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Exposition - Page 38

  • Ukiyo-e, I

    Quelles merveilles ! Ne manquez pas « les plus belles estampes japonaises » au musée du Cinquantenaire. Les Musées royaux d’Art et d’Histoire présentent « Ukiyo-e », une sélection d’œuvres issues de leur collection fameuse, en deux temps, pour ne pas les exposer trop longtemps à la lumière – la seconde série à partir du 20 décembre prochain – 416 estampes au total (sur plus de 7500 pièces).

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    Un petit film à l’entrée permet de visualiser la technique de l’estampe et les différentes phases du travail et de l’impression, introduction prolongée dans les premières salles où sont exposés des outils, des bois de trait, des impressions de différents types : noir et blanc, monochrome, polychrome, jusqu’aux « images de brocart » (bois de teinte multiples), voire rehaussées de textile.

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    Un bel album en accordéon déplié, Le sanctuaire de Hie sous la neige de Kawase Hasui (1883-1957), illustre le procédé d’impression complet, de droite à gauche, du noir et blanc jusqu’à l’image en couleurs, en montrant à chaque étape quelles parties sont encrées ou colorées (détail ci-dessus). L’art japonais de l’estampe débute vers 1720, l’exposition rend compte de son évolution jusqu’au début du XXe siècle. Les estampes polychromes des XVIIIe et XIXe siècles ont enchanté collectionneurs et artistes occidentaux (Monet, Van Gogh, par exemple) dès la fin du XIXe. On découvre ici de nombreux artistes japonais moins connus chez nous que Hokusai ou Hiroshige.

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    Torii KIYONAGA (1752-1815), Le restaurant Kankanrō, Vers 1794

    « À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, des artistes tels que Harunobu, Shunshô, Kiyonaga, Utamaro et Sharaku représentaient sur leurs estampes des courtisanes et des acteurs, stars de la vie nocturne d’Edo (l’actuelle Tokyo). » De jeunes femmes pêchent – la figure féminine est privilégiée par les peintres d’estampes – ou bien vaquent à leurs activités quotidiennes, comme dans ces séries de « Huit vues », caractéristique de l’art sino-japonais, par exemple Les huit vues du salon de réception de Harunobu.

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    Suzuki HARUNOBU (1725?-1770)

    Mais au théâtre de kabuki, les hommes jouent tous les rôles, masculins et féminins : de nombreuses estampes immortalisent des acteurs connus, leurs mimiques, leurs costumes, leur visage expressif et en gros plan (« okubi-e » ou « grosses têtes »). C’est l’occasion de peindre de beaux tissus, parures et coiffures, comme les courtisanes des « maisons vertes » (maisons closes) en offrent d’étourdissantes variétés. Les maisons de thé offrent souvent un cadre pittoresque où évoluent de jolies femmes ; ce sont des sujets très populaires pour un public majoritairement masculin, les femmes n’ayant aucun droit sous le régime shogunal de l’époque d’Edo.

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    Katsukawa SHUN’EI (1762-1819), L’acteur Ichikawa Omezō I dans le rôle de Momonoi Wakasanosuke, IV/1795

    Utamaro, un des artistes les plus productifs du XVIIIe siècle, se spécialise dans les albums érotiques et, le premier, représente des visages de courtisanes en gros plan, d’une beauté raffinée comme on peut le voir dans deux splendides portraits d’hôtesses de maisons de thé. Sur le parcours de l’exposition, on montre aussi les objets précieux en usage pour la toilette (miroir, peignes, pinces à cheveaux, boîtes, nécessaire à fumer).

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    Kitagawa UTAMARO (1753?-1806),
    Le bol à thé,  
    Suite : Huit vues de comptoirs de thé dans des endroits célèbres, Vers 1795-1796

    D’Utamaro encore, ces Modèles de jeunes femmes, tissés de brumes – brume d’« un vêtement d’été en gaze, jeté nonchalamment sur un portant à kimono », une estampe rare. Un pentaptyque d’Eishi (1756-1829), soit cinq estampes juxtaposées, montre une scène de réjouissance estivale sur un bateau de plaisance (Partie sur le Yoshinomaru). Non loin, du même, une jolie Chasse aux lucioles.

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    Ecritoire décorée sur le couvercle d'un prunier et d'un camélia en fleurs

    Près des estampes d’Hokusai (1760-1849), des vues célèbres du Mont Fuji et d’autres (affiche), on a rassemblé dans une vitrine divers albums de lui, certains ouverts, aux titres parfois intrigants et poétiques : « dessins impromptus, transmettant l’âme et éclairant la main ». C’est lui qui a introduit le fameux bleu de Prusse dans l’estampe en même temps que le paysage, sujet nouveau, montré pour lui-même et pas seulement comme un décor. Des chefs-d’œuvre aussi d’Hiroshige (1797-1858) : paysages panoramiques, vues d’endroits célèbres, jardins…

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    Katsushika HOKUSAI (1760-1849),
    Vent frais par temps clair,
    Suite : Trente-six vues du mont Fuji, Vers 1830-1832 

    Aux XIXe et XXe siècles, l’estampe japonaise se modifie au contact de la culture occidentale. Pour l’année de la Chèvre, Hokkei (1780-1850) présente une Européenne à la chèvre avec des maisons de type européen à l’arrière-plan, et signe même à l’horizontale, dans un cartouche en bas de la feuille, comme les Européens. On montre aussi de belles illustrations pour des scènes de roman, qui rendent l’atmosphère du récit, comme Jeune femme et deux silhouettes dans le brouillard du soir ou Jeune femme admirant la pleine lune.

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    Kawase HASUI (1883-1957), Le temple Tennō à Osaka,
    Suite : Souvenirs de mes voyages, troisième série, 1927

    Hasui, (1883-1957) le dessinateur d’estampes de paysages le plus important du XXe siècle, excelle dans le rendu de l’atmosphère météorologique : crépuscule, averses, neige… Sa vue du lac Kawaguchi, où le regard pénètre entre des arbres en ombres chinoises, est une splendeur. Shinsui séduit aussi avec ses portraits de femmes comme cette Jeune femme en longue tunique de dessous qui attache avec grâce ses cheveux dans la nuque et même une jeune femme nue au bord de l’eau, nudité impensable dans l’estampe ancienne.

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    Itō SHINSUI (1898-1972),
    Jeune femme en longue tunique de dessous, 1927

    Au bout du parcours, l’attention est moindre, le regard un peu fatigué d'avoir observé tant de beaux détails, c’est pourquoi je vous parlerai la prochaine fois (après avoir vu la seconde série d’estampes) de Dimitri Piot, dessinateur belge de bande dessinée qui combine l’ukiyo-e avec la représentation du monde contemporain, à l’honneur dans la dernière grande salle.

  • Une paysagiste

    Peintresses Verboeckhoven.jpg
    Marguerite Verboeckhoven,
    Temps clair, 1913, huile sur toile, 49,5 x 65 cm.
    Musée Charlier, Bruxelles, inv. I-418-1996. © Atelier de l’imagier

    « Celles qui choisissent de se spécialiser dans le domaine du paysage – genre très coté au tournant du siècle – n’expriment-elles pas de manière éloquente ce besoin intense de respiration et de prise de distance pour se retrouver ? Leur soif d’indépendance n’échappe pas au public de l’époque ni à leur entourage. Comment une « dame » peut-elle sortir par tous les temps, tremper les pieds et le bas de sa robe dans la boue ? Comment peut-elle se retrouver isolée sur des chemins de traverse, aux prises avec l’inconnu ? Surveillées tant qu’elles sont en âge de se marier, les paysagistes circulent rarement seules. Louise Héger organise ses sorties en fonction des disponibilités de ses contacts, proches ou lointains ; elle joue les demoiselles de compagnie, un rôle qui lui impose de longs moments loin de ses pinceaux mais qui lui ouvre aussi des destinations rêvées. Parmi les nombreuses paysagistes encore à redécouvrir, Marguerite Verboeckhoven livre de fines notations symbolistes de bords de mer, œuvres qui nécessitent certainement de longues heures de travail en plein air, parfois même en nocturne. »

    Alexia Creusen, Femme et artiste dans la Belgique du XIXe siècle

    Catalogue Femmes artistes. Les peintresses en Belgique (1880-1914), Namur, Musée Félicien Rops, Silvana Editoriale, 2016.

  • Peintresses belges

    Quelle bonne surprise de retrouver à Namur, à l’entrée de Femmes artistes. Les peintresses en Belgique (1880-1914),  la grande toile (160 x 225 cm) de Dagmar De Furuhjelm, dont le titre exact est L’Atelier du peintre Blanc-Garin, découverte lors de la visite de l’Hôtel communal de Schaerbeek ! Elle fait aussi la couverture du catalogue qui complète heureusement la petite exposition du musée Rops qui contient quelques pépites, même si j’en espérais davantage.

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    Dagmar De Furuhjelm, L'Atelier du peintre Blanc-Garin, c.1890, huile sur toile, 160 x 225 cm.
    Commune de Schaerbeek, Bruxelles, inv. N264. © Atelier de l’imagier

    A côté de « femme artiste », « femme peintre », au lieu de « peintre » tout court, ce terme de « peintresse » était péjoratif. Des féministes revendiquent à présent ce suffixe explicite pour marquer le genre, on se souvient des peintresses présentées par Euterpe sur son blog, mis en veilleuse mais toujours en ligne. Dans l’introduction « Naître femme, devenir artiste », Véronique Carpiaux et Denis Laoureux parlent d’un usage « explicitement sarcastique » du nom « peintresse » à la fin du XIXe siècle.

    Quelles tactiques, quels choix de vie, quelles transgressions déploient alors ces femmes pour étudier et exercer leur art, exposer, se faire connaître, et sans se limiter pour autant aux genres dits féminins, c’est le sujet de cette exposition, approfondi dans le catalogue. Sur un beau buste en marbre par Juliette Blum (épouse du sculpteur Charles Samuel), Anna Boch esquisse un doux sourire : elle est sans doute la plus exemplaire des femmes artistes de cette époque, une vie consacrée à la peinture grâce à sa fortune personnelle et au célibat, en plus de son talent indéniable. Son cousin Octave Maus l’a introduite dans le milieu de l’art.

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    Juliette Samuel-Blum, Anna Boch, peintre, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

    Les couples et familles d’artistes sont nombreux dans cette exposition, c’était une voie favorable pour une femme qui voulait continuer à créer après le mariage, mais pour certaines, cela marquait le point d’arrêt ou presque, comme pour Marthe Massin, l’épouse de Verhaeren. Un chef-d’œuvre d’Hélène Du Ménil et Isidore De Rudder m’a fait découvrir ce couple : L’Automne, une broderie aux fils de soie (200 x 260 cm) prêtée par le Musée du Costume et de la Dentelle de la Ville de Bruxelles (ci-dessous). Sous l’œil d’un paon qui déploie ses couleurs, une jeune femme rousse, vêtue d’une robe aux motifs de feuillages, allaite son bébé, une fillette près d’elle. Une nature morte de raisin, de fruits et de gibier sur une table et d’autres emblèmes évoquent la saison des feuilles mortes – j’aimerais voir les trois autres. L’un peignant, l’autre brodant, c’est éblouissant de finesse et de nuances mordorées. 

    Un autoportrait d’Emma De Vigne (fille de sculpteur, épouse de peintre), un Portrait de femme par Marguerite Holeman sont de belle facture. Toutes les artistes portent ici leur nom de jeune fille ; ainsi Henriette Ronner, connue pour son art de peindre les chats, figure ici sous le nom de Henriette Knip. Sa fille, Alice Ronner, est également représentée à l’exposition, entre autres avec une grande nature morte originale, Harpe avec fleurs.

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    Hélène Du Ménil et Isidore De Rudder, L'Automne, 1905, broderie aux fils de soie, 200 x 260 cm.
    Musée du Costume et de la Dentelle de la Ville de Bruxelles

    Il ne manque pas de citations, affichées tout au long de l’exposition, pour rappeler le mépris dont on faisait preuve à l’égard de ces peintres même dans la revue L’Art Moderne (« Les femmes ne peuvent peindre que des choses qui n’exigent ni pensée profonde, ni grand sentiment, ni large virtuosité »). J’ai aimé plusieurs passages de la correspondance de Louise Héger avec son père : « Pour moi, qui n’ai ni frère, ni cousin, ni oncle, ni Père qui soit peintre […] il faut bien que je m’arrange comme je puis et que je m’arme de courage. » « Etre traitée d'égale à égale avec respect et affection par des peintres sérieux et de grand talent, me rehausse à mes propres yeux et me ravive. »

    Intérieur d’Anna Boch montre un grand bouquet champêtre dans son salon, au mur on reconnaît une de ses toiles, sur la table un livre, et partout la lumière qui pénètre par la fenêtre. Maurice Jean Lefèbvre a peint un charmant petit portrait d’elle peignant dans son jardin. Quelques signatures masculines sur le parcours, sous des photos ou portraits de ces peintres-peintresses. Celui de Berthe Art par Roger Parent, aux couleurs fauves, côtoie certains écrits d’une misogynie incroyable, prêtant aux artistes femmes tantôt une allure hommasse, tantôt des mœurs douteuses ! 

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    Anna Boch, Intérieur, 1891, Musées de Verviers

    A l’affiche, Dans l’eau ! de Virginie Breton, fille de Jules Breton, deux peintres français que j’avais remarqués au musée des Beaux-Arts de Lille : une très grande toile où elle a peint une jeune femme près de la mer, qui emmène deux enfants nus au bord de l’eau. Elle en tient un sur le bras et de l’autre, tire un petit garçon qui préférerait aussi être porté et vers qui son visage se tourne. C’est une œuvre vigoureuse, pleine de mouvement, dans la gamme des bruns et des gris chers aux peintres réalistes. (Je me suis interrogée sur ce choix pour annoncer une exposition sur des artistes belges : la mère de Virginie Breton était belge, son père ayant épousé Elodie De Vigne, fille du peintre gantois Felix De Vigne, d’où ses liens avec la Belgique. Un renseignement trouvé sur le site du Matrimoine, Wikipedia ne citant pas le nom de sa mère. De plus, Virginie Demont-Breton s’est engagée résolument pour la reconnaissance des femmes artistes.)

    Mane Becube, d’Yvonne Serruys, n’est pas daté non plus ; c’est souvent le cas pour les toiles de ces peintres trop méconnues. Ici, une femme plus âgée porte une fillette aux pieds nus sur le dos. Toutes deux portent un bonnet de dentelle blanche. A l’arrière-plan, une haie conduit le regard vers un groupe de maisons. Une œuvre néo-impressionniste très lumineuse. On verra plus loin un joli bronze de cette artiste, Echo.

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    Virginie Breton, Dans l’eau !, s.d., huile, 182,1 x 122,5 cm. Musée des Beaux-Arts, Anvers.
    KMSKA © www.lukasweb.be - Art in Flanders vzw, photo Hugo Maertens

    Intérieurs, jardins, portraits sont des sujets plus accessibles aux peintres qui, d’une part, aiment à représenter la vie quotidienne, et d’autre part, ne peuvent pas toujours se déplacer à la recherche de nouveaux paysages. Cécile Douard innove en se tournant vers les ouvrières des charbonnages, comme cette Hiercheuse au repos ; Louise De Hem, en peignant Indigence.

    A l’étage, près d’un portrait de Verhaeren écrivant par Marthe Massin, son épouse, on a placé un buste du poète, en métal coulé, de Jenny Lorrain. Revoici Euphrosine Beernaert (autre prêt schaerbeekois) et d’autres beaux paysages : Vue des dunes (Louise Héger), Rosée (Marie Collart), Marais en Hollande – Matin (Anna Boch), plus impressionniste, un des prêts du musée d’Ixelles. 

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    Louise De Hem,
    Le Chat noir, c. 1902, pastel sur papier collé sur toile, 60 x 74,5 cm.
    Stedelijk museum Ieper, Ypres

    Je pensais ne pas connaître Anna Cogen dont on montre de belles toiles comme Mon vieux jardinier et Le bel automne : elle n’est autre qu’Anna De Weert, dont les toiles sont bien cotées en salle de ventes. Avec Jenny Montigny (La récréation à l’école de Deurle, Le goûter), elle a été l’élève d’Emile Claus et membre du cercle Vie et Lumière, de ces peintres belges appelés luministes. Un coup de cœur encore : Le Chat noir, un pastel de Louise De Hem, félinophilie aidant.

    Il faut ensuite monter aux salles permanentes du musée Rops pour découvrir d’autres domaines où les femmes artistes ont réalisé de belles choses au tournant du XXe siècle : la gravure, l’illustration, la reliure (notamment de Juliette Trullemans, soit Juliette Wytsman – une peinture de Richir la montre servant le thé à son mari Rodolphe Wytsman – j’aurais préféré les voir à l’atelier.)

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    Elisabeth Wesmael, Paysage, s. d., eau-forte, Bibliothèque royale de Belgique
    (détail, désolée pour les reflets)

    De belles eaux-fortes d’Elisabeth Wesmael, de Louise et Marie Danse précèdent une série d’œuvres de Claire Duluc (techniques diverses, un beau coup de crayon) qui a publié sous divers pseudonymes masculins pour éviter les préjugés sexistes. C’est là qu’on peut admirer le fameux portrait pointilliste de Claude Demolder-Duluc par Van Rysselberghe : l’épouse d’Eugène Demolder était la fille illégitime de Rops et d’Aurélie Duluc (représentée avec sa sœur Léontine au bord de la mer dans une toile connue de Rops, avec qui elles faisaient ménage à trois).

    Voilà tout de même, malgré mon goût de trop peu, de bonnes raisons d’aller saluer ces « peintresses » belges, non ? Vous y verrez d’autres noms encore – j’aurais dû citer celui de Ketty Gilsoul-Hoppe dont on voit de belles œuvres – comme ceux de « dames artistes », appellation réservée aux dames de la noblesse belge pour qui la peinture était un loisir, parfois avec grand talent. 

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    Berthe Art, Chrysanthèmes blancs, s.d., huile sur toile, 102,5 x 65 cm. Stedelijke Musea Kortrijk, Courtrai

    Femmes artistes. Les peintresses en Belgique (1880-1914) : le musée Rops à Namur propose cette exposition jusqu’au 8 janvier 2017. Si vous vous intéressez à la place des femmes dans l’histoire de l’art, si vous aimez vous promener dans le vieux Namur, si vous admirez l’art de Félicien Rops, si vous allez à Antica-Namur, quel que soit le prétexte, je vous conseille le détour par la rue Fumal.

    P.-S. Prolongation 29/01/2017

  • Cavalier

    21 max-liebermann-reiter-am-strand.jpg« L’un des plus grands peintres impressionnistes allemands, Max Liebermann, naît en 1847 à Berlin. Il sera le peintre par excellence de la transition entre les anciens et les modernes. (...) Les nazis hésitent avant de qualifier ses œuvres « d’art dégénéré ». En effet, celles-ci restent figuratives et, en dépit de leur facture impressionniste, relèvent d’un certain classicisme. Mais le fait que Liebermann soit juif et libéral, défauts majeurs aux yeux des nazis, décide de leur sort ; elles sont finalement qualifiées « d’art dégénéré ». Pourtant seules six toiles sont retirées des musées allemands.
    Parmi elles, Reiter am Strand, saisie à la Bayerisches Staatsgemälde-Sammlung de Munich en 1937 et vendue en 1939 par la galerie Fischer au Musée des Beaux-Arts de Liège pour 3200 CHF. Liebermann est rapidement réhabilité après la guerre en Allemagne. »

    Catalogue 21 rue La Boétie, La Boverie / Tempora, Liège, 2016.

    Max Liebermann, Reiter am Strand (Le Cavalier sur la plage), 1904, Musée des Beaux-Arts, Liège.

  • Galerie P. Rosenberg

    21 rue La Boétie : le titre du récit d’Anne Sinclair (pas encore lu) est celui de la belle exposition que je viens de visiter à Liège, au musée de la Boverie (jusqu’au 29 janvier 2017). L’histoire d’un grand-père juif, Paul Rosenberg (1881-1959), et de sa galerie d’art parisienne emportée dans la tourmente du nazisme. S’il n’y a aucune commune mesure entre la « solution finale » et le pillage des œuvres d’art pendant la seconde guerre mondiale, c’est néanmoins une très intéressante période de l’histoire de l’art et de l’histoire tout court qui se déroule là.

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    La galerie Paul Rosenberg s’ouvre à Paris en 1910, quand les galeries marchandes se multiplient dans la capitale française et inventent une autre façon de présenter les œuvres d’art que celle des « salons » traditionnels. La reproduction en grand de l’enseigne publicitaire peinte par Watteau pour Gersaint, marchand d’art, forme un beau portail au seuil de l’exposition. De nombreux textes (en français, néerlandais, allemand, anglais) jalonnent ce parcours très didactique dans l’histoire de la galerie Paul Rosenberg.

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    Watteau, L'Enseigne de Gersaint (1720)

    On y découvre une affaire de famille, du commerce d’art et d’antiquités d’Alexandre Rosenberg avenue de l’Opéra (le père venu de Slovaquie en 1878) aux galeries fondées par ses fils. Léonce Rosenberg, l’aîné, défend les cubistes à L’Effort moderne, puis son frère ouvre au 21, rue La Boétie la galerie Paul Rosenberg, avant Londres (1936) et New-York (1941). Une vidéo sur écran panoramique raconte cet essor des galeries d’art à Paris et « le système Rosenberg », à savoir les méthodes qui ont permis au galeriste un tel succès.

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    Paul Rosenberg en 1914, au 21 rue La Boétie © Archives Paul Rosenberg.

    En plus des expositions périodiques de qualité qu’il organise et fait connaître par le biais d’affiches, de catalogues, d’annonces dans la presse, Paul Rosenberg présente chez lui des ensembles décoratifs mêlant œuvres d’art et meubles d’antiquaires : ainsi, il donne à ses clients une idée de l’effet d’un tableau dans un intérieur. En accrochant à l’étage des toiles de maîtres du XIXe siècle, il rassure ceux qui hésitent encore devant la peinture moderne.

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    Picasso, Etudes pour du papier à lettres pour la galerie Paul Rosenberg

    A la demande du galeriste, Picasso dessine une vue pour son papier à lettres : on peut voir dans une vitrine diverses études d’une vue sur mer par une fenêtre ouverte où les lettres « P » et « R » s’arrondissent dans le fer forgé du balcon. Puis un portrait de Paul Rosenberg qu’il a dessiné à la mine d’un plomb, près d’une grande photographie. « Picasso, Matisse, Braque, Léger… » annonce l’affiche de « 21 rue La Boétie » ; il manque à cette liste des artistes phares de la galerie le nom de Marie Laurencin, la première artiste vivante à être promue par Paul Rosenberg, dès 1913. 

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    Marie Laurencin, Les deux Espagnoles, 1915, collection particulière

    Il est vrai qu’avec Picasso, le plus célèbre, qui le rejoint en 1918, se noue une véritable complicité : Paul Rosenberg l’installe dans un atelier confortable au 23, rue La Boétie, à côté de chez lui. Cette année-là, Picasso, en pleine période cubiste, peint dans une facture classique le portrait de Mme Rosenberg et de sa fille Micheline (grand-mère et mère d’Anne Sinclair) en voisin et ami de la famille – la petite l’appelait « Casso ».

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    Fernand Léger, Le déjeuner (Le grand déjeuner), 1921-1922, MOMA, New York

    Magnifique grand Déjeuner de Fernand Léger (1921-1922), un prêt du MOMA, où le peintre installe trois femmes « post-cubistes » aux longs cheveux noirs rassemblés d’un côté du visage, un livre, du thé, un chat, dans un décor tout en rythme géométrique, droites et courbes : du rouge, du jaune, des aplats de couleurs pures animent cette composition qui évoque à la fois la vie moderne et le quotidien. Près d’une grande photo de la cage d’escalier du 21, rue La Boétie dans les années 30, une visionneuse permet de voir d’autres photos N/B de la galerie et de de la manière d’y présenter les œuvres.

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    Corot, La liseuse, ca. 1845-1850, Collection Fondation E.G. Bürhle, Zurich

    Des documents d’époque rendent compte des activités de la galerie Paul Rosenberg : feuillets d’expositions, lettres, et c’est un formidable inventaire de peintres qui ont marqué l’histoire de l’art au XIXe siècle et dans la première partie du XXe. Si La route de Versailles de Sisley est un prêt du musée d’Orsay, Sur la route de Versailles à Louveciennes (La Conversation) par Pissarro, Avant le départ (sur un champ de courses) et un portrait du vicomte Lepic par Degas viennent de la Fondation Bührle à Zurich. De même, une belle Liseuse de Corot : en montrant des peintres dont la réputation ne laisse aucun doute, Paul Rosenberg rassurait sa clientèle fortunée sur la valeur des peintres contemporains.

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    Georges Braque, Femme à la mandoline, 1937, MOMA, New York

    Que les admirateurs de Georges Braque ne manquent pas cette exposition, notamment pour Femme à la mandoline et Le Duo, deux superbes compositions. De Braque, on découvre une nature morte en mosaïque de marbre dans une table basse, une des quatre tables où Paul Rosenberg, avant de vendre sa maison parisienne après la guerre, a fait poser les mosaïques qui ornaient les murs de sa salle à manger (le « Quartet Rosenberg »). Une très belle nature morte de Picasso, toute en nuances de gris avec un accent rouge, Pichet et coupe de fruits (1931), est restée longtemps dans la famille Rosenberg. J’ai aussi aimé sa Nature morte à la tête antique (1925, Centre Pompidou), un des dons de P. Rosenberg à la France en 1946.

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    Picasso, Pichet et coupe de fruits, 1931, Collection David Nahmad, Monaco

    De Marie Laurencin, on expose de belles toiles comme Les deux Espagnoles (1915, collection particulière) et La Répétition, un groupe de jeunes femmes avec un chien, entre autres. Mariée à un baron allemand, elle avait dû s’exiler en Espagne durant la Grande Guerre. Matisse, qui a longtemps vendu ses œuvres en toute indépendance, rejoint Paul Rosenberg en 1936. Leçon de piano, Robe rayée, de beaux Matisse figurent à l’exposition. On y montre aussi le côté souvent méconnu ou caché du marché de l’art : Paul Rosenberg était connu pour bien payer les artistes et on affiche le barème qu’il utilisait en 1936 pour fixer la valeur des toiles qu’on lui confiait, selon leur format et leur sujet (figure, paysage, marine).

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    Matisse, La Leçon de piano, 1923, Collection particulière

    Si l’entre-deux-guerres est une période féconde, les années 1940 voient s’effondrer tout un univers. De façon très pertinente, l’exposition de Liège montre la rupture idéologique créée par les nazis entre l’art « allemand » et l’art « dégénéré » : une large section de 21, rue La Boétie explique et illustre cet épisode de notre histoire de façon très intéressante, avec des films d’archives, des photos, des affiches des expositions organisées à ce sujet en Allemagne. Et des tableaux deux par deux, un même sujet peint tantôt de façon réaliste ou académique, tantôt de façon moderne. Ainsi peut-on apprécier à quel point par exemple Gauguin, avec Le sorcier d’Hiva Da (1902), ou Picasso, avec La famille Soler (1903, acquis par la ville de Liège à la vente « de Lucerne » en 1939), créaient au début du XXe siècle un art absolument nouveau.

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    Entrée de l'exposition "Art dégénéré"
    https://www.welt.de/kultur/gallery1020894/Die-Diffamierungs-Ausstellung-der-Nazis.html

    On peut même y écouter de la musique « dégénérée ». Tout ce qui touchait de près ou de loin à ce que les nazis appelaient la « juiverie » était visé par ces odieuses campagnes de propagande. J’ai été frappée, en regardant un film, par les visages impassibles des gens qui se pressaient à l’exposition d’art dit « Entartete kunst », comme s’ils évitaient à tout prix de manifester leur sentiment. Le comble, c’est que cette exposition tournante montrée dans les grandes villes allemandes a été vue par plus de trois millions de visiteurs, le record pour une exposition d’art moderne à cette époque !

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    Galerie Paul Rosenberg, New York

    Ce sont des années fatidiques pour la galerie Paul Rosenberg à Paris. C’est même dans sa propre maison, au 21, rue La Boétie, que s’installe en 1941 « l’infâmant Institut d’Etude des Questions Juives ». Heureusement Rosenberg avait des œuvres à l’étranger, à New York ; les nazis ont fini par s’emparer de celles qui avaient été cachées à Bordeaux ou dans un coffre à la banque. Le pillage des œuvres d’art par l’occupant allemand, aidé de collaborateurs – près de 22000 objets d’art, dans plus de 200 collections privées ! – est un autre chapitre très bien montré à l’exposition, ainsi que tout le travail d’après-guerre pour faire restituer les œuvres à leur propriétaire légal. L’organisation impeccable de Paul Rosenberg a été très précieuse pour permettre cette récupération : chaque œuvre qui passait par sa galerie était photographiée et soigneusement fichée, on peut en voir des exemples à l’exposition. L’itinéraire d’un tableau de Matisse, Profil bleu devant la cheminée, est raconté, étape par étape, depuis sa création à Nice en 1937 jusqu’à son retour dans la famille Rosenberg en 2014 !

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    Anne Sinclair près de son portrait (1952) par Marie Laurencin 

    Anne Sinclair, au début du catalogue, remercie tous ceux qui ont réussi à rendre compte de ce destin de galeriste dans « l’aventure que fut l’art moderne » en rassemblant quelque 60 toiles passées par la galerie de son grand-père, et en particulier Benoît Remiche et Elie Barnavi, commissaires de cette exposition originale et très bien montée, alliant l’art et l’histoire. Celle-ci se termine sur un joli petit portrait d’Anne Sinclair à quatre ans par Marie Laurencin.