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études - Page 6

  • L'artiste

    « Isherwood l’artiste était un ascète austère, retranché du monde, exilé volontaire, reclus. Même ses meilleurs amis ne le comprenaient pas totalement. Il se tenait à l’écart et au-dessus du « Test »… parce que le Test était pour le vulgum pecus, ne s’appliquait qu’au monde de la vie quotidienne. Isherwood refusait le Test, non par faiblesse ni par lâcheté, mais parce qu’il était assujetti chaque jour, chaque heure à son « Test » à lui : celui qu’il s’imposait, le Test de son intégrité d’écrivain. Ce Test était autrement plus dur et angoissant que l’autre, parce qu’il fallait maintenir un secret absolu : en cas de réussite, pas d’applaudissements ; en cas d’échec, personne pour le consoler. »

    Christopher Isherwood, Le lion et son ombre 

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    Isherwood à Cambridge, 1923
    (Photo The New York Times)



  • Isherwood l'apprenti

    Le lion et son ombre – Une éducation dans les années 1920 (Lions and Shadows, 1968, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat) n’est pas une autobiographie ordinaire, Christopher Isherwood (1904-1986) nous invite à la lire « comme un roman ». Les personnages inspirés de ses rencontres réelles y portent d’ailleurs des noms « fictifs et caricaturaux ». 

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    Couverture : C. Isherwood et W. H. Auden, 1938 © Popperfoto / Getty Images

    Le récit commence avec la figure marquante de son apprentissage à la public school : Mr Holmes, petit homme d’âge mûr au « pédantisme plaisant », qui recherchait constamment l’effet pour arracher ses élèves à leur conservatisme et à leurs « préjugés de collégiens ».

    Isherwood vise une bourse d’histoire à Cambridge, comme Chalmers, un an de plus que lui et poète publié dans le magazine de l’école, d’une « beauté frappante ». Ils deviennent amis. « Les étudiants font toujours la paire, comme les oiseaux. » Isherwood admire la façon dont Chalmers rejette toutes les conventions, alors que lui s’adapte à tout.

    Holmes insiste sur l’art de la dissertation : « il n’y avait qu’à étinceler et épater ». Si l’on sait en plus rester calme et distingué à l’oral, le succès sera au rendez-vous. En août 1922, le professeur organise une randonnée dans les Alpes françaises. Chalmers rejoint leur groupe, il est en France depuis un an et à présent subjugué par Baudelaire.

    Pendant le dernier trimestre à l’école préparatoire, Isherwood lit les lettres de Chalmers déjà à Cambridge, qu’il décrit comme un « enfer insidieux ». Grâce à Holmes, Isherwood décroche une bourse de quatre-vingts livres. Invité à déjeuner chez son mentor, il lui confie son désir de devenir écrivain et sa préférence pour l’anglais par rapport à l’histoire.

    Au Collège, on lui attribue une grande pièce froide au-dessus de la chambre douillette de Chalmers. Ensemble ils observent la « Chicocratie », mot de Chalmers pour désigner les cercles mondains où évoluent les types « bons » ou « chic ». Excentrique, il s’en tient à distance, Isherwood au contraire aime « cultiver son côté social ».

    Très vite, il désire changer de voie, mais son directeur d’études s’y oppose et le rappelle à ses devoirs de boursier. Au cours, il préfère observer le décor que prendre des notes. Aussi passe-t-il son temps dans les librairies, les salons de thé, au squash, au cinéma, ou à s’amuser avec Chalmers. « Nous étions l’un pour l’autre le public idéal : rien ne se perdait entre nous, pas même la plus légère des insinuations ni la plus subtile nuance de sens. »

    Les deux amis s’inventent des figures et des lieux imaginaires, partagent une « excitation mentale extrême ». Chalmers l’initie à la poésie, à l’alcool. Isherwood commence « Le lion et son ombre », un roman d’apprentissage « malin, joli, adroit, baroque », bourré de romantisme homosexuel, dont ils se moquent ensemble.

    A l’approche des examens, c’est la panique, mais grâce aux conseils de Holmes, il obtient un « Bien » en dissertation. Isherwood commence à tenir un Journal et compose un nouvel autoportrait d’« Isherwood l’Artiste », son double idéal. Pendant sa deuxième année à Cambridge, Chalmers et lui improvisent à tout bout de champ sur « l’Autre Ville », baptisée « Mortmere », leur monde imaginaire.

    Stimulé par un cours sur la poésie moderne, Isherwood se lance dans un nouveau roman, « Le lion et son ombre » ayant été condamné à mort par une romancière, vieille amie de la famille, à qui il l’a fait lire. Quand les examens approchent, le « Très Bien » est hors de portée et puis il n’a pas envie d’enseigner à son tour : il se fait renvoyer et retrouve son indépendance.

    Le lion et son ombre suit avec humour et sensibilité l’apprenti romancier dans ses tours et détours, ses études, ses rencontres, ses débuts, ses séjours au bord de la mer, ses expériences comme secrétaire particulier de Cheuret, violoniste qui dirige un quatuor à cordes, puis comme précepteur. Comment trouver sa place dans « l’ordre social » et écrire quelque chose qui vaille la peine ?

    Chalmers et Philip lui inspirent les héros de son premier roman publié en 1928, Tous les conspirateurs, mal accueilli par la critique. Chaque fois que l’occasion s’en présente, Isherwood s’évade avec l’un ou l’autre, mais « il faut toujours rentrer ». Réussira-t-il jamais « le Test » ? Arrivera-t-il à prendre sa vie en main, malgré sa frousse des liens trop poussés avec d’autres, du sexe, de l’avenir ? En mars 1929, il part rejoindre un ami à Berlin, « heureux de savoir simplement qu’une nouvelle étape de (son) voyage avait commencé. »

  • Le même bateau

    « J’aime cette communauté africaine qui m’apporte déjà tant sans même le soupçonner. Elle m’a tenu compagnie sans même s’en rendre compte. Ses us et coutumes m’occupent et m’enrichissent l’esprit alors que j’ai besoin d’évasion. Elle m’a empêché de sombrer. Et désormais, j’en fais partie au même titre que les autres. On est tous dans le même bateau. Ce navire migratoire qui laisse parfois l’impression d’être quelque peu à la dérive et qui cherche encore son capitaine. Mais la garde maritime se montre d’une grande intransigeance. »

     

    Patrick François, La dernière larme du lac Kivu

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    Le festival annuel de Matonge

     

     

  • Un Haïtien à Matongé

    Matongé, pour ceux qui ne connaissent pas Bruxelles, c’est le quartier « congolais » de la commune d’Ixelles, près de la Porte de Namur. Un jeune Haïtien, Calixte, y débarque, à dix-neuf ans, dans le premier roman de Patrick François, La dernière larme du lac Kivu (2011). L’auteur s’est réfugié en Belgique en 1992 à la suite du coup d’Etat militaire en Haïti – son personnage et lui ont le même âge dans ce récit d’inspiration autobiographique dédié à sa famille et en premier à sa mère, « l’héroïne » de sa vie.

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    Reproduction sur bâche de l’œuvre de Chéri Samba à la Porte de Namur

    C’est sous un abribus de la Porte de Namur que Calixte, en proie au mal du pays, se fait apostropher un jour par un jeune Congolais, Michaël Nzambi, Mike, qui se présente comme un chef qui a une mission, punir, et comme un animal possédé par « la haine ». Calixte, toujours intéressé par « l’histoire de l’autre », écoute ce « fils adoptif » du lac Kivu qui « avale les vies humaines comme ce n’est pas permis ». Celui-ci aime la Belgique mais lui reproche d’accueillir les Africains sans vraiment les accepter – au moins, admet-il, on ne risque pas de s'y faire fusiller.

    Soudain MikeNike, comme on le surnomme, se jette sur un jeune homme et déclenche une bagarre. Calixte prend la fuite : il n’est pas venu en Europe pour la violence ni la délinquance, il a de trop rudes souvenirs de Port-au-Prince en tête – « J’en ai assez de la haine des hommes ! » Le jeune Haïtien ne peut admettre le comportement de Mike, il y a trop de sang, trop d’uniformes dans les images qu’il a emportées avec lui – « C’est cela, l’histoire récente de mon pays : une oscillation entre le mal et le pire. » Ce que le Congolais lui a raconté du lac Kivu lui rappelle la milice haïtienne porteuse de mort. Quand il décrit à sa mère restée au pays, dans une cassette, le jeune chef de bande, « démon au visage d’ange », Calixte reçoit un conseil en retour : « Ne le fréquente jamais. »

     

    Mais son chemin croise souvent celui de Mike à Matongé, où le chef du gang des Léopards – le même nom que l’ancienne armée de Duvalier et que Mobutu ! – est bien connu des amateurs de bagarres. Un quartier paisible loin des vols et des pillages, qui sont une offense à la fierté des Noirs, voilà le rêve de Calixte. Mike est aveuglé par sa haine des « Mindélés » (les « blancs » en lingala). Il est le seul rescapé de sa famille, massacrée à Kigali. « Et moi, Calixte, fils d’Haïti, fils de la savane désolée, fils des lataniers maudits dont les écrits sont des cris, dans la forêt de la négation de soi et la négation d’autrui, je cherche la sérénité ; une spiritualité, une réflexion qui traîne la sensibilité vers soi. »


    Pour être reconnu comme réfugié, Calixte a dû raconter au Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides son passé de militant étudiant, la mort de ses camarades. En quittant son pays, la mort dans l’âme, il a laissé sa famille derrière lui et aussi ses souvenirs amoureux. « Calixte, mon fils, reste vrai, reste toi-même, et souviens-toi du sens de la dignité qu’on t’a enseigné » : les paroles de sa mère sont gravées dans le cœur de ce jeune de dix-neuf ans qui a dû dire adieu aux Antilles et a découvert, à la faveur de l’été, un pays « formidablement ordonné », propre et prospère. Il y vit dans « un luxe minimal » (une eau limpide à la disposition de tous suffit à le culpabiliser), bien décidé à « ne pas oublier d’agir ». En se promenant dans le vieux Bruxelles, il rêve de regagner un jour Haïti pour y faire changer les choses – « Tout est à faire là-bas. »

     

    A Matongé, n’importe quel Noir est pris pour un Congolais, surtout par les Belges. Mais Calixte lui-même s’est mépris sur la nationalité d’un passant qui lui demandait d’où il venait, originaire de Guadeloupe. Tous pareils et différents. Il apprécie son minuscule appartement ixellois « bien équipé, clair, propre et neuf ». Quel contraste avec la riche maison bourgeoise de Karl, le fils d’un proche de Mobutu, né à Bruxelles, dont le salon est ouvert à tous les basketteurs. Calixte s’est fait un autre ami, à l’opposé, le grand et pauvre Antony, un métis  mal dans sa peau avec qui il découvre les tournois de basket de la place René Chalon.


    Dès le début, le jeune Haïtien a pris plaisir à marcher au hasard dans les rues, à découvrir la ville, à prendre les transports en commun. Antony, très doué comme basketteur, l’accompagne souvent et lui confie son propre rêve en trois lettres : « USA ». C’est Antony qui l’a emmené chez Karl la première fois, les amitiés se nouent rapidement à Matongé, mais à Calixte, elles semblent parfois superficielles.


    La dernière larme du lac Kivu évoque la vie quotidienne d’un jeune réfugié en Belgique – amitiés, musique, sorties, contrôles policiers, angoisses, souvenirs. Calixte ne cesse de réfléchir sur ce qu’il voit, sur ce qu’il ressent, sur ce qu’il trouve juste ou pas. Quand il rentre chez lui, il écrit, il compose des vers. Les nuits sont chaudes à Matongé et les occasions de se perdre ne manquent pas, drogue, bagarres, délinquance. Les jeunes s’y forgent des destins différents : Mike ira en prison, Karl retournera au Congo, Antony obtiendra une bourse, Calixte mènera à bien ses études universitaires.


    Patrick François réussit à nous faire découvrir à notre tour Matongé de l’intérieur, un quartier qu’on ne cite trop souvent dans la presse belge que pour ses faits divers ou ses émeutes. On y entre dans les salons de coiffure, dans les discothèques, on suit du regard les silhouettes de jeunes beautés inaccessibles, des frimeurs et des laissés-pour-compte. On écoute rumeurs et potins, confidences et douleurs. On entend surtout la voix d’un homme jeune, à l’accent créole, curieux des autres, compréhensif et déterminé.

  • Mademoiselle Fa / 1

    Etudiante en Chine  

    « Son enfance, on la subit ; sa jeunesse, on la décide. » C’est par cette belle phrase que Fabienne Verdier entreprend de raconter, dans Passagère du silence (2003), son étonnant parcours pour apprendre la calligraphie en Chine, dans les années 1980. Six années d’études dans des conditions très difficiles, mais comme elle l’écrit à propos de « la terrifiante beauté d’un bonzaï ou d’un vieux pin sur les récifs en bord de mer », « quel sacrifice a-t-il dû accepter pour pousser ainsi ? » Il y a tant de choses passionnantes dans cette immersion chinoise, dans la rencontre avec les maîtres calligraphes qu’elle séduit par la force de son caractère et sa persévérance, que j’en rendrai compte, exceptionnellement, en deux étapes.

    A seize ans, elle annonce qu’elle veut se consacrer à la peinture. L’aînée de cinq enfants, elle quitte sa mère qui les a élevés seule pour retrouver son père dans une ferme. Cet excellent dessinateur la traite en « apprentie peintre – ouvrier agricole ». A l’école des Beaux-Arts de Toulouse, l’enseignement la déçoit : « On n’étudiait plus les maîtres, il n’existait plus de modèles sur lesquels s’appuyer ». Comment se former par la seule injonction de « s’exprimer » ? Mise à la porte d’un cours où elle s’ennuie, elle trouve au musée d’Histoire naturelle des animaux à dessiner – « et curieusement, la passion du vivant qui m’anime est née là, dans ce cloître du réel empaillé. »

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    Un seul cours l’intéresse vraiment, la calligraphie. Elle copie des maximes - « Toute beauté est joie qui demeure » (Keats). Poussée par son professeur vers l’art asiatique, elle lit François Cheng, est éblouie par Hokusai, et décide d’apprendre le chinois - « une passion était née. » Elle ne peut en rester là, veut aller en Chine et parvient à partir, à vingt ans, dans le cadre d’un échange d’étudiants. Dans ses bagages, Les Propos sur la peinture du moine Citrouille amère de Shitao.

    L’avion fait escale au Pakistan et c’est le choc de l’Asie : dans l’aéroport, des nuées de mendiants s’accrochent à l’Européenne, qui s’évanouit. Revenue à elle, Fabienne Verdier se retrouve avec des joueurs de hockey rentrés par le même vol. Comme ils ne veulent pas la lâcher, elle comprend vite qu’il vaut mieux coucher avec un seul pour éviter le viol collectif. Le lendemain, elle parvient à se faire conduire à l’ambassade, mal en point. Vu son retard, il n’y aura personne pour l’accueillir à Pékin où on s’étonne qu’elle ait choisi au Sichuan l’école des beaux-arts « la plus reculée de la Chine » ! Elle-même avouera : « Je ne sais pas ce qui m’a fait tenir, sans doute mes aventures cocasses et incroyables, la découverte d’une nature humaine inconnue et d’un monde inimaginable. »

    A Chongqing, elle découvre l’université avec « la camarade du Parti », son interprète. Aucune initiative ne lui est permise. On lui a réservé une pièce dans le bâtiment administratif : un lit, une bassine, un bureau. Pas d’eau : on lui en apporte tous les jours. Réveil à cinq heures et demie. Toilettes collectives, une tranchée pour les hommes, une autre pour les femmes, au-dessus de laquelle on s’accroupit. Plus agréable, l’heure de sieste octroyée après le déjeuner. L’enseignement artistique se donne dans une atmosphère studieuse, mais ne sort guère du réalisme socialiste. La grande peinture des lettrés est rejetée, jugée décadente. Au cours de gravure sur bois, elle s’imprègne du moins des légendes populaires.

    Après six mois, la Française déprimée découvre qu’un avis interdit aux étudiants de la déranger. Elle s’en plaint et obtient d’être traitée comme les autres, à ses risques et périls (plus de repas de faveur). Ainsi enfin elle crée des liens, découvre une maison de thé : « il suffisait de tourner dans une ruelle puis une autre et encore une, de dévaler quelques escaliers, pour se retrouver dans une autre Chine. » La maison est crasseuse, mais en dessinant dans son carnet le visage d’un vieillard en train de jouer, qui se reconnaît, elle brise la méfiance - « L’artiste, en Chine, possède un statut unique car l’art est supposé traduire la vérité d’un esprit, sans faux-semblant. »

    Son premier objectif est de maîtriser la calligraphie « car celle-ci contient tous les traits utilisés par la suite dans le paysage et autres sujets. » Mais la technique ne suffit pas, il lui faut s’imprégner de pensée chinoise, dans la façon d’être et de vivre. Lassée de l’université où on ne parle que la peinture occidentale et des arts populaires chinois, elle trouve enfin un jeune chercheur « fou de calligraphie » qui devient un ami. Il lui confie qu’il ne reste que deux vieux maîtres à l’Institut, qui n’ont plus enseigné depuis la Révolution culturelle, et elle se met à leur recherche.

    Le maître Huang Yuan vit dans la misère. Elle le trouve sympathique « avec sa vieille veste usée », en train de donner à manger à son oiseau. Mais il ne veut plus enseigner, lui dit-il. Alors pendant six mois, tous les soirs, elle dépose devant sa porte un rouleau de feuilles calligraphiées. Elle s’achète un mainate qu’elle laisse voler librement dans sa cellule. C’est lui qui accueillera d’un « Entrez, idiot, entrez ! » le maître qui lui ramène un jour ses rouleaux de papier. Il la prévient que ce sera dix ans d’apprentissage ou rien !

    Mademoiselle Fa, l’étudiante calligraphe, est désormais conviée aux réjouissances populaires, comme la fête du balayage des tombes. Mais en assistant à une crémation, dans une mécanique infernale où chaque mort n’est qu’un numéro, elle constate l’inhumanité, qu’engendre la surpopulation, « cancer de la société ». Atteinte ensuite d’une mauvaise hépatite, elle doit passer plusieurs mois à l’hôpital, incapable de s’alimenter. Un breuvage traditionnel l’aide à guérir et elle obtient un petit réchaud électrique pour cuire fruits et légumes, privilège rare. Elle souffre aussi de son amour impossible pour l’étudiant calligraphe, fiancé par ailleurs, et qui met fin à leur liaison clandestine.

    De très belles pages de Passagère du silence relatent les voyages de Fabienne Verdier au cours de ses études. A Chengdu, ville ancienne, elle se serait bien installée si elle était restée en Chine. Au Tibet, elle découvre l’air vif et stimulant des hauts plateaux où « l’âme s’envolait, tels les drapeaux de prières, vers le ciel ». Dans la province du Guizhou, elle s’émerveille des splendides vêtements des Miao ; chez les Yi, dont la langue comprend six dialectes et l’écriture un millier de caractères ravissants, elle perçoit le poids de l’envahissante culture chinoise moderne et s’entend dire : « Rentrez chez vous et racontez ce qui nous arrive, ce qui se passe ici. Il n’y a plus de culture yi, on n’a plus le droit de parler yi, on ne peut plus penser yi. On n’a plus le droit d’être yi. »