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La vie débordante

Kafka Journal Poche.jpg« Ce qui égare souvent dans les journaux, les conversations, au bureau, c’est la vie débordante du langage ; ensuite, c’est l’espoir, suscité par une faiblesse momentanée, qu’on va connaître dans un instant une illumination d’autant plus violente que soudaine ; ou encore, uniquement une forte confiance en soi, ou une simple nonchalance, ou une grande impression du présent que l’on veut à tout prix décharger sur l’avenir ; ou encore la supposition qu’un sincère enthousiasme vécu dans le présent justifierait toutes les incohérences de l’avenir ; ou encore le plaisir que vous procurent des phrases dont le milieu est soulevé par un ou deux chocs et qui vous ouvrent graduellement la bouche jusqu’à lui faire atteindre sa plus grande dimension, même si elles vous la ferment ensuite beaucoup trop vite et en vous la tordant ; ou encore l’indice d’une possibilité de jugement catégorique fondé sur la clarté ; ou encore l’effort qu’on fait pour donner de l’entrain à un discours qui, en réalité, touche à sa fin ; ou encore une envie de quitter le sujet en toute hâte, ventre à terre s’il le faut ; ou encore un désespoir qui cherche une solution au problème de sa respiration difficile ; ou encore le désir passionné d’une lumière sans ombres – tout ceci pour vous égarer au point de vous faire dire des phrases comme celle-ci : « Le livre que je viens de finir est plus beau que tous ceux que j’ai lus jusqu’à présent » ou bien « est d’une beauté que je n’ai encore trouvée dans aucun livre. »

Kafka, Journal (1910, 2 novembre)

Commentaires

  • Je me souviendrai toujours de cet auditeur sur France Musique , auquel on demandait : " Quelle Passion de Bach préfèrez-vous , selon St Matthieu ou selon St Jean ?" Et la réponse , admirable , vint : " Celle que je suis en train d'écouter ! "
    Il en va de même pour les livres que j'aime ...c'est le cri du coeur de l'instant , pas une incohérence de langage .

  • Superbe extrait; je dois relire Kafka. Tu m'en augmentes le désir. C'est formidable ce que tu fais!

  • très bel extrait, cela donne envie de se précipiter sur le journal et de la relire de bout en bout

  • j'aime beaucoup cette expression: "ou encore une envie de quitter le sujet en toute hâte, ventre à terre s’il le faut "
    Tu me donnes aussi envie de lire ce Journal que je ne connais pas.

  • ou encore... un bien bel extrait ! C'est magnifique d'avoir un tel sens de l'observation et de savoir le partager. Merci Tania, à bientôt. brigitte

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