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1911

  • Dans la glace

    Kafka_1917.jpg« Il y a un instant, je me suis attentivement regardé dans la glace et, même en m’examinant de près, je me suis trouvé mieux de visage – il est vrai que c’était à la lumière du soir et que j’avais la source de lumière derrière moi, de sorte que seul le duvet qui couvre l’ourlet de mes oreilles était vraiment éclairé – que je ne le suis à ma propre connaissance. C’est un visage pur, harmonieusement modelé, presque beau de contours. Le noir des cheveux, des sourcils et des orbites jaillit comme une chose vivante de la masse du viasage qui est das l’expectative. Le regard n’est nullement dévasté, il n’y a pas trace de cela, mais il n’est pas non plus enfantin, il serait plutôt incroyablement énergique, à moins qu’il n’ait été tout somplement observateur, puisque j’étais justement en train de m’observer et que je voulais me faire peur. »

    Kafka, Journal (1913, 12 décembre)

    Photo de Franz Kafka en 1917

  • Kafka chez le docteur

    Kafka dessin Le penseur.jpg« Quand j’arrivai aujourd’hui chez le Dr F., j’eus l’impression, bien que la rencontre se fît avec une lenteur délibérée, que nous nous heurtions comme des balles qu’on se renvoie de l’un à l’autre et qui se perdent, parce qu’elles sont elles-mêmes incapables de se contrôler. Je lui demandai s’il était fatigué. Pourquoi posais-je cette question ? Moi, je suis fatigué, répondis-je, et je m’assis. »

    Kafka, Journal (1912, lundi 5 février)

    Dessin de Franz Kafka, Le penseur (source)

  • Du bruit

    Kafka dessin grille.jpg« Et je veux écrire, avec un tremblement perpétuel sur le front. Je suis assis dans ma chambre, c’est-à-dire au quartier général du bruit de tout l’appartement. J’entends claquer toutes les portes, grâce à quoi seuls les pas des gens qui courent entre deux portes me sont épargnés, j’entends même le bruit du fourneau dont on ferme la porte dans la cuisine. Mon père enfonce les portes de ma chambre et passe, vêtu d’une robe de chambre qui traîne sur ses talons, on gratte les cendres du poêle dans la chambre d’à côté, Valli demande à tout hasard, criant à travers l’antichambre comme dans une rue de Paris, si le chapeau de mon père a été bien brossé, un chut ! qui se veut mon allié soulève les cris d’une voix en train de répondre. La porte de l’appartement est déclenchée et fait un bruit qui semble sortir d’une gorge enrhumée, puis elle s’ouvre un peu plus en produisant une note brève comme celle d’une voix de femme et se ferme sur une secousse sourde et virile qui est du plus brutal effet pour l’oreille. Mon père est parti, maintenant commence un bruit plus fin, plus dispersé, plus désespérant encore et dirigé par la voix des deux canaris. Je me suis déjà demandé, mais cela me revient en entendant les canaris, si je ne devrais pas entrebâiller la porte, ramper comme un serpent dans la chambre d’à côté et, une fois là, supplier mes sœurs et leur bonne de se tenir tranquilles. »

    Kafka, Journal (1910, 5 novembre)

    Dessin de Kafka, Homme entre des grilles (source)

  • La vie débordante

    Kafka Journal Poche.jpg« Ce qui égare souvent dans les journaux, les conversations, au bureau, c’est la vie débordante du langage ; ensuite, c’est l’espoir, suscité par une faiblesse momentanée, qu’on va connaître dans un instant une illumination d’autant plus violente que soudaine ; ou encore, uniquement une forte confiance en soi, ou une simple nonchalance, ou une grande impression du présent que l’on veut à tout prix décharger sur l’avenir ; ou encore la supposition qu’un sincère enthousiasme vécu dans le présent justifierait toutes les incohérences de l’avenir ; ou encore le plaisir que vous procurent des phrases dont le milieu est soulevé par un ou deux chocs et qui vous ouvrent graduellement la bouche jusqu’à lui faire atteindre sa plus grande dimension, même si elles vous la ferment ensuite beaucoup trop vite et en vous la tordant ; ou encore l’indice d’une possibilité de jugement catégorique fondé sur la clarté ; ou encore l’effort qu’on fait pour donner de l’entrain à un discours qui, en réalité, touche à sa fin ; ou encore une envie de quitter le sujet en toute hâte, ventre à terre s’il le faut ; ou encore un désespoir qui cherche une solution au problème de sa respiration difficile ; ou encore le désir passionné d’une lumière sans ombres – tout ceci pour vous égarer au point de vous faire dire des phrases comme celle-ci : « Le livre que je viens de finir est plus beau que tous ceux que j’ai lus jusqu’à présent » ou bien « est d’une beauté que je n’ai encore trouvée dans aucun livre. »

    Kafka, Journal (1910, 2 novembre)

  • Regards

    Kafka_1910.jpg« […] Elle me regardait, surtout quand elle restait silencieuse à la fenêtre du compartiment, avec une bouche déformée par la gêne et la ruse, et avec des yeux clignotants qui nageaient sur les rides issues de sa bouche. Elle devait nécessairement se croire aimée de moi, ce qui a été vrai du reste, et ces regards représentaient le seul don que, en femme pleine d’expérience, mais jeune, bonne épouse et bonne mère, elle pouvait accorder à un docteur de son imagination. Ils étaient si insistants et si bien appuyés par des tournures comme : « Il y avait ici des habitués vraiment charmants, surtout certains d’entre eux », que je me défendais d’y répondre et ces moments étaient précisément ceux où je regardais son mari. Quand je les comparais, j’éprouvais un étonnement immotivé à l’idée qu’ils allaient partir ensemble et ne s’inquiétaient pourtant que de nous, sans un regard l’un pour l’autre. »

    Kafka, Journal (1910, 1er novembre) 

    Photo de Franz Kafka en 1910