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Belgique - Page 31

  • La première

    « Paola est la première souveraine belge à disposer d’un bureau au palais royal de Bruxelles. Elle tient à maintenir une stricte séparation entre le château du Belvédère (qui sert de cadre à sa vie privée) et son rôle public. »

    Vincent Leroy, Les 75 ans de la reine Paola

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  • La robe de la reine

    C’était, c’est encore une des curiosités constantes de ma mère, quand le programme télévisé annonce une actualité royale – voyage, réception, fête nationale ou que sais-je : comment est habillée la reine ? S’ensuit un échange de vues, tout y passe, la coupe, les couleurs, la coiffure, le sac, les chaussures… Aujourd’hui, la famille royale belge est sans doute mieux connue que naguère, elle s’est davantage ouverte aux médias. Place Royale sur RTL, C’est du belge à la RTBF (qui a diffusé un numéro spécial Tables royales étonnant, filmé au Kremlin et à Monaco) ou Royalty sur VTM permettent de davantage se rendre compte de ses activités.

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    La Reine Paola prononce un discours pour les 20 ans de sa fondation (Photo RTBF)

    Quand j’ai reçu récemment Les 75 ans de la reine Paola de Vincent Leroy (Imprimages, 2012), pas du tout mon genre de lecture a priori, je me suis dit : pourquoi pas ? Je ne sais pas grand-chose d’elle. Alors que les discours du roi Albert II sont régulièrement commentés dans la presse (ainsi que l’évolution des dotations), on n’entend guère notre reine s’exprimer, que ce soit dans l’une ou l’autre langue nationale (elle prend des cours de néerlandais depuis l’accession au trône).

    Cette monographie poursuit deux objectifs : d’une part, éclairer la personnalité de Paola Ruffo di Calabria, d’autre part, recenser ses faits et gestes depuis qu’elle est devenue reine des Belges en 1993. J’ignorais que Paola avait des origines belges, elle est notre première reine dans ce cas. Sa grand-mère paternelle, Laure Mosselman du Chenoy, est issue « d’une des plus anciennes familles bruxelloises ». Mais la jeune Italienne épousée par le prince Albert de Belgique en 1959 ne connaissait rien de la Belgique à part Tintin. Elle a porté à son mariage le voile en dentelle de sa grand-mère belge, comme ensuite sa fille Astrid et ses belles-filles Mathilde et Claire.

    Paola était la plus jeune de sept enfants. Les années 40 ont été douloureuses pour sa famille : une sœur décédée d’un empoisonnement alimentaire, un frère tué à la guerre et la mort de son père, qui avait été un as de l’aviation italienne. Sa mère, antifasciste convaincue, a dû se cacher pendant la guerre sous un faux nom.

    Vincent Leroy s’est appuyé sur une abondante bibliographie et fait aussi référence à une émission que j’avais regardée, une occasion rare d’entendre l’épouse du roi, diffusée en 2006 à la télévision : « Paroles de reine ». L’auteur rappelle les difficultés personnelles de Paola à son arrivée en Belgique. Il lui a fallu s’habituer au climat, aux paparazzis et aux contraintes du protocole.

    Il relate bien sûr les étapes de la vie privée du couple royal – rencontre, mariage, naissance des enfants, crise conjugale, réconciliation – et la non reconnaissance de Delphine Boël, fille de la baronne Sybille de Selys Longchamps avec qui le roi a eu une longue liaison. A cinquante ans, Paola disait avoir développé un « fatalisme positif ».

    En succédant à Fabiola il y a vingt ans, elle était au départ desservie par sa méconnaissance du néerlandais et l’image forte de la reine précédente. Avec les années, elle s’est affirmée dans deux domaines : l’art et le patrimoine culturel. La reine Paola a introduit l’art contemporain au Palais Royal : le plafond de Jan Fabre en est la réalisation la plus spectaculaire et la plus connue ; elle y a aussi placé des toiles de Marthe Wéry, des photographies... Mais c’est au château de Laeken que se donnent aujourd’hui les réceptions les plus brillantes, le décor des Serres Royales est évidemment un cadre illustre pour les invités de marque. Paola veille aussi à la restauration et à l’embellissement des demeures et jardins royaux, il lui importe de « mettre la beauté en valeur ».

    Vincent Leroy, auteur de plusieurs ouvrages sur la Belgique, la famille royale et aussi sur Verhaeren, passe rapidement sur les polémiques, sans les gommer pour autant. Comme l’écrit Luc Beyer dans La Semaine d’Anvers, « il déroule le tapis rouge tout en ayant l’honnêteté de ne pas dissimuler les coins effrangés. » Sa chronique résolument factuelle détaille les nombreuses œuvres sociales de la reine, présente sa Fondation en faveur des jeunes en difficulté et de l’enseignement, son engagement contre la traite des êtres humains et la maltraitance. Elle est présidente d’honneur de Child Focus, entre autres, créé à la suite de l’affaire Dutroux.

    Des 75 ans de la reine Paola se dégage la personnalité d’une reine plutôt discrète, qui a du mal à cacher son émotivité – on lui prête un caractère entier –, pour autant qu’on puisse connaître quelqu’un qui est toujours et partout en représentation. Comme mère, elle est surtout proche de sa fille Astrid. Derrière son image élégante, cette grand-mère de nombreux petits-enfants dit avoir fait sa devise d’un conseil reçu : « accepter ce que la vie quotidienne te demande ».

  • De l'une à l'autre

    – Regarde, me dit ma grand-mère.
    Elle retira les boucles d’oreilles en diamants qu’elle ne quittait jamais et me les mit.
    – C’est ainsi que j’ai donné le collier de ma mère à ta mère. Les bijoux doivent passer d’une femme à l’autre. Il faut qu’on les porte. Les goyim les mettent dans des coffres-forts et ils portent l’imitation : ça ôte l’âme aux pierres. Un jour tu retireras une bague de ton doigt et tu la passeras au doigt de ta fille, toute chaude encore de toi. On ne donne pas un objet : on se donne. 

    Jacqueline Harpman, La plage d’Ostende

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    Agapit Stevens, Elégante au collier de perles

     

     


     

  • Aimer d'un regard

    Jacqueline Harpman me réenchante à chaque relecture de La plage d’Ostende (1991) – pour moi, son chef-d’œuvre. Si vous êtes d’humeur mélancolique, ouvrez ce roman tonique, passionné, allègre, il vous remettra d’aplomb. L’histoire d’amour, belle et féroce, d'Emilienne Balthus, une Iseut d’une telle fougue qu’elle vous entraîne dans son sillage. Dans le rôle de Tristan, un homme qui ne se donne tout entier qu’à la peinture, Léopold Wiesbeck. 

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    Spilliaert, Bateau au bassin d'Ostende 

    L’incipit est fameux, l’annonce on ne peut plus directe : à onze ans, lorsque Emilienne voit pour la première fois le jeune peintre de vingt-cinq ans, elle sait, elle décide qu’il lui appartiendra. « C’était le soleil sur l’eau, un diamant dans la lumière, la beauté elle-même qui me regardait sans me voir. Je lus ma vie sur son visage. Il avait les yeux gris comme un lac l’hiver, quand tout est glacé, les cheveux noirs et frisés, et ce teint pâle, cette blancheur laiteuse qui n’appartiennent qu’aux héros choisis par le destin. »

    Mme van Aalter, la protectrice des arts, sait déjà que « le petit Wiesbeck » sera un grand peintre. Elle partage avec la mère d’Emilienne le goût des parures (bijoux, écharpes) et de la conversation mondaine. La petite se tait, écoute, observe, rêve. De retour dans sa chambre, elle s’examine pour la première fois dans un miroir et s’aperçoit, ravie, que ses yeux sont « du même gris tourterelle que ceux de Léopold ».

    Enfant unique et petite fille modèle, Emilienne quitte d’un coup l’enfance. Elle veut tout savoir des couleurs, de la peinture, grandir, apprendre. Elle sait qu’elle est trop jeune, qu’il lui faudra attendre. Alors elle s’exerce à l’hypocrisie, au mensonge, joue la comédie aussi bien à ses parents qu’à sa grand-mère, et habitue Wiesbeck à sa présence silencieuse à son côté – « Tu fais donc de toi le page du peintre ? » observe quelqu’un.

    Lui loue avec deux amis un atelier d’artiste à Molenbeek. Quand ses parents et elle s’y rendent la première fois, Emilienne enregistre « le thé dans des tasses de fine porcelaine », les fauteuils usés, la peinture sur le plancher. Laurette Olivier apparaît, venant du petit appartement annexe, la fillette comprend tout de suite qu’elle est la maîtresse de Wiesbeck. Celui-ci bouge peu, ne parle guère. « Je ne sais quelle intuition me dicta alors que je serais comme lui et que j’aurais un geste rare qui se déploierait largement. »

    Quel défi ! « Il fallait être aimée par un homme qui ne me verrait pas avant des années et pour cela empêcher qu’il fût aveuglé par d’autres femmes. » Après la guerre, ses parents visitent « une grande maison au bord du lac de Genval », quelque chose se passe entre cette maison et Emilienne, contre la tendance de sa mère à trop remplir l’espace, insistera pour « que les grandes pièces claires restassent dénudées, avec des planchers nus bien cirés, des rideaux de voile blanc et des tables de bois sombre. » Ils y passeront les week-ends, « et bientôt c’est là qu’eut lieu la cérémonie du thé. »

    Le premier dimanche où Léopold Wiesbeck y vient, il est séduit : « Je voudrais passer quelques jours ici, dit-il tout à coup à mon père. » La lumière de cette maison l’intéresse et on décide de la lui laisser pour le mois de juillet, qu’Emilienne passe avec ses parents à la mer du Nord.

    Obnubilée par la « captation de Léopold », la jeune fille choisit dorénavant les couleurs et les vêtements qu’elle porte, travaille à être belle, s’exerce à dessiner près du lac de Genval. Après Laurette, il y aura Georgette éprise de Wiesbeck, mais elle aussi passera à l’arrière-plan quand Mme van Aalter, soucieuse de procurer à son protégé une situation favorable, lui trouve une épouse fortunée, Blandine. Emilienne la redoute moins que les autres : « condamnée à attendre jour après jour pendant des années, il me sembla que ce mariage me servirait en mettant Léopold à l’écart des passions. »

    Le premier véritable échange entre Wiesbeck et elle se produit à la mer du Nord, un hiver si froid que la mer a gelé ; comme cela n’arrive qu’une ou deux fois par siècle, tous se rendent à Ostende pour le spectacle. Le peintre est fasciné, refuse de rentrer avec les autres malgré le froid : « La plage était presque blanche sous le faible soleil, le sable et la neige se confondaient » – il lui « faut » ces couleurs. Emilienne se souvient alors d’un droguiste, chez qui ils achètent des tubes de couleur, deux planches à pain, un pinceau. Puis ils retournent à la digue et elle aide le peintre à trouver le mélange de noir et de blanc « pour obtenir la nuance exacte d’un nuage ». Il est surpris de ses conseils judicieux, bientôt il ne pourra plus se passer d’elle.

    « La plage d’Ostende », la toile éponyme, c’est à Genval que Léopold Wiesbeck la peint plus tard, lors d’un nouveau séjour. Emilienne a quinze ans, elle dénoue sa tresse avant d’entrer dans la chambre d’angle où Léopold a son chevalet : « Je portais une jupe beige pâle et un chandail couleur de perle éteinte : j’avais les couleurs mêmes de son tableau, de son âme, de sa vie. Il me vit. Pour la première fois, il me regarda et me vit. » Léopold vient à elle et toute son existence se joue, c’est ce jour-là qu’elle devient sa maîtresse, en secret. La jeune Emilienne a son amant, Blandine attrape la grippe.

    « Ce n’est pas la vie. C’est le roman en toute liberté. » (J. H.) Lisez La plage d’Ostende pour cette histoire d’amour fou, pour ces couleurs, ces paysages, pour cette héroïne tendue vers un seul but : aimer l’homme qui l’habite. Tout le roman  Du côté d'Ostende y reviendra sous un autre angle quinze ans plus tard  se résume à cela, rythmé, introspectif. Jacqueline Harpman, qui s’est enthousiasmée pour Racine et pour Stendhal à l’adolescence, était aussi psychanalyste. Pourquoi écrire ? « Jouir de la langue. Jouir des mots. J’y tiens. J’adore la langue française, j’ai envie de la servir. Je voudrais être plus modeste mais l’écriture de la langue est au centre de mes préoccupations. » (J. H.)

    « De la race des maîtresses », Emilienne Balthus s’accommodera de l’épouse, se méfiera des rivales, comprendra qu’elle aussi « a besoin » d’un mari, par convenance, et vivra sa vraie vie hors de toute convention. Les obstacles ne manqueront pas, ni les pièges, ni les combats. Longtemps après, Emilienne écrira leur histoire : « Ich Tristan. Du Isolde. » Cynique et magnifique.

     * * *

    Bonne et heureuse année 2013,
    riche de lectures et d’échanges,
    de balades et de culture,
    d’école buissonnière.
    Au plaisir d’y cheminer ensemble.

    Tania

  • Arrière-pensée

    L’exposition d’une collection privée belge au musée d’Ixelles ne se visite pas sans arrière-pensée : Bruxelles a perdu son Musée d’art moderne, fermé depuis février 2011. De nouveaux espaces avaient été aménagés pour les collections du XXe siècle des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique autour du grand puits de lumière de Roger Bastin en 1984. Pour moi, ce fut un pas décisif qui m’a ouvert les yeux sur l’art moderne. 

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    http://museesansmusee.wordpress.com/musee-sans-musee/

    Des travaux en cours dans ce bâtiment devrait émerger en mai prochain un Musée « Fin de siècle », dans l’esprit du Musée Magritte (ouvert à côté en juin 2009). La fin du XIXe siècle et son foisonnement artistique constituent une période richement représentée dans les collections des MRBAB. On se souvient de la belle exposition « Paris-Bruxelles / Bruxelles-Paris » en 1997 au Grand Palais à Paris puis au Musée des Beaux-Arts de Gand, qui avait montré les enjeux passionnants de cette époque de l’art. 

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    ©  Marie-Françoise Plissart pour MuséesansMusée

    Mais où verrons-nous, quand reverrons-nous les arts plastiques de 1914 à 2012 ? Combien de temps tout un siècle de création va-t-il demeurer dans l’ombre ? Aucun lieu n’a même encore été fixé. Le blog bilingue « Musée sans Musée / Museum zonder museum » suit l’actualité de ce scandale avec vigilance et inquiétude. Les Amis des Musées, les visiteurs bruxellois, belges et étrangers ne cessent de le réclamer : nous voulons revoir les collections publiques du XXe siècle, nous voulons un musée d’art moderne à Bruxelles.