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Culture - Page 626

  • Des histoires

    « Intéressez-vous à la Chine, ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire, mais rappelez-vous que si cette culture est fascinante, c’est pour la sagesse qu’elle a élaborée. Ses penseurs savaient qu’une anecdote est plus probante que la
    logique close d’un discours et je vous souhaite que les histoires que je vais vous rapporter vous aident à vous servir de votre intelligence pour mieux vivre, car sinon à quoi bon être intelligent ! »

     

    Jacques Pimpaneau, Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine

     

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  • Partir en Chine

    Le titre et la quatrième de couverture de la Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine, de Jacques Pimpaneau, m’avaient laissé imaginer des conseils aux voyageurs sur les mœurs chinoises. Mais l’auteur y propose en réalité une initiation à la culture chinoise et, en particulier, au chinois classique – un voyage poétique. Déjà le trajet proposé – de la gare de l’Est à Pékin via Berlin-Ouest et Moscou – s’illustre d’une citation d’un bonze « chan » (zen) :

     

    « Qu’une route y conduise et toute route est bonne,

    A quoi bon distinguer les quatre directions ?

    La brise ne s’occupe des rustres distinctions,

    Partout sont aussi rouges les pêchers qui fleurissent. »

     

    Spilliart Arbres au printemps.jpg

     

    « Voyagez, mais sachez voyager autour de votre chambre. » Fasciné par la culture chinoise, par « la sagesse qu’elle a élaborée », l’auteur y introduit par une série d’anecdotes. « Il ne faut pas courir après les connaissances qui n’ont qu’un intérêt pratique, ni chercher la connaissance ailleurs, car si vous n’avez pas compris qu’elle est au coin de la rue ou au bord du Lubéron, vous ne la trouverez pas en Chine ou en Inde. »

     

    « Sachez vous contenter de peu. » Après nous avoir invités au calme, Pimpaneau dévoile son jeu : loin de vouloir jouer les gourous, il a trouvé un bon prétexte pour nous lire et traduire quelques poèmes de la secte chan entre le VIIe et le XIIIe siècle. Le post-scriptum sera donc plus long que la lettre même : « c’est une initiation par la poésie… seulement au chinois classique. » Les poèmes présentés seront ceux de la dynastie Tang, les plus simples, ceux que les Chinois connaissent par cœur.

     

    « Vivant comme un oisif, sur quoi disserterais-je ?

    Un bâtonnet d’encens est ce que je respire.

    Si je dors, j’ai du thé ; si j’ai faim, j’ai du riz ;

    Je marche au bord de l’eau et m’assieds face aux nuages. »

     

    Pimpaneau propose d’abord le texte, un quatrain généralement,  en « sous-titrant » chaque ligne d’idéogrammes par une traduction mot à mot. Puis il commente. On apprend que la rime est obligatoire dans un poème chinois classique, que le complément de temps se place avant le verbe, de même que le complément du nom avant le nom. Enfin, et c’est très intéressant, le lecteur découvre le texte traduit – non pas une seule version, mais plusieurs, par différents traducteurs, en français et aussi en anglais. Comparons.

     

    « L’aurore printanière

    Le sommeil de printemps ignore volontiers l’aurore,

    Cà et là, on entend partout le chant des oiseaux.

    La nuit, au bruit du vent et de la pluie,

    Combien de fleurs sont tombées sans qu’on le sache ? » (tr. Lo Ta-Kang)

     

    « Aube du printemps

    Au printemps, le dormeur surpris par l’aube,

    Entend partout gazouiller les oiseaux.

    Toute la nuit, bruit du vent et de pluie ;

    Qui sait combien de fleurs ont dû tomber ! » (tr. Tch’en Yen-hia)

     

    La nature est partout dans la poésie citée dans cet ouvrage inclassable. Le pin, le bambou et le prunus sont des arbres « amis de l’homme » : ils lui tiennent compagnie en hiver, ce qui en fait des symboles d’amitié. De petits dessins à la plume – une branche, un pont, un couple, des oiseaux, un ermite, des papillons – égaient les pages de temps à autre.

    Entraînée malgré moi dans cette aventure poétique à laquelle je ne m’attendais pas, j’avoue ne pas avoir suivi l’auteur à la lettre. « Après avoir lu ces poèmes, apprenez-en un par cœur chaque semaine et soyez capable de le réciter et de l’écrire. Vous ne vous en repentirez pas. » Jacques Pimpaneau ne manque pas d’humour – « en espérant que cette lettre vous sera plus utile qu’un cure-dent à un chat qui vient de manger un poisson ».

  • Pour le mieux

    « Personne ne se consacre à une activité en cherchant dès le départ à accomplir quelque chose de merveilleux. Même quand c’est au-delà de nos capacités, on avance vers un but en s’efforçant de faire pour le mieux, c’est ainsi que les gens progressent. Et c’est ça qui fait avancer le monde. Je me demande si l’art, ce n’est pas ça aussi. »

     

    Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil

     

    Vitrail du mémorial Kongolo à Gentinnes (détail).JPG

     

     

  • Un être ordinaire

    Haruki Murakami est né à Kyoto en 1949. Hajime, en 1951 – c’est le narrateur du roman Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (1992). Celui-ci fait la rencontre de sa vie à douze ans – il ne le sait pas encore. Shimamoto-san, enfant unique elle aussi, traîne légèrement la jambe, séquelle d’une polio. Comme elle habite depuis peu près de chez lui, on les a mis l’un à côté de l’autre en classe et il la raccompagne tous les jours. Très vite, derrière son attitude posée, il devine chaleur et sensibilité, « un trésor vivant caché au fond d’elle ».

     

    Hajime et Shimamoto-San se découvrent des goûts communs pour les livres, la musique et les chats, et la même difficulté à exprimer leurs émotions. Chez elle, sur une chaîne stéréo dernier cri, ils aiment écouter parfois Liszt, parfois Nat King Cole dans Pretend ou South of the Border. « Il s’agissait du Mexique, bien sûr, mais je ne le savais pas. (…) Chaque fois que j’écoutais cette chanson, je me demandais ce qu’il pouvait bien y avoir au « sud de la frontière ». » Un jour où elle lui prend la main, quelques secondes, le garçon ressent qu’il existe bel et bien « un lieu de plénitude au cœur même de la réalité ».

     

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    Un déménagement les sépare. A seize ans, Hajime, « abandonnant l’espoir d’être un jour quelqu’un de spécial » se transforme en un être ordinaire. Son corps se muscle à force de nager régulièrement, sa personnalité se modifie, s’affirme – « je me réjouissais de la disparition de mon ancien moi ». Izumi devient sa petite amie au lycée. Il l’embrasse, puis veut aller plus loin, mais elle demande du temps. « J’ai peur, dit-elle. Je ne sais pas pourquoi ces temps-ci, il m’arrive de me sentir comme un escargot privé de sa coquille. – Moi aussi, j’ai peur, répliquai-je. Je ne sais pas pourquoi, il m’arrive de me sentir comme une grenouille privée de ses palmes. » Et de rire ensemble, soulagés. Mais Hajime rencontre la cousine d’Izumi, plus âgée, dont le désir s’accorde avec le sien. Lorsque Izumi le découvre et en souffre, Hajime comprend que comme les autres, il peut faire du mal.

     

    Après l’université, son emploi dans l’édition scolaire l’ennuie, quelques amourettes
    l’en distraient, sans plus. « Ce furent des années glacées, au cours desquelles je ne rencontrai pratiquement personne qui me paraisse en accord avec mon cœur. » Aucune femme n’arrive à la cheville de Shimamoto-San dont il n’a pas de nouvelles. Un jour, dans la foule, il aperçoit une élégante en manteau rouge qui traîne la jambe exactement comme elle. Il la prend en filature jusqu’au salon de thé où elle s’installe un moment. Il n’ose se rapprocher, alors qu’il brûle de vérifier s’il s’agit bien d’elle. Et puis, elle lui échappe.

     

    A trente ans, il épouse Yukiko, la fille d’un entrepreneur. Son beau-père le pousse à se lancer : Hajime ouvre un club de jazz « assez chic », puis un second. A la joie de monter une affaire, de l’améliorer, de réussir, s’ajoute la satisfaction d’une vie très confortable pour sa famille. Mais il ne peut s’empêcher, lui qui a été un étudiant idéaliste, d’écouter le Winterreise de Schubert en pensant que le monde l’a récupéré, un peu à son insu : « On dirait que tout ça n’est pas ma vie ».

     

    La fêlure intérieure palpite lorsque Hajime apprend d’un ancien camarade de lycée qu’Izumi, la petite amie trompée, vit si seule dans un immeuble que les enfants ont
    peur d’elle. L’autre le rassure : « Chacun sa vie, la vie d’autrui n’appartient qu’à lui. » La comparaison que fait cet homme entre le monde et le désert, où tout ce qui vit finit par se dessécher et mourir, continue longtemps à résonner en lui – « Et il ne reste que le désert. »

     

    Shimamoto-San, un soir, s’installe au comptoir du club, sans qu’il la reconnaisse. C’est elle qui vient vers lui et le complimente. C’était bien elle qu’il avait suivie et qui s’est demandé pourquoi il ne l’avait pas abordée, lui, « le seul ami qu’elle ait jamais eu ». Entretemps, elle s’est fait opérer et ne boite plus. Dorénavant, Hajime ne vivra plus que dans l’attente de son apparition, de temps à autre, dans son club de jazz. Au milieu du roman, son amour d’enfance se réinstalle au cœur de la vie d’Hajime, marié et père de deux enfants. Qu’en feront-ils ?

    Que faisons-nous de notre existence ? Les personnages de Murakami s’interrogent et gardent leur mystère. Quelles sont, dans nos choix de vie, la part du moi véritable, la part de l’influence ou du hasard ? Ils sont rares, les êtres avec qui partager vraiment ces questions intimes – ceux avec qui notre vie bascule.

  • Sous une lampe

    « Sous une lampe de bureau, des feuillets couverts d’une écriture bleue et régulière s’étalaient en éventail. C’était un roman. Mon désir d’écrire se confondit dès lors avec celui de ce silence hivernal, de cette pièce trop chauffée et de ce thé dont la dame à intervalle régulier remplissait une tasse bleue et blanche qui portait sur son bord d’or la marque sanglante de ses lèvres fardées. »

     

    Gilles Brochard, « Quand le désir d'écrire vint à Jacques Almira », Le Thé dans l’encrier

     

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