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Littérature anglaise - Page 72

  • Days / Jours

    What are days for?

    Days are where we live.

    They come, they wake us

    Time and time over.

    They are to be happy in:

    Where can we live but days?


    Ah, solving that question

    Brings the priest and the doctor

    In their long coats

    Running over the fields.

     

     

     

    A quoi servent les jours ?

    Les jours sont là où nous vivons.

    Ils viennent, ils nous réveillent

    Sans cesse renouvelés,

    Ils sont faits pour être heureux :

    Où vivre ailleurs sinon des jours ?

     

    Ah, résoudre cette question

    Fait venir le prêtre et le médecin

    Dans leurs longs manteaux

    En toute hâte à travers champs. »

     

     

    Philip Larkin (1922-1985)


    in
    David Lodge, La vie en sourdine
     

  • En sourdine

    Pour traduire Deaf sentence, le titre du dernier roman de David Lodge (2008), Maurice et Yvonne Couturier ont opté pour La vie en sourdine, ce qui convient très bien à la situation de Desmond Bates, professeur de linguistique à la retraite, devenu dur d’oreille. S’appuyant sur sa propre expérience, Lodge décrit avec humour et précision les difficultés que sa mauvaise audition provoque dans la vie sociale de son narrateur – en réunion, les prothèses auditives ne sont jamais à la hauteur – et dans sa vie de couple.

     

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    Le studio de David Lodge, une photo de Eamonn McCabe Ó The Guardian

     

    Dans la galerie où il s’est rendu avec Winifred, sa femme qu’il appelle Fred, pour le vernissage d’une exposition, une jeune femme blonde s’est adressée à lui, et au bout d’un quart d’heure, il ne sait plus comment lui dire qu’il ne comprend rien dans ce vacarme et se contente d’acquiescer poliment. Lorsque sa femme l’interroge, sur le chemin du retour, il avoue n’avoir même pas compris son nom. Fred, épousée après
    la mort de sa première épouse, est de huit ans plus jeune que lui ; elle tient un magasin de décoration et l’emmène à toutes sortes d’événements mondains. La terreur de rester seul fait que son époux s’accroche à ce « carrousel socioculturel » malgré son audition dégradée. Sinon, il lui reste la télévision, « le salut des sourds » avec le télétexte et les oreillettes.

     

    Quand la communication orale devient ardue, « le contrôle absolu que l’on a sur le discours écrit devient de plus en plus appréciable », note le professeur en rédigeant son histoire, ou plutôt l’histoire de sa surdité, apparue vingt ans plus tôt, quand il s’est rendu compte qu’il avait du mal à entendre ses étudiants. Sa surdité précoce aux hautes fréquences, plus ou moins compensée par un appareillage, l’ont poussé à prendre sa retraite quatre ans avant l’âge habituel. « La surdité est comique, alors que la cécité est tragique », écrit-il, quelle inégalité entre ces « fenêtres de l’âme » si expressives que sont les yeux et ces drôles de choses charnues voire poilues que sont les oreilles ! « La surdité est une sorte d’avant-goût de la mort, une très
    lente introduction au long silence dans lequel nous finirons tous par sombrer. »

     

    Etre sourd permet, c’est le seul avantage, de s’isoler d’un tas de bruits irritants et désagréables, c’est pourquoi Bates enlève son appareil dans le train, « avec l’impression magique d’être promu instantanément de la seconde à la première classe », quand il se rend dans la banlieue de Londres chez son père, un vieil homme presque aussi sourd que lui, que Fred et sa famille n’apprécient guère, dont l’avenir le tourmente, car il pressent qu’il ne pourra plus vivre seul très longtemps.

     

    Mais La vie en sourdine, en fait le journal du professeur, est tout sauf lugubre. Une certaine Alex lui téléphone un matin : la jeune femme rencontrée à la galerie s’étonne de ne pas l’avoir vu au rendez-vous qu’il lui avait accordé. Elle tient à lui parler de sa recherche universitaire et, une fois qu’il lui a avoué son handicap, l’invite à passer chez elle, pour plus de facilité, ce qu’il n’ose refuser. Après « une espèce de congé sabbatique prolongé », le rythme de l’année universitaire manque au vieux professeur, avec sa succession de tâches qui lui évitaient d’avoir à répondre à la question qu’il se pose à présent chaque matin : « Que vais-je faire de moi aujourd’hui ? » Que quelqu’un s’adresse à lui pour ses compétences redonne un peu d’intérêt à sa vie.

     

    Alex Loom, chez qui il se rend sans en parler à sa femme, consacre sa thèse à « une étude stylistique des lettres de suicidés », un sujet hors du commun. Comme elle ne s’entend pas avec le Prof. Butterwoth, elle aimerait que ce soit lui qui le remplace. Il ne peut pas, parce qu’il est à la retraite et par égard pour son confrère, mais accepte d’en parler avec elle et de replonger dans sa spécialité, l’analyse du discours. Quand il découvre chez lui, dans la poche de son manteau, une petite culotte de femme, il regrette aussitôt d’avoir pris contact avec cette effrontée et la lui renvoie par la poste en mettant les points sur les i. Et voilà qu’Alex le relance chez lui, heureusement en l’absence de Fred : elle a senti que le sujet de sa recherche l’intéressait, s’excuse, promet de ne plus téléphoner chez lui s’il consent à l’aider.

    Comment le professeur va donc s’intéresser au langage des candidats au suicide, comment Alex Loom, une manipulatrice, va se comporter de plus en plus étrangement, comment vont se dérouler en famille les fêtes de Noël et de fin d’année qu’adore Fred, et que Desmond déteste, comment se font et se défont les tensions dans un couple, entre parents et enfants, c’est le sujet de La vie en sourdine, où David Lodge aborde avec un détachement très anglais et une grande franchise les malentendus d’un homme avec la vie.

  • Pas d'amabilité

    « Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. »

     

    Marcel Proust (cité par Alain de Botton, Comment Proust peut changer votre vie) 

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  • Aimer aujourd'hui

    A ceux qui n’arrivent pas à « entrer » dans l’œuvre de Marcel Proust, je conseille le drôlement réussi Comment Proust peut changer votre vie d’Alain de Botton (1997). Celui-ci commence son premier chapitre, « Comment aimer la vie aujourd’hui », avec une anecdote. Dans les années 1920, un journal qui « s’était
    fait une réputation dans le journalisme d’investigation, les potins du Tout-Paris, les petites annonces classées et les éditoriaux incisifs »
    , L’Intransigeant, avait lancé une de ces grandes questions destinées à récolter les avis de personnalités françaises sur l’existence.
      

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    Un savant américain annonçait la fin du monde, une prédiction devenue quasi certitude de mort pour des millions d’hommes – « en ce qui vous concerne personnellement, que feriez-vous avant cette dernière heure ? » (Cela peut paraître futile en cette heure où tant d’Haïtiens souffrent et meurent, et d’autres, hommes et femmes et enfants, ailleurs, chaque jour – la lecture et l’actualité s’entrechoquent parfois.)

     

    Henry Bordeaux poussait la plupart des gens vers une église ou vers la chambre à coucher, se réservant une « dernière chance pour escalader une montagne afin d’admirer la beauté du paysage et de la flore des Alpes ». Berthe Bovy s’inquiétait de « voir les hommes se débarrasser de toutes leurs inhibitions une fois que leurs actions auraient cessé d’avoir des conséquences à long terme ». Une diseuse de bonne aventure estimait que les gens « seraient trop occupés à s’adonner aux plaisirs de ce monde pour se soucier de préparer leur âme à la perspective de l’Au-delà ».

     

    « La dernière personnalité consultée sur ses projets préapocalyptiques fut un romancier renfermé et moustachu, auquel on ne connaissait pas d’intérêt pour
    le golf, le tennis ou le bridge (…), un homme qui avait passé les quatre années précédentes au fond d’un lit étroit sous une pile de fines couvertures de laine, à écrire un roman d’une longueur peu commune sans même le secours d’une lampe de chevet convenable. »
    Et voici la réponse de Proust : « Je crois que la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse, si nous étions menacés de mourir
    comme vous le dites. Songez, en effet, combien de projets, de voyages, d’amours, d’études, elle – notre vie – tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l’avenir, les ajourne sans cesse.

     

    Mais que tout cela risque d’être à jamais impossible, comme cela redeviendrait beau ! Ah ! si seulement le cataclysme n’a pas lieu cette fois, nous ne manquerions pas de visiter les nouvelles salles du Louvre, de nous jeter aux pieds de Mlle X…, de visiter les Indes. Le cataclysme n’a pas lieu, nous ne faisons rien de tout cela, car nous nous trouvons replacés au sein de la vie normale, où la négligence émousse le désir. Et pourtant nous n’aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd’hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort. »

     

    Et Alain de Botton de raconter comment, quatre mois plus tard, Proust « prit froid et mourut. Il avait cinquante et un ans. Invité à une soirée, il s’enveloppa dans
    trois manteaux et deux couvertures, et s’y rendit tout de même, malgré les symptômes d’une légère grippe. Pour rentrer chez lui, il dut attendre un taxi dans une cour glaciale, et attrapa un rhume, qui évolua en une forte fièvre
    qu’on aurait pu calmer s’il n’avait refusé de suivre les conseils des médecins appelés à son chevet.

     

    Par crainte d’être interrompu dans son travail, il déclina leurs offres de piqûres d’huile camphrée et continua d’écrire, sans boire ni manger autre chose que du lait chaud, du café et de la compote. Le rhume se transforma en bronchite, qui à son tour dégénéra en pneumonie. On eut un bref espoir de le voir guérir lorsqu’il s’assit dans son lit et demanda une sole grillée, mais le temps que le poisson fût acheté et préparé, le malade fut pris de nausées et ne put y toucher. Il mourut quelques heures plus tard, d’un abcès crevé dans son poumon. »

  • Les bancs verts

    « Il ne mit que quelques minutes pour arriver au parc. Il entra par la grille couverte de vigne vierge, et longea le quai récemment élargi et bordé de briques de couleur.

    Il fut déçu de ne pas trouver où s’asseoir. Une rangée de bars et de cafés semblait avoir surgi du jour au lendemain le long de l’embarcadère, sorte de boîtes d’allumettes gigantesques aux murs de verre éblouissants au soleil.
    Ce n’était pas une mauvaise idée de doter le parc d’un café avec vue sur la rivière, mais une telle quantité ne laissait plus de place pour les bancs verts autrefois si familiers. En regardant à travers la vitre, il ne vit qu’un couple d’Occidentaux qui bavardait à l’intérieur. Le prix indiqué sur le menu était exorbitant. Chen pouvait encore se le permettre, mais les autres ? »

    Qiu Xialong, La danseuse de Mao

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