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Peinture - Page 72

  • Peintres de Sienne

    Prolongée jusqu’au 25 janvier, l’exposition « Peinture de Sienne. Ars narrandi dans l’Europe gothique », plus discrète que celle consacrée à Rubens et ses héritiers, continue à accueillir de nombreux visiteurs au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar).  

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    Dietisalvi di Speme, La Vierge à L'Enfant en majesté entourée de deux anges, 1262, 142 x 100 cm, Siena, Pinacoteca Nazionale

    Marie, Jésus, les saints, le sujet de ces peintures du XIIIe au XVe siècle est bien sûr religieux, mais aujourd’hui, elles nous offrent surtout une belle occasion de découvrir un art de la représentation et de la narration raffiné, délicat, qui évolue peu à peu de la raideur des icônes vers une approche plus humaine et du récit biblique vers le portrait et même le paysage.

    A l’entrée, les deux Vierges dites « Hodegetria » (dans la tradition byzantine, Vierge qui désigne l’enfant Jésus bénissant) comptent parmi les plus anciens panneaux conservés à la Pinacoteca Nazionale de Sienne. La Vierge de Dietisalvi di Speme (1262, ci-dessus) nous regarde mais le mouvement de sa main aux très longs doigts attire l’attention vers Jésus.  

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    Famille Memmi, Vierge à l’Enfant en majesté avec un donateur, 1310-1320

    Marie était la sainte patronne de Sienne. On est frappé par la richesse de ces peintures siennoises, pas seulement à cause de l’or dont se servent en abondance les peintres, mais par la finesse des détails, les plis des vêtements, le soin du décor. Et les couleurs ! La Vierge à l’Enfant en majesté avec un donateur (Famille Memmi, 1310-1320) porte sur sa robe rouge un long manteau d’un bleu remarquable, quant au donateur, il se niche en bas, tout petit. 

    En observant les peintures racontant la vie de la Vierge, on découvre aussi Sienne, les intérieurs, l’architecture. D’une salle à l’autre – les œuvres sont présentées chacune dans un écrin de lumière qui accentue leur caractère précieux, en contraste avec la pénombre où passent les visiteurs – on remarque que les visages sont de plus en plus individualisés, humanisés, même si les postures correspondent aux codes de la représentation religieuse. Après les peintures mariales viennent des scènes de la vie de Jésus, de sa naissance à la Passion.  

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    Sano di Pietro, L'annonce aux bergers, 1450

    L’Adoration des bergers et l’Adoration des mages de Taddeo di Barto, côte à côte, montrent en gros plan la crèche dans une grotte, avec ses personnages traditionnels, sans oublier le bœuf et l’âne, l’étoile, en toute simplicité, tandis que Sano di Pietro montre L’Annonce aux bergers (1450, ci-dessus) dans un paysage de collines. Près de l’enclos où se pressent des moutons blancs et noirs, à l’écart d’un village, deux bergers et leur chien lèvent les yeux vers l’ange rouge aux ailes roses qui descend du ciel un rameau à la main.

    Une seule sculpture dans l’exposition : un Enfant Jésus bénissant de Francesco di Valdambrino. Ce genre de sculpture était placé sur l’autel pendant les célébrations de Noël. L’Institution de l’eucharistie, une peinture de Stefano di Giovanni, présente la Cène dans une salle voûtée (trois arcs, deux piliers). En haut des murs, des fenêtres en demi-lune laissent voir de fins feuillages au dehors.

    La Crucifixion a inspiré bien des peintres. Ugolino di Nerio en offre une très belle représentation sur fond rouge or : la Vierge et Saint Jean se tiennent de part et d’autre de la croix, Saint François d’Assise baise les pieds ensanglantés du Christ. De grandes fresques illustrent la Résurrection – fascinant Christ pâle debout, vêtu de blanc, à la sortie du tombeau (Pietro Lorenzetti) – et aussi le Jugement dernier. 

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    Giovanni di Paolo di Grazia, Le Jugement dernier, Le Paradis, L'Enfer (détail), 1460-1465, 42 x 253 cm, Siena, Pinacoteca Nazionale

    Giovanni di Paolo a peint au centre un Christ glorieux auréolé d’or, au-dessus des tombes d’où sortent les ressuscités pour aller vers la gauche dans un paradis verdoyant où tout le monde s’embrasse et où des petits lapins gambadent entre les fleurs, ou vers la droite en enfer, là où dragons et démons s’emparent des condamnés.

    La dernière partie de l’exposition montre des saints et saintes vénérés à Sienne. Ici Saint Michel en armure terrassant le dragon, là des portraits plus sobres. Catherine de Sienne, qui vers 1450 a remplacé Catherine d’Alexandrie dans le cœur des Siennois, est représentée avec ses attributs : le livre, symbole de sa sagesse et de ses écrits, et le lys, symbole de pureté. J’ai admiré aussi cette Sainte Agathe.

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    Pietro Lorenzetti, Sainte Agathe, 1320-1329, Musée de Tessé, Le Mans

    Le Guide du visiteur vous en dira davantage. Je suis heureuse d’avoir vu cette exposition qui m’avait été recommandée par un connaisseur. Pour qui se tourne plus aisément vers la peinture moderne, il y a là de la beauté et de l’art auxquels on ne peut rester insensible. J’ai peu parlé des couleurs, pourtant ce sont elles qui m’ont portée d’une œuvre à l’autre – vous verrez si vous avez l’occasion de vous rendre à Bozar, il vous reste quinze jours.

  • L'oeil du désir

    Rubens Venus Frigida.jpg« Avez-vous déchiffré le titre de notre récit mythologique, Venus frigida. Frigide, la déesse de l’amour, non pas. Venus frigida, c’est la Vénus venue des rives de la mer Méditerranée et qui frissonne et prend froid dans les plaines du Nord. Le vent décoiffe les branches des arbres, noie le ciel de pluie. La belle Vénus ployée, surprise par l’arrivée d’un être mi-homme, mi-bête, médite, la bouche songeuse appuyée sur la main, le regard détourné, fuyant, elle échafaude quelque ruse pour échapper au piège qui lui est tendu.

     

    Songez, notre scène ne vous est-elle pas familière, mille fois vue, partout, au musée, au cinéma, sur les affiches de publicité ? Une femme à la nudité savamment dévoilée se retrouve passivement saisie sous l’œil désirant d’un homme. « Suzanne et les vieillards », « Femme à sa toilette », « Pan et le Syrinx », des générations de peintres ont repris ce thème… Le cadrage demeure identique depuis des siècles, depuis des millénaires. C’est l’homme qui regarde, c’est la femme qui est vue. L’œil du désir est un privilège masculin. »

     

    Lydia Flem, L’œil du désir (Prose pour P. P. Rubens / Guide du visiteur)

     

    « Sensation et sensualité, Rubens et son héritage », Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 25.09.2014 > 04.01.2015

     

    Peter Paul Rubens, Venus Frigida, 1614 © Lukas - Art in Flanders VZW / Royal Museum of Fine Arts Antwerp

    photo Hugo Maertens.

     

     

     

     

     

  • Inspiré par Rubens

    « Sensation et sensualité, Rubens et son héritage » : il y a foule au Palais des Beaux-Arts pour cette exposition riche d’œuvres en provenance du monde entier, organisée avec le Musée des Beaux-Arts d’Anvers et la Royal Academy Of Arts de Londres. Pas de présentation chronologique, mais autour d’une belle sélection d’œuvres de Rubens, son héritage artistique, en six thèmes : violence, pouvoir, luxure (ci-dessous un détail de Pan et Syrinx en couverture du catalogue), compassion, élégance et poésie. 

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    Pourquoi, comment Rubens (1577-1640) a-t-il influencé tant de peintres ? Voilà le sujet. De nombreux artistes français, allemands, espagnols, anglais, se sont inspirés de son art. Les œuvres exposées permettent d’observer comment ils reprennent et interprètent ce qui les a séduits chez le grand maître flamand. Pour découvrir ce parcours thématique, je vous renvoie au dossier de presse et au guide du visiteur (GV) sur le site de Bozar. Devant la surabondance, je renonce à toute synthèse.

     

    Pour ma part, j’ai envie de vous parler d’un tableau qui m’a particulièrement plu parmi les « héritiers » de Rubens, dans la dernière section : La pêche de Manet (1862-63), un prêt du Metropolitan Museum de New York. C’est un paysage « animé » comme on dit pour signifier qu’il s’y trouve des personnages. Des pêcheurs, forcément : un gamin assis sur la rive, attend que le poisson morde à l’hameçon ; dans une barque, un homme tire ses filets à l’avant ; son passager au chapeau de paille, accoudé à l’arrière, observe la manœuvre d’un jeune homme armé d’une gaffe.

     

    Inattendu, à l’avant-plan, un couple aux vêtements anciens et raffinés, éclairés d’élégants cols blancs, elle en bleu, lui en rouge. Leur chien, un chien de chasse « qui semble sorti tout droit du XVIIe siècle » (GV) observe ce qui se passe sur l’eau, au milieu de la toile. Le couple, lui, tourne le dos à cette scène aquatique et fait face au spectateur, mais en regardant de côté vers le chien, l’homme pointe le doigt dans sa direction.  

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    Edouard Manet, La pêche, 1862-63, New York, The Metropolitan Museum of Art

    La datation du tableau est incertaine. Le catalogue Manet de la fondation Pierre Gianadda (1996) cite en premier Antonin Proust selon qui « La promenade » (titre de l’étude correspondante) aurait été peinte entre 1858 et 1860 ; puis Léon Leenhoff (modèle du jeune garçon), qui y a reconnu un paysage de l’île Saint-Ouen (où la famille du peintre avait une propriété) et propose 1861, date de l’installation de Manet dans l’atelier de la rue Guyot où il a peint d’après des croquis de l’île.

     

    L’arc-en-ciel à l’horizon, un village au loin, la flèche d’une église, des baigneuses près d’un bosquet, la signature oblique sur une barque, il y a une foule de choses à découvrir dans cette toile, « image composite, encombrée, mouvementée, diffuse, un mélange de genres, de plaisirs, de loisirs » (catalogue Gianadda), « un étrange mirage de toute  beauté » (GV, qui ajoute « même si le tableau manque de vie » – vraiment ?)

     

    Delacroix avait donné au jeune Manet ce conseil : « Il fallait voir Rubens, s’inspirer de Rubens, copier Rubens, Rubens était le dieu. » Et Rubens est bien au centre de cette peinture : l’arc-en-ciel, le chien, les jeunes arbres sont empruntés à son Paysage à l’arc-en-ciel (Louvre). Et le couple ? Ces costumes du dix-septième siècle ? Eh bien, il s’agit d’Edouard Manet et de sa future femme, Suzanne Leenhoff, représentés dans la même pose que Rubens et Hélène Fourment dans Parc du Château de Steen (Kunsthistorisches Museum, Vienne).

     

    La notice du MET rapporte que Manet, ayant caché à son père sa relation avec Suzanne, a sans doute peint cette « variation sur un portrait de noces » entre la mort de son père en septembre 1862 et leur mariage en octobre 1863, ce qui correspond à la datation actuelle. Ce tableau riche d’emprunts à Rubens (et à Carracci) et à sa propre vie (c’est peut-être Léon, fils de Suzanne, né de père inconnu, que Manet montre du doigt, « comme pour « accepter » le garçon dans sa famille », suggère le catalogue Gianadda), était très cher au peintre. La pêche n’a jamais été exposée du vivant de Manet (1832-1883), c’était un « tableau de famille », accroché dans leur appartement.

  • Poète du silence

    hans op de beeck,the drawing room,exposition,aquarelle,noir et blanc,bruxelles,botanique,nuit,nature,paix,culture« Artiste plasticien, visuel, Hans Op de Beeck est poète du silence. L’homme est à l’image de son œuvre. Point de discours, il trace des images. Il y conte le temps, les manières du temps entre orages, déchaînements, silences et discrétions. »

     

    R. P. Turine, Merveilleux Op de Beeck !,
    La Libre Belgique, 15-16/11/2014.


    © Hans Op de Beeck, Cat (détail)
    Photo RTBF, Pierre Badot, 2014

     

     

  • Hans Op de Beeck N&B

    Grâces soient rendues à Roger Pierre Turine, dont le bel article dans La Libre du week-end dernier m’a poussée à découvrir illico ce « Merveilleux Op de Beeck ! » au Botanique : « The drawing room », de grandes aquarelles en noir et blanc, un rendez-vous avec la lumière, avec les nuances, une atmosphère zen traversée par la musique de Tom Pintens (j’y reviendrai). 

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    © Hans Op de Beeck, Amusement Park by Night
     (en grand ici)

    Hans Op de Beeck, né en 1969, vit et travaille à Bruxelles, généralement à des « installations globales multidisciplinaires » (peinture, sculpture, installation, vidéo, écriture, scénographie et composition musicale). Depuis 2009, il peint la nuit, entre ses grands projets – comme « In Silent conversation with Correggio » à Rome – des « paysages postmodernes », des « images intemporelles et universelles » (texte de présentation).

     

    L’espace d’exposition du Botanique a été complètement repensé par l’artiste, les œuvres sont présentées sur des murs peints en gris pour mettre en valeur le blanc des zones non peintes, quoique pas absolument vierges pour autant. Pas d’étiquettes, mais on peut obtenir à l’entrée un plan avec les titres (courts, simples, en anglais). On se croirait dans une rue, le soir, éclairée par des réverbères, les aquarelles tenant lieu de fenêtres éclairées. Et pourtant, comme l’écrit Roger Pierre Turine, il s’agit plutôt de « recréer un monde du dedans ».

     

    Un chat et un poisson nous accueillent, chacun seul sur leur feuille, côte à côte, tournés l’un vers l’autre. Puis vient un premier paysage : une forêt de sapins sous la neige, motif qui revient à plusieurs reprises. Plus loin, une maison près d’un bois, fort éclairée, avec à l’avant-plan un nu et son reflet, une scène à la Magritte. 

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    © Hans Op de Beeck, Silver sea (en grand ici)

    Les paysages naturels, mer d’argent sous les étoiles, oiseaux sur un arbre, nuages ourlés de lumière – quasi tous en format panoramique – alternent avec des vues de ville, surtout celle-ci, « The little Ssed » (le petit abri) qui m’a fascinée : sur l’autre rive, une ville de grands immeubles éclairés que le peintre nous montre d’un ponton, tout près d’un îlot minuscule avec une cabane et un arbre, et au centre de l’œuvre un autre arbre, sur lequel on a appuyé une bicyclette. Entre le proche, le lointain, l’intime, le spectaculaire, le regard va et vient.

     

    L’exposition continue à l’étage, sur les mezzanines. Hans Op de Beeck peint aussi le corps humain, la peau tatouée, un homme en costume (profil coupé à hauteur de la bouche), une femme aux gestes élégants en robe orientale (de face, du col à mi-cuisse), des bottes noires… Il aime décentrer son sujet, comme s’il nous laissait disposer de l’espace non peint pour imaginer un contexte, une histoire. Cet espace libre pour l’imaginaire n’est pas vide pour autant : on y voit des textures, des taches d’eau, des gris marbrés très doux.

     

    Vagues, nuages, l’artiste aime visiblement les éléments naturels dans leurs métamorphoses et cela ressort encore avec plus de force de son film d’animation (quinze minutes), « Night time », diffusé en boucle dans une alcôve au bout de la salle d’exposition (l’air y est rapidement irrespirable quand elle est pleine) : sur l’écran qui occupe tout le mur du fond, Hans Op de Beeck anime ses aquarelles, celles de l’exposition et beaucoup d’autres, dans des fondus enchaînés de toute beauté. 

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    L’eau d’un lac prend vie, la pluie ou la neige se mettent à tomber, une barque traverse l’espace, les nuages bourgeonnent, les étoiles se mettent à scintiller dans la nuit. Mer, forêt, maison, ville, pont, usine, tous les décors s’enchaînent avec une grande douceur, conjuguent le mouvement et l’immobilité, la réalité et le rêve. De temps à autre apparaît un visage aux yeux fermés, image d’intériorité. La musique de Tom Pintens (chanteur flamand, guitariste et pianiste), qu’on entend dans toute l’exposition, accentue l’aspect onirique, l’atmosphère paisible du monde nocturne de Hans Op de Beeck.

     

    « Qui connaît son œuvre, ses vidéos et ses installations, sait combien elles sont frappées d’une poésie discrète. Op de Beeck scrute l’humanité en chroniqueur lucide des aléas journaliers, des rêves et des utopies de tout un chacun, de la banalité quotidienne » a écrit Roger Pierre Turine dans son portrait de l’artiste à l’atelier (LLB, 2012, à propos du documentaire de Rita Mosselmans). Vous pourrez découvrir « The drawing room » jusqu’au 4 janvier prochain, mais je vous déconseille d’attendre. Il y aura sans doute de plus en plus de monde. Et par ces jours d’automne, vous verrez aussi le parc du Botanique paré de ses plus belles couleurs.