’éditrice. La narration est fluide, le style de connivence avec le lecteur (la lectrice en l’occurrence) tout au long du texte.

    Si vous acceptez de vous perdre en route, si vous êtes curieux de ce qui se présente à vous par hasard ou parce que vous l’avez bien cherché, si l’histoire, la philosophie, la musique vous intéressent (saviez-vous que Fanny, la sœur de Felix Mendelssohn était aussi compositrice et excellente pianiste ?), en bref, si vous aimez la littérature, alors « ce roman en spirale qui raconte sa propre histoire » est pour vous et vous vous réjouirez avec Diane Meur quand elle constate ceci : « L’histoire d’une famille ne m’intéresse que si elle devient l’histoire du monde, et c’est de plus en plus le cas. »