« […] Elle me regardait, surtout quand elle restait silencieuse à la fenêtre du compartiment, avec une bouche déformée par la gêne et la ruse, et avec des yeux clignotants qui nageaient sur les rides issues de sa bouche. Elle devait nécessairement se croire aimée de moi, ce qui a été vrai du reste, et ces regards représentaient le seul don que, en femme pleine d’expérience, mais jeune, bonne épouse et bonne mère, elle pouvait accorder à un docteur de son imagination. Ils étaient si insistants et si bien appuyés par des tournures comme : « Il y avait ici des habitués vraiment charmants, surtout certains d’entre eux », que je me défendais d’y répondre et ces moments étaient précisément ceux où je regardais son mari. Quand je les comparais, j’éprouvais un étonnement immotivé à l’idée qu’ils allaient partir ensemble et ne s’inquiétaient pourtant que de nous, sans un regard l’un pour l’autre. »
Kafka, Journal (1910, 1er novembre)
Photo de Franz Kafka en 1910
Commentaires
Ah là... il voit clair, presque comme une femme :D
Son analyse des faits et de la psychologie me semble proche de Zweig; c'est si fin!
J'ai moi aussi pensé à Sweig, ou à Henry James dans Portrait de femme. C'est cette sensibilité, cette étude des autres qui fait d'eux de magnifiques écrivains!
C'est finement analysé.
Je reviendrai lire plus tard (et mieux) vos extraits du Journal que j'ai manqués ces derniers jours.
Bon dimanche.
Merci de ces petits aperçus d'une oeuvre qui m'échappe encore, Tania. Mais qu'un jour je rencontrerai pour de bon sur ma route !
Je ne connais pas du tout le Journal de Kafka, encore une lacune à combler, il y en a tant !!! Bises, à bientôt Tania. brigitte
C'est juste parfait ! En quelques mots tout est dit !