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Littérature - Page 12

  • Le banc

    Sur le site d’Europalia Indonesia, un film d’animation montre un autre aspect du talent et de l’imagination de Kitty Crowther. Antérieure à son album Jan Toorop Le chant du temps, le voici sur YouTube, une histoire en quatre minutes quarante, le rêve d’un rêveur, « Le banc » (2010), par Kitty Crowther et Bruno SalAmone, sur une musique de Sissi Lewis.


  • Le chant du temps

    Les couleurs de Kitty Crowther et le nom de Jan Toorop sur l’affiche m’ont attirée, à la bibliothèque Sésame de Schaerbeek, vers la petite salle d’exposition aux murs mauves à l’arrière (l’auditorium). L’illustratrice y montre ses dessins originaux pour Jan Toorop Le chant du temps, un album paru en français aux éditions Versant Sud Jeunesse à Bruxelles, en néerlandais à La Haye (Gemeentemuseum Den Haag/Leopold) en 2016.

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    Le nom de Jan Toorop (1858-1928) est connu en Belgique, on trouve des œuvres du peintre néerlandais dans nos musées, comme la Dame à l’ombrelle au musée d’Ixelles, et parfois aux expositions d’artistes belges, étant donné qu’il a vécu quelques années à Bruxelles et a fait partie du groupe des XX. Il fut l’ami de Degouves de Nuncques dont il a fait un très beau portrait au pastel. Toorop est né sur l’île de Java (alors Indes néerlandaises) en Indonésie, pays mis à l’honneur de l’actuel festival Europalia.

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    A l'entrée de l'exposition

    Des courbes aux couleurs vives, des fleurs, un bateau, un homme et une fillette face à la mer, des paysages, des visages… Je me suis d’abord laissé porter par ces scènes qui titillent l’imagination, ouvrent au rêve, pour le plaisir d’observer le dessin, d’entrer dans cet univers à la fois proche et exotique. Un petit homme en noir y apparaît, souvent en compagnie de femmes – Jan Toorop.

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    Vous connaissez peut-être Kitty Crowther, une raconteuse d’histoires qui a déjà écrit et illustré de nombreux albums à l’Ecole des Loisirs. Elle a obtenu le prix Libbylit pour ce récit en images sur ce peintre qui a dit un jour : « Les Indes sont indissociables de ma personne. Le fondement de mon œuvre est oriental. » Son histoire est contée en dessins ; la première des doubles pages (ci-dessous) le montre au milieu d’une végétation luxuriante, face à deux jeunes femmes aux longues chevelures en courbes typiques du symbolisme et de l’art nouveau.

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    © Kitty Crowther, Jan Toorop Le chant du temps, 2016

    « Ce récit commence sur une île. Loin d’ici. » Une seule page de texte résume le parcours d’un garçon d’abord appelé Johannes, qui était amoureux de deux princesses sans arriver à choisir sa préférée. A onze ans, « il fut envoyé tout seul sur un grand bateau aux Pays-Bas, afin de recevoir une bonne éducation. » Il n’a jamais revu ni son île ni sa famille.

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    © Kitty Crowther, Jan Toorop Le chant du temps, 2016 (détail)
    Détail inspiré de la peinture de Jan Toorop, Les dunes et la mer près de Zoutelande, 1907

    Des bandes de toutes les couleurs entourent une ile couverte d’arbres et de palmiers qui s’éloigne (ci-dessous, au milieu). Place à un panorama hollandais (à droite), un moulin à vent à l’horizon, un couple sur une barque et, dans un angle, un garçon qui les dessine. Aucune explication ni légende pour accompagner ces dessins. Au jeune Jan, les Hollandais offraient de nombreuses physionomies à saisir, ou bien la campagne où un jeune homme peut embrasser une jeune femme sous un arbre, les bois pour s’approcher d’un oiseau…

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    Une vue de l'exposition à la bibliothèque Sésame

    Chaque double page est un tableau, crée une atmosphère. « Lorsque l’on fixe longtemps quelque chose, d’autres couleurs apparaissent », écrit Kitty Crowther à la fin. Elle nous apprend que la fille du peintre, Charley Toorop, la fillette tenue par la main, « est devenue une artiste célèbre ». Conseillé aux jeunes lecteurs de 12-13 ans, Jan Toorop le chant du temps offre des dessins vibrants.

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    © Kitty Crowther, Jan Toorop Le chant du temps, 2016 (détail)

    L’exposition sur ce « livre d’artiste sur un artiste » (Lucie Cauweinspiré par l’univers onirique, la vie et l’oeuvre du peintre symboliste Jan Toorop, est prolongée jusqu’au 28 février. Vous pourrez y découvrir à travers ces dessins originaux (et sans le pli central de la reliure) le grand talent de Kitty Crowther, prix Astrid Lindgren en 2010. Jan Toorop Le chant du temps est disponible à la bibliothèque Sésame – un album à offrir sans hésitation.

  • Un prodige

    hoffmann,le chat murr,roman,littérature allemande,vie de chat,kreisler,musique,lecture,littérature,apprentissage,amour,culture« Et Maître Abraham ouvrit la porte : sur le paillasson dormait en boule un matou qui, dans son genre, était vraiment un prodige de beauté. Les rayures grises et noires du dos convergeaient sur son crâne, entre les oreilles, et dessinaient sur le front de gracieux hiéroglyphes. Son imposante queue, d’une longueur et d’une force peu communes, était également rayée. Et la robe bigarrée du chat était si luisante au soleil, que l’on découvrait entre le gris et le noir de fines bandes jaune doré. « Murr, Murr, » appela Maître Abraham. « Krrr, krrr ! » répondit très distinctement le chat qui s’étira, se leva, fit le gros dos avec une grâce extrême et ouvrit deux yeux verts comme l’herbe où pétillait l’étincelle de l’esprit et de l’intelligence. C’est, du moins, ce qu’affirmait Maître Abraham, et Kreisler dut convenir que la physionomie de ce chat avait quelque chose de peu ordinaire, que son crâne était assez large pour renfermer les sciences, et sa barbe, malgré son jeune âge, assez longue et blanche pour lui donner, s’il le fallait, l’autorité d’un sage de la Grèce. »

    Hoffmann, Le chat Murr

    Photo : Statue d'Hoffmann à Bamberg, Schillerplatz 

  • Murr, le chat poète

    Murr, le chat poète d’Hoffmann (1776-1822) est un des plus célèbres chats de la littérature. C’est « l’une des œuvres où Hoffmann a mis le plus de lui-même », écrit le traducteur du grand romantique allemand : Le chat Murr ou Vie et opinions du matou Murr fortuitement entremêlés de placards renfermant la biographie fragmentaire du maître de chapelle Johannès Kreisler, traduit par Albert Béguin, a paru en Allemagne entre 1820 et 1822.

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    Un avant-propos de l’éditeur (en réalité Hoffmann) raconte comment un ami lui a recommandé un jeune auteur très doué. Double surprise en découvrant son œuvre : elle est d’un matou nommé Murr (comme le chat de l’écrivain, d’après son ronronnement) et ses considérations sur la vie sont régulièrement interrompues par des fragments d’un autre récit, la biographie du musicien Kreisler. Le chat s’est servi de pages imprimées arrachées à un livre de son maître comme sous-mains, et l’imprimeur a tout imprimé à la suite, placards et manuscrit, un mélange accidentel.

    Murr veut apprendre au monde, en racontant sa vie, « comment on s’élève au rang de grand chat » et bien sûr être admiré, honoré, aimé. Murr présente son bienfaiteur, Maître Abraham, un « petit vieillard maigre » que ses visiteurs traitent avec respect et courtoisie. Coupé au milieu d’une phrase, le récit de Murr fait soudain place à une conversation entre Maître Abraham et le jeune Johannès Kreisler qu’il a formé et à qui il veut confier, le temps d’un voyage, le chaton qu’il a sauvé et éduqué (à la baguette de bouleau).

    Il faut donc s’habituer à l’absence de transition entre le texte de Murr et les « placards » biographiques : d’une part, les observations du chat sur ce qui lui arrive et les leçons qu’il en tire ; d’autre part, la cour miniature du duc Irénéus et de la conseillère Benzon. Julia, la fille de cette dernière, a été élevée auprès de la princesse Hedwiga, la fille du duc, et du prince Ignaz à l’âge mental d’un enfant.

    D’un côté, donc, un chat autodidacte raconte son enfance, son éducation, comment il a appris par lui-même à lire et à écrire à l’insu de son maître, ses retrouvailles avec sa mère Mina, ses rêveries, sa rencontre avec le chien d’un jeune visiteur, plein de « noble canichité », etc. De l’autre, un biographe raconte de façon assez désordonnée « l’étrange vie du Maître de chapelle Johannès Kreisler » – « malgré cette apparente incohérence, un fil conducteur relie ensemble toutes les parties », ce que leur « cher lecteur » découvrira avant la fin.

    Ponto, le caniche noir du professeur desthétique, va trahir Murr en révélant les talents que le chat a développés en secret, ce qui va priver celui-ci de la bibliothèque de son maître. Murr va donc devoir dissimuler. Devenu adolescent, il s’aventure en ville et y fait toutes sortes de rencontres instructives, parfois à ses dépens. Bientôt il vivra ses premières amours.

    Un soir d’été, dans le parc du château, Johannès Kreisler entend chanter Julia, qui se promenait avec Hedwiga, et sa voix le charme pour toujours. Grâce à Maître Abraham, qui a reconnu en lui un excellent musicien, il devient maître de chapelle à Sieghartsweiler, ce qui plaît à Julia mais contrarie la princesse à qui il fait peur ; il lui rappelle un peintre qui était tombé amoureux de la Duchesse, sa mère, puis devenu fou.

    De fragment en fragment, de l’enfance à l’âge mûr, le lecteur découvre les aventures d’un chat surdoué et celles d’un musicien qui se retrouve en situation délicate quand le fiancé de la princesse Hedwiga veut séduire Julia. Peu à peu, des révélations vont éclairer d’une manière toute nouvelle ce qui se passe à la cour du duc Irénéus. Les liens entre les différents protagonistes sont bien plus compliqués qu’il ne paraissait au début. La folie, le mystère, la magie, voire le diable s’invitent dans cette histoire.

    Les confessions de Murr restant inachevées – à la mort de son chat, Hoffmann a arrêté de les écrire –, on sort de cette lecture sans avoir tout compris. Hoffmann, à travers son fameux chat, décrit les péripéties et les états d’âme d’un créateur en se souvenant de ses sorties estudiantines, de ses lectures, des philosophes en particulier. A Kreisler, il prête ses réflexions sur la musique, ses propres compositions même, ainsi que d’autres éléments de sa vie. Avec les deux, il partage une grande indépendance d’esprit et le goût de la satire.

    Il vaut mieux bien s’imprégner de la biographie d’Hoffmann avant de lire Le chat Murr pour y reconnaître cette part autobiographique, mais le plus important, il me semble, c’est d’accepter d’entrer dans l’univers imaginaire d’un maître du fantastique, de s’abandonner à ses digressions, aux jeux d’ombre et de lumière, d’être avec lui tantôt chat, tantôt artiste, et dans tous les cas, de savourer leurs observations critiques.

    Vous l’avez compris, Le chat Murr dont le thème dominant est celui de « l’Artiste aux prises avec les exigences et les tentations de la vie terrestre » (Albert Béguin) est bien plus riche et complexe que ce que j’en dis ici. Hoffmann, que Baudelaire admirait, a inspiré beaucoup d’écrivains et de musiciens.

    Mes recherches m’ont menée sur le site Langues de feuClaire Placial examine savamment et drôlement comment la parole vient aux chats – elle présente un cours qui aborde deux romans, Le Chat Murr de Hoffmann et Je suis un chat de Natsume Sôseki. Elle-même prête par ailleurs la plume à sa chatte Sütterlin, je le signale à celles ou ceux qui aimeraient par les temps qui courent entendre un point de vue félin sur les humains.

  • Ames de poètes

    Gürsel Pouchkine.jpg« En un certain sens, Moscou est la ville des poètes morts. Partout errent les âmes de poètes qui ont été tués ou se sont suicidés. Dans leurs manteaux de bronze, leurs statues considèrent les passants d’un œil distrait. Ils ne sont plus de ce monde, mais ils sont toujours parmi nous. Nous vivons avec leur souvenir et murmurons leurs vers. » 

    Nedim Gürsel, Moscou la blanche (Les écrivains et leurs villes) 

    Statue d’Alexandre Pouchkine sur la place Pouchkine à Moscou (Photo Master & Margarita)