« C’est normal d’avoir envie d’écrire ses pensées, ce qui est anormal, c’est que quelqu’un de tout à fait différent de vous ait envie de lire, c’est formidable ! »
Camille Marcilly, « La Foire du livre est ouverte », La Libre Belgique, 25/2/2015
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« C’est normal d’avoir envie d’écrire ses pensées, ce qui est anormal, c’est que quelqu’un de tout à fait différent de vous ait envie de lire, c’est formidable ! »
Camille Marcilly, « La Foire du livre est ouverte », La Libre Belgique, 25/2/2015
La Foire du Livre de Bruxelles bat son plein à Tour & Taxis, elle se termine aujourd’hui, lundi 2 mars. L’affiche d’Yslaire sur le thème des « Liaisons dangereuses » n’est pas vraiment à mon goût, mais comme disait J. qui m’accompagnait vendredi dernier, « elle accroche l’œil » et montre bien l’importance particulière donnée à l’image cette année – dessin d’illustration, bande dessinée, cinéma – à côté du texte.
Après le Centre Rogier puis le Palais des Congrès au Mont des Arts, entre autres déménagements depuis sa création en 1970, la Foire a trouvé là de beaux espaces, on y respire malgré la foule. Au grand stand de la Communauté française de Belgique (Fédération Wallonie Bruxelles), la collection Espace Nord met à l’honneur les écrivains belges (premier achat), et on y distribue aussi la brochure mise à jour des noms de métier au féminin, très pratique – on peut la consulter en ligne.
Maisons d’édition, librairies, organismes officiels, universités, fondations, presse, les exposants sont très variés, près de deux cents stands, trop peut-être : il me semble que les grandes librairies font de l’ombre aux éditeurs. De nombreux espaces de rencontre aussi : le Café littéraire, la Tribune des éditeurs, l’Agora, entre autres, où je me suis laissé happer par un sujet de débat (« Quels lecteurs pour ce XXIe siècle ? ») et ensuite par l’éloquence d’un écrivain haïtien-québécois (Dany Laferrière, invité d’honneur avec les éditeurs québécois).
Débat… Le terme est impropre : il s’agissait pour chaque intervenant de présenter son sujet en dix, quinze minutes, ce qui n’a guère laissé de place aux échanges. Il s’agissait principalement d’examiner comment on peut aider les enfants à aborder le livre ou la lecture, dès la petite enfance.
Une enquête récente de l’ONE et de l’ULg sur les enfants de 18 à 36 mois montre qu’à l’âge de l’entrée à l’école maternelle, on constate déjà chez les petits francophones un retard linguistique aussi bien pour le vocabulaire que pour le décodage du sens. En plus des soins aux nourrissons et de l’accompagnement des parents, l’ONE propose des « coins lecture » en consultation, surtout pour un premier contact avec « l’objet-livre » et on y fait appel aussi à des conteuses, puisque « On ne lit pas tout seul » à cet âge.
Puis ce fut le tour d’une inspectrice de l’enseignement maternel, d’une formatrice à la littérature de jeunesse. La dernière évaluation des compétences en quatrième primaire a conclu à 45% de lecteurs « précaires » et à seulement 25 % de « bons » lecteurs à ce niveau, un constat très préoccupant qui ne peut que donner du grain à moudre à l’actuelle ministre de l’enseignement et de la culture, arrivée un quart d’heure en retard et qui, à l’entendre, avait ici plus à écouter qu’à dire.
J’aurais mieux fait d’aller voir les expositions ou de m’asseoir au Café littéraire où Dany Laferrière charmait son public (assis et debout) par des propos pleins de bon sens et enthousiastes sur la littérature, l’écriture (« le jouet essentiel »), l’époque – très écouté sur L’art presque perdu de ne rien faire (2011), titre accrocheur comme celui de son premier succès, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Il faudra que je le lise pour comparer avec L’art difficile de ne presque rien faire (2009) de Grozdanovitch (est-ce une impression ou les éditeurs sont moins stricts qu’avant sur la proximité des titres ?)
On rencontre toujours une connaissance ou l’autre à la Foire du livre de Bruxelles, excellent lieu de rencontres où les gourmands ne sont pas oubliés, et avec des livres en veux-tu en voilà, comment résister ? « Pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. » (Baudelaire) Rares sont ceux qui sortent sans avoir rien acheté à la Foire du Livre, je n’ai pas fait exception. J’ai résisté aux sirènes du design suisse, mais je me suis trop approchée du dangereux Citadelles & Mazenod, où j’ai signé un bon de commande – à suivre, donc.
« Les vendeurs bibliophiles pur jus – comme Sophie et moi l’étions – sont incapables de mentir. Nos visages nous trahissent immédiatement. Un sourcil arqué ou un coin de lèvre relevé suffit à trahir le livre honteux, et incite les clients futés à demander autre chose. Nous les conduisons alors vers un opus précis que nous leur ordonnons de lire. S’il leur déplaît, ils ne reviendront jamais. S’ils l’apprécient, ils seront clients à vie. »
Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates
Le « Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey » a déjà tant fait parler de lui que je vous en épargne le résumé.
Les raisons pour lesquelles je ne l’avais pas encore lu ?
Le titre. La traductrice Aline Azoulay l’a raccourci en français : Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates – ça reste racoleur. J’imagine les alternatives écartées : Le Cercle littéraire de Guernesey (rien à se mettre sous la dent), Les amateurs de livres et de tourtes (un peu tarte), Le Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de pommes de terre (trop de « de »), etc.
On en parlait partout : le livre de Mary Ann Shaffer et d’Annie Barrows a figuré longtemps sur la liste des meilleures ventes. J’ignorais que c’était l’unique roman de cette Américaine, décédée en 2008, l’année de sa publication, un roman écrit en collaboration avec sa nièce, auteure de livres pour enfants.
Des raisons de lire ce livre ?
Il nous mêle gentiment à la vie quotidienne des habitants de Guernesey pendant et après la seconde guerre mondiale. Mary Ann Shaffer a visité Jersey en 1976 et s’est intéressée à l’histoire des îles anglo-normandes, méconnue à l’extérieur. Ce Cercle est né sous l’Occupation allemande, dans des circonstances qui éclairent son appellation biscornue.
C’est un roman épistolaire très accessible : des lettres de quelques pages, des billets courts (aujourd’hui, ce seraient des courriels). Il s’ouvre sur une lettre de Juliet Ashton, une Anglaise dans la trentaine, à son éditeur et ami Sidney Stark, qui a rassemblé ses chroniques sous le titre « Izzy Bickerstaff s’en va-t-en guerre ». Le recueil se vend très bien, beaucoup mieux que sa biographie d’Anne Brontë. De janvier à septembre 1946, il sera son interlocuteur privilégié.
Le ton : une conversation familière. Le lecteur est tout de suite dans le coup, les personnages sont bien campés, et Juliet ne manque pas d’humour. Je ne suis pas sûre qu’on s’exprimait dans ces termes il y a cinquante ans, mais l’effet de rapprochement est réussi, l’immersion rapide.
Un cercle littéraire, c’est bien sûr un bon appât pour les amateurs de livres. Mais aussi pour les autres, on le verra. A Guernesey se rassemblent des apprentis lecteurs dont la vie n’a rien à voir a priori avec la sphère littéraire, ce qui fait le sel de leurs réunions à la fortune du pot.
Juliet va découvrir peu à peu leurs rites, leur histoire, leur vie, grâce à Dawsey Adams, un adorateur de Charles Lamb. Celui-ci lui écrit après avoir trouvé son nom au verso de la couverture d’un vieux livre de « morceaux choisis ». Par Dawsey, nous ferons connaissance avec Elizabeth, la fondatrice du Cercle, véritable pivot de l’histoire, bien qu’on ait perdu sa trace depuis la guerre.
De mystérieux envois de fleurs à Juliet, son indécision sentimentale qu’elle ne confie qu’à Sophie, sa meilleure amie, sa curiosité pour les membres du Cercle de Guernesey, un livre ou un article à écrire, voilà les ingrédients romanesques. Ce serait pure eau de rose si Mary Ann Shaffer et Annie Barrows n’y insufflaient fantaisie et sympathie.
Vous avez lu Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates ? N’hésitez pas à compléter ce billet par vos impressions ou par un lien, si vous avez écrit sur ce roman. Vous ne l’avez pas lu ? Il est disponible en 10/18 et vous procurera un bon moment, quelle que soit votre île, surtout si vous cherchez à vous détendre et à vous distraire un peu. Lecture pour tous.
Lire avec Marthe Robert / 2
Les grands livres changent la vie, les bons l’éclairent, les mauvais l’attristent non seulement parce qu’ils sont mauvais, et qu’ils prolifèrent, mais parce qu’ils ont toujours quelque côté par où l’on pourrait les avoir écrits.
Marthe Robert, Livre de lectures, Grasset & Fasquelle, 1977 / Biblio essais, 1983.