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civilisation - Page 2

  • En Méditerranée / 2

    C’est en Mésopotamie et en Egypte que la civilisation apparaît, au IVe millénaire, « sous ses premières formes massives », au long de fleuves qu’il a fallu discipliner. Dans le Nord de la Mésopotamie en premier lieu, voici l’araire (la charrue), la roue, l’écriture. Braudel résume avec Maurice Vieyra : « Egypte : don du Nil ; Mésopotamie : œuvre des hommes. » La victoire sur l’eau s’accompagne d’autres progrès : le tour du potier, « l’amélioration constante des espèces de céréales, des arbres fruitiers, de l’olivier, de la vigne, du palmier. » 

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    Bateau minoen (maquette d’après une fresque de Thera (Santorin), 
    environ 1500 av. J.-C., conservée au Musée archéologique national d’Athènes)

    L’homme chasseur devient éleveur, puis conduit la charrue, prenant aux femmes leur place aux champs, certains y voient le passage du matriarcat au patriarcat. La formule paraît trop simple, le rôle de la déesse-mère persistera encore longtemps après. Il faut sans doute attendre le travail des métaux réservé aux hommes pour faire basculer la société vers le pôle masculin, de la Terre Mère à Jupiter – « il y faudra des siècles de connivence sociale. »

    Filage et tissage sont de vieilles techniques. La nouveauté, c’est « la montée brusque de la production » : le costume différencie les groupes sociaux, le pagne égyptien traditionnel n’est plus porté que par les hommes du peuple, les gens de qualité superposent pagnes et tuniques, souvent plissés. Au lin blanc succèdent « d’amples robes de lin de couleur » que les femmes portent au-dessus d’un long fourreau. On exporte des lins d’Egypte, des lainages de Mésopotamie.

    Tissus, bois, métaux, Braudel suit toutes les lignes du progrès, et bien sûr, les écritures et les numérations – « les empires sont fils de l’écriture ». Du pictogramme à l’idéogramme, puis au phonogramme. De la simple numération décimale en Egypte (unité, dizaine, centaine, millier…) à la numération babylonienne héritée de Sumer, de base 60 (59 signes distincts pour écrire les 59 premiers chiffres !) jusqu’au système fractionnaire du temps d’Hammurabi. L’historien étudie le rôle des villes, l’organisation politique de l’Egypte des pharaons, les religions…

    Des pages passionnantes relatent l’évolution des bateaux sur les fleuves de Mésopotamie, sur le Nil. La langue égyptienne a deux mots différents pour désigner le voyage : le bateau à voile déployée, c’est le voyage vers le sud ; le bateau à voile roulée, c’est le voyage vers le nord, à la seule force du courant. Les premières navigations marines sont difficiles à prouver, mais cette absence de preuves n’empêche pas l’historien de croire à l’ancienneté des navigations sauvages. Comment expliquer autrement l’expansion de la céramique dite cardiale (imprimée sur l’argile fraîche à l’aide d’un coquillage, le cardium) dont on retrouve des tessons un peu partout sur les côtes méditerranéennes et même en Afrique du Nord ?

    Nous n’en sommes ici qu’aux cent premières pages des Mémoires de la Méditerranée. Le « grand public cultivé » à qui s’adresse Fernand Braudel est déjà ébahi tant par la somme d’informations recueillies pour offrir un tel brassage d’images et de faits à l’appui de l’interprétation que par la manière fantastique dont l’historien les décrit, les habite, les relie, tissant patiemment la toile sur laquelle il peint les étapes de la civilisation en Méditerranée. 

    A l’étude de l’architecture navale, du transport des mégalithes, vient se mêler la vie des îles : Malte, Sardaigne, Baléares – un bon millier de talayots, tours rondes ou carrées, à Minorque et Majorque, par exemple à Capocorp Vell, près de Lluchmayor, dont le sens culturel et historique reste à démêler. Un atlas cartographique en quinze planches, à la fin du livre, permet de situer les villes et les régions, les mouvements de l’une à l’autre, à chaque période.

    L’âge du Bronze, du milieu du IIIe millénaire jusqu’au XIIe siècle environ, est une longue histoire dramatique – invasions, guerres, pillages, désastres… – mais aussi le mouvement d’ensemble d’une « civilisation qui se répand en dépit de toutes les frontières », construisant une certaine unité « des terres et des mers du Levant » par les relations commerciales, diplomatiques, culturelles.

    La Mésopotamie est riche de ses routes et monnaies, l’Egypte de son or. La Crète devient « un nouvel acteur de la civilisation cosmopolite », Braudel y consacre de très belles pages qui nous font voyager dans le temps et sont autant d’invitations au voyage, notamment à la rencontre de l’art crétois. On croise dans Les mémoires de la Méditerranée bien d'autres peuples : Hittites, Sémites, Peuples de la Mer...

    « Tout change du XIIe au VIIIe siècle » : des steppes asiatiques sortent des cavaliers, l’Occident cesse d’être « absolument barbare ». La deuxième partie de l’ouvrage, après les colonisations phéniciennes en Méditerranée, porteuses d’excellentes industries (teintures extraites du murex, utilisation du bitume pour l’étanchéité des navires), après l’histoire de Carthage, revient sur le mystère des Etrusques, en Toscane et au-delà. Et puis, bien sûr, la Grèce, et puis Rome, une Antiquité qui nous est davantage connue et qui occupe le dernier tiers du livre.

    Deux séries de bonnes illustrations sont encartées dans l’essai de Fernand Braudel : « les images de la mer » et « les images de la religion ». On peut rêver à ce qu’aurait offert l’album projeté par Skira, tant le texte fourmille d’exemples. A la rencontre des Méditerranéens de la Préhistoire et de l’antiquité, l’historien ne peut masquer son enthousiasme ici ou là, « même si c’est un péché contre les règles sacro-saintes de l’impartialité ». C’est aussi cela, sans doute, qui rend si captivantes ces Mémoires de Méditerranée

  • Visage

    « Il est rare qu’au Paléolithique la représentation humaine semble tentée pour elle-même, et non pour son symbolisme rituel. Quelques exceptions cependant : en Moravie, cinq centimètres de pierre taillée, apparemment selon une technique d’éclat, et qui composent miraculeusement un torse puissant – il fait songer à Maillol –, ou bien en France un minuscule visage d’ivoire, émouvant comme un portrait inachevé (Brassempouy), évoquent de beaux modèles humains, au lieu des habituelles déesses stéatopyges. Mais, après tout, pourquoi l’art primitif ne serait-il que magique ? Pourquoi exclure que l’idée de la beauté pure ait hanté, un jour, quelque sculpteur de l’âge de la pierre ? »

    Fernand Braudel, Les Mémoires de la Méditerranée 

    Dame de Brassempouy.jpg


  • En Méditerranée / 1

    En 1968, Albert Skira sollicite Fernand Braudel (1902-1985) pour une collection d’albums sur le passé de la Méditerranée, et demande à ce spécialiste du monde méditerranéen à lépoque de Philippe II d’écrire aussi le premier de la série, sur la Préhistoire et l’Antiquité.  Le projet initial étant tombé à leau, Les Mémoires de la Méditerranée ne paraissent quen 1998, trente ans plus tard. Le texte de Braudel est publié sans modifications, accompagné de notes de Jean Guilaine et Pierre Rouillard en bas de page (de brèves mises à jour dues à l’avancement des recherches). Je vous propose de passer cette semaine en compagnie de Braudel dans cet immense espace-temps. Jai souvent parcouru les allées du parc paysager qui porte son nom aux Sablettes (La Seyne sur mer) et cest avec curiosité que jai ouvert cet essai un peu intimidant pour qui nest pas historien.

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    Le premier chapitre, « Voir la mer », décrit la formation de la « mer Intérieure », « masse résiduelle des eaux de la Téthys, qui remonte presque aux origines du globe ». Rappelant une géologie « tourmentée », des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, l’historien décrit un espace méditerranéen « dévoré par les montagnes » : « Les voilà, jusqu’aux rivages, abusives, pressées les unes contre les autres, ossature et toile de fond inévitables des paysages. Elles gênent la circulation, torturent les routes, limitent l’espace réservé aux campagnes heureuses, aux villes, au blé, à la vigne, même aux oliviers, l’altitude arrivant toujours à avoir raison de l’activité des hommes. » Excepté le très long littoral qui va du Sahel tunisien jusqu’au delta du Nil, voire jusqu’aux montagnes du Liban.

    La douceur et la facilité supposées de la vie méditerranéenne sont un leurre, insiste l’historien , dû au charme du paysage. Les terres à cultiver sont rares, les montagnes peu fertiles, l’eau des pluies mal répartie. Le climat n’aide pas, lorsqu’il faut récolter « au gros des chaleurs ».  Ce qui sauve la Méditerranée, c’est « son étroite ouverture sur l’océan » au détroit de Gibraltar : fermé, il transformerait la mer en lac saumâtre ; plus large, il nuirait à « la tiédeur exceptionnelle des hivers ». Pour les pêcheurs des temps anciens, l’univers méditerranéen a longtemps vécu « divisé en espaces autonomes, mal soudés ensemble »  « il y a dix, vingt, cent Méditerranées et chacune d’elles est divisée à son tour. » Sur terre, il y a des ressemblances, mais on ne travaille ni de la même façon, ni avec les mêmes outils, le Nord n’est pas le Sud, l’Ouest n’est pas l’Est. 

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    Il est plus facile de s’orienter dans l’espace familier de la Méditerranée – Venise, Provence, Sicile, Malte, Istanbul – qu’à travers le temps. Jusqu’où remonter ? « La grande césure, ce n’est pas avant et après la chute de Rome (…) mais avant et après l’agriculture et l’écriture. » Soit Préhistoire et histoire, mais ce n’est pas si simple, agriculture et écriture étant « loin d’apparaître au même moment. » L’archéologie renseigne sur les premiers outils, les premiers hommes : « Tout chantier de fouilles livre une succession de niveaux archéologiques d’âge différent, chacun avec ses vestiges humains. L’idéal est de pousser la fouille jusqu’au sol vierge, jusqu’à la première occupation du site. Quinze mètres, c’est ainsi en Crète, à Cnossos, la distance entre le VIIe millénaire – début du Néolithique et, semble-t-il, de l’occupation humaine de l’île – et l’époque actuelle. »

    Déplacements de chasseurs, groupes nomades de pêcheurs et de cueilleurs, vestiges de parures, dérèglements du climat, présences animales et végétales, tout intéresse sur le chemin des origines, tout passionne Braudel qui insiste aussi sur les changements du niveau des mers: « Au-dessus du niveau actuel de la Méditerranée, d’anciennes plages marines marquent les hauts niveaux et rivages de jadis. Tous les clochers à mi-pente de la rivière génoise, sorte d’amphithéâtre sur la mer, indiquent de loin la ligne des anciennes plages, où les villages sont installés comme sur un balcon. »

    A l’homme de Néandertal succède l’homo sapiens  « autant dire nous-mêmes, avec les différences raciales qui nous distinguent aujourd’hui encore. Donc un humain déjà métissé, mélangé ». Les objets retrouvés, la finesse des outils, leur décor sont autant d’indices. L’art paléolithique naît ailleurs qu’en Méditerranée (en Europe centrale et en Russie), mais celle-ci innove par la première civilisation agraire, une « révolution » au ralenti, au fil des siècles, et d’abord au Proche-Orient.

    A l’appui, trois zones de recherches : « les vallées et versants occidentaux du Zagros, en bordure de la Mésopotamie ; la large frange méridionale de l’Anatolie ; la région syro-palestino-libanaise », autrement dit, le Croissant fertile. Les fouilles de 1962-1964 à Çatal Höyük (Anatolie) ont révélé un art précoce de la  céramique. C’était une ville avec des maisons rectangulaires de brique crue, sans portes ni vraies rues. L’entrée se faisait par une ouverture dans le toit plat atteint par une échelle, les murs aveugles et continus vers l’extérieur facilitaient la défense. L’agriculture y était très organisée, alliée à l’élevage et au commerce. On y pratiquait le tissage.

    Mais c’est l’art sacré qui fait l’intérêt exceptionnel de Çatal Höyük. » La déesse de la fécondité y apparaît « sous mille formes » : jeune fille, femme enceinte ou femme accouchant d’un taureau, symbole du dieu mâle. L’imagerie de la religion paléolithique est présente avec ses fresques murales représentant des animaux, des mains, des scènes de chasse, de danse, avec ses rites funéraires. Les femmes sont enterrées sous le banc principal de la maison, à la place d’honneur : c’est « une société où règnent les mères, les prêtresses et les déesses. » Braudel ne cache pas son enchantement pour cette ville ancienne, un des premiers microcosmes de « civilisation ».

  • Civilisation

    William Morris Médaillon Red House.jpg« Je pensais que civilisation signifiait conquête de la paix, de l’ordre et de la liberté, bonne entente entre les hommes, amour de la vérité et haine de l’injustice, en résumé une bonne vie nourrie de ces valeurs, libérée de la lâcheté et de la peur, mais riche en événements. Voilà comment je définis la civilisation, et non par l’accumulation de sièges rembourrés et de coussins, de tapis et de gaz de ville, de viandes délicates et de boissons fines et, enfin, par des différences toujours plus aiguës entre les classes. »

     

    William Morris, « The Beauty of Life » (L’âge de l’ersatz)

     

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    Edsme Prélude.jpg

     

    Bonne nouvelle !

    L’exposition « (Extraits) Abstraits » de Gérard Edsme à la DCA Gallery est prolongée jusqu’au 30 juin.

    A voir ou à revoir, avec quelques nouvelles peintures.

     

    Ill. "Prélude" © Gérard Edsme

     

     

     

     

     

     

  • Contre l'ersatz

    Dans L’art et l’artisanat, que je vous ai présenté l’an dernier, William Morris (1834-1896) explique son engagement artistique. Dans L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, un choix de textes traduits et présentés par Olivier Barancy aux Editions de l’Encyclopédie des nuisances (Paris, 1996), il parle des liens nécessaires entre l’art et le travail. Pour Morris, « l’art est l’expression de la joie que l’homme tire de son travail ».

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    Autoportrait de William Morris, 1856, Victoria and Albert Museum.

    Morris était à l’occasion orateur en plein air (ce qui était alors interdit) et passait pour un agitateur, il a été arrêté à plusieurs reprises lors de manifestations. Le socialiste anglais a donné environ deux cents conférences dans tout le pays, dont quarante ont été publiées de son vivant. C’est davantage un tribun qu’un théoricien. Influencé par Ruskin, il estimait que l’aventure esthétique ne peut être séparée de l’engagement social.  

    L’auteur rejette l’architecture victorienne et la confusion entre civilisation et commodités bourgeoises accumulées sur le dos des travailleurs. Aussi considère-t-il l’époque moderne comme « le siècle des nuisances ». Le traducteur a traduit « makeshift » (pis-aller, expédient, substitut, succédané) par « ersatz » (un anachronisme puisque le mot ne s’est imposé en français et en anglais qu’avec la Première Guerre mondiale) parce que ce mot « possède en français une force critique qui correspond parfaitement au propos de Morris ». Il termine son avant-propos par cette citation de l’auteur : « Sans parler du désir de produire de belles choses, la passion dominante de ma vie a toujours été la haine de la civilisation moderne. »

    morris,l'âge de l'ersatz et autres textes contre la civilisation modern,essai,conférences,art,travail,architecture,ornementation,civilisation,barbarie,cultureLe recueil s’ouvre sur le manifeste de la Société pour la Protection des Monuments Anciens, créée à son initiative et toujours vivante aujourd’hui. Morris y rappelle comment on réparait autrefois les édifices sans craindre d’en modifier le style, ce qui menait à une diversité de styles intéressante, chaque époque y laissant son empreinte. Il ne supporte pas la « restauration » contemporaine qui détruit pour ajouter et aboutit à une mystification – résultat de l’affligeante absence de style propre au XIXe siècle. L’objectif de cette Société est donc de protéger les bâtiments anciens sans les restaurer ni les abandonner, mais en les réparant simplement, dans une « sollicitude constante ».

    « Architecture et histoire » revient sur ce rejet d’une « version académique de l’original ». La patine des ans et du climat ne doit pas être effacée. Morris insiste sur la dimension collective de tout ouvrage architectural. La qualité d’un tel travail de coopération est déterminée par les conditions sociales. Au Moyen Age, les guildes protégeaient les artisans. Ceux-ci vendaient leurs produits localement, il existait même des lois contre les spéculateurs et les accapareurs, pour favoriser un rapport direct entre fabricant et utilisateur. A partir du XVIe siècle, la recherche croissante du profit va transformer les conditions de travail, on va fabriquer des biens pour la vente et non plus pour l’usage, et finalement, au XIXe, l’ouvrier d’abord « abaissé au rang de machine » en devient quasi l’esclave, dans une nouvelle « barbarie ».

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    Rear of Red House, Bexleyheath © David Kemp for Geograph Britain and Ireland

    Le but du socialisme pour Morris est de rendre les hommes heureux : « une vie pleine, libre, et la conscience de cette vie ». Dans « La Société de l’avenir », il explique sa vision d’une société sans luxe : on y mène une vie simple et naturelle ; on y enseigne, en plus de la lecture et de l’écriture, les arts manuels élémentaires – une société sans riche ni pauvre.

    Mais rien de frivole dans la décoration des objets utilitaires : il s’agit d’embellir et aussi de rendre le travail agréable. Une habitation est belle si elle est bien construite et adaptée aux besoins des hommes. Peinture et sculpture sont liées à l’architecture, mère de tous les arts et qui les contient tous. Morris s’insurge contre les maisons « utilitaires » bâties durant son siècle, et contre la fausse ornementation commerciale. Lutter pour débarrasser l’art de l’ersatz est pour lui une priorité. Il faut retrouver la tradition coopérative pour redevenir de bons ouvriers et artisans (« Les arts appliqués aujourd’hui », 1889).

     

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    Une vue intérieure de Red House, la maison de William Morris


    Un an plus tard, William Morris dresse le bilan de sept années de socialisme (« Seven years Ago and Now »). Pas encore de bénéfices concrets, mais les principes socialistes sont devenus des lieux communs. Le mouvement a connu des réussites et commis des erreurs, mais son point de vue sur la civilisation est mieux partagé. Morris ne croit pas ni au réformisme ni à l’émeute. Pour lui, il est essentiel d’abord de « former des socialistes », une prise de conscience massive est une nécessité préalable à l’action et au changement. (« Où en sommes-nous ? »)


    Le texte éponyme de ce recueil date de 1894 : « l’âge de l’ersatz », voilà comment il qualifie son époque, frustré devant « l’omniprésence des ersatz » que les gens achètent à la place de produits dont ils connaissent l’existence mais qui leur sont inaccessibles, comme le pain crayeux faute de bonne farine, la margarine au lieu du beurre, des vêtements hideux et des chaussures qui déforment pieds et jambes. Morris considère les voyages comme un ersatz de divertissement – « En toute sincérité, ce qui m’agrée le plus est un moment de calme, sans préoccupation immédiate, après lequel je me remets au travail l’esprit libre. »

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    Photo de William Morris sur Wikimedia Commons

    Maisons modernes mal agencées, villes indignes de ce nom, banalisation du paysage rural, son réquisitoire contre l’époque est impitoyable. Pour mettre fin à cette dérive, et à ce poison de la civilisation qu’est la pauvreté, le socialiste anglais prône la nécessité de « la meilleure éducation possible », quel qu’en soit le prix, la fin du gaspillage, la reconnaissance de tous comme des citoyens à part entière.

    Quelques annexes intéressantes témoignent du combat social de Morris. Il réagit par lettre aux articles parus dans différents journaux pour sauver une église abbatiale de la restauration (un mois avant de fonder la Société protectrice citée plus haut), signe une pétition contre le tunnel sous la Manche, dénonce la pollution d’un fossé, réclame la protection d’Oxford contre la destruction. Il défend la forêt de charmes d’Epping et même la cathédrale de Rouen contre les « dommages sérieux et durables » d’une restauration excessive. L’âge de l’ersatz ou les colères d’un homme engagé.